La date de sa mort. — Celle de sa naissance. — La durée de son ministère. — La Pâque de l'an 28. — Le sabbat second-premier. — Chronologie générale. — L'an 781. — Les Purim en 782. — Le ministère de Galilée. — Le sermon sur la montagne. — La crise de la foi des disciples. — Le ministère errant. — La fête des Tabernacles de l'an 29.— La fête de la Dédicace de l'an 29. — La dernière semaine.
Les vraies dates de l'histoire évangélique sont plus faciles à établir qu'on ne le pense généralement[1]. Cherchons d'abord celle de la mort de Jésus ; c'est la plus aisée à déterminer, et, une fois connue, elle nous aidera à découvrir les autres. Jésus a été crucifié, d'après les trois premiers évangiles, le jour même de la Pâque juive ; d'après le quatrième, la veille de ce jour. Or la Pâque était célébrée tous les ans le 15 du mois de Nisan. Il est donc mort soit le 14, soit le 15 Nisan. Si les documents bibliques nous laissent le choix entre ces deux dates, ils s'accordent à affirmer que Jésus fut crucifié un vendredi. Ils placent en effet, la résurrection au troisième jour qui était le premier de la semaine, c'est-à-dire le dimanche. Or, le 14 (ou le 15) Nisan n'est tombé sur un vendredi, dans la période d'années où nous pouvons raisonnablement chercher, qu'en l'an 30 ou en l'an 33[2].
Pour trouver un vendredi avant l'année 30, il faudrait remonter trop haut : Jésus serait mort à vingt ans à peine. Après l'année 33, il faudrait descendre trop bas, Jésus aurait été âgé de plus de quarante ans lors de sa crucifixion. Nous devons donc choisir l'une ou l'autre de ces deux années, 30 ou 33. Jésus a été certainement crucifié soit le vendredi 14 (ou 15) Nisan 30, soit le vendredi 14 (ou 15) Nisan 33 ; dans la première alternative le vendredi 7 avril, dans la seconde le vendredi 3 avril[3]. Cherchons si d'autres données nous permettent de choisir entre ces deux dates et de préciser encore.
Les Juifs dirent un jour à Jésus-Christ, d'après l'Evangile de saint Jean[4] : « On a mis quarante six ans à bâtir ce Temple. » Or le Temple ne fut achevé que longtemps après la mort de Jésus-Christ ; on y travaillait encore lorsque ces paroles furent prononcées, elles signifient donc qu'on y travaillait depuis quarante-six ans. Josèphe nous apprend que la construction du Temple fut commencée la dix-huitième année d'Hérode le Grand, en automne. Ce prince, étant monté sur le trône au printemps de l'an 717 de Rome (37 avant Jésus-Christ), la dix-huitième année de son règne commença en 734 et finit en 735 (l'an 19 avant J.-C.). Quarante-six ans plus tard nous sommes au printemps de 781 ou en 28 après Jésus-Christ.
Celui-ci était alors au début de son ministère. La Pâque dont il nous est parlé au chapitre II de l'Evangile selon saint Jean étant celle de l'an 28, le chapitre VI, verset 4[5], mentionne celle de l'an 29, et la Pâque de sa mort se trouve être celle de l'an 30 ; précisément une des deux années entre lesquelles nous devons choisir. Cet accord fixe notre choix et nous concluons rigoureusement qu'il faut s'en tenir à l'an 30, et que Jésus fut crucifié le vendredi 7 avril de l'an 30. M. Renan adopte, il est vrai, l'année 33[6], mais il ne dit pas pourquoi et ne s'explique nulle part sur la chronologie qu'il a suivie. M. de Saulcy eu parle aussi[7] ; mais les preuves qu'il donne n'ont aucune valeur ; il va jusqu'à admettre l'exactitude de l'ère Dyonisienne[8]. Keim a cru pouvoir fixer la date de la mort de Jésus-Christ à l'an 35. — D'après Josèphe, dit-il, lorsque Hérode Antipas fut vaincu en 36 par Arétas, les Juifs virent dans cette défaite une punition méritée du meurtre de Jean-Baptiste. Il y avait donc peu de temps, deux ans au plus, que Jean était mort, et s'il fut décapité en 34, Jésus fut crucifié au plus tôt en 35.
Ce raisonnement repose sur une base bien fragile. Les Juifs ne pouvaient-ils pas voir dans la défaite d'Antipas une punition du meurtre de Jean-Baptiste six ou sept ans plus tard ? Du reste, le 15 Nisan ne tomba pas sur un vendredi en l'an 35 ; et enfin, la date que nous avons trouvée est confirmée par cette affirmation de Luc[9] : « Jésus avait environ trente ans » la quinzième année de Tibère César, c'est-à-dire en 781 (28 après J.-C.) ; car cette indication concorde exactement avec celle donnée par Jean[10] : « On a mis quarante six ans à bâtir ce temple. » Tacite, aussi, en plaçant le ministère de Jésus-Christ sous Ponce-Pilate (c'est-à-dire entre 26 et 36), vient à son tour fortifier notre résultat.
L'année de la naissance de Jésus-Christ est impossible à fixer avec certitude. M. Sabatier croit qu'il faut se résigner à la placer approximativement entre 744 au plus tôt et 753 au plus tard. Nous pensons qu'on peut préciser davantage. Il avait « environ 30 ans » en l'an 28, il serait donc né « environ » deux ans avant l'ère vulgaire, c'est-à-dire vers l'an 751 de Rome, c'est une première indication. Remarquons ensuite que Matthieu, Luc et les Talmuds s'accordent à placer cette naissance à la fin du règne d'Hérode le Grand. Malheureusement Josèphe nous donne deux dates différentes de la mort de ce prince et indique tantôt 750, tantôt 752, ou même 753[11], Mais on s'accorde généralement à accepter le premier de ces chiffres et à placer la mort d'Hérode le Grand en 750.
Il reste le recensement de Quirinius, dont parle Luc[12], mais il est difficile à expliquer. Nous connaissons par les Actes des Apôtres[13] et par Josèphe[14] un recensement de Quirinius fait en 760. L'évangéliste Luc donne le sien comme « le premier ». Or il est possible que Quirinius ait été deux fois Légat de Syrie[15] et la première fois vers 750 ou 752. Sans discuter ici l'authenticité de ce « premier » recensement, nous croyons pouvoir placer en 749 ou 750 la date probable de la naissance de Jésus. Il est né trois ou quatre ans avant l'ère chrétienne et avait environ trente-trois ans lorsqu'il fut crucifié.
Telles sont les dates principales, celles qu'il faut fixer avant tout. C'est donc à la fin du règne d'Hérode le Grand, au moment où la folie de ce tyran atteignait son paroxysme, que naquit dans un petit village cet enfant qui reçut le nom de Jeschoua, traduit Jésus par les Latins. Il naissait sous un régime de terreur, à cette époque profondément agitée que nous avons essayé de décrire au chapitre troisième du premier livre de cet ouvrage. Son enfance et sa jeunesse s'écoulèrent au milieu des troubles dont la Palestine était alors le théâtre. Mais il fut élevé à Nazareth en Galilée, dans la tétrarchie d'Antipas, dont le gouvernement était relativement paisible.
Essayons maintenant de faire une chronique rapide du ministère de Jésus-Christ. Il durera de la fin de l'an 127 au mois d'avril de l'an 30, c'est-à-dire deux ans et demi. On a prétendu que les Synoptiques le plaçaient tout entier dans l'espace d'une seule année. Cette assertion est injustifiable ; une foule de passages[16] supposent de fréquents séjours de Jésus en Judée et surtout à Jérusalem. Il s'y rendait pour les fêtes et en particulier pour la Pâque, et le quatrième Evangile nous fournit ici les plus précieuses indications. Il parle de trois fêtes de Pâque[17]. Nous en avons déjà indiqué les années (28, 29 et 30). Nous ne pouvons, en effet, considérer comme une Pâque la fête mentionnée par Jean au chapitre V, verset 1[18].
L'article *** qui serait absolument nécessaire, ne se trouve que dans le Codex Sinaïticus et il est plus naturel de supposer son addition dans ce manuscrit que sa suppression dans tous les autres. Pourquoi Jean ne nommerait-il pas la Pâque ? Il faudrait aussi admettre avec cette hypothèse qu'une année s'est écoulée entre les événements du chapitre V et ceux du chapitre VI, année que Jean passerait entièrement sous silence. Le passage chapitre IV, verset 35, nous place clairement en décembre ; et le passage chapitre VI, verset 4, en avril ; la fête dont il est parlé au chapitre V, verset 1, se trouve être tout simplement celle des Purim qui se célébrait en mars.
Les Synoptiques nous indiquent encore une dernière date[19] « le Sabbat second-premier » ; mais cette expression reste énigmatique. Wieseler a cru en découvrir le sens. Ce Sabbat serait, d'après lui, le premier de la seconde année ecclésiastique à partir de la dernière année sabbatique. Cette explication reste une hypothèse et elle est assez généralement abandonnée aujourd'hui[20]. Fût-elle exacte, elle confirmerait encore nos calculs, car elle ferait tomber la scène qui nous est racontée dans ce passage au mois d'avril de l'an 29.
En tout cas, le fait dont il s'agit ne peut s'être passé qu'au printemps et aux environs de la Pâque, car les apôtres arrachent des épis et les mangent. Il y eut donc plusieurs fêtes de Pâque pendant le ministère de Jésus, et celle dont il est ici parlé a précédé sa mort juste d'une année.
Le tableau général de la chronologie des Évangiles s'établit tout naturellement à l'aide des dates que nous avons fixées. Jésus de Nazareth, ou plus exactement Jeschoua de Nazareth (car Jésus, nous l'avons dit, est un nom hébreu latinisé) naît en 749 ou 750 de Rome. Il est appelé dans les Évangiles ***, et le nom que lui donneront plus tard ses compatriotes et ses disciples sera : Rabbi Jeschoua Natzarieh. Hérode meurt à Jéricho peu de temps après sa naissance, quelques mois au moins, trois ans au plus[21]. L'enfant est élevé à Nazareth. Il a neuf ans environ quand Archélaüs est déposé et que le légat de Syrie nomme un procurateur chargé d'administrer la Judée. C'est sous le premier d'entre eux, appelé Coponius, que Jésus vient pour la première fois au Temple de Jérusalem, âgé de 12 ans.
En l'an 9-8 (781 de Rome), il a déjà commencé son ministère. Il a alors « environ » trente ans. Il faut placer avant la Pâque, c'est-à-dire dans les premiers mois de l'année et peut-être à la fin de 27, son baptême, la tentation, les noces de Cana. Après un court séjour à Capharnahum, il monte à Jérusalem pour la fête de Pâque 781. Nous fixons à cette date la purification du Temple et l'entretien avec Nicodème. Il retourne en Galilée quelque temps après et passe à Nazareth les mois d'été. En septembre, il revient en Judée pour les Tabernacles et renoue ses relations avec Jean-Baptiste. Vers la fin de décembre, il reprend le chemin de la Galilée et passe par la Samarie (Ev. de Jean, ch. IV, entretien avec la Samaritaine). « Il y a encore, dit-il, quatre mois jusqu'à la moisson » (verset 35). Et comme celle-ci se faisait à la fin d'avril, on était à la fin de décembre.
De retour à Nazareth, il rentre dans le silence ; il travaille sans doute à l'entretien de sa famille. Au mois de mars, il monte à la ville sainte pour la fête des Purim (14 et 15 d'Adar), cette année-là les jeudi 17 et vendredi 18 mars (ou les vendredi 18 et samedi 19[22]). La fête des Purim n'impliquait pas la cessation obligatoire du travail. La guérison du malade de Béthesda, qui eut lieu un jour de Sabbat, tombe par conséquent sur le samedi 19 mars.
Rentré peu après en Galilée, il commence son ministère actif. Il se décide à quitter Nazareth, village perdu dans les montagnes, et va s'établir à Capharnahum, gros bourg situé sur la route d'Egypte en Syrie. Capharnahum est sur les bords du lac de Tibériade ; Jésus n'a en ligne droite que huit ou neuf heures de marche à faire pour y arriver, mais il se rend d'abord à Magdala, situé aussi sur les bords du lac. Il y passe la nuit et puis, longeant la mer (Ev. de Marc, I, 16), il rencontre ses premiers disciples entre Bethsaïda et Capharnahum. Il arrive dans le voisinage de ce bourg deux jours après son départ de Nazareth (Ev. de Marc, I, 21). Le lendemain était un Sabbat ; il avait donc quitté Nazareth un mercredi, et c'est d'un vendredi qu'il faut dater la vocation de Pierre et des autres disciples.
Le samedi, il enseigne dans la synagogue de Capharnahum, et il faut placer ici les événements racontés dans les Synoptiques (Ev. de Marc, 1, 29-34 ; de Luc, IV, 38-41 et de Matth., VIII, 14-17). Le dimanche, de grand matin, il se retire en un lieu solitaire pour prier (Ev. de Marc, 1, 35-38 ; de Luc, IV, 42, 43). Il parcourt cette semaine-là toute la Galilée. Le bruit de sa renommée pénètre jusqu'en Syrie (Ev. de Matt IV, 23, 24 ; IX, 25 ; XII, 15 et suiv.). Peu à peu se groupent autour de lui quelques disciples qui forment son cercle le plus intime. Les autorités de Jérusalem commencent à s'émouvoir. Des Scribes vont l'épier et s'entendre avec les Pharisiens qui séjournent en Galilée. Ceux-ci le connaissent. Ils s'étaient rencontrés deux fois avec lui à Jérusalem (Ev. de Jean, II et V). Jésus leur semble déjà en opposition ouverte avec le Judaïsme. C'est de cette semaine qu'il faut dater la vocation de Matthieu et les paroles du Christ sur le jeûne. Six disciples se donnent à lui avant tous les autres : Pierre, André, Jacques, Jean, Philippe et Barthélemi.
Le samedi suivant est celui que les Évangiles appellent second-premier. Si l'explication de Wieseler est bonne (nous avons montré qu'elle n'est qu'une simple hypothèse), ce samedi serait le 9 avril. Le samedi précédent aurait donc été le 2 et le calendrier de cette partie de l'histoire évangélique devient facile à établir.
La semaine suivante fut une des plus importantes de la vie de Jésus. Le premier jour, il se retire sur la montagne pour prier. Il choisit les douze apôtres (Ev. de Marc, III. 13 et suiv.). Il prononce ensuite les enseignements dont quelques fragments nous ont été conservés sous le nom de sermon sur la montagne. Jésus « s'établit » dans la montagne, dit Matthieu (V, 1)[23], et il les « enseignait ». C'était sans doute au nord-ouest de Capharnahum, où se trouve une chaîne de collines. Le mot « s'établit », et l'imparfait « enseignait » montrent bien qu'il s'agit ici d'une série de discours prononcés par le Christ, pendant un certain temps, au moins pendant quelques jours, et qui ne sont parvenus jusqu'à nous que par fragments. Jésus pense pour la première fois à fonder une Eglise. Les douze apôtres lui serviront à établir une ***.
Peu de temps après (Ev. de Luc, VIII, 1-3), nous le voyons parcourant la Galilée accompagné de ses apôtres et de quelques femmes s'occupant des besoins de chaque jour. Il envoie ses apôtres en mission ; Judas tient la bourse commune ; ils voyagent sans doute à la mode essénienne ; Jésus a la robe sans couture, le turban sur la tète, des franges à son manteau[24]. Deux envoyés de Jean-Baptiste viennent lui poser la question : « Es-tu celui qui doit venir ? » Peu après, Jésus apprend la mort du Précurseur. On lui dit en même temps qu'Hérode Antipas le surveille. Il traverse alors le lac et se retire dans les collines voisines de Bethsaïde Julias, sur le territoire du tétrarque Philippe. La foule l'y suit et veut le nommer roi. Il prie les apôtres de remonter dans la barque et de retourner sans lui à Capharnahum. Le lendemain il parle dans la synagogue de ce village. Ce n'était pas un jour de sabbat, car le peuple n'aurait pu naviguer sur le lac un samedi ; c'était un lundi ou un jeudi, les seuls jours où la synagogue fût ouverte en dehors du sabbat. Jésus y prononce son grand discours sur le pain de vie (Ev. de Jean, ch. VI).
Nous voici arrivés à cette période critique du ministère du Christ, où le peuple l'abandonne, où il reste seul avec les douze, et où la nécessité absolue de sa mort violente lui apparaît pour la première fois. Les trois Synoptiques se rencontrent ici avec le quatrième Evangile (Ev. de Matth., XVI ; de Marc, VIII ; de Luc, IX), Jésus se retire vers le Nord du pays et, se trouvant sur le chemin de Césarée de Philippe, il pose à Pierre les deux questions : « Que disent les hommes que je suis ? » « et vous qui dites-vous que je suis ? » Il est décidé à rompre avec le Judaïsme et avec la théocratie ; le mot Eglise déjà prononcé paraît définitivement ; une communauté indépendante est fondée. Jusqu'ici il a surtout parlé du Royaume de Dieu ; désormais il prêchera d'abord sa propre personne ; il s'ouvrira davantage à ses disciples ; il les initiera à sa vie intérieure et spirituelle. Son ministère en Galilée est devenu impossible. Forcé de fuir les grands centres, il va jusqu'à Tyr et Sydon, mais il ne peut ni ne veut éviter une rencontre décisive avec ses adversaires. Il doit faire la volonté de son Père et il monte à Jérusalem (Ev. de Marc, VII, 24, 31, de Luc, IX, 51). Nous l'y trouvons cette année-là à la fête des Tabernacles (Ev. de Jean, VII, 1). Elle commençait le 15 de Thischri ; en l'an 29, ce jour se trouvait être le mardi 11 octobre. « Le dernier et le grand jour de la fête » (Ev. de Jean, VII, 37), fut soit le 19, soit le 20 octobre. Le samedi 15 tombait, en tous cas, au milieu et c'est ce jour-là que Jésus se montra à l'improviste dans le Temple (Ev. de Jean, VII, 14).
Il faut, sans doute, placer entre la fête des Tabernacles et celle de la Dédicace un certain nombre de faits rapportés par Luc, et qui ne trouvent pas leur place ailleurs, comme l'envoi des soixante-dix disciples. Pendant cette dernière année de sa vie, Jésus alla beaucoup çà et là, car il avait abandonné Capharnahum aussitôt après la crise de la foi des disciples et avant la fête des Tabernacles (Ev. de Luc, IX, 51). Les chapitres X, XI, XII, XIII, de Luc, doivent être approximativement placés dans l'automne de l'an 29. Cet Évangéliste a confondu en un seul voyage (IX, 51 (???)), les faits qui se sont passés pendant cette vie errante de toute une année.
La fête de la Dédicace, dont il nous est parlé ensuite (Ev. de Jean, X, 22), durait huit jours et commençait le 25 Kisleu (du 19 ou 20 Décembre au 27 ou 28 de l'an 29). Jean et Luc sont donc seuls à nous donner des renseignements sur les six mois qui s'écoulèrent d'Octobre 29 à Avril 30.
Après la fête, Jésus traverse le Jourdain et s'arrête. Nous ne savons rien des premiers mois de l'an 30 ; nous le trouvons un moment à Béthanie (Ev. de Jean, XI, 1-46), puis il se retire à Ephraïm, ville située entre Silo et Béthel, au nord de Jérusalem. Il retourne en Galilée, qu'il voit pour la dernière fois, et revient en Judée par la Pérée (Ev. de Matth., XIX, 1, de Marc, X, 1). C'était son dernier voyage, il passe à Jéricho, où il rencontre Zachée, et enfin arrive à Béthanie (Ev. de Jean, XII, 1-11). Le repas de Béthanie se date exactement du samedi 1er Avril 30 (9 Nisan, jour de sabbat et six jours avant la Pâque).
Nous voici à la dernière semaine. Le Dimanche 2 Avril, il entre solennellement à Jérusalem ; le soir il retourne à Béthanie (Ev. de Marc, XI, 11) ; c'est ce jour-là que l'agneau était choisi et mis à part pour la Pâque (Exode, XII). Les Synoptiques, ne racontant qu'un seul voyage à Jérusalem, placent ici un certain nombre de faits qui se sont passés certainement à d'autres époques : la purification du Temple, par exemple, à laquelle le quatrième Évangéliste assigne seul sa vraie date. Il en est de même, sans doute, des réponses aux Saducéens sur le divorce, aux Pharisiens sur l'impôt, à un Scribe sur le sommaire de la Loi.
On ne saurait dire avec certitude, le lundi 3, il fit telle et telle chose ; le mardi 4, telle autre ; un seul fait est hors de doute : il restait tout le jour au Temple et le soir il sortait de la ville et allait passer la nuit soit à Béthanie (Ev. de Marc, XI, 9) soit dans une des fermes du Mont des Oliviers. Il semble donc avoir pris quelques précautions pour sa sûreté pendant ces derniers. jours (voir Ev. de Jean, XII, 36). Il ne voulait ni éviter la mort puisqu'il ne retournait pas en Galilée, ni hâter sa venue, en se livrant lui-même à ses ennemis.
Ce fut sans doute le mardi, qu'assis sur le Mont des Oliviers, en face du Temple, il prononça ses paroles sur la fin du monde et sur la ruine de Jérusalem (Ev. de Matth., XXIV et XXV et parall.) ; puis il passa le mercredi à Béthanie. Le soir de ce jour le peuple détruisait le levain qui lui restait encore (Pesachim, ch. 1).
Le jeudi 13 ou 14 Nisan (6 avril 30) il envoie deux disciples préparer la Pâque. L'après-midi il entre à Jérusalem et monte chez un ami ; tout est prêt pour un dernier repas avec les apôtres.
Nous disons le 13 ou le 14 Nisan ; nous avons expliqué (Livre 1, chapitre XI) cette incertitude qui tient à l'imperfection du calendrier chez les Juifs. D'après les Synoptiques ce fut le 14, d'après Jean ce fut le 13. Ils sont inconciliables ; il faut choisir. Nous serions d'abord porté à croire qu'ici encore le quatrième Évangéliste a raison et que les Synoptiques se sont trompés d'un jour. La tradition talmudique est en effet d'accord avec Jean et place la date de la mort du Christ le 14 Nisan[25]. De plus, Jésus étant mort le 15 aurait été mis en croix le grand jour de la fête, ce qui est difficile à admettre ; on ne devait pas exécuter une sentence de mort à un moment aussi solennel. Simon de Cyrène, que l'on obligea de porter la croix, revenait des champs et on n'allait pas travailler aux champs (Ev. de Marc, XV, 21) le 15 Nisan.
Nous sommes donc tenté d'admettre que Jésus fut le 14, au moment où l'on immolait la Pâque et la mangeait, à l'heure même de la ..., le lendemain samedi fut le grand jour de la fête. Mais, dans cette hypothèse, une difficulté subsiste et elle est insurmontable. Jésus, ayant mangé la Pâque avec ses disciples le jeudi soir, aurait devancé de vingt-quatre heures la coutume de son peuple. Les textes des Synoptiques sont formels : il mangea la Pâque juive, puis il institua la Pâque chrétienne[26] ; Sans doute le fait que Jésus aurait devancé la coutume juive n'aurait rien d'impossible en soi, mais ce qui est absolument inadmissible c'est la préparation de la Pâque par deux disciples la veille du jour ordinaire, c'est-à-dire l'immolation de l'agneau au Temple faite par un prêtre vingt-quatre heures avant le moment fixé par la Loi et où tout le peuple sacrifiait. La cérémonie pascale à la date du 43 aurait été un sacrilège et elle n'est admissible à aucun titre ; il faut donc revenir à la première hypothèse. Jésus a été crucifié le 15, le grand jour de la fête ; ce qui est moins impossible qu'un sacrifice pascal le 13 Nisan[27].
Après avoir institué la Cène il prononça les paroles conservées dans le quatrième Evangile (Ch. XIV, XV, XVI, XVII). Vers minuit ils partent, traversent les rues silencieuses de Jérusalem, sortent de la ville par la porte des Brebis[28] et gagnent le torrent de Cédron et le Mont des Oliviers. Jésus passe par l'agonie de Gethsémané, il est arrêté et mené chez Hanan qui avait une maison au sommet de la colline[29].
Le vendredi 7, de grand matin, on le conduit à Jérusalem, à la demeure de Pilate, tout près de la tour Antonia. Il est jugé par le procurateur dans la salle pavée du rez-de-chaussée qui lui servait de prétoire, à côté du corps de garde. Il comparaît aussi devant Hérode Antipas, venu pour la fête et qui habitait probablement le magnifique palais de son père[30]. Condamné au supplice de la croix, Jésus est mené à l'Ouest de la ville, hors des murs. Il est crucifié avec deux autres condamnés dans un terrain vague, sur un tertre rond et dénudé, appelé le Crâne, non loin de la porte des Jardins et en face de la tour Hippicus.
Mis en croix à neuf heures, il meurt à trois heures après-midi.
Le soir même, avant six heures, son corps est descendu de la croix et déposé tout à côté dans un tombeau neuf creusé dans le rocher pour la famille de Joseph d'Arimathée.
Les autres dates de l'histoire évangélique sont faciles à calculer ; la résurrection se place le 9 avril, l'ascension le 18 mai et la première Pentecôte chrétienne le 28 mai de l'an 30.
[1] A une condition, toutefois : que l'on accepte l'autorité, sur le point, du quatrième Evangile ; ce que nous faisons. Les détails historiques qu'il renferme, les dates qu'il indique et, en particulier, la précision avec laquelle il classe les voyages de Jésus à Jérusalem sont, à notre avis, certainement authentiques.
[2] Le doute entre le 14 et le 15 subsiste en tous cas, car nous ne savons pas si le mois précédent (Adar) avait été cave ou plein. Voir sur les mois caves ou pleins Livre I, chapitre XI.
[3] M. Sabatier (Encyclopédie des sciences religieuses, art. Jésus-Christ), trouve cette recherche de la date par l'année où le 14 ou 15 Nisan est tombé sur un vendredi « très chanceuse. » Elle est, au contraire, d'une grande précision. Le calendrier des années du premier siècle, et, en particulier, de ces années-là, a été fait. Nous l'avons sous les yeux. Fixé par l'astronomie, il est d'une parfaite exactitude. Il faut remarquer toutefois que nous raisonnons comme si notre calendrier actuel, basé sur de rigoureuses données astronomiques, avait existé au premier siècle. Or il n'en était rien et nous avons montré au chapitre XI du livre 1 de cet ouvrage combien les calculs des Juifs étaient arbitraires ; cet arbitraire laisse toujours subsister un doute sur tout résultat chronologique, si évidemment exact qu'il puisse paraître.
[4] Ev. de Jean, II, 20.
[5] La fête dont il est parlé au chapitre V, verset I, n'est pas une Pâque ; nous le montrerons tout à l'heure.
[6] Les apôtres. Introduction., p. 1.
[7] Sept siècles de l'histoire judaïque, p. 267.
[8] On appelle ainsi l'ère vulgaire fixée par Denys-le-Petit, moine originaire de Scythie, mort vers 540. Il fixa le commencement de l'ère chrétienne à l'année 753 de Rome qu'il prit pour l'année de la naissance de Jésus-Christ ou « année de l'incarnation ». Or, les passages : Ev. de Luc. III, 1 et 2 et 23 montre qu'il faut commencer l'ère chrétienne plus tôt. Jésus était certainement déjà né en l'an 1er. Avant Denys-le-Petit, l'Eglise comptait les années à partir de la mort de Jésus-Christ.
[9] Chap. III, 1 et 23.
[10] Chap. II, 20.
[11] L'astronome Kepler a découvert qu'une conjonction de Jupiter et de Saturne s'était produite en 717 et s'est demandé s'il ne fallait pas voir dans ce fait étrange l'origine de l'histoire de l'étoile des Mages. Ce n'est qu'une hypothèse curieuse ; mais nous n'avons aucune preuve à l'appui.
[12] Luc, ch. II, 2.
[13] Actes V, 37.
[14] Ant. Jud., XVIII, 1, 1.
[15] Une inscription latine, découverte aux environs de Rome (l'inscription dite de Tibur) semble le prouver ; voir l'article intitulé Une inscription relative au recensement de Quirinius, par M. Wabnitz, Revue de théologie de Montauban, 1881-1882.
Voir aussi, sur le recensement de Quirinius : De censu Quiriniano, broch. in 8° ; Paris, par Lecoultre, 1883. L'auteur démontre que Luc a commis une erreur en plaçant sous Quirinius le recensement dont il parle. Cette erreur reste incompréhensible.
[16] Ev. de Matth., XXI, 3 ; IV, 25; XV, 1 ; XXII, 18 ; XXIII, 37 ; XXVII, 57 ; Ev. de Marc, VII, 1, etc., etc.
[17] Ev. de Jean, II, 23 ; VI, 4 ; XIII, 1.
[18] Nous avons cru longtemps qu'il s'agissait ici de la Pâque ; nous ne le pensons plus aujourd'hui.
[19] Ev. de Luc, VI, 1.
[20] Reuss. La Bible : Les Synoptiques, commentaire sur Luc, VI, 1 ; Revue de théologie de Lausanne, lettre de M. F. Chavannes, numéro d'octobre 1878.
[21] Ev. de Matth., II, 16 et suiv.
[22] Suivant que le mois précédent avait été cave ou plein.
[23] *** Voyez Actes des apôtres, ch. XVIII, 11 ; ***.
[24] Voir Livre 1, chapitre X : Les Vêtements.
[25] Talm. Babyl., Sanhédr., 43 a et 67 a.
[26] Jean, au contraire, passe sous silence et le repas de l'agneau pascal et l'institution de la Cène. Il y a là une difficulté que nous n'avons pas à résoudre ici.
[27] Voir chapitre XIII : Les Fêtes ; le Sacrifice pascal.
[28] Voir Livre I, chapitre II : Description de Jérusalem.
[29] Voir Id. Id. : Les environs de Jérusalem.
[30] Voir livre I, chapitre II : Les Palais.