Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

III
Du Moyen de Justification

1. Formule de saint Paul et de la Réformation : Par la foi, sans les œuvres

Nous avons constaté la nature de la justification évangélique, et montré qu’elle consiste essentiellement dans la rémission des péchés, grâce qui entraîne avec elle toutes les autres. Quant au moyen par lequel elle s’opère, c’est la Foi. Ce dernier fait est aujourd’hui universellement reconnu au sein du Protestantisme. Toutes les directions théologiques s’accordent à placer à leur base cette parole de saint Paul : Etant justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu en Jésus-Christ, Notre Seigneur (Romains 5.1). Mais cette assertion générale recouvre de grandes divergences dogmatiques. Il reste toujours à déterminer sous quel rapport et en quel sens la foi devient, par-dessus toutes les autres dispositions chrétiennes, l’organe spécial du salut. Il y a toujours lieu de demander, et l’on demande toujours en effet, quelle est la foi qui justifie ? Nous avons donc à rechercher laquelle des opinions générales que nous avons eu occasion de rencontrer sur la nature de la foi justifiante rend le mieux la doctrine scripturaire dans sa pleine et pure intégralité.

Si nous nous rappelons que demander comment nous sommes justifiés devant Dieu, c’est demander comment nous devenons participants des bienfaits de la rédemption ; si nous nous rappelons, de plus, que l’objet immédiat, l’effet direct de la rédemption est la rémission des péchés, nous en conclurons naturellement que la foi exigée doit être la foi en Celui de qui nous vient le pardon, ou à l’acte par lequel il nous l’a acquis, ou à la divine miséricorde qui nous l’a préparé et qui nous l’offre ; foi qui renferme comme éléments constitutifs une profonde conviction de notre misère spirituelle, un vif sentiment de la justice qui nous condamne, un entier renoncement à tout mérite propre, et l’acceptation du salut comme le don de Dieu en Jésus-Christ (Romains 6.23). Car, suivant une observation qui reviendrait incessamment, s’il a fallu la mort du Fils de Dieu pour nous ouvrir le Ciel, que nous fermait notre état de péché, il faut, pour y entrer, reconnaître et confesser qu’on n’y est admis qu’en son Nom ; sentir vivement qu’à quelque degré de sanctification qu’on soit parvenu, on n’y pourrait être introduit si l’on était jugé sur ce qu’on est ; donner gloire au Dieu-Sauveur en s’humiliant soi-même, et s’abriter sous sa seule clémence. Il faut qu’il soit visible à tout l’Univers que les êtres tombés dans le mal, quoique relevés de leur chute, n’échappent à la loi qu’en vertu de cette intervention mystérieuse qui en sauvegarde les obligations et les sanctions, tout en fondant la dispensation de grâce. Encore une fois, dès que la justification est la rédemption appliquée aux âmes en communion avec Christ, et que la rédemption est foncièrement une amnistie, il suit que la foi justifiante doit porter ou refléter le même caractère, ç’est-à-dire que nous arrivons à la quatrième des opinions susmentionnées, celle de la Réformation, où la foi est l’humble et ferme confiance qui jette dans les bras de la miséricorde, son seul recours et son seul espoir, inspirant aux hommes les plus avancés dans la régénération le sentiment et le cri du Publicain : O Dieu, sois apaisé envers moi qui suis pécheur !

Cette induction spontanée se confirme pour peu qu’on aille au fond de l’enseignement scripturaire. Si de nombreux passages présentent simplement la foi justifiante comme la foi en Christ, Seigneur et Sauveur, il en est beaucoup qui la spécifient en lui donnant pour fin la rémission des péchés et pour fondement ou pour objet la mort de Jésus-Christ. Les textes de cette classe que nous avons exposés ailleursb et où la rédemption se présente comme essentiellement propitiatoire, révèlent la nature propre, l’élément constitutif de la foi justifiante : c’est la foi en Christ, Médiateur entre Dieu et les hommes, Sacrificateur de la nouvelle Alliance, qui s’est donné lui-même en rançon pour nous ; c’est, selon l’expression de saint Paul (Romains 3.24), la foi en son sang, déclaration bien significative que l’apôtre dépasse encore, s’il est possible, en la précisant davantage, quand il dit (Romains 5.9) que nous sommes, non seulement rachetés, mais justifiés par son sang. Aussi l’Évangile est-il pour lui la prédication de la Croix (1 Corinthiens 1.18 ; 2.1).

bExpiation, 2.2.

Cela peut sembler dur à entendre et à croire dans la direction actuelle des idées. Il est plus rationnel, plus conforme aux postulats de la science et de la conscience de tout rattacher à la vertu rénovatrice de la foi, qui donne déjà la vie éternelle puisqu’elle donne la vie spirituelle. Mais il ne s’agit pas de ce qui concorde avec nos opinions ou nos sentiments ; il s’agit de ce que Dieu a établi. La Sotériologie tout entière est un fait de l’ordre divin le plus élevé, c’est l’objet final et, en quelque sorte, le fond essentiel du grand mystère de piété, c’est, par conséquent, un fait de révélation qu’il faut constater et admettre comme tel. Ôtez-lui la révélation, vous n’en savez plus rien de certain.

La foi à laquelle l’apôtre attache la justification est donc proprement la foi à l’œuvre propitiatoire de Christ, à cette grande dispensation, préparée par toutes les autres, où Dieu se montre juste et sauveur tout ensemble. Ajoutons qu’il l’y attache à l’exclusion des œuvres, afin que- le salut reste un pur don de miséricorde (Romains 3.20, 26-27 ; 4.2-6 ; 9.32 ; 10.5-13 ; 11.6 ; Galates 2.16, 21 ; 3.10-12 ; 5.4 ; Éphésiens 2.8-9 ; 2 Timothée 1.9 ; Tite 3.5). Ceci nous ramène à sa formule générale : Justifiés par la foi, sans les œuvres, si importante pour la détermination du dogme et si tourmentée par des controverses séculaires. Nous avons établi le sens du premier des trois termes dont elle se compose, celui de justification ; c’est, le sens des deux autres que nous avons à rechercher et à constater. A vrai dire, un seul importe réellement. Il n’est si essentiel de savoir ce que saint Paul entend par « les œuvres » à cette place, que pour préciser ce qu’il entend par « la foi ». De là l’ardeur des discussions sur ce point et la nécessité de le soumettre à un examen attentif. Les œuvres exclues sont-elles seulement les œuvres cérémonielles, ou les œuvres dites légales que n’accompagne pas le don du cœur, ou aussi les œuvres émanées des mobiles religieux les plus purs ? La sentence ne frappe-t-elle que le formalisme, soit rituel, soit moral, ou porte-t-elle sur la vraie sanctification elle-même, afin d’écarter tout ce qui est ou peut paraître de l’homme et de ne laisser qu’une grâce toute gratuite, selon la vive expression qui caractérise la dogmatique protestante, mais qui dérive en fait de saint Paul (Romains 3.24 ; Éphésiens 1.6) ?

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