1.[1] La succession était alors assurée sans contestation à Antipater, mais il vit s'élever contre lui du sein du peuple une haine insurmontable, car tous savaient que c'était lui qui avait machiné toutes les calomnies dirigées contre ses frères. Il se sentait, en outre, envahi par une crainte démesurée quand il voyait grandir les enfants de ses victimes. Alexandre avait eu de Glaphyra deux fils, Tigrane et Alexandre ; et de l'union d'Aristobule avec Bérénice, fille de Salomé, étaient nés trois fils, Hérode, Agrippa et Aristobule, et deux filles, Hérodias et Mariamme. Le roi Hérode, dès qu'il eut fait mourir Alexandre, renvoya en Cappadoce Glaphyra avec sa dot ; quant à Bérénice, veuve d'Aristobule, il la donna en mariage à l'oncle maternel d'Antipater[2] ; c'est pour se concilier Salomé, qui lui était hostile, qu'Antipater arrangea ce mariage. Il gagna aussi Phéroras par des présents et d'autres attentions, et les amis de César en envoyant à Rome des sommes considérables. En particulier, tout l'entourage de Saturninus, en Syrie, fut comblé de ses libéralités. Cependant, plus il donnait, plus on le haïssait, car on sentait que ses largesses ne venaient pas de sa générosité, mais de la crainte. Ceux qui recevaient n'en étaient pas plus bienveillants, ceux qu'il négligeait devenaient des ennemis plus implacables. Cependant il accroissait encore l'éclat de ses distributions, en voyant le roi, au mépris de ses espérances, prendre soin des orphelins et témoigner ses remords du meurtre de ses fils par les marques de pitié qu'il prodiguait à leurs enfants.
[1] Sections 1 et 6 Ant,, XVII, 1, 1. Sections 2-5 Ant., XVII, 1, 2-3.
[2] Il s'appelait Theudion (Ant., XVII, 70).
2. Un jour, en effet, Hérode rassembla ses parents et amis[3], fit placer près de lui ces enfants, et, les yeux pleins de larmes, parla en ces termes : « Un démon jaloux m'a enlevé les pères de ceux que vous voyez, et cela, joint aux mouvements de la nature, m'apitoie sur leur état d'orphelins. Si j'ai été le plus infortuné des pères, j'essaierai du moins de me montrer un aïeul plus tendre, et je veux leur laisser pour guides, après moi, ceux qui me sont le plus chers. Je fiance donc ta fille[4], Phéroras, à l'aîné des deux fils d'Alexandre, afin que cette alliance fasse de toi son protecteur naturel ; et toi, Antipater, je donne à ton fils la fille d'Aristobule : puisses-tu devenir ainsi un père pour cette orpheline ! Quant à sa sœur, mon propre fils Hérode la prendra, car il est par sa mère petit-fils d'un grand-prêtre. Que mes volontés soient ainsi réglées, et que nul de mes amis n'y mette obstacle ! Je prie Dieu de bénir ces unions pour le plus grand bonheur de mon royaume et de mes descendants ; puisse-t-il regarder ces enfants d'un œil plus clément que leurs pères ! »
[3] συγγενεῖς τε καὶ φίλους. Ces mots ne doivent pas être lus à la lettre ; les titres de συγγενής et de φιλός étaient accordés aux membres les plus élevés de la hiérarchie aulique dans les cours hellénistiques.
[4] On ne sait pas le nom de la fille de Phéroras, pas plus que du fils d'Antipater. Le fils aîné d'Alexandre serait, d'après § 552, Tigrane, d'après Ant., XVIII, 139, Alexandre. La fille d'Aristobule, fiancée au fils d'Antipater, s'appelait Mariamme ; celle que devait épouser Hérode le jeune est la célèbre Hérodias. La mère de ce jeune Hérode, Mariamme II, était fille du grand-prêtre Simon fils de Boéthos (Ant., XV, 320). Aux mariages ici énumérés, Ant., XVII, § 14, ajoute les fiançailles d'une fille d'Antipater avec le fils aîné d'Aristobule (Hérode).
3. Ayant ainsi parlé, il pleura de nouveau et unit les mains des enfants, puis, les embrassant affectueusement l'un après l'autre, il congédia l'assemblée. Aussitôt Antipater frissonna et laissa voir à tous son émotion ; il pensait, en effet, que la sollicitude de son père pour les orphelins annonçait sa propre ruine et que ses droits à la couronne seraient en péril, si les fils d'Alexandre avaient pour soutien, outre Archélaüs, Phéroras, qui avait rang de tétrarque. Il considérait encore la haine du peuple pour lui-même, sa pitié pour les orphelins, le zèle que les Juifs avaient témoigné à ses frères vivants, le souvenir qu'ils leur gardaient maintenant qu'ils étaient morts sous ses coups : il résolut donc de briser à tout prix ces fiançailles.
4. Il n'essaya pas de circonvenir par la ruse un père difficile et prompt au soupçon. Il osa se présenter devant lui et le supplia en face de ne pas lui ôter les honneurs dont il l'avait jugé digne, ni de lui laisser le titre de roi en déférant la puissance à d'autres ; car il ne serait plus le maître si le fils d'Alexandre pouvait s'appuyer, outre son grand-père Archélaüs, sur Phéroras, son beau-père. Il le conjura donc, puisqu'il avait dans son palais une nombreuse descendance, de modifier ces mariages. Le roi eut, en effet, neuf épouses[5], qui lui donnèrent sept enfants : Antipater lui-même était fils de Doris ; Hérode II de Mariamme (II), fille du grand-prêtre ; Antipas et Archélaüs de Malthacé, la Samaritaine ; Olympias, fille de cette dernière avait épousé son neveu Joseph[6]. Il avait eu de Cléopâtre, native de Jérusalem, Hérode (III) et Philippe ; de Pallas, Phasaël. Il avait encore d'autres filles, Roxane et Salomé, liées, l'une de Phèdre, l'autre d'Elpis. Deux autres de ses femmes n'eurent pas d'enfants : l'une était sa cousine germaine, l'autre sa nièce[7]. Enfin, il lui restait deux filles de Mariamme (I)[8], sœurs d'Alexandre et d'Aristobule. Vu le grand nombre de ces enfants, Antipater demandait de changer l'ordre des mariages.
[5] Dix en comptant Mariamme Ire. On ne voit pas bien si toutes ces neuf épouses doivent être considérées comme simultanées.
[6] Fils de Joseph, tué au combat de Jéricho.
[7] On ignore leurs noms.
[8] Salampsio et Cypros.
5. Le roi entra dans une vive indignation, quand il apprit les sentiments d'Antipater à l'égard des orphelins, et, songeant à ceux qu'il avait tués, un soupçon lui vint qu'eux aussi n'eussent été victimes des calomnies d'Antipater. A ce moment donc, il répondit longuement, avec colère, et chassa Antipater de sa présence ; ensuite, cependant, séduit par ses flatteries, il changea de sentiment et fit épouser à Antipater lui-même la fille d'Aristobule, tandis qu'il unissait à la fille de Phéroras le fils d'Antipater.
6. Rien ne montre mieux l'empire des flatteries d'Antipater en cette occasion, que l'insuccès de Salomé dans des circonstances toutes semblables. Bien qu'elle fût la sœur d'Hérode et recourût à l'intercession de l'impératrice Livie pour supplier le roi de lui laisser épouser l'Arabe Sylléos[9], Hérode jura qu'il la tiendrait pour sa plus cruelle ennemie, si elle ne renonçait à cette passion ; enfin, il la maria malgré elle à un de ses amis, nommé Alexas, et unit l'une des filles de Salomé[10] au fils d'Alexas, l'autre[11] à l'oncle maternel d'Antipater. Quant aux filles de Mariamme, l'une[12] épousa Antipater, fils de la sœur d'Hérode, l'autre[13] Phasaël, fils de son frère.
[9] D'après Ant., XVII, § 10. Julie (Livie) aurait, au contraire, détourné Salomé de cette passion.
[10] On ignore son nom et celui de son mari.
[11] Bérénice, veuve d'Aristobule. Son second mari s'appelait Theudion.
[12] Cypros.
[13] Salampsio.