Propos sur le temps

LA NEUVIÈME HEURE

Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une voix forte : … Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Matthieu 27.46

La neuvième heure ! Heure tragique, la plus sombre de l’histoire des hommes. Depuis 9 heures du matin (la troisième heure, Marc 15.25), Jésus agonise sur la Croix. Vers midi (la sixième heure) d’épaisses ténèbres s’étendent sur toute la terre et subsistent jusqu’à la neuvième heure (3 h de l’après-midi, Matthieu 27.45). Une obscurité insolite, exceptionnelle, produit une impression profonde sur les spectateurs de la crucifixion. Quelle en est la cause ? Une éclipse de soleil ? Non car le récit se passe au temps de la pleine lune (le 14 du mois de Nisan). C’est un miracle dont la signification ne peut nous échapper : « Lorsque le soleil de justice s’éteint, le soleil de la nature se voile de ténèbres » (Bonnet).

La neuvième heure fut particulièrement riche en événements, tous impressionnants :

  1. D’abord, un pourquoi angoissé, lancé d’une voix forte, s’élève vers un ciel d’airain : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (Matthieu 27.46).
  2. L’instant d’après, Jésus s’écrie : Tout est accompli (Jean 19.30). Le Fils pousse alors un grand cri et expire après avoir remis son esprit au Père (Matthieu 27.50 ; Luc 23.46).
  3. Un tremblement de terre ébranle la nature et jette la terreur parmi la foule des badauds (Matthieu 27.51).
  4. Le voile du Temple se déchire (Matthieu 27.51).
  5. Les rochers se fendent et les tombeaux (taillés dans la pierre) s’ouvrent tout grands (Matthieu 27.51-52).
  6. Au même instant plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitent (Matthieu 27.52). L’évangile selon Matthieu précise d’autre part que ces « saints », revenus à la vie, entrent à Jérusalem après la résurrection de Jésus et apparaissent à un grand nombre de personnes (Matthieu 27.53).

Tous ces événements se sont déroulés dans une atmosphère alourdie, irrespirable, peuplée de puissances adverses en plein désarroi. Se préparant au sacrifice suprême, Jésus devait déclarer : Maintenant c’est le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors (Jean 12.31).

Six heures d’agonie ! Des souffrances indicibles ! Le supplice de la Croix était la pire des épreuves que devait subir un condamné. Certes, Jésus ne fut pas le seul à subir la crucifixion. Pour leur foi, des hommes ont affronté les bêtes féroces ou gravi les bûchers, parfois même en chantant des cantiques, alors que le Fils apparut écrasé par l’angoisse. Se montra-t-il inférieur à ces martyrs au visage rayonnant ? Redoutait-il les souffrances physiques lorsqu’il disait à Gethsémané : Mon âme est triste jusqu’à la mort (Matthieu 26.38) ? Certainement pas, car il en attendait d’autres, infiniment plus douloureuses. Traité en maudit par les hommes, il dut subir l’ironie cinglante des chefs religieux qui l’accusaient de blasphème. Contre de telles injustices, il resta muet, semblable à un agneau qu’on mène à la boucherie… il n’a pas ouvert la bouche (Esaïe 53.7). Mais au-delà de l’épreuve morale et physique, le Sauveur dut affronter l’épreuve suprême : l’abandon de Dieu. Terrible malheur pour le Fils de l’homme qui avait vécu en étroite communion avec son Père. D’où cette interrogation bouleversante : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? « Dans toute la Bible, a dit un auteur chrétien, il n’y a pas de parole plus difficile à expliquer. » Ce pourquoi angoissé prouve Dieu lui avait retiré le sentiment de sa présence. Habitué à être haï par le monde, incompris par les siens, Jésus avait éprouvé cependant jusqu’ici la joie de la présence du Père et la profondeur de son amour : Je ne suis pas seul, car le Père est avec moi (Jean 16.32). Or, Jésus en fut subitement privé. Il se trouva seul, affreusement seul sous un ciel fermé, silencieux, hostile même. La rupture d’avec Dieu, n’est-ce pas justement l’enfer, la « mort spirituelle » tant redoutée à Gethsémané ?

Mais alors, pourquoi le ciel s’est-il fermé sur le Fils à l’heure même où il aurait eu besoin du soutien d’en haut ? Parce que le Dieu saint, dont les yeux sont trop purs pour voir le mal (Habakuk 1.13), ne pouvait avoir communion avec ce Fils chargé du péché des hommes ? « Jésus, qui n’eut rien de commun avec le péché et dont la vie resta toujours pure et sainte, Dieu l’a fait (devenir) péché pour nous (2 Corinthiens 5.21), c’est-à-dire a vu et puni en lui le péché (Romains 8.3 et Gal.3.13). Dieu ne l’a pas traité comme un pécheur, mais il a fait que le péché, le péché de tous (pour nous), fût sur lui en présence du jugement divin : L’Éternel a fait venir sur lui l’iniquité de nous tous (Esaïe 53.6) » (Bonnet). Pour nous sauver, Jésus s’est substitué à nous, subissant la mort (Romains 6.23).

Nous nous trompons profondément lorsque nous parlons de salut. Nous croyons que pour échapper à la colère de Dieu, il faut qu’il nous cède. « Toute notre religion est une énorme pression faite dans ce sens pour ouvrir une brèche dans le rempart de la justice divine. Ainsi, nous sommes sur le chemin de la perdition car le salut, c’est très exactement le contraire ; c’est que nous cédions et que Dieu tienne bon dans sa juste colère. Sur la Croix, Jésus est le seul homme au monde qui ait cédé devant la justice de Dieu et qui n’ait pas tenté de la faire céder. Avec tout mon péché sur lui, Jésus-Christ a cédé et s’est courbé sous la colère de Dieu » (1). Les hommes, à coup de bonnes œuvres ou de piété jugées méritoires, espèrent franchir le barrage de la justice d’en haut. Ils se trompent et Dieu leur résiste. Le barrage ne cède pas. Il ne cédera jamais.

(1) Présence de l’Éternité par R. de Pury (Delachaux et Niestlé, 1943).

Dieu ne peut faire grâce qu’une fois sa justice satisfaite. Il veut d’abord que soit reconnue sa justice et que l’homme soit convaincu de perdition éternelle, afin que sa grande miséricorde puisse se déployer. La croix établit notre tort et donne raison au Très Haut. Relisez avec prière et sans hâte le récit de la crucifixion (Marc 15.16-41 par ex.), le cœur de l’Histoire. Là nous contemplons l’amour de Dieu. En attendant la foule ricaner : Il ne peut se sauver lui-même (31), une question se pose : Qui donc tient le Fils lié au bois de la croix ?

  1. Ce ne sont certainement pas les hommes, romains ou juifs. Que le Christ invoque son Père, et les anges accourront pour le délivrer (Matthieu 26.53).
  2. Ce n’est non plus Satan, puisqu’il lui suggère de descendre de la Croix. L’Adversaire tremble et sait fort bien que ce sacrifice sera sa déroute, totale et définitive (Colossiens 2.15).
  3. Ce ne sont ni les clous, ni l’extrême faiblesse du Sauveur puisque tout pouvoir lui a été donné sur la terre (Matthieu 28.18).

Non ! C’est l’amour seul qui le lie à la croix. Il se soumet au Père pour sauver les pécheurs « dont je suis le premier ».

Je viens de lire le récit suivant qui me paraît avoir sa place ici. « Un homme, profondément troublé par ses péchés, fit un rêve au cours duquel il vit Jésus sauvagement fouetté par un soldat romain. Les lanières s’abattaient avec rage sur le dos lacéré et ensanglanté du Sauveur. Lorsque le bourreau leva le bras pour frapper une nouvelle fois, l’homme se précipita pour l’arrêter. Le soldat se retourna. Mais, ô surprise, cette brute avait son propre visage. C’était donc lui qui infligeait ces atrocités à Jésus. Il se réveilla, bouleversé, conscient que ses péchés avaient conduit le Sauveur au Calvaire. En cet instant, il se rappela les paroles du prophète : Mais il était transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes ; le châtiment qui nous donne la paix est (tombé) sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris (Esaïe 53.5). Alors la lumière du ciel envahit son âme enténébrée. Il plaça sa confiance dans le Christ-Jésus et dans son œuvre expiatoire ; son cœur troublé trouva la paix qu’il cherchait depuis longtemps » (2).

(2) H.G.B. Notre pain quotidien.

QUESTIONS

  1. Avez-vous été convaincu de péché et de perdition éternelle ? Reconnaissez-vous que vos « bonnes œuvres » ne peuvent vous ouvrir le royaume de Dieu ?
  2. Croyez-vous réellement que le Christ s’est chargé de vos péchés pour les expier et les effacer ? Pour rétablir de bonnes relations avec le Dieu saint ?
  3. Voulez-vous rendre grâces à Dieu pour son don ineffable ?

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