Monseigneur, vous m’avés fait l’honneur de me marquer par vôtre lettre du 21 mars, qu’il étoit important qu’on scut ma façon de penser sur l’article des Mariages et Batesmes des nouveaux convertis ; j’aurois aussitôt satisfait à vôtre demande, si les affaires de toutes espece, que j’ai trouvées à mon arrivée dans cette province, avoient pu me le permettre. Le délai que j’ai aporté à repondre est excusable par cette raison ; il ne l’est pas moins par l’importance de la matiere, et d’ailleurs je ne vous dissimulerai pas que ce n’a pas esté sans une sorte de peine que je me suis livré à la discussion de plusieurs questions aussi nouvelles pour moy qu’elles vous sont familières. Cette considération doit cependant ceder à la loy du devoir. Choisi par Sa Majesté pour faire exécuter les Ordonnances rendues à l’occasion de N. C., il est utile que j’espose mes sentimens et mes doutes, pour que, les connoissant, vous puissiés ou engager MM. les évesques à se prester un peu plus qu’ils ne font sur l’article des mariages et batesmes, pourvu que la chose leur soit possible, ou m’eclairer si je me trompe, afin qu’instruit par un si bon maître, je puisse travailler fructueusement sur des principes certains au bien et à l’avantage de la religion dont vous estes un ministre si distingué.
Les Assemblées, devenues plus fréquentes que jamais, sont d’un tres grand scandale pour la religion, en même tems qu’elles troublent la police generale du royaume, et blessent directement les loix que l’Etat n’a cessé de faire depuis la révocation de l’Edit de Nantes ; tout concourt par conséquent à exiger qu’on en interrompe le cours : il n’est question que du choix des moyens à employer pour tendre à un but si desirable.
Il n’est pas douteux qu’on doive preferer ceux qui couperont le mal par la racine ; et pour le bien connoistre, il ne faut que réflechir sur les actes de religion qui se font aux Assemblées. Je les réduits à quatre principaux, savoir la priere, l’explication de l’Écriture-Sainte, la benediction des mariages, et le batesme des enfans ; je ne parle pas de la Cène, parce qu’elle n’a pas lieu dans les assemblées nombreuses.
Les deux premiers de ces actes sont de pure devotion et ne sont pas de necessité. Chaque particulier a la liberté de dire des pseaumes et de lire des livres saints dans sa maison, et je crois qu’il est bien certain que la crainte des peines empêcheroit les N. C. d’assister à des assemblées, si elles n’estoient tenues que pour ces deux objets ; mais les mariages et les batesmes sont des actes d’une classe differente ; hors le cas d’un péril évident de l’enfant, l’eau salutaire doit lui estre donnée par une personne ayant caractère, et l’union de l’homme et de la femme doit estre benie.
Les protestans conviennent que nos prestres ont ce pouvoir relativement à eux, quoique d’une communion differente. Pourquoi donc au mepris des ordres du Roy, au peril de leur liberté et quelques fois de leur vie, vont-ils se marier au Desert et y font-ils baptiser leurs enfans ? C’est sans doute parce qu’on exige, pour les admettre aux sacremens de l’Église, des préalables ou des conditions qui dans leur esprit sont equivalens au refus.
J’ignore si ç’a esté par ces motifs que les premieres assemblées ont été faites, mais je crois fermement qu’ils sont la veritable cause pour laquelle elles se perpetuent ; aussy je penserois que pour les detruire absolument il ne faudrait que donner plus de facilité aux N. C. qui demandent à se marier et à faire baptiser leurs enfans à l’Église ; ils y viendraient en foule, comme ils le faisoient precedemment, lorsque les epreuves étoient moins rigoureuses ; le ministère des predicans deviendrait totalement inutile ; les cueilletes, faites dans les assemblées, n’auraient plus lieu en leur faveur ; reduits à la misere et à n’avoir point de fonctions, le païsan perdrait l’habitude de les considerer et ils seraient contraints de sortir du royaume. Mais on ne doit pas espérer de voir rien arriver de pareil, tant qu’on exigera que les N. C. fassent des abjurations ou promesses par écrit, ou qu’ils reçoivent la communion avant d’estre mariés, et tant qu’on qualifiera de batards les enfans procreés de leurs conjonctions illicites, qu’ils presenteront à l’Église pour y recevoir l’eau.
Quand on reflechit sur la nature des nouvelles epreuves, (car autrefois, et il n’y a pas encore bien longtems, les evesques se contentaient d’une simple assistance aux offices et aux instructions pendant trois ou quatre mois) on ne sçauroit s’empecher de reconnoistre qu’elles blessent les loix de l’Etat et ne sont pas conséquentes aux dispositions de l’Edit portant révocation de celui de Nantes, qui n’a cependant esté rendu que pour extirper le calvinisme.
Pour se bien convaincre de cette importante verité, il suffit de se rapeler que ceux qui ne voulurent pas embrasser la religion du prince sortirent du royaume, et que ceux qui y restèrent abjurerent volontairement ou par force les erreurs de Calvin et furent encore incorporés à l’Église romaine, et que, depuis cette époque, il n’a plus esté fait aucun exercice public de la religion pretendue réformée. De ces faits qui ne sont ignorés de personne, ne doit-on pas conclure que les enfans et petits enfans des protestans restés en France depuis la révocation de l’Edit de Nantes sont nés dans le sein de l’Église, puisqu’ayant esté baptisés à l’Église, étant procreés de mariages qui y ont esté faits, et de gens qui ont abjuré le calvinisme, on ne pourroit les regarder comme protestans qu’autant qu’il serait prouvé clairement qu’ils ont fait des actes extérieurs et non equivoques de la R. P. R, preuve impossible pour le general, puisque l’exercice de cette religion est absolument proscrit et que les temples ont été détruits.
Il n’y a donc qu’une religion dans le royaume, et on ne peut s’empêcher de regarder comme catholiques ceux qui sont nés en France, depuis que les autres religions y ont eté abolies. Aussi de ce qu’un homme descendra en ligne directe d’anciens protestans, on ne sçauroit en conclure qu’il soit lui-même protestant. On ne le pourra pas non plus, en partant de la circonstance qu’il ne remplira pas ses devoirs et qu’il n’assiste pas aux offices : on devra s’en tenir à le regarder comme un tres mauvais catholique. Cola posé, je demande si un curé pourrait se dispenser de marier un particulier fils d’un ancien catholique, sous pretexte qu’il ne remplit pas les devoirs de catholique. Je crois que la negative de cette proposition n’est pas douteuse. L’apel comme d’abus du refus de l’impartition de la benediction nuptiale serait reçu, et les tribunaux seculiers authoriseroient seulement qu’on aporta quelques délais à la celebration, pendant lesquels l’apelant seroit tenu de fréquenter les Églises, et de faire des actes exterieurs de la religion romaine. Les nouveaux convertis ne doivent donc pas estre traités differemment, puisqu’ils doivent être mis dans la classe des mauvais catholiques. Les declarations du Roy tendent à les empêcher de sortir du royaume et l’intention de Sa Majesté est qu’ils y soient sous la protection des lois communes à tous ses sujets, qu’ils peuplent son royaume, qu’ils s’y marient et qu’il n’y ait sur l’article des mariages que des regles uniformes. Les constitutions de l’Etat sont d’autant plus considérables sur ce point que celles de l’Église ne sont pas contraires ; je ne les connois pas assés particulièrement pour entrer là dessus dans un grand détail, mais il me semble qu’il est permis de penser ce que j’avance, en partant de certains faits qui sont connus de tout le monde. L’Église exige dans celui qui demande un sacrement, qu’il ait les dispositions nécessaires pour le recevoir dignement, mais ces dispositions estant intérieures sont laissées à sa bonne foy, ou à la prudence du confesseur qu’il a choisi pour le diriger ; mère tendre, elle reçoit à bras ouverts ceux qui recourrent à elle. Elle supose que c’est toujours avec foy et respect, et laisse à Dieu le soin de punir les hommes sacrilèges. D’autre part, l’administration publique des sacrements doit être déterminée par les seules constitutions canoniques qui ont été autorisées par l’Etat ; je ne crois pas qu’il y en ait qui exigent de celui qui demande à se marier, qu’il approche de la sainte table, ou même qu’il donne sa profession de foy par écrit, mais s’il en est quelques unes, je doute bien fort qu’elles ayent esté reçues dans le royaume.
C’est vraisemblablement d’après ce principe, qu’un confesseur, qui seroit certain des mauvaises dispositions d’un pénitent qui sortiroit du tribunal, ne pourra pas lui refuser la communion, s’il se presentait pour la recevoir. Pourquoi y auroit-il pour les mariages des regles plus severes que celles establies pour le plus auguste de nos sacremens ? La profanation de celui-cy n’est-elle pas infiniment plus grande, et si malgré cela la police generale et la crainte du scandale public font passer par dessus cette importante consideration, dans le cas où le sacrilège est évident, ne peut on pas conclure, à plus forte raison, qu’on ne doit pas refuser le sacrement de mariage à celui qu’on ne sçait pas aussi surement dans un etat criminel, et qui, par les actes extérieurs qu’il fait, annonce au contraire des dispositions convenables.
On dira peut-estre que dans la supposition que je fais la communion n’est donnée, que parce que le refus emporterait necessairement revelation du secret de la confession, je repondrai que ce danger ne se rencontrerait pas à l’égard d’un concubinaire public, et dans d’autres cas à l’egard desquels mon raisonnement reste dans toute sa force.
Il semble que les loix de l’Etat qui tendent à favoriser la population et conséquemment les mariages ne sont point contrariées par des loix positives de l’Église à l’égard de ceux qui, soit qu’ils descendent d’anciens protestans, soit qu’ils soient d’une ancienne famille catholique, ne remplissent pas les exercices de nôtre sainte religion, ou tout au moins qu’il n’y a pas de loy particuliere pour ceux qu’on nomme N. C. qui les assujetisse nommément à certaines épreuves. Cela posé, on ne peut disconvenir que celles qu’on exige dans la province du Languedoc, en différens dioceses, ne sont que des regles de discipline qui sont laissées à la prudence de chaque evêque. Mais il est constant que ces sortes de regles peuvent être changées par eux toutes les fois qu’ils estiment qu’il en peut resulter un grand bien. Donc la question de sçavoir si celles faites pour les N. C. doivent ou ne doivent pas subsister, depend de la balance à faire de l’utilité de leur existence avec les inconveniens qui peuvent en resulter pour l’Etat et pour la religion même.
J’ay déjà observé, et je ne crois que personne ne doutera de cette verité, que les difficultés qu’éprouvent les N. C. pour se marier ou faire batiser leurs enfans à l’Église, les forcent pour ainsi dire à se rendre à des assemblées où les predicants font ces deux ceremonies, qui, comme je l’ai dit, sont des actes de necessité. Ces difficultés donnent lieu à des assemblées, et dés lors il ne s’agit plus que d’examiner s’il n’est pas de la dernière conséquence d’arrester le cour de ces mêmes assemblées. Les maux infinis qui resultent des batesmes qui y sont faits, et des mariages qui y sont bénis, sont un premier motif bien puissant pour prouver combien il est important de les détruire. En effet quel trouble n’aporte-t-il pas dans l’ordre civil ? On ne voit que concubinage dans des paroisses entieres ; on n’y aura bientôt plus que des enfans batards, les sucessions seront incertaines, enfin le Roy est et sera privé de la connoissance du nombre de ses sujets N. C, puisque les enfans ne sont pas inscrits sur les registres de bastemes des paroisses, connoissance qu’il est cependant important d’avoir. Une seconde reflexion est que plus il y aura des assemblées, plus il y aura de protestans : l’exercice d’une religion en perpetue l’esprit ; il est donc instant pour la religion de concourir à abolir celles qui ne se tiennent que trop fréquemment. Enfin elles sont capables d’operer encore de plus grands inconveniens, le Roy compte avec raison sur la fidélité de son peuple en gênerai, mais il est des moments de fanatisme, ou plusieurs à l’ombre de la religion croyent tout legitime et se croyent tout permis. Sa Majesté ne sera jamais en peine de retablir l’ordre et de frapper les coupables. Sa puissance est telle qu’elle n’a rien à redouter, cependant sa bonté paternelle l’engage à prevenir tout ce qui pourrait estre à ses sujets une occasion de se rendre coupables. C’est ce qui l’a engagé de rendre des ordonnances, soit pour l’education des enfants, soit pour la punition de ceux qui assisteraient à des assemblées, et les troupes ont des ordres de marche pour les dissiper.
L’Église ne doit elle pas avoir la même tendresse pour ses enfans et dessein d’en adopter un plus grand nombre ? Ne doit-elle pas, en se prestant autant qu’il est possible, prevenir par une sage condescendance la destruction et le pillage de nos saints temples qui dans un moment de fureur ne seraient pas respectés, crimes dont le projet ne peut guerres estre conçu que dans une assemblée de gens animés par leur ministres et dont la punition n’empêcherait que le mal n’eut esté fait.
S’il est vrai que la religion et l’Etat ayent un interest si palpable à empecher que les N. C. ne s’assemblent, il n’est pas moins certain que les evesques ministres de l’un et principaux membres de l’autre ne soient dans l’etroite obligation de se prester en tout ce qui ne blessera pas directement la religion même et la loy de leur conscience.
Il me semble que la conscience doit être parfaitement tranquille, toutes les fois qu’on a suivi les regles ordinaires de la prudence. L’Église n’exige dans ceux qui veulent s’approcher de ses sacremens, que des dispositions interieures dont il suffit de se contenter, d’actes exterieurs qui annoncent ces dispositions ou tout au plus d’interroger sans appareil et sans temoins celui qui demande le mariage, pour s’assurer de sa façon de penser. Ce qui prouve que cette forme est suffisante, c’est principalement la conduite qu’ont tenue precedemment les evesques et celles que suivent encore quelques uns d’entre eux, cette premiere reflexion donne lieu à une seconde qui est que le peu d’uniformité entre eux sur les epreuves qu’ils exigent etablit toujours au moins qu’elles ne sont pas de necessité. Enfin ce qui acheve de convaincre, c’est que ces mêmes conditions qui revoltent les N. C. n’aboutissent à rien et ne remplissent pas l’objet pour lequel elles paroissent faites. En effet quand un homme aura declaré par ecrit qu’il veut faire profession de la religion catholique, s’il n’est pas de bonne foy, en sera-t-il moins protestant dans le fond de l’ame ? S’il trompe son evesque et qu’une fois marié il cesse d’aller à l’église, a-t’on quelqu’action pour le contraindre ou pour le punir ? Non, sans doute. Il y a plus, s’il est convaincu d’avoir assisté, depuis sa déclaration faite, à quelque assemblée, est-il un juge qui sur un simple acte visiblement souscrit par la necessité de prendre une femme, prit sur lui de le condamner comme relaps ? J’ai bien de la peine à le croire, jusqu’à ce qu’il aura plu au roi d’expliquer là dessus ses intentions, à quoy sa Majesté ne se portera vraisemblablement, que lorsque le corps ecclesiastique aura reduit les epreuves au point désirable.
Je croirois donc que, les N. C. ne pouvant être regardés que comme de mauvais catholiques, les evesques seront parfaitement en sûreté de conscience, quand ils les traiteront de Ja même manière ; et comme on n’exige des uns ni communion ni profession de foy par ecrit, et que d’ailleurs la constitution de l’Etat resiste à l’abjuration comme je l’ai observé, on ne doit pas en exiger d’avantage de la part des autres. Dieu seul connoit le fond du cœur et ne peut estre trompé, l’homme au contraire sujet à l’erreur, n’est pas cependant coupable de s’y livrer dans le cas dont il s’agit, lorsqu’il ne s’y détermine que par les actions extérieures sur lesquelles il luy est permis de juger.
Avant de finir sur ce point, il est bon de prevenir quelques objections qui pourroient estre faites. On dira peut estre :
1° Que les préalables qu’on demande au N. C. ne sont pas à la verité de necessité indispensable, mais qu’il sont des précautions surabondantes qu’on ne sçauroit blamer dans une partie aussi essentielle que la dispensation des sacremens de l’Église.
2° Que les protestans sont séparés de la communion des fidelles, des pecheurs publics qu’on ne peut admettre dans le sein de l’Église, qu’après s’estre assuré plus particulierement, et d’une maniere eclatante, de la sincérité de leur retour.
3° Que la condescendance, qu’on souhaite de la part des evesques, ne remedieroit pas au mal, puisqu’avant qu’il y eut des assemblées où on fit des mariages et baptesmes, les protestants ne se marioient pas à l’Église et se contentoient d’un simple contract civil devant notaire, au moyen de quoy le mary et la femme habitaient ensemble.
4° Enfin que le meilleur moyen d’arrester le cours des assemblées est d’executer à toute rigueur les ordonnances du Roy, de sevir sans misericorde contre ceux qui y auront assisté, et que dès qu’on a cette voye pour remplir cet objet, il est important pour la religion que les evesques restent chacun dans leurs principes et ne paroissent molir.
Je réponds à la premiere objection, que dès qu’il n’y a pas de regle dont l’execution soit de necessité, et que d’un autre costé il s’agit de se prester pour remedier à un mal qui interesse l’Etat et la religion, on est pas non seulement blamable, mais que même on est louable de s’en tenir aux précautions ordinaires, sauf en prendre de surabondantes, l’excès de prudence estant en cette occasion comme en plusieurs autres une imperfection plutôt qu’une vertu. Tant pis pour celui qui trompe ; on ne doit pas moins l’en croire pour le mariage que l’on fait pour l’Eucharistie dont la profanation est bien un autre crime.
La seconde objection se resoud par une simple reflexion. Il n’est point en France de pecheur public, s’il n’a esté nommement déclaré tel par une sentence dans toutes les formes ; or, pour que les N. C. puissent estre regardés sous cet aspect, il faudroit un jugement qui prononça contre chacun d’eux en particulier. Je ne crois pas que cela ait esté observé, et si on l’entreprenoit, je ne crois pas qu’on y reussit, parce que la non assistance aux offices divins ne sera jamais regardée comme un motif suffisant pour fonder une condamnation reguliere, et que n’y ayant pas dans ce royaume d’exercice public de la R. P. R. on ne parviendra pas à prouver aux protestans qu’ils sont tels : rien ne leur est plus aisé, quand il le voudront, que d’ecarter toutes les preuves de leur véritable croyance.
A l’egard de la troisieme objection, je ne nierai pas, qu’avant que les assemblées fussent aussi fréquentes qu’elles le sont, il y avoit quelques N. C. qui sans estre mariés ni à l’Église ni au Desert vivoient avec la femme qu’ils avoient choisie au moyen d’un simple contract par devant notaire, mais il faut qu’on convienne aussi que c’estoit le très petit nombre. D’ailleurs on ne doit pas argumenter de certains faits particuliers dans un affaire générale. Ne sçait on pas que dans toutes les religions du monde, il y a eu des fanatiques et des concubinaires ? La protestante n’en est pas plus exente que les autres. Il suffit qu’il soit convenu pour les protestans que leurs mariages doivent estre bénis par une personne ayant caractère, pour qu’on puisse en conclure que le plus grand nombre n’a jamais négligé et ne négligera jamais cette formalité. Independamment des exemples multipliés qu’on pourrait citer, ne doit-on pas presumer que les lumieres de la droite raison conduiront tous les N. C. à assurer un etat à leurs enfans, lorsque les moyens de le faire par un mariage en face de l’Église ne leur seront pas rendus trop difficiles ?
Enfin, et c’est la reponse à la quatrieme objection, c’est une grande erreur de penser que la crainte des peines et des traitement rigoureux, soient capables d’empêcher que les N. C. continuent de s’assembler. L’esperience apprend tous les jours que les chatimens même corporels et les amendes pecuniaires ne remedient à rien et que les persecutions n’ont jamais detruit entierement aucune religion. Ne doit on pas sentir aussy, combien il en coute à Sa Majesté et à ceux qui ont à executer ses ordres, d’avoir toujours le fer à la main pour fraper ses propres sujets, surtout pour fait de croyance.
Espérer de faire changer de sentimens à tous ceux qui dans le fond de l’ame sont protestans, c’est se flatter d’un succès impossible, quoiqu’on puisse faire. Mais quand on se bornera à empêcher l’exercice de la R. protestante, on y pourra réussir, ainsi qu’on l’avoit fait precedemment. Ce ne pourra estre cependant qu’en agissant consequemment à la distinction que j’ai esposée plus haut. Personne ne désobeira au Roy (au moins, on doit le presumer) et ne s’exposera à la perte de sa liberté, de ses biens et de sa famille, lorsqu’il ne sera question que de quelques prieres ou lectures qu’on fait plus commodément et sans aucun risque dans sa maison. Mais les mariages doivent estre bénis. Ce sont des actes de necessité, et comme on ne détruira jamais dans l’homme le désir de s’unir à la femme, il est indispensable que la ceremonie en soit faite à l’Église catholique ou au Desert.
S’il est donc visible et palpable que les mariages sont le veritable motif des assemblées, je conclus que ce n’est qu’en rendant facile les uns, qu’on parviendra à abolir les autres. Les suites de cette condescendance qui n’interesse que la conscience des evesques, comme je l’ai observé, raménera insensiblement au giron de l’Église, sinon tous ceux qui sont imbus de prejugés qu’ils ont succès avec le lait, du moins une partie, et plus surement leurs descendans. C’est à ce double objet que doivent tendre les vœux de tous les François, soit qu’on les considere comme catholiques, soit qu’on les regarde comme citoyens.
Pour toucher ce but désirable à tous égards, le concours des deux puissances est absolument nécessaire. En vain le Roy fera des ordonnances ; en vain ses officiers prononceront des peines, on ne détruira pas le mal, et on ne procurera pas le bien, si les evesques ne se prestent pas. On en a fait sentir les raisons. En vain aussi les evesques se presteroient-ils, si le gouvernement ne faisoit pas executer ensuite avec la plus grande exactitude les loix generales rendues sur cette matière. Quand on croit avoir lieu de se flater de l’impunité, on se dispense de faire des reflexions, et on suit plus volontiers les habitudes qu’on a contractées.
Pour établir ce concours, je croirais que les evesques pourraient ordonner à leurs curés,
1° de supléer les céremonies du batesme aux enfans des N. C. qui seraient présentés à l’Église sans difficulté, et à l’egard de ceux procréés de mariages faits au Desert, de ne point leur donner la qualification de batard sur les registres, mais d’ecrire simplement qu’ils sont enfans d’un tel ou d’une telle. J’avoue que je n’ai jamais bien compris pourquoi quelques evesques ont exigé que cette odieuse qualification fut inserée dans les actes. C’est eloigner toujours davantage les protestans de nos Églises, sans remedier absolument à rien. Tout enfant, qui n’est pas dit fils naturel et legitime, est tres certainement batard ; mais à quoi bon l’exprimer ?
2° d’obliger tous les sujets du Roy, indistinctement, de quelque qualité et condition qu’ils soient, qui demanderaient le sacrement de mariage, et n’auraient pas fait depuis longtemps les actes exterieurs de R, C, d’assister pendant trois mois aux messes paroissiales et au service divin, et, dans le cas où ils auront esté exacts de leur impartir la benediction nuptiale, après les avoir instruits de la dignité du sacrement. Je ne sçaurois trop repeter à cet égard qu’il y a juste sujet de croire qu’un homme né dans le royaume, où il n’y a qu’une seule religion, est de bonne foy lorsqu’il remplit pendant trois mois et publiquement les devoirs ordinaires d’un catholique, et qu’il ne tient pas des discours qui detruisent cette presomption, que les autres épreuves ne sont point de necessité, et qu’elles sont inutiles, en ce que la rechute de la part d’un N. C. qui ne s’y seroit soumis que pour se marier, et qui les auroit interrompus incontinent après, ne suffiroit pas dans les tribunaux pour le faire regarder comme relaps.
Si ce plan estoit adopté par les prelats, j’estimerois que la conduite à tenir par le gouvernement seroit de faire executer aux peines portées, et avec la plus grandes exactitude, les ordonnances et reglement generaux et particuliers precedemment faits à l’occasion des N. C. Ils sont de la connoissance de tout le monde, et la sagesse et la suffisance de leurs dispositions ne sont revoqués en doute par qui que ce soit. Cependant il pourrait peut estre paroître convenable que le Roy donna une declaration qui enjoignit à ses sujets N. C. qui se seraient mariés au Desert ou y auraient fait baptiser leurs enfans de faire rehabiliter dans le délai de six mois leur mariage en fasse de l’Église et de faire supléer les ceremonies de batesme dans quinzaine, le tout à compter du jour de la publication et lecture qui auroit été faite de la dite declaration dans chaque paroisse, un jour de dimanche, à l’issuë des vespres ; de laquelle lecture et publication seroit dressé procès-verbal par les maires et consuls pour estre envoyé à l’intendant ; — que Sa Majesté accordera amnistie entière à ceux qui satisferaient dans le dit délai, passé lequel tems, les désobeissans, ensemble ceux qui depuis la dite publication se seraient mariés au Désert ou y auraient fait baptiser leurs enfans, seroient constitués prisonniers, jugés sans forme ni figure de procès par le commandant ou en son absence par l’intendant de la province et condamnés aux peines portées par les ordonnances, même à celle de galères, s’il y echoit.
Il y a tout lieu de penser que cette declaration produirait tout l’effet qu’on en doit attendre ; que la plus grande partie des mariages seroient réhabilités, et que les N. C. se deshabitueraient d’aller au Desert.
On objectera peut estre que, convenant qu’il a esté fait des mariages au Desert, je dois convenir aussi que ceux qui en seroient coupables, seroient dans le cas de faire abjuration, puisqu’ils auroient fait un acte non equivoque de la R. P. R.
Je reponds que dans le fait il est à la verité notoire qu’il a esté fait au Desert des mariages et des baptêmes, mais que dans le droit la preuve n’en sera parfaite qu’à l’egard de ceux contre lesquels il aura esté rendu des jugemens. Les autres ne peuvent estre considerés que comme gens qui ont vécu dans une habitude criminelle. Je ne pense pas que l’abjuration doive indispensablement estre faite par les premiers, d’autant plus, que s’agissant de ramener a la regle et de la faire aimer, il semble que toutes les difficultés doivent disparoistre, dès que la modération dans les choses qu’on exige n’attaque ni le dogme ni la discipline generale de l’Église, et assurement le deffaut d’abjuration ne blesse ni l’un ni l’autre. Les batesmes sont encore dans un cas plus favorable, puisque l’enfant qui est la partie principalle, ne peut estre coupable de rien.
Je reviens donc à dire qu’il suffiroit d’ajouter à l’attention suivie qu’on auroit de prevenir, d’empecher et de separer les assemblées et de punir les contrevenans, d’ajouter, dis-je, la precaution dont je viens de parler, et notamment la declaration que je propose de rendre. Il en résulteroit un bien infini, puisqu’on supposant le concours des evesques, elle donneroit a un tres grand nombre de familles le moyen d’assurer l’etat de leurs enfans, d’etablir une regle dans la succession et de transmettre leurs biens à leurs descendans légitimes. D’un autre costé, les N. C. excusables en quelque sorte dans les circonstances présentes, n’auroient plus aucun pretexte apparent à alleguer pour leur deffense, et ce seroit un grand soulagement pour ceux qui auroient à les juger, car je ne dois pas vous laisser ignorer, Monseigneur, que ce n’est qu’avec une repugnance extrême qu’il m’arrive de condamner des particuliers pour fait de religion. Je vois que, dans toute autre matiere, les N. C. ne cèdent point aux autres sujets du Roy pour la fidelité et pour l’obeissance ; et que ceux mêmes qui se convertissent de bonne foy ne refusent pas sans quelque sorte de fondement la déclaration qu’on leur demande par ecrit. Je ne pense pas, et je l’ai déjà dit plusieurs lois, qu’une piece de cette espèce suffise pour les faire regarder comme relaps, mais la plupart sont illétrés et emportent un autre jugement. Leurs ministres n’ont cessé de leur faire entendre qu’on ne cherchoit qu’à les surprendre et à les perdre ; en faut il davantage pour les allarmer ? N’ont-ils pas lieu de craindre que le deffaut de devoir pascal qu’ils ne manqueraient de remplir que par l’avis d’un confesseur, comme cela arrive à beaucoup de catholiques, ne leur fut imputé à crime ; qu’on ne couvrit du voile de la religion des innimitiés qui seraient le véritable motif des persécutions qu’ils eprouveraient, et qu’avec un acte par ecrit, on ne vint à bout de les faire declarer atteints et convaincus, tandis que dans le fond de leur ame ils n’auraient aucun reproche à se faire sur le fond de leur croyance ?
J’avoue avec franchise que ces considerations font que je suis touché de compassion, toutes les fois que pareilles affaires sont portées devant moy ; et c’est contre ce sentiment bien naturel que j’aurais besoin d’estre rafermi, si tant est que les choses dussent subsister dans l’etat où elles sont ; mais j’espère, Monseigneur, que je ne serais pas reduit à cette triste necessité.
Vous avés desiré savoir ce que je pensois des mariages et batesmes. Je n’ai pu remplir vôtre objet qu’en traitant en général les affaires de la religion relativement aux N. C. Je me suis explique avec la liberté permise dans une lettre, et sans aucune prevention pour mes sentimens particuliers, dans la vue unique de remplir mes devoirs et de procurer, s’il est possible, un plus grand bien. Penétré de respect pour l’Église et pour ses ministres, je n’ai pretendu en aucune maniere mettre la main à l’encensoir, moins encore attaquer le dogme ou la discipline. Cette protestation de ma façon de penser me paroit nécessaire par la raison toute simple que, n’estant pas theologien et ignorant beaucoup de choses, il n’est pas impossible que je n’aye avancé, sans le vouloir, quelque proposition erronnée. Si je suis tombé dans cet inconvenient, daignés m’en faire appercevoir et je ne tarderai pas à me rectifier. J’ay l’honneur, etc.
de st priest
A Montpellier, le 30 avril 1751.