L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
4 De la pureté du cœur et de la simplicité de l’intention
Pour t’élever de terre, homme, il te faut deux ailes, La pureté du cœur et la simplicité ; Elles te porteront avec facilité Jusqu’à l’abîme heureux des clartés éternelles ; Celle-ci doit régner sur tes intentions, Celle-là présider à tes affections, Si tu veux de tes sens dompter la tyrannie : L’humble simplicité vole droit jusqu’à Dieu, La pureté l’embrasse, et l’une à l’autre unie S’attache à ses bontés, et les goûte en tout lieu.
Nulle bonne action ne te ferait de peine Si tu te dégageais de tous dérèglements ; Le désordre insolent des propres sentiments Forme tout l’embarras de la faiblesse humaine. Ne cherche ici qu’à plaire à ce grand Souverain, N’y cherche qu’à servir après lui ton prochain, Et tu te verras libre au dedans de ton âme ; Tu seras au-dessus de ta fragilité, Et n’auras plus de part à l’esclavage infâme Où par tous autres soins l’homme est précipité.
Si ton cœur était droit, toutes les créatures Te seraient des miroirs et des livres ouverts, Où tu verrais sans cesse en mille lieux divers Des modèles de vie et des doctrines pures ; Toutes comme à l’envi te montrent leur Auteur : Il a dans la plus basse imprimé sa hauteur, Et dans la plus petite il est plus admirable ; De sa pleine bonté rien ne parle à demi, Et du vaste éléphant la masse épouvantable Ne l’étale pas mieux que la moindre fourmi.
Purge l’intérieur, rends-le bon et sans tache, Tu verras tout sans trouble et sans empêchement, Et tu sauras comprendre, et tôt et fortement, Ce que des passions le voile épais te cache. Au cœur bien net et pur l’âme prête des yeux Qui pénètrent l’enfer, et percent jusqu’aux cieux ; Il voit tout comme il est, et jamais ne s’abuse : Mais le cœur mal purgé n’a que les yeux du corps ; Toute sa connaissance ainsi qu’eux est confuse ; Et tel qu’il est dedans, tel il juge au dehors.
Certes, s’il est ici quelque solide joie, C’est ce cœur épuré qui seul la peut goûter ; Et, s’il est quelque angoisse au monde à redouter, C’est dans un cœur impur qu’elle entre et se déploie. Dépouille donc le tien de ce qui l’a souillé, Et vois comme le fer par le feu dérouillé Prend une couleur vive au milieu de la flamme : D’un plein retour vers Dieu c’est là le vrai tableau ; Son feu sait dissiper les pesanteurs de l’âme, Et faire du vieil homme un homme tout nouveau.
Quand ce feu s’alentit, soudain l’homme appréhende Jusqu’au moindre travail jusqu’aux moindres efforts, Et souffre avec plaisir les douceurs du dehors, Quelques pièges secrets que ce plaisir lui tende ; Mais alors qu’il commence à triompher de soi, Qu’il choisit Dieu pour maître et pour unique roi, Que dans sa sainte voie il marche avec courage, Le travail le plus grand ne l’en peut épuiser, Plus il se violente, et plus il se soulage, Et ce qui l’accablait cesse de lui peser.