Cette parabole est la perle et la couronne de toutes les autres ; elle est riche en vérités précieuses, aussi l’a-t-on quelquefois appelée : « l’évangile dans l’Évangile ». Nous avons déjà parlé du rapport qui existe entre elle et les deux autres.
« Un homme avait deux fils. » Quelques interprètes voient dans ces deux fils le Juif et le Gentil, dans le départ du plus jeune, l’histoire de la grande apostasie du monde gentil, et dans son retour, l’admission de ce monde-là aux privilèges de la Nouvelle Alliance ; ils voient dans le fils aîné un type des Juifs orgueilleux qui auraient voulu exclure les « pécheurs d’entre les Gentils » de ces mêmes privilèges. D’autres, au contraire, disent que les deux fils représentent les pécheurs repentants et les pécheurs orgueilleux, les péagers et les pharisiens. La première interprétation méconnaît le but de la parabole. Jésus-Christ voulait confondre les pharisiens qui se scandalisaient de ce qu’il n’évitait pas le contact des membres déchus de l’Église juive. Les péagers et les pécheurs qu’il accueillait si volontiers n’étaient pas des Gentils, mais bien des Juifs, ainsi que nous le voyons par plusieurs exemples. Il ne s’agit donc pas ici du mystère de l’appel des Gentils à l’Alliance ; dans l’Alliance elle-même, le Seigneur est venu appeler les pécheurs à la repentance. Partout où il y a des pécheurs repentants et des pécheurs orgueilleux, la parabole peut avoir son application. Elle s’adresse aussi à nous. Il y a toujours dans l’Eglise chrétienne des personnes représentées par les deux fils.
« Et le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de fortune qui doit m’échoir. » Le fait que c’est le plus jeune qui parle ainsi n’est pas sans importance. « L’enfance et la jeunesse ne sont que vanité » (Proverbes 7.7). Cette réclamation faite sous une forme légale, comme un droit et non comme une faveur, nous montre un cœur entièrement vide de toute affection naturelle. Un tel droit n’était pas en vigueur parmi les Juifsa. Mais le fils prodigue peut bien aussi avoir réclamé sa part comme une faveur. « Cette part qui me reviendra, que tu me destines, je la recevrais volontiers maintenant. » D’après la loi juive, la part du plus jeune frère devait être la moitié de celle du frère aîné (Deutéronome 21.17 ; 2 Rois 2.9). Au point de vue spirituel, cette demande est l’expression du désir de l’homme de se rendre indépendant de Dieu, d’être à lui-même son propre dieu (Genèse 3.5) et de disposer sa vie selon sa propre volonté et pour la jouissance. Ce péché d’orgueil est le péché par excellence, celui qui renferme tous les autres. En contraste avec cette demande, nous pouvons mettre celle des vrais enfants du Père : « Donne-nous chaque jour notre pain quotidien » ; ils déclarent ainsi qu’ils se reposent sur Dieu.
a – Il est vrai qu’Abraham donna tous ses biens à Isaac pendant sa vie ; il donna aussi des présents aux fils de ses concubines, et les envoya loin de lui (Genèse 25.5-6). Il voulait éviter des disputes après sa mort.
« Et il leur partagea son bien. » Le père accède à sa demande. Il n’aurait servi de rien de le retenir à la maison contre sa volonté, puisque son cœur était ailleurs ; il valait mieux qu’il fit l’expérience de la folie de sa réclamation. Dieu en agit ainsi ; Il a créé l’homme libre et le laisse faire ses propres expériences (Romains 1.24, 26-28). Il doit reconnaître que la seule vraie liberté est celle dont on jouit en Dieu ; se séparer de Lui, c’est échanger un joug léger contre un joug pesant, et un maître bienveillant contre mille tyrans.
« Et, peu de jours après, le plus jeune fils amassa tout. » Il ne quitte pas la maison de son père dès qu’il a obtenu sa part. Saint Bernard dit que l’apostasie du cœur a souvent lieu avant l’apostasie de la vie. Le pécheur fait ce qui lui plaît, mais la séparation de sa volonté d’avec celle de Dieu n’est pas immédiatement manifeste. Toutefois, elle ne peut tarder ; comme le jeune homme de la parabole, qui « amassa tout peu de jours après », et « s’expatria dans une contrée éloignée », il se séparera ouvertement de Dieu, après s’être déjà séparé de Lui par sa volonté et ses affections. Rassemblant toutes ses facultés et toutes ses forces, dans le but de jouir du monde, il « s’expatriera dans une contrée éloignée », dans celle où Dieu n’est pas. Saint Augustin dit « que cette contrée éloignée est l’oubli de Dieu. »
Maintenant il a obtenu ce qu’il désirait ; il est son propre maître, mais bientôt il en souffrira. Dans cette contrée éloignée, l’enfant prodigue « dissipa sa fortune en vivant dans la dissolution ». Ses ressources ne durèrent que peu de temps, en sorte qu’il ne put se féliciter longtemps de sa résolution. Mais, « après qu’il eut tout dépensé, une grande famine survint en cette contrée, et il commença d’être lui-même dans le besoin. » M. Godet dit à ce sujet : « La liberté de jouir n’est pas illimitée, comme aime à se le figurer le pécheur ; elle a deux sortes de limites : les unes tenant à l’individu lui-même, telles que le dégoût, le remords, le sentiment de dénuement et d’abjection résultant du vice (ayant tout dépensé) ; les autres, qui proviennent de certaines circonstances défavorables, représentées ici par cette famine qui survient en ce moment ; ce sont les calamités domestiques ou publiques qui achèvent de briser le cœur déjà accablé ; puis la privation de toute consolation divine. Que ces deux causes de malheur viennent à coïncider, et la misère est à son comble. Alors arrive ce que Jésus appelle être dans la disette, le vide absolu d’un cœur qui a tout sacrifié au plaisir, et pour qui il n’y a plus que la souffrance ».
Quelle peinture de la progression descendante d’une âme qui s’est éloignée de la seule source du bonheur ! La misère de cette situation ne se fait pas sentir immédiatement. Le monde a ses attraits et la chair ses plaisirs ; toutes les sources de la joie mondaine ne sont pas desséchées en un instant. Mais le pécheur arrive plus ou moins promptement à cette banqueroute spirituelle ; il épuise bientôt toutes les jouissances que la créature peut lui fournir ; alors il souffre de « la famine » dans le pays qu’il désirait habiter ; c’est une famine de vérité et d’amour, de tout ce qui fait vivre l’homme (Jérémie 2.13 ; 17.5-6,13). Il n’est pas besoin de calamités, extérieures pour que cette famine se fasse sentir. Un homme peut commencer « d’être dans le besoin » alors même que ses richesses matérielles abondent. La famine préside souvent à la table des riches dans les palais des rois.
Si l’on voit dans notre parabole l’histoire de l’apostasie des Gentils à l’égard de la connaissance et du service du vrai Dieu, alors cette prodigalité est exactement décrite dans Romains 1.19-23. La grande famine du monde païen était à son comble lorsque le Fils de Dieu vint en chair ; la gloire du monde ancien s’évanouissait. Toute confiance dans les vieilles religions avait disparu ; la philosophie grecque ne pouvait répondre aux doutes qui torturaient l’humanité. Tous demandaient : « Qu’est-ce que la vérité ? » les uns en se raillant, d’autres en désespérant, d’autres sans désirer obtenir une réponse.
La détresse de l’enfant prodigue était pour lui un appel à retourner dans la maison de son père. Mais son cœur orgueilleux n’est pas encore soumis, sa confiance en ses propres ressources, quoique ébranlée, n’est pas détruite. Les premiers jugements de Dieu ne domptent pas toujours, mais le pécheur s’écrie, comme Ephraïm : « Les briques sont tombées, mais nous bâtirons de pierres de taille ; les figuiers sauvages ont été coupés, mais nous les changerons en cèdres » (Ésaïe 9.10 ; Jérémie 5.3 ; Amos 4.6-10 ; Apocalypse 16.10-11).
Ce fut dans un tel esprit « qu’il alla et s’attacha à l’un des citoyens de cette contrée-là », espérant pouvoir ainsi rétablir sa fortune (Jérémie 2.36 ; Osée 5.13 ; 1 Samuel 2.5). Saint Bernard a dit : « Je considère ce citoyen comme étant l’un des esprits malins qui, péchant avec une indomptable obstination, sont devenus citoyens de la contrée du péché ». Mais ce terme fait ressortir plutôt la différence profonde qui existe entre le fils prodigue et le maître auquel il s’attacha pour un temps. Malgré sa culpabilité, il n’était pas « citoyen », mais étranger, dans cette « contrée éloignée ». Il ne put s’y acclimater, en sorte qu’il y avait encore de l’espoir pour lui, tandis qu’il n’y en a aucun pour « un citoyen » du péché.
Toutefois, l’enfant prodigue tombe toujours plus bas ; il se vend au monde et devient esclave. C’est là la marche que suit le pécheur, qui, après avoir joui du monde, en devient l’esclave. Il ne trouve que peu de secours auprès de son nouveau maître, qui « l’envoya dans ses champs pour faire paître des pourceaux ». Il n’y avait pas pour les Juifs d’emploi plus vil ni plus dégradant que celui-là. « Et il désirait de remplir son ventre des goussesb que mangeaient les pourceaux, et personne ne lui donnait rien » (Proverbes 13.25). Ces gousses ne pouvaient que « remplir son ventre », mais non apaiser sa faim ; Dieu seul peut satisfaire les besoins d’une âme immortelle ; le cœur a été fait pour Lui et Lui seul peut le remplir.
b – Il s’agit ici du fruit du caroubier, très commun en Espagne et en Italie. On l’emploie pour la nourriture du bétail.
Ainsi donc, « celui qui se dérobe à la générosité de son père est obligé de devenir l’esclave d’un maître étranger ; celui qui ne veut pas se soumettre à Dieu, est forcé de servir le diable ; celui qui ne voulut pas habiter le palais de son père, est envoyé aux champs, parmi les paysans, il devient le compagnon des animaux ; il a refusé le pain des anges, et doit se nourrir des gousses des pourceauxc. » Quelle peinture exacte nous avons ici de l’homme qui « est asservi à diverses convoitises », chez lequel le divin est entièrement obscurci pour un temps, tandis que la chair domine ! Jamais le pécheur ne peut apaiser ainsi le désir ardent de son âme (Ézé.16.28-29). La nourriture des animaux ne peut jamais satisfaire l’homme. Dès qu’on s’éloigne de Dieu, tout est possible en fait de misère, quoique Dieu ne permette pas toujours que le péché porte tous ses fruits amers. Nous avons suivi jusqu’ici pas à pas l’homme s’éloignant toujours plus de son Dieu. Maintenant la crise a lieu ; il nous faut envisager son retour depuis les premiers mouvements de repentance jusqu’à son entier rétablissement dans tous les privilèges de la maison paternelle. Quoiqu’il ait abandonné son Dieu, Dieu ne l’a pas abandonné, pas même lorsqu’il était parmi les pourceaux ; sa misère témoigne de la colère de Dieu contre le péché, mais aussi de son amour pour le pécheur. Dieu lui rend son péché amer, afin qu’il apprenne à le détester ; Il le laisse souffrir du joug du monde, afin qu’il voie la différence entre son service et celui des contrées étrangères (2 Chroniques 12.8 ; 33.11-13).
c – Cornélius a Lapide, théologien belge du 17e s.
Combien de personnes méprisent cette discipline d’amour ! Elles changent peut-être de joug, mais ne le brisent pas. Mais il en est qui font comme l’enfant prodigue ; « il revint à lui-même », paroles profondes qui montrent que revenir à soi-même et revenir à Dieu sont une seule et même chose, qu’en nous retrouvant nous-mêmes, nous le retrouvons Lui. Il se rappelle la maison de son père et les richesses qui s’y trouvent : « Combien de mercenaires de mon père qui ont du pain en abondance, et moi je péris de faim ! » Le pécheur ne sent jamais autant le désordre qu’il a introduit en soi-même que lorsqu’il se compare à la création animée et inanimée qui l’entoure. Il voit les animaux heureux, qui ne connaissent pas ses besoins et ne peuvent être souillés par son péché : il contemple les astres qui parcourent paisiblement leurs orbites, la nature tout entière qui réalise le plan de Dieu ; partout la paix et l’harmonie, sauf au dedans de lui. Il voit aussi beaucoup d’hommes qui trouvent leur satisfaction dans l’accomplissement de leurs devoirs journaliers et reçoivent leur salaire. Ils ne sont que des « mercenaires » de son père, et cependant « ils ont du pain en abondance » tandis que lui, le fils, doit « périr de faim ».
Nous pouvons nous représenter le misérable prodigue assis sur le sol pendant longtemps pour méditer sur l’abîme de détresse dans lequel il est tombé. Maintenant il rassemble ses forces, car il a un espoir dans le cœur. Pourquoi resterait-il plus longtemps parmi les pourceaux ? « Je me lèverai et j’irai vers mon père. » Les pélagiens se sont servis de cette parole pour affirmer que l’homme pouvait se tourner vers Dieu par ses propres forces et se passer de la grâce ; de même, les unitaires ont découvert dans les circonstances du retour de l’enfant prodigue une preuve que la repentance de l’homme suffit à le réconcilier avec Dieu, sans qu’un Médiateur soit nécessaire. Un rationaliste allemand du commencement de ce siècle s’écrie : « Tous les rêves dogmatiques des partisans d’une expiation par le sang s’évanouissent, comme de pénibles cauchemars, devant cette seule parabole ». Mais nous avons ailleurs des déclarations suffisamment claires qui réfutent ces opinions (Jean 6.44 ; Hébreux 10.19-22) ; les paraboles, qui ne dépassent pas certaines limites, ne sauraient contenir toute la doctrine chrétienne. M. Godet a dit : « L’absence de tout trait propre à représenter le sacrifice de Christ s’explique aisément dès qu’on se rappelle que c’est ici une parabole et que l’expiation n’a aucune place dans la relation de l’homme avec l’homme ». Pour connaître la vérité de Dieu, il faut considérer ce que dit toute l’Écriture ; le silence d’un passage ne peut être invoqué contre les déclarations positives de d’autres passages innombrablesd.
d – Riggenbach : « Nous pouvons dire que le Sauveur est caché dans le baiser que le père donne à son fils. »
« Et je lui dirai : Mon père. » La désobéissance de l’enfant ne pouvait annuler cette relation, qui n’avait pas été formée par son obéissance. Un fils est toujours un fils ; les dons et l’appel de Dieu sont, de sa part, sans repentance. « J’ai péché contre le ciel et devant toi (Exode 10.16), et je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. » Il témoigne de la sincérité de son repentir en reconnaissant que son péché est une transgression de la loi divine. Nous pouvons nous attirer des malheurs par notre péché et faire du tort à notre voisin ; mais, à proprement parler, nous ne pouvons pécher que contre Dieu ; reconnaître que notre mal est surtout une offense contre Dieu, appartient à l’essence du vrai repentir et le distingue du remords et de la simple tristesse que nous pouvons avoir. L’Écriture nous présente toujours la confession volontaire du péché comme étant le signe d’une vraie repentance (2 Samuel 12.13 ; Esdras 9.6 ; Job 9.20 ; 33.27 ; Psaumes 32.5 ; Proverbes 28.13 ; Jérémie 2.35 ; 3.13 ; 16.10 ; 1 Jean 1.9-10). Saint Augustin dit : « Il se montre digne, par le fait même qu’il se reconnaît indigne. » L’humilité est la principale grâce, alors même qu’elle l’ignore.
« Il se leva donc, et alla vers son père. » Il a cru à l’amour de son père ; il trouvera que cet amour est plus grand que tout ce qu’il avait pu croire. « Comme il était encore loin, son père le vit. » Son père avait sans doute attendu et guetté son retour pendant plusieurs jours ; son amour le lui fait apercevoir au loin. « Et il fut ému de compassion, et étant accouru, il se jeta à son cou et l’embrasse. » Toutes les démonstrations de l’amour du père sont décrites avec une exactitude touchante ; il n’attend pas que son enfant soit auprès de lui, mais il se hâte pour le rencontrer ; au lieu de se montrer sévère, il l’embrasse, et ce baiser est un gage de réconciliation et de paix (Genèse 33.4 ; 2 Samuel 14.33 ; Psaumes 2.12). C’est ainsi que le Seigneur s’approche de ceux qui se sont approchés de Lui (Jacques 4.8) ; Il entend le premier soupir de leurs cœurs, car c’est Lui qui l’a formé (Psaumes 10.17). Il les entoure des bras de son amour, en leur donnant de puissantes consolations, plus puissantes et plus abondantes qu’ils n’en recevront plus tard, lorsqu’ils seront plus affermis. Il veut les assurer ainsi qu’ils sont accueillis, malgré leurs souillures.
Mais le prodigue, malgré ce tendre accueil, fait la confession qu’il avait résolue en son cœur : « Mon père, j’ai péché contre le ciel et devant toi, et je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ». Il a raison ; car, si Dieu pardonne, l’homme ne doit pas oublier. Remarquons que cette confession de péché est faite après et non avant le baiser de réconciliation ; plus le pécheur connaît et goûte l’amour de Dieu, plus il est affligé d’avoir outragé cet amour. C’est sous les rayons bienfaisants de cet amour que le cœur, glacé par le froid de la mort, se fond, et que les eaux de la repentance coulent librement. La connaissance de l’amour de Dieu en Christ est le vase de sel, qui seul peut changer les eaux amères du remords en eaux saines de repentance (2 Rois 2.19-22). Ainsi, la vraie repentance suit, et ne précède pas, le sentiment du pardon, et cette repentance doit durer toute la vie (Ézé.36.31 ; 16.60-63). L’enfant prodigue, quoique assuré du pardon de son père, n’en confesse pas moins son indignité.
« Mais le père dit à ses serviteurs : Apportez la plus belle robe et l’en revêtez ; et donnez un anneau pour sa main et une chaussure pour ses pieds. » Il veut lui rendre sa place dans la maison, ainsi que tous ses privilèges. Le don de la robe et de l’anneau était, en Orient, une preuve de grande faveur. Ceux qui « apportent la plus belle robe » sont les ministres de la réconciliation (Zacharie 3.4). L’action de le revêtir de la robe désigne l’imputation des mérites et de la justice de Christ. Le don du Saint Esprit est désigné par l’anneau. En Orient, comme chez nous, l’anneau servait souvent de cachet (Esther 3.10,12 ; Jérémie 22.24). Il y a un rapport entre le don de l’anneau et les passages suivants : Éphésiens 1.13-14 ; 2 Corinthiens 1.22, qui parlent du sceau de l’Esprit de Dieu, qui assure les fidèles qu’un héritage leur est réservé (Galates 4.6 ; Romains 8.23 ; 2 Corinthiens 5.5). L’anneau est aussi un gage de fiançailles (Osée 2.19-20). Une chaussure lui est aussi donnée (Zacharie 10.12). Le fils repentant est préparé à une sainte obéissance (Éphésiens 6.15). Aucune force nécessaire ne lui manquera (Deutéronome 33.25). « Amenez le veau gras (Genèse 18.7 ; 1 Samuel 28.24 ; Amos 6.4 ; Malachie 4.2), et le tuez ; mangeons et nous réjouissons. » Le sacrifice de Christ était contenu implicitement dans le don de la robe ; ce sacrifice n’est pas une conséquence du retour du pécheur, comme l’égorgement du veau gras est la conséquence du retour du prodigue ; c’est plutôt le sacrifice qui a rendu possible le retour du pécheur. Nous ne devons pas voir ici une allusion spéciale à l’eucharistie, mais plutôt à la joie qui éclate dans le ciel lorsque le pécheur se repent. Le père de famille convie ses serviteurs à s’associer à sa joie, de même que le berger avait convié ses amis, et la femme ses voisins. Il est dans la nature de la vraie joie de se répandre au loin, de se communiquer ; cela est d’autant plus vrai de la joie du ciele. Le père fait connaître aux serviteurs les motifs de sa joie, car quelques-uns d’entre eux pouvaient n’avoir pas connu autrefois l’enfant prodigue. Celui-ci est donc solennellement réintégré dans ses droits et ses privilèges de fils. « Mon fils que voici était mort », car le péché est une mort (1 Jean 3.14 ; Matthieu 8.22 ; 1 Timothée 5.6 ; Éphésiens 2.1 ; Colossiens 3.13), « et il est revenu à la vie », car la vie de Dieu est la seule véritable (Jean 10.28) ; « il était perdu, et il est retrouvé (1 Pierre 2.25) ; et ils se mirent à se réjouir » (Sophonie 3.17 ; Cantique des cantiques 2.4).
e – Origène : « Dieu a ses jours de fêtes. C’est pour Lui une grande fête que le salut de l’humanité. »
Puis, la parabole, qui aurait pu se terminer ici, continue, pour faire ressortir le contraste entre le cœur de Dieu et le cœur de l’homme. Le fils aîné apparaît alors sur la scène. « Or son fils aîné était aux champ. » Tandis que le plus jeune dissipait son bien dans une contrée éloignée, il est resté à la maison ; et maintenant il revient, ne se doutant pas de ce qui a lieu ; « et en revenant, comme il approchait de la maison, il entendit la symphonie et les danses. » On louait des musiciens dans de semblables occasions. Surpris d’entendre ces sons, « il appela l’un des serviteurs et s’informa de ce que c’était ». Il n’entre pas immédiatement dans la maison ; il n’admet pas que, lorsque son père célèbre une fête, il y ait toujours lieu de se réjouir. Il préfère rester dehors, et s’informer auprès d’un serviteur de ce dont il s’agit. « Et celui-ci lui dit : Ton frère est venu, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il l’a recouvré en bonne santé ». Mais cette explication ne satisfait pas le questionneur. La vue de la joie de son père, de l’état satisfaisant de son frère, l’irrite ; au lieu de s’élancer dans les bras de ce frère, « il se mit en colère, et ne voulut pas entrer ». Sa colère ne fut pas même apaisée lorsque « son père sortit et l’exhorta » ; mais il se plaignit de la manière différente dont on le traitait : « Voici, il y a tant d’années que je te sers, et je n’ai jamais négligé ton commandement ; et tu ne m’as jamais donné un chevreau (Genèse 27.9 ; Juges 15.1) pour me réjouir avec mes amis ». Il ne prononce pas le mot de « père » ; puis il se compare à son frère : « mais quand ton fils que voilà », il ne dit pas : « mon frère », « est venu, lui qui a entièrement mangé ton bien avec des femmes de mauvaise vie », c’était une pure supposition de sa part, quoiqu’elle ait pu se réaliser, « tu as tué pour lui le veau gras ». Qu’aurait-il dit, s’il avait su tout ce qui avait été donné à son frère ?
Ce n’est pas dans un aussi heureux moment que le père pourrait employer, vis-à-vis de son fils aîné, le langage de la répréhension. Au lieu de lui répondre avec sévérité, il raisonne et lui montre l’injustice de sa plainte, en l’avertissant qu’il tombe dans la même faute que son frère lorsqu’il disait : « Donne-moi la part de fortune qui doit m’échoir ». Le fils aîné, de même, ne se contente pas de posséder avec son père, il réclame sa part pour lui seul. « Mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi. » Le père veut lui faire sentir d’où procède son mécontentement, et la nécessité d’être joyeux : « Il fallait se réjouir et être dans l’allégresse, parce que ton frère que voici était mort, et qu’il est revenu à la vie ; parce qu’il était perdu, et qu’il est retrouvé ». Ici se termine la parabole ; nous ne savons pas si le frère aîné reconnut son tort ou non. Ceux qui admettent que le plus jeune frère représente le Gentil, et l’aîné, le Juif, rencontrent ici moins de difficultés que les autres. Ces difficultés se résument au fond en une seule : la justice de ceux que le frère aîné représente, est-elle vraie ou fausse ? Si elle est vraie, comment l’accorder avec les murmures contre le père, et la jalousie à l’égard du frère ? Quel vrai croyant pourrait accuser Dieu d’injustice et de partialité ? il doit, au contraire, se réjouir du retour au bercail de celui qui s’est égaré. D’ailleurs, la parabole est dirigée contre les pharisiens, dont la justice n’était qu’extérieure. D’autre part, s’il ne s’agit pas ici d’une justice réelle, comment pourrait-il être dit du frère aîné qu’il a toujours été avec son père ? comment expliquer l’approbation et les assurances de la faveur paternelle qu’il reçoit ?
Chacune des solutions de la question est pleine de difficultés ; elles sont grandes pour ceux qui voient dans le frère aîné les pharisiens. Ne pourrait-on pas, adoptant un moyen terme, échapper à toutes ces difficultés, en voyant chez le frère aîné une forme inférieure, mais sincère, de justice légale ? Il est un de ceux que la loi a préservés de grossières offenses ; il a accompli les œuvres de la loi, mais dans un esprit servile. Tels étaient plusieurs d’entre les pharisiens. Quelques-uns étaient hypocrites, mais quelques-uns aussi recherchaient sincèrement la justice, quoiqu’ils eussent un grand aveuglement du cœur (Romains 10.1-2). Leur justice était sans doute inférieure ; ils ne pouvaient, par son moyen, arriver à une connaissance du péché qui les rendît débonnaires a l’égard des autres, ni humbles devant Dieu. Il fallait leur montrer ce qui manquait à leur service, les engager à échanger leur esprit servile contre un esprit filial, à accueillir la liberté que Jésus-Christ apportait au monde. Jusqu’ici le fils aîné avait travaillé « aux champs », mais maintenant il est invité au festin. Ceux qui ont travaillé servilement pour Dieu sont invités à entrer dans la joie du Seigneur, dans la liberté de son Esprit. Mais la réponse du fils aîné (v. 29-30) à la première invitation du père montre évidemment que celui qu’il représente ignore la nature du royaume auquel il est convié. Il attend une récompense de son obéissance ; il veut recevoir quelque chose de Dieu, au lieu de vouloir posséder tout en Dieuf. Au lieu d’envisager ses rapports continuels avec le Père céleste comme sa vraie récompense, il en désire une autre. Le père lui répond : « Tu es toujours avec moi », cela ne te suffit-il pas ? qu’as-tu besoin d’une autre récompense ? « Tout ce que j’ai est à toi » : ces paroles nous indiquent la vraie nature des récompenses du royaume. Dans le royaume de l’amour, tout est possédé par chacun ; la fontaine de la grâce de Dieu est une rivière inépuisable, près de laquelle tous peuvent se tenir, assurés de pouvoir tous être désaltérés. A chacun de ses enfants le Seigneur peut dire : « Tout ce que j’ai est à toi ». Si quelqu’un se trouve appauvri, et manque du nécessaire, c’est par sa propre faute.
f – Augustin : « Le père ne dit pas : tu possèdes tout, mais : tout ce que j’ai est à toi. »
Il est impossible de lire cette parabole sans pressentir que le fils aîné refusera encore d’entrer dans la maison. Les juifs de l’âge apostolique ne voulurent prendre aucune part à la grande fête de réconciliation qui célébrait l’entrée du monde gentil dans l’Église (1 Thessaloniciens 2.14 ; Actes 13.45 ; 14.19 ; 17.5,13 ; 22.21-23). Si ce plus jeune frère avait été assujetti au pénible apprentissage de la loi, s’il avait été envoyé « aux champs », alors les choses se seraient passées autrement (Actes 15.1). Quant à nous, qui faisons partie de l’Église des Gentils, nous ne devons pas oublier que nous courons le risque d’agir comme le frère aîné, lorsque la fin de l’économie actuelle arrivera, car c’est maintenant le Juif qui joue le rôle de l’enfant prodigue, loin de la maison du Père (Osée 3.4-5 ; Romains 11).