La brièveté inespérée de l’exil de Zinzendorf, l’heureux résultat de son voyage en Souabe, son prompt retour au milieu des Frères, furent pour eux comme pour lui une preuve éclatante de la bonté du Seigneur et un puissant encouragement. Diverses circonstances d’ailleurs donnèrent un nouvel essor à leur activité. Un réveil considérable eut lieu dans la population wende du voisinage, qui se pressait à Herrnhout pour s’y instruire et s’y édifier dans la réunion des Frères ; on se mit en rapport avec les émigrés de Salzbourg, on entretint les relations déjà existantes avec diverses églises et sociétés.
[On comprend sous le nom de Wendes les différentes tribus slaves qui occupaient jadis le nord-est de l’Allemagne et qui ne furent entièrement vaincues par les Allemands que sous Henri l’Oiseleur. Elles se sont en bonne partie fondues dans la race germanique ; cependant, on trouve encore dans quelques provinces et particulièrement en Lusace des populations de race wende, qui ont gardé la langue, les mœurs et le costume de leurs ancêtres.]
Dieu donna à cette époque à Zinzendorf un précieux auxiliaire en la personne de Spangenberg. C’était un jeune théologien dont il avait fait connaissance pendant son séjour à Iéna. Il avait été nommé dès lors professeur à Halle, mais les intrigues des piétistes avaient réussi à l’en chasser, et il arriva à Herrnhout peu de jours après le comte. Nommé adjoint de Zinzendorf, dont il fut plus tard le successeur, il déploya une grande activité et fut pendant soixante ans entiers un fidèle serviteur de l’église.
Deux éléments différents se trouvaient réunis à Herrnhout ; le comte crut utile d’établir entre eux une distinction : il mit d’un côté tous les émigrés moraves ; il voyait en eux une milice du Seigneur, un peuple de témoins suscités pour porter l’Évangile partout où ils seraient appelés ; il en fit en conséquence une classe particulière et, dans un certain sens, une communauté à part, ayant ses ouvriers et ses réunions à elle. Les autres habitants de Herrnhout furent aussi organisés en une classe distincte ; c’étaient des luthériens nés dans le pays et qui paraissaient appelés en général à demeurer dans la vie privée et à servir Dieu en silence, en gagnant humblement leur pain. On comprend qu’il y avait avantage à ce que chacune de ces deux classes eût son organisation et ses assemblées à part, puisque le développement, les besoins, les préoccupations de chacune d’elles étaient nécessairement aussi différentes que l’était leur destination. Comme il importait de maintenir l’unité, cette distinction ne fut pas poussée au delà de certaines limites et ne devint nullement une séparation ; les réunions en commun continuèrent comme précédemment.
L’activité missionnaire à laquelle les Frères moraves paraissent si particulièrement appelés eut bientôt à s’exercer dans une œuvre nouvelle, la mission de Sainte-Croix. Voici quelle fut l’origine de cette entreprise.
Un certain M. de Pless, haut dignitaire de la cour de Danemark, fit établir des plantations dans l’île de Sainte-Croix, une des Caraïbes. Il désira pouvoir y envoyer en qualité de surveillants une douzaine de Frères moraves, qui, tout en dirigeant le travail des noirs, leur annonceraient l’Évangile ; de la sorte, pensait-il, il aurait fait à la fois une bonne œuvre et une bonne affaire. Cette proposition fut bien accueillie à Herrnhout ; on ne voyait là qu’un moyen de répandre la connaissance du Sauveur, et il semblait que les fonctions mêmes de ces surveillants ne feraient que leur faciliter leur mission. Le comte seul ne voyait pas cette affaire avec plaisir ; il lui répugnait d’associer la cause de Christ à de grossiers intérêts. Considérant cependant que cette proposition agréait aux Frères et qu’ils élevaient là-dessus les plus belles espérances, il ne crut pas pouvoir s’y opposer formellement. « La colonie de Sainte-Croix », dit-il dans ses Réflexions naturelles, est une de ces choses qui ne m’ont pas plu, que j’ai même combattues et que pourtant j’ai dû jusqu’à un certain point concéder, afin d’éviter pis. » Il ne le fit toutefois qu’après avoir obtenu de M. de Pless toutes les garanties désirables relativement à la liberté de conscience dont jouiraient dans la colonie non seulement les missionnaires, mais aussi les noirs. Après bien des réflexions et des délibérations, la mission fut décidée. Quatorze Frères furent autorisés à partir. Quatre d’entre eux étaient mariés et leurs femmes devaient les suivre. On leur donna pour chef Tobie Leupold, et Spangenberg fut chargé de les accompagner jusqu’à Copenhague.