Nous avons vu ci-dessus que la plupart des ouvrages gnostiques ont péri. On en peut dire autant des réfutations qui leur furent d’abord opposées. Comme c’étaient en grande partie des écrits de circonstance, l’hérésie une fois abattue, on cessa de les lire et de les copier, et beaucoup disparurent avec le péril qui les avait fait naître.
De ce nombre sont les ouvrages déjà signalés de saint Justin contre les hérésies en général et spécialement contre Marcion, et de Théophile d’Antioche contre Marcion et contre Hermogène. Ajoutons-y ceux de l’apologiste Miltiade (Tertullien, Adv. Valentinianos, 5), le traité d’Arippa Castor, qui vécut sous Hadrien (117-138), contre Basilide (Eusèbe, H. E., 4.7.6-8) et les écrits de l’asiate Rhodon, disciple de Tatien, contre Marcion, contre Apelle et peut-être contre Tatien lui-même ibid., 5.13). Eusèbe nomme encore parmi les champions de l’orthodoxie Philippe, évêque de Gortyna en Crète (4.21 ; 23.5 ; 25), Modestus (4.25 ; cf. 21), Musanus (4.28 ; cf. 21), à mettre tous trois sous Marc-Aurèle et Commode (161-192) ; puis (5.27), à la fin du règne de Commode et sous Septime Sévère, Héraclite, Maximef, Candidus, Apion, ces deux derniers auteurs d’ouvrages sur l’hexaemeron, Sextus, qui avait écrit sur la résurrection, Arabien ; et, ajoute Eusèbe, il en est une foule d’autres dont je ne puis dans ce livre indiquer en détail ni l’époque, ni les ouvrages ni même les noms, beaucoup de ces ouvrages étant anonymes. Il est surprenant toutefois qu’il n’ait pas mentionné un de ses prédécesseurs, Zachée, évêque de Césarée, signalé par le Praedestinatus comme ayant écrit (vers la fin du iie siècle) contre les valentiniens.
f – Maxime n’est peut-être qu’un personnage fictif, provenant d’une méprise d’Eusèbe.
Mais, à côté de ces polémistes à peine connus ou dont les copistes ont négligé les œuvres, il en est quelques-uns dont le souvenir est mieux conservé ou même dont le nom est resté grand dans l’Église. Tels sont, au iie siècle, Hégésippe et saint Irénée.
De la personne d’Hégésippeg on ne sait que peu de chose. C’était probablement un juif de Palestine, né autour de l’an 110 et qui se convertit au christianisme. Sous le pape Anicet (155-166), il entreprit dans la chrétienté un voyage qui le conduisit à Corinthe, puis à Rome, et pendant lequel il s’appliqua à relever l’enseignement des Églises qu’il traversait pour en vérifier l’uniformité. A Rome, il établit la liste successorale des évêques jusqu’à Anicet. C’est après être revenu dans sa patrie qu’il rédigea, sous le pontificat d’Eleuthère (174-189), le travail dont nous allons parler. La Chronique pascale met sa mort vers l’an 180.
g – Voir H. Dannheuther, Du témoignage d’Hégésippe sur l’Église chrétienne aux deux premiers siècles, Nancy, 1878.
L’ouvrage d’Hégésippe portait le titre de Mémoires (Ὑπομνήματα) et comprenait cinq livres. Il est presque entièrement perdu. On peut cependant, surtout par les indications et citations d’Eusèbe, s’en faire quelque idée. Ce n’était pas, comme l’a dit saint Jérôme, une histoire suivie de l’Église depuis la passion de Notre-Seigneur jusqu’au milieu du iie siècle : c’était bien plutôt une démonstration contre les gnostiques, par les faits et aussi par le raisonnement, de la vérité de l’enseignement officiel. Eusèbe n’hésite pas à ranger Hégésippe entre les défenseurs de la tradition (4.21 ; 22.1) et dit qu’il a « raconté en cinq livres, d’une exposition fort simple, la tradition infaillible de la prédication apostolique » (4.8.2). Voilà pourquoi Hégésippe s’intéressait si fort, dans son voyage, à l’enseignement des Églises et à la succession des évêques qui en garantissait l’intégrité.
D’autre part, il ne paraît pas avoir été un homme fort instruit ni un écrivain bien habile. Il compose en grec assez gauchement et sa critique est presque nulle ; mais c’était un observateur attentif et un témoin sincère dont Eusèbe a fait grand cas.