Le nombre des sacrements n’est pas encore fixé, et la notion du sacrement n’est pas formulée d’une manière précise.
Quant au nombre des sacrements, on tend à le multiplier, au lieu de s’en tenir au baptême et à la Cène institués par Jésus-Christ. Le baptême se dédouble, et on en sépare la confirmation, en fondant cette distinction sur un trait de l’histoire de l’établissement du christianisme en Samarie (Actes 8.16). Plus tard, au ve siècle, apparaît le sacrement de la pénitence, dans lequel rentrent la confession et l’absolution du prêtre. Plus tard encore, le sacrement du mariage, par réaction contre le discrédit dans lequel le célibat des prêtres et des moines avait fait tomber le lien matrimonial. Enfin arrivent l’ordre, qui marque le prêtre d’un caractère sacré et indélébile, et l’extrême-onction, fondée sur une parole de l’épître de Jacques 5.14 : on y remplaça les malades, dont parle l’apôtre, par les mourants, auxquels on apporta le saint Viatique.
Quant à la notion qu’on s’en fait, le sacrement devient toujours plus un acte magique, par lequel se communique la grâce, quels que soient les sentiments intérieurs du fidèle. On tend vers la conception tout intérieure de l’opus operatum.
Malgré ce travail, le baptême et la sainte Cène, qui sont les deux seuls sacrements connus au ive siècle, restent, pendant toute cette période, les sacrements par excellence et gardent une situation hors de pair. Le baptême, qu’on administre aux petits enfants, est considéré comme absolument indispensable au salut. Il lave la tache originelle, procure le pardon des péchés et donne la régénération. La sainte Cène donne naissance à la messe, véritable sacrifice offert par le prêtre qui est un véritable sacrificateur. Déjà, dans la période précédente, l’idée de sacrifice s’était ajoutée à la notion de l’eucharistie. Cette idée l’emporte maintenant. Le pain devient la victime non sanglante — hostia, — offerte par le prêtre dans l’élévation, et cette oblation est le renouvellement, et non plus la commémoration, du sacrifice de Jésus-Christ sur la croix. Grégoire le Grand parle d’un quotidianum immolationis sacrificium (Moral, XXII, 26), et fixe le rituel de la messe (596).
Je relèverai seulement quelques changements dans la doctrine des choses finales, qui méritent d’être signalés.
1. — On ne retrouve plus, à partir du ive siècle, l’attente du retour immédiat de Jésus-Christ. L’ardeur inquiète et fiévreuse qu’engendrait la pensée de la parousie s’est calmée ; la doctrine du chiliasme s’efface et disparaît insensiblement. On s’en occupe fort peu et l’on a généralement cessé d’y croire. Cela vient sans doute de ce que, à la période des persécutions, a succédé la période de la paix et de la puissance. On n’aspire plus avec impatience après la destruction du monde et les gloires du retour et du règne de Jésus-Christ, depuis que l’Église est devenue puissante dans le monde et que de nouveaux horizons terrestres se sont ouverts devant elle.
Mais l’ancienne attente et l’ancienne foi au chiliasme reparaîtront, toutes les fois que les temps deviendront sombres et difficiles : ainsi, à l’époque des invasions barbares, à la fin du ive siècle et au siècle suivant ; ainsi encore au moyen âge, surtout en l’an 1000.
2. — L’ancienne doctrine du scheôl disparaît, ou plutôt se transforme en celle du purgatoire, qui exerce une grande influence sur les rites et les pratiques de l’Église. Cette transformation fut amenée par la fusion de deux idées, exprimées par Origène et par quelques autres Pères. La première est l’idée d’un feu purificateur qui doit, à la fin des choses, détruire le monde et consumer tout ce qui reste de matériel et de souillé dans le corps des ressuscités. La seconde, est l’idée du travail de perfectionnement qui se poursuit pour les rachetés, entre la mort et la résurrection, dans le troisième ciel, ou paradis, — lieu où habitaient les âmes avant la chute, et où vont les âmes croyantes après la mort. On mêla ces deux doctrines et on en fit la doctrine du purgatoire — purgatorium, purgatorius ignis, — lieu intermédiaire entre le ciel et l’enfer, où les âmes souffrent dans le feu des châtiments temporaires, afin d’expier leurs péchés et de se purifier assez elles-mêmes pour se rendre dignes du ciel.
Cette doctrine, ébauchée par Augustin, fut formulée par le pape Grégoire le Grand (590-604). Les martyrs et les saints — moines, anachorètes et ascètes de toutes sortes, — sont censés entrer directement dans le ciel. Les autres fidèles, morts en état de grâce, mais non pas encore purifiés de tout péché, vont dans le purgatoire. Leur temps de purification et d’épreuve peut être abrégé par les prières des vivants et la célébration de messes pour les morts. Enfin, les pécheurs impénitents vont directement dans l’enfer, lieu de tourment, où ils souffrent dans leur âme, en attendant le jour de la résurrection, qui leur rendra un corps propre à souffrir aussi. Et ces souffrances des réprouvés seront éternelles. Sur ce point particulier, l’origénisme est condamné.
Ainsi, il n’y a plus de scheôl, de lieu intermédiaire où vont tous les hommes — bons et méchants, — pour y attendre le jour de la résurrection, où se fera le partage définitif. La seule trace que l’Église en ait gardée, c’est sa doctrine des limbes, région intermédiaire entre le ciel et l’enfer, où vont les enfants morts sans baptême. Par une concession arrachée par le cœur à la logique, on ne les envoie pas en enfer. Dans les limbes vont aussi les païens dignes de miséricorde, et, d’après certains docteurs, c’est là qu’a eu lieu la prédication aux morts, mentionnée dans le symbole.
3. — La doctrine de la résurrection, du jugement, des peines et des récompenses futures, tend à revêtir une forme toujours plus matérielle. Dans la période précédente, nous avions constaté deux tendances sur ces questions, l’une réaliste, représentée surtout par Tertullien, l’autre spiritualiste, représentée par Origène. Désormais, c’est la première qui tend à prévaloir. L’opinion origéniste d’une spiritualisation des corps, qui en transforme la substance sans en changer la forme, est condamnée au commencement du ve siècle. Augustin reprend l’opinion de Tertullien, et développe avec beaucoup de détail la doctrine de la résurrection de cette même chair — resurrectio hujus carnis. — Et cette conception est demeurée la doctrine officielle de l’Église, qui l’a inscrite dans le symbole. Les questions les plus curieuses et les plus indiscrètes sont agitées à ce sujet. De même, pour ce qui regarde le jugement dernier, les peines et les récompenses à venir, on adoptait les théories les plus réalistes. On plaçait le jugement sur la terre, dans la vallée de Josaphat, et l’on décrivait avec complaisance les supplices des damnés, et les jouissances des élus.