Les conceptions du monde et de la nature que nous avons à considérer sous le titre de ce troisième chapitre sont appelées monistiques, parce qu’elles réduisent la dualité apparente des substances à l’existence d’une seule, qui serait le principe unique et absolu de toutes choses, et cela soit au profit de la matière, soit au profit de l’esprit ou de l’idée, en présence desquels la matière ne figurerait plus que comme une illusion ou une privation.
Ces deux formes de la pensée humaine, matérialisme et idéalisme, ont toujours alterné l’une avec l’autre dans l’histoire de la pensée, et nous avons reconnu d’ailleurs l’affinité secrète que le polythéisme avait avec l’une et l’autre. C’est ainsi que, matérialiste d’abord avec les deux écoles d’Ionie et d’Abdère, la philosophie s’est faite idéaliste et panthéiste avec celle d’Elée, jusqu’à ce que l’empirisme et l’idéalisme, ayant achevé leur première évolution, eurent abouti au scepticisme des sophistes qui clôt la période anté-socratique. Mais cette première évolution créa le type de toutes celles qui suivirent. Dans tout le cours de l’histoire et de la philosophie on constate ce même flux et reflux de l’empirisme à l’idéalisme et de l’idéalisme à l’empirisme, chacun apparaissant à son tour comme la réaction de l’autre, quitte à retomber ensemble dans l’agnosticisme et le scepticisme. Aujourd’hui même, nous assistons à la réaction du positivisme contre l’idéalisme qui a dominé le commencement du siècle, et certains signes non équivoques annoncent que cette veine n’est pas loin d’être épuisée et qu’elle se prépare à faire de nouveau place à sa rivale.
Cette alternance régulière et périodique de ces deux phases, en apparence opposées l’une à l’autre, de la pensée humaine, nous avertit que leur antagonisme est en réalité moins sérieux qu’il ne le paraît, et qu’il pourrait bien y avoir en elles plus d’éléments qui s’appellent que de ceux qui se repoussent.
Commençons par celle des deux conceptions qui apparaît la première dans le champ de la philosophie.