Les principes de morale que nous avons considérés jusqu’ici, soit dans l’ordre religieux soit dans l’ordre irréligieux, oscillaient tous entre deux termes extrêmes : l’un, consistant à sacrifier le bien à l’intérêt du sujet, l’autre à sacrifier le sujet à l’intérêt du bien. Le principe normal de la morale ne doit être ni intéressé, dans ce sens que le sujet recherchât dans l’accomplissement du bien, c’est-à-dire de la volonté de Dieu, sa satisfaction propre, car ce principe ne serait plus moral ; ni désintéressé, dans ce sens qu’il fît le bien et la volonté de Dieu sans aucune attente de félicité, car ce principe ne serait plus humain.
La religion normale de l’homme sera le rapport de l’homme à Dieu qui se démontrera conforme à la fin que Dieu lui-même s’est proposée, en plaçant l’homme dans l’univers ; et le principe normatif du bien que nous cherchons, régissant toute activité humaine d’après cette norme ou en vue de cette fin, ne pourra se trouver que dans la religion, telle que nous venons de la définir.
Nous montrerons d’abord que le principe normatif de toute activité humaine est la gloire de Dieu.
Nous exposerons ensuite les différents modes de cette glorification de Dieu réalisée par l’homme, et quel en est le mode suprême. Nous présenterons enfin la justification positive de notre principe.
La raison finale de la création du monde, d’après les résultats précédemment établis, se révèle à nous sous un double aspect, que l’état actuel de nos connaissances ne nous permet pas de ramener à la synthèse, car, comme la fin de la créature ne saurait être exclusivement en Dieu, ni non plus exclusivement dans la créature, elle doit être et est tout à la fois en Dieu et dans la créaturey.
y – Voir Exposé, tome III, p. 387-392.
D’une part, Dieu aurait pu ne produire que des êtres déjà déterminés par l’acte même de leur création ; mais il n’aurait ainsi rien ajouté à sa gloire ; il eût fait une œuvre inutile, inutile pour lui qui se suffisait parfaitement à lui-même, et inutile à la créature qui n’eût été qu’une effusion de son essence. L’existence de la liberté chez la créature était donc la condition d’existence du bien moral dans la création.
D’autre part, en posant devant lui des créatures libres, Dieu a couru une chance, celle d’une diminution de ses perfections, de sa gloire et de lui-même. Aussi fallait-il que le droit divin, lésé par l’exercice désordonné de la liberté humaine, fût restitué tôt ou tard par un acte divin rabaissant la créature libre du rang de fin au rôle de moyen, et cet acte est la punition.
En posant la créature libre, Dieu montre qu’il place une des fins de la création en elle-même ; et en punissant la créature rebelle, que l’autre fin de la créature reste en lui-même.
Mais le dualisme, entre le principe de la gloire de Dieu et celui de la félicité de la créature, entre les deux fins de l’œuvre créatrice, l’une posée en Dieu et l’autre dans la créature, se résout dans le cas de la créature fidèle en un échange sublime de rapports et de services entre le Créateur et la créature, entre Dieu qui a créé l’homme pour le rendre heureux, et l’homme qui se propose de procurer la gloire de l’auteur de sa félicité.
Et c’est ainsi que la liberté, posée dans l’être par le Créateur pour réaliser une fin qui lui soit propre, renonce d’elle-même à maintenir cette indépendance qui lui est prêtée ; elle supprime par un acte spontané la chance funeste qu’elle porte en soi, et la gloire de Dieu, un moment compromise et menacée par l’apparition de l’agent libre, non seulement est rétablie dans son intégrité première, mais grandit de toutes les chances funestes qu’elle a surmontées. L’homme rapporte librement à son Dieu le bien qu’il avait reçu de lui, l’indépendance qui faisait sa gloire et son péril ; l’opposition initiale existant entre le Créateur et la créature se résout dans la communion de l’un avec l’autre. Et c’est ainsi que tout ensemble le dessein du Créateur est justifié et l’harmonie rétablie dans l’univers moral.
La religion, qui présente à l’homme des rétributions après cette vie, mérite-t-elle le titre d’intéressée qui lui a été donné quelquefois ? Nous le nions. Elle n’est ni intéressée, ni non plus désintéressée, dans le sens où elle tomberait sous nos précédentes critiques. Elle n’est pas désintéressée, car elle n’a pas la prétention d’imposer à l’homme une obligation où il ne trouverait que sacrifice sans satisfaction ; elle n’est pas intéressée, en ce que la satisfaction qu’elle lui promet est comprise elle-même dans la pratique du bien qu’elle commande au lieu d’y être étrangère, et que la plus haute félicité qu’elle assure au fidèle ne peut que se confondre avec la parfaite sainteté. Elle échappe ainsi à l’erreur commune de tous les systèmes intéressés ou désintéressés, qui consiste à séparer la cause du sujet et la cause du bien comme deux termes étrangers l’un à l’autre, ou même exclusifs l’un de l’autre ; à proposer à l’homme soit un intérêt distinct du bien et parfois opposé au bien, soit un bien distinct de l’intérêt et parfois opposé à l’intérêt. Dans la religion véritable, le sujet, cherchant le bien et non son intérêt, trouvera dans le bien même son intérêt par surcroît, et qui plus est, ne trouvera que là sa satisfaction véritable. C’est la pensée exprimée par Jésus, Luc 9.24.
La gloire d’un être, c’est la reconnaissance de la qualité principale de cet être par un autre qui se trouve avec le premier dans un rapport quelconque de similitude ; cette gloire augmentera selon que cette reconnaissance sera plus adéquate à l’objet, et que l’auteur de cette reconnaissance sera plus semblable à celui qui en est l’objet ; en d’autres termes, elle sera proportionnelle tout ensemble à la valeur intrinsèque de cette reconnaissance et au degré du rapport existant entre l’être reconnaissant et l’être reconnu.
Il peut se faire en effet ou que la qualité principale de l’être ne soit pas reconnue, ou qu’elle le soit, mais par un sujet absolument dissemblable, et dans un cas comme dans l’autre il n’y a pas glorification de l’objet par le sujet.
Le degré inférieur de la gloire que Dieu reçoit de la créature est celle qui lui est rendue par la nature inintelligente (Psaumes 19.1 ; Romains 1.20). Mais il est évident que dans l’accomplissement de ce rôle, la nature, agent absolument hétérogène à l’objet de la glorification, est exclusivement moyen et nullement fin. En outre, les perfections qui se manifestent dans la nature, ne sont pas les plus élevées. La gloire que Dieu reçoit de la nature est donc à la fois fort indigne de l’objet, à raison de la disparité entre le sujet et l’objet, et fort inadéquate à la perfection de l’objet.
Les réprouvés, eux aussi, doivent servir à la glorification finale de Dieu, mais cette reconnaissance de l’être divin étant faite par des êtres conscients, il est vrai, mais déchus de toute finalité et réduits au rang de moyens, elle ne peut être qu’indigne de l’objet ; et comme elle ne porte que sur la justice punissante, elle ne saurait être que très défectueuse. Disons plus. Cette gloire que Dieu reçoit dans et par les réprouvés, contraire au plan primitif de la création, est absolument anormale. Nous avons fait remarquer dans la Dogmatique que l’expression si fréquente dans les systèmes prédestinatiens, selon laquelle Dieu trouverait sa gloire dans la punition des méchants, est elle-même étrangère au langage scripturaire.
La seule glorification de Dieu qui puisse satisfaire les deux postulats posés, la cause du bien et l’intérêt du sujet, ne peut donc avoir lieu que par l’organe de la créature libre et fidèle, puisque c’est dans ce cas seulement que Dieu sera reconnu à la fois d’une façon digne de lui et par un être digne de lui ; et que c’est seulement chez un être ayant sa fin à la fois en lui-même et en Dieu que la félicité s’accorde avec la fidélité, que la fidélité se rencontre avec et dans la félicité elle-même.
Mais ici de nouveau se présenteront divers modes de la glorification de Dieu par la créature, selon que cette glorification sera plus ou moins adéquate à son objet.
Nous connaissons certaines vertus fondamentales dans la religion, la crainte, l’humiliation, le sentiment de dépendance, correspondant à certains éléments de la nature divine. Par le repentir, l’humiliation, la crainte, qui sont les premières vertus du pécheur dans son retour vers Dieu, l’homme donne volontairement gloire à la sainteté et à la justice de Dieu ; par sa foi, il glorifie la fidélité divine, par sa résignation et sa soumission, la souveraineté divine. Ces vertus étant fondamentales dans la religion et indispensables à l’homme, sont par conséquent aussi vraiment morales ; elles répondent, chacune pour sa part, à la destination de l’homme, qui est de glorifier Dieu ; mais il est certain qu’elles n’épuisent pas le principe, puisque les attributs divins auxquels ces vertus humaines correspondent, ne constituent pas, à eux seuls, si essentiels qu’ils soient, la nature divine elle-même. Si, en outre, l’homme y trouve déjà les avant-goûts de sa félicité, si, dans ces vertus, la fin normale lui est assurée, l’on n’a pas le droit de dire qu’il y ait ici déjà identité entre ces moyens et cette fin, entre la fidélité de l’homme et la félicité assurée à cette fidélité ; car cette félicité n’est encore que promise, elle est certaine, mais future.
Quel sera donc le mode suprême, parfait et définitif de la glorification que Dieu attend et reçoit de la créature ? Ce sera la reconnaissance parfaite de la part du fidèle de ce qui, d’après l’Ecriture, constitue la nature divine. Si, selon la définition de saint Jean, Dieu est amour, si c’est l’amour qui est en Dieu le lien de la perfection, le centre, le foyer, l’essence même de l’être, ce ne sera pas dans la reconnaissance de sa puissance ou de sa justice que résidera la gloire suprême de Dieu, mais dans la reconnaissance de la part de l’homme de son amour divin. Il ne suffira pas à Dieu d’être craint, obéi, servi, bien qu’il ait le droit d’exiger tous ces modes du culte et qu’il les exige ; mais il lui suffira d’être aimé ; l’amour qui lui est porté est l’accomplissement et le sommaire de toutes les obligations particulières que l’homme a envers lui. Et, à celui qui nous reprocherait de statuer par là un besoin en Dieu, après que nous avons dit et affirmé que Dieu se suffit à lui-même, nous répondrions que si Dieu a besoin de notre amour, s’il a bien voulu consentir à ce que notre amour fût sa gloire, c’est le plus grand honneur et la plus grande grâce qu’il ait pu nous faire, et que, comme l’a dit Beck, l’égoïsme de Dieu est la vie du monde !
Nous avons, dans l’exposé qui précède, déduit notre principe des prémisses dogmatiques générales de la révélation chrétienne ; il nous reste à faire la contre-épreuve de nos conclusions en les mettant en présence des déclarations bibliques, empruntées aux parties plus spécialement morales de l’Ecriture, dont nous tirerons la justification tour à tour négative et positive de ce principe.
Justification négative d’abord, en ce que, selon l’Ecriture, tout ce que l’homme ne fait pas pour la gloire de Dieu, cette conduite ou cet acte eut-il les plus belles apparences en sa faveur, est moralement rejetable.
C’est à cette norme que Jésus-Christ soumet entre autres les prétendues bonnes œuvres des Pharisiens, prières, aumônes, jeûnes, pour les déclarer non recevables devant Dieu (Matthieu 6).
Plus d’une fois dans le 4e évangile, l’incrédulité des Juifs est ramenée à ce motif intérieur qu’ils cherchaient à se glorifier eux-mêmes auprès des hommes, plutôt qu’à obtenir la gloire qui vient de Dieu en lui rendant la gloire qui lui revient (Jean 5.44 ; 12.43) ; et c’est dans ce vice fondamental de leur piété et de leur morale que Jésus résume les différences qui existent entre la conduite de ses adversaires et la sienne (Jean 7.18). Dès que l’activité de l’homme est inspirée par le désir de se glorifier soi-même à ses propres yeux ou à ceux des autres, elle est frappée par là même du stigmate de l’hypocrisie et de l’immoralité.
Le refus de glorifier Dieu, c’est encore le reproche principal adressé par l’apôtre tour à tour aux païens (Romains 1.21) et aux Juifs, qui le déshonoraient positivement par la contradiction entre leur profession et leurs œuvres (Romains 2.23) ; c’est enfin la caractéristique de toute vie naturelle éloignée de Dieu (1 Corinthiens 1.29-31) et privée, par un juste et inévitable retour, de la gloire qui vient de lui (Romains 3.23).
Mais l’Écriture ne nous fournit pas moins la justification positive de notre principe en statuant qu’il convient à tout homme, à toutes les parties de l’homme et à tous les instants de la vie humaine, satisfaisant par là même aux trois critères du bien précédemment posés.
A tout homme. Il sera vrai de dire tout d’abord que l’histoire des hommes de Dieu de tous les temps, que la Bible elle-même est tout entière un monument élevé à la gloire de Dieu, à la gloire de sa justice et de son amour, en ce que, d’un bout à l’autre de ce livre, nous voyons Dieu exalté et l’homme remis à sa place.
La valeur universelle de ce principe ressort déjà avec évidence des leçons et des exemples de l’Ancien Testament. Abraham, le père des croyants, est loué par l’apôtre d’avoir par sa foi invincible aux promesses divines donné gloire à Dieu (Romains 4.20).
La glorification de Dieu est mentionnée maintes fois par les psalmistes et par les prophètes comme l’obligation universelle de toutes les créatures (Psaumes 29.1-2 ; 115.1 ; Ésaïe 42.12) ; et l’homme est spécialement invité à faire par un acte volontaire, par la confession d’une faute (Josué 7.19) ou par l’exaltation de la reconnaissance ou de l’adoration, ce que les cieux et la terre font par nature (Psaumes 19.1), les animaux par instinct (Psaumes 104) et les plus petits enfants par pressentiment (Psaumes 8.3).
Mais Dieu a tiré sa gloire suprême sur la terre de la personne et de la vie de Jésus-Christ, résumées dans ce témoignage qu’il se rend à lui-même devant son Père : Je t’ai glorifié sur la terre (Jean 17.4) ; et cet exemple parfait est destiné à se reproduire dans l’imperfection de ses disciples, qui, glorifiant Dieu en eux-mêmes, le glorifieront inévitablement dans le monde (Matthieu 5.16).
Ce serait toutefois trop peu de dire quo l’Évangile convie tout homme à la tâche glorieuse de glorifier Dieu ; rompant par un de ses plus sublimes paradoxes avec le dualisme et le formalisme, la morale évangélique a élevé tous les organes, même les inférieurs, à la dignité d’instruments volontaires de la gloire de Dieu (1 Corinthiens 6.20 ; 1 Thessaloniciens 5.23), et toutes les occupations, même les plus infimes et les plus indifférentes en apparence à la cause morale, à la hauteur des vertus les plus glorieuses pour l’homme et pour Dieu même (1 Corinthiens 10.31).
Mais cette glorification de Dieu par l’homme se détermine plus spécialement dans le rapport du chrétien à Christ.
Dans le chapitre 11 de la première épître aux Corinthiens, l’apôtre établit la hiérarchie des êtres dans l’ordre suivant : La femme est à l’homme ce que l’homme est à Christ, ce que Christ est à Dieu.
La détermination chrétienne du principe du bien consistera donc dans la glorification de Christ par le fidèle ; c’est-à-dire qu’il ne sera pas possible au chrétien de glorifier Dieu autrement qu’en glorifiant Christ, qui est l’image et la gloire de Dieu, et que le refus de glorifier Christ équivaut au refus de glorifier Dieu lui-même.
Aussi la glorification de Dieu en Christ, en tant que manifestation de Dieu même, a-t-elle été le but constant de l’activité de Paul(Philippiens 1.20), et elle doit être, selon lui, le but de toute vie chrétienne (2 Thessaloniciens 1.12), comme elle sera d’ailleurs le terme prévu de l’histoire universelle (Philippiens 2.11 ; 2 Thessaloniciens 1.10 ; 1 Pierre 4.11)
C’est là également le terme annoncé par Jésus-Christ à la fin de la prière sacerdotale, pour tous les siens comme pour lui-même ; car, après avoir réclamé pour lui-même de la part du Père la béatitude suprême de l’amour satisfait (Jean 17.24), il demande pour les siens, témoins futurs de sa gloire et initiés au mystère de l’amour réciproque des personnes divines, la grâce de participer eux-mêmes à cet échange ineffable, dont ils deviendront à la fois les agents et les objets (v. 22 et 23).
Dieu tout en tous ! s’écrie saint Paul à son tour, contemplant dans l’avenir, par delà l’œuvre de médiation du Fils une fois achevée, le terme de l’histoire du monde et de l’histoire du Royaume de Dieu (1 Corinthiens 15.28) ; Dieu pleinement glorifié dans chacune de ses créatures : synthèse de toutes les antinomies qui travaillent ici-bas la logique humaine en quête des grands mystères ! conciliation des deux principes de l’absoluité divine, exagérée par le panthéisme, et des droits de l’individualité humaine, exagérés par le déisme ; accord final, définitif et parfait des deux termes : sainteté et félicité, se confondant désormais dans un seul, la charité (Éphésiens 1.4).
C’est donc dans l’amour pour Dieu que s’opère enfin et pleinement la fusion des deux principes intéressé et désintéressé de la morale. Car la créature qui aime Dieu ne sert pas Dieu pour elle-même, puisqu’elle aime ; et aimant Dieu, elle ne se sacrifie pas elle-même, puisque le Dieu qu’elle aime est son Dieu, et qu’aimant humainement, elle est divinement aimée.
« L’amour de Dieu, a écrit Vinet, avait et aura toujours ceci de particulier que les deux principes dont nous partons (l’intérêt propre et l’obligation morale) s’incorporent l’un dans l’autre et ne font plus qu’un. L’amour de Dieu est tout ensemble le triomphe et l’anéantissement du moi. Un vif sentiment de bonheur, une puissance indéfinie de détachement en forment ensemble le caractère essentiel. Obéir à Dieu est le suprême devoir, mais aussi la suprême félicité. Aimer, c’est en même temps tout donner et tout avoir. On donne son cœur, mais la récompense du don se trouve en même temps dans le don lui-même, et le sacrifice du moi, dans ce mystérieux état de l’âme, est lui-même le délice du moi !… Le moi rassasié se tait ; l’égoïsme abdique ; l’amour précédé par la joie s’assied en vainqueur sur le trône de l’âme ; l’âme, dépréoccupée du moi, s’occupe de Dieu ; n’ayant plus de désirs à former, de crainte à nourrir, elle se dévoue, elle se donne sans effort, sans réserve, sans retour sur elle-même, sans arrière-pensée d’intérêt. Que pourrait-elle prétendre qui ne lui ait été donné, qui ne lui soit assuré ? L’incapacité même de mériter sert et fortifie le dévouement. Ne pouvant spéculer sur un amour tout gratuit, on va au-devant de lui par l’amour. Sans doute une telle vie a ses progrès, ses phases diverses ; mais, quoi qu’il en soit, cette divine combinaison décide l’ascendant et assure le triomphe définitif du principe moral, ou, si l’on veut, de l’élément désintéressé dans notre âme ; et, l’impulsion une fois donnée, elle tend sans cesse vers cette noble unité que le péché avait rompue, et que Dieu seul pouvait rétablir à force d’amourz. »
z – Essais de philosophie morale. L’Utilitarisme, p. 115 et 116.
Dans quelle économie pourra se réaliser dans sa perfection le principe normatif du bien que nous venons d’énoncer : la glorification parfaite de Dieu par l’amour parfait de la créature ? Cette question ne rentre pas dans le cadre actuel de notre étude. Il nous suffit d’avoir posé cette fin de l’homme et de tout homme, et de l’avoir présentée à ses efforts.
Après avoir traité de la fin normale de l’homme, pour autant que cette fin peut et doit devenir le but et l’objet de toute son activité, nous nous occuperons dans la deuxième et la troisième section de notre première partie de cette norme elle-même, considérée tour à tour dans sa portée générale : Doctrine de la loi, — et dans ses manifestations particulières : Doctrine des devoirs.
A la différence de la première, ces deux sections auront un caractère formel ; c’est-à-dire que nous n’entendons point entrer encore dans les déterminations concrètes de la matière de la loi et de la matière des devoirs ; mais nous considérons ici dans ses deux manifestations principales de la loi et des devoirs la catégorie de l’obligation morale.