Il répondit qu’il les félicitait de ce qu’ils adoraient le Christ, et il leur donna des conseils pour leur salut. Il leur disait de ne point regarder comme grandes les choses présentes, mais de se souvenir plutôt du jugement futur et de songer que le Christ est le seul roi véritable et éternel ; il les engageait à se montrer charitables, à prendre à cœur la justice et le soin des pauvres. Les empereurs témoignèrent une grande joie en recevant cette réponse, tant ce vieillard était cher à tout le monde, tant chacun désirait le regarder comme un père. Antoine, ainsi connu et répondant ainsi à tous ceux qui venaient le trouver, retourna à sa montagne et reprit ses exercices ordinaires. Souvent assis, il méditait avec ceux qui venaient le voir, ou en se promenant, et au bout d’une heure, il reprenait avec ses disciples la conversation. Ses disciples s’apercevaient qu’il avait une vision ; car souvent, lorsqu’il était sur sa montagne, il voyait ce qui se passait en Égypte et le racontait à l’évêque Sérapion qui le voyait absorbé dans sa vision. Un jour donc qu’il était assis et travaillait, il fut ravi en extase et resta longtemps dans cette contemplation en gémissant ; une heure après, il retourna vers ses disciples, se mit à gémir, et, tout troublé, se jeta à genoux et resta longtemps à prier ; ses disciples, pleins de trouble et très-effrayés, lui demandèrent ce que c’était. Antoine, cédant à leurs instances, leur dit en poussant un grand soupir : Ô mes enfants, il vaudrait mieux mourir plutôt que de voir s’accomplir les choses que j’ai vues. La colère va tomber sur l’Église, elle va être livrée à des hommes semblables à des animaux sans raison ; j’ai vu la table sainte du Seigneur entourée de tous côtés par des mulets qui lançaient des coups de pied dans l’intérieur, semblables aux ruades d’animaux sans raison qui bondissent en désordre. Vous pensez combien j’ai dû gémir, leur dit-il, car j’ai entendu une voix qui disait : Mon sanctuaire sera profané. Telles furent les paroles du vieillard, et deux ans après arriva l’invasion des ariens et le pillage des églises, lorsque enlevant par violence les vases sacrés, ils les firent porter par les païens et forcèrent ces mêmes païens, au sortir de leurs officines, à venir dans leurs assemblées, et qu’en leur présence ils s’abandonnaient à tous les excès qu’ils imaginaient. Nous reconnûmes tous alors que les coups de pied des mulets annonçaient d’avance à Antoine les abominations que les ariens insensés commettent maintenant semblables à des brutes. Mais après cette vision, Antoine réunit tous ses disciples et leur dit : Ne perdez pas courage, mes enfants, car de même que le Seigneur a été irrité, de même aussi il saura apporter un remède à de tels maux ; bientôt l’Église reprendra toute sa splendeur et brillera du même éclat qu’auparavant. Vous verrez rétablis ceux qui sont persécutés, l’impiété retourner dans son repaire accoutumé, et la foi sainte parler et agir en toute liberté ; seulement gardez-vous de vous souiller avec les ariens, car leur doctrine n’est pas celle des apôtres, mais celle des démons et de Satan leur père, ou plutôt elle n’a aucune origine ; elle n’est point rationnelle, son esprit n’a aucune rectitude, elle est semblable aux animaux privés de raison.