Genèse ch. 22 (Hébreux 11.17-19)
Dieu en agit d’une manière bien mystérieuse avec son serviteur. Il le soumet à une épreuve qui paraît inexplicable pour la raison. Abraham avait déjà été conduit par des voies sévères, et sa foi avait passé par de dures épreuves. Il avait d’abord dû quitter sa famille et partir, sans savoir où il allait. Puis, il avait dû parcourir le pays de la promesse comme une terre étrangère, sans en posséder même la moindre parcelle. Enfin, il avait dû attendre le fils promis, jusqu’au moment où tout espoir de le voir naître semblait évanoui. Maintenant il est né, ce fils unique, tant désiré et tant aimé, sur lequel repose toute l’espérance d’Abraham et même de l’humanité ; une nouvelle épreuve, plus cruelle que toutes les autres, est réservée au patriarche. « Prends Isaac, ton unique, celui que tu aimes, et va au pays de Morija, et là, offre-le en holocauste sur la montagne que je te dirai. » Ainsi ce jeune homme, désigné pour posséder un jour la Terre-Sainte, par lequel toutes les familles de la terre doivent être bénies, à la conservation duquel est liée l’apparition du Sauveur du monde, et dont la postérité doit être pareille aux étoiles du ciel, cet Isaac, — son propre père devra l’égorger comme un agneau et le consumer sur l’autel, et il ne restera plus rien de lui qu’une poignée de cendres ! Voilà l’épreuve à laquelle nulle autre ne peut être comparée, excepté celle que le Fils de Dieu lui-même a traversée ici-bas. Elle est terrible, d’abord parce qu’un sacrifice pareil fait infiniment plus mal au cœur du père que si lui-même devait souffrir dix fois la mort, puis parce qu’en entendant l’ordre de Dieu, Abraham doit nécessairement croire que l’Eternel a quelque chose de grave à lui reprocher : selon toutes les apparences, Dieu a renié ses promesses et l’a totalement rejeté à cause de son indignité. Ses fautes, sans doute, lui reviennent en ce moment à la mémoire ; sa conscience le trouble ; Satan, l’accusateur, l’assaille pour arracher de son cœur toute consolation et toute espérance. Nous l’avons dit, les épreuves de Jésus seules ont été plus cruelles. Dans ces trois jours du voyage de Béerséba à Morija, Abraham a dû souffrir davantage en son âme que le juste Job dans ses longues et multiples épreuves. Oh ! combien rudement Dieu traite parfois ses enfants !
Et cependant, il est l’éternel et parfait amour ; ses coups eux-mêmes sont l’œuvre de sa sagesse et de sa bonté. « Dieu tenta Abraham, » est-il écrit. » Dieu ne tente personne », dit d’autre part saint Jacques (Jacques 1.13). Dieu ne nous tente pas comme la convoitise, le monde, le Malin nous tentent, dans le dessein de nous faire tomber et de nous perdre ; mais il éprouve ses enfants, dans l’intention de les fortifier pendant l’épreuve et de les récompenser ensuite en leur donnant la couronne de vie. Sans de telles épreuves, ils ne pourraient parvenir à la félicité et à la gloire qu’il leur a destinées.
Ce qui est tout à fait extraordinaire dans l’épreuve d’Abraham, c’est que le Seigneur exige de lui une chose qu’il ne peut même avoir la pensée de réclamer, puisqu’un tel sacrifice serait à la fois absolument contraire au commandement de Dieu et à la promesse qui repose sur Isaac. Les habitants de Canaan brûlaient leurs enfants en l’honneur de Moloch [note 24] ; ils sacrifiaient leurs fils et leurs filles aux démons (Lévitique 18.21 ; 20.2-5 ; 2 Rois 23.10 ; Psaumes 106.37). Le roi de Moab, assiégé et désespérant de la victoire, prend son fils aîné, son héritier, et le sacrifie en holocauste sur la muraille (2 Rois 3.27). Les Juifs imitaient ces affreux exemples et pensaient peut-être honorer l’Eternel en lui offrant des sacrifices aussi grands et aussi horribles que ceux des païens à leurs idoles. Mais Dieu s’en indigne. « Ils ont fait ce qui est mal à mes yeux, et ils ont brûlé leurs fils et leurs filles au feu, ce que je n’avais point ordonné et ce qui ne m’était point venu à la pensée » (Jérémie 7.30-31). Pourquoi donc commander ici la même chose à Abraham ? Ce n’est point la volonté de Dieu qu’Isaac soit sacrifié. « Ne mets pas ta main sur l’enfant et ne lui fait point de mal ! » Voilà sa volonté. Le Seigneur parle donc à Abraham autrement qu’il ne pense en son cœur ; il se montre dur dans ses exigences, et cependant il a de tout autres pensées. Jésus aussi se montre dur envers la femme cananéenne ; il a compassion et ne demande qu’à lui venir en aide ; mais il lui cache ses sentiments. Les disciples eux-mêmes ne comprennent rien à sa conduite. Mais quand la femme persiste à croire à sa miséricorde et à sa puissance, à demander et à espérer, il finit par laisser paraître les vrais sentiments de son cœur, et il accorde le secours (Matthieu 15.21-28). La foi de cette femme est ainsi éprouvée et purifiée, et, le combat fini, le secours lui arrive d’autant plus magnifique, et sa reconnaissance en est d’autant plus grande. De même, Dieu cache pour un temps à Abraham sa face qui est toute amour. Mais la foi et l’obéissance du patriarche sont par là rendues parfaites ; il prouve par un acte qu’il n’est pas de sacrifice qu’il ne puisse accomplir par amour pour Dieu ; il est rendu digne d’hériter les plus grandes promesses, et il remporte une couronne qu’il n’aurait jamais obtenue sans cette épreuve (Jacques 2.21-22).
Cette mystérieuse dispensation avait un autre but encore : celui de produire un type du plus grand et du seul parfait sacrifice. Considérons de près le combat qui se livre dans l’âme d’Abraham, et comment, dans ce combat, il a remporté la victoire. Dieu réclame de lui ce qu’il a de plus cher. Il ne lui demande pas seulement de renoncer au fils qu’il aime, mais de le tuer de sa propre main. Il n’est pas possible d’exprimer ce qu’a dû ressentir son cœur de père, obligé de porter seul ce lourd fardeau, car il ne pouvait ouvrir son cœur et demander de consolation à personne, à Sara moins qu’à tout autre : elle n’aurait pu supporter ce coup et lui aurait rendu le fardeau plus lourd encore. Impossible de rien communiquer non plus aux deux serviteurs qu’il prenait avec lui pour le voyage. Lorsqu’enfin, seul avec Isaac, il monte la colline, et que celui-ci demande avec sa candeur enfantine : « Voici le feu et le bois ; mais où est la bête pour l’holocauste » — comme le cœur du père doit saigner, et quel moment pour lui, lorsqu’après avoir construit l’autel et rangé le bois, il se tourne tout à coup vers son fils, lie et couche sur le bûcher l’enfant effrayé, tremblant et pourtant obéissant ! Voilà ce que fait Abraham par obéissance à la voix de Dieu, — non dans un sombre désespoir, avec une résignation morne à un sort inévitable, mais dans une foi filiale en Celui qui lui a fait la promesse : « C’est en Isaac que ta postérité sera appelée de ton nom ; c’est par lui que toutes les familles de la terre seront bénies ! » Sa confiance dans la véracité, l’amour, la fidélité de Dieu ne chancelle pas ; il a la persuasion absolue que ce que Dieu a promis, il peut le faire, et il le fera.
Mais comment est-il possible qu’il persévère dans cette assurance alors que déjà il étend la main et prend le couteau pour égorger son Isaac ? L’apôtre le fait pressentir en nous permettant de lire dans son cœur : « C’est par la foi qu’Abraham offrit Isaac, lorsqu’il fut éprouvé et qu’il offrit son fils unique, lui qui avait reçu les promesses ; ayant pensé en lui-même que Dieu est puissant, même pour ressusciter les morts ; aussi le recouvra-t-il par une sorte de résurrectiona » (Hébreux 11.17-19). Abraham, déchiré, luttant, priant, se disait en son cœur : Dieu a promis le salut par ce fils ; il demande maintenant sa mort ; il peut et veut donc le ressusciter des morts et lui rendre la vie. Ce qui me concerne, c’est d’obéir au Seigneur ; réaliser sa promesse est l’affaire de Dieu, et il le fera, car il est fidèle et tout-puissant ; il réveillera mon Isaac de la mort !
a – Littéralement : « en figure. »
Dans la situation où se trouvait Abraham, rien autre ne pouvait le soutenir encore que l’espérance de la résurrection. C’est cette espérance qu’il retint fermement, et elle fut sa force, bien qu’à ce moment-là personne ne fût encore ressuscité. Nous, nous voyons Jésus ressuscité à la droite de Dieu, et nous l’entendons nous dire : « Je vis, et vous vivrez aussi. J’ai été mort, et je suis vivant aux siècles des siècles » (Jean 14.19 ; Apocalypse 1.18). Nous savons qu’il ressuscitera les siens. Abraham n’avait pas ce point d’appui pour sa foi, cette ancre de l’espérance qui pénètre jusque dans le Saint des saints. Il n’avait que la parole : « C’est en Isaac que je te bénirai. » Et cette parole lui a suffi pour donner gloire à Dieu.
C’est ainsi que Dieu conduit ses enfants dans tous les temps et aujourd’hui encore. Il les place dans des situations où ils n’ont plus d’autre soutien et d’autre espoir que lui, qui vivifie les morts. Ainsi Paul, lorsqu’à Ephèse il est en danger de mort et doit s’attendre à être déchiré par la foule furieuse. « Cela est arrivé, dit-il (2 Corinthiens 1.8-10), afin que nous n’eussions point de confiance en nous-mêmes, mais en Dieu, qui ressuscite les morts et qui nous a délivrés d’un si grand danger de mort et nous en délivre ; et nous avons cette espérance en lui, qu’il nous délivrera encore dans la suite (c’est-à-dire au jour de la glorieuse résurrection). » Cette confiance en Dieu est notre force. La promesse de la résurrection est ce bâton dont parle le psalmiste (Psaumes 23.4). Il est impossible de servir Dieu fidèlement sans la foi en Celui qui ressuscite les morts ; car il s’agit d’exécuter ses ordres, alors même qu’il devrait nous en coûter la vie. Si nous n’avions d’espérance en Christ que pour cette vie seulement, nous serions bien à plaindre en comparaison des autres hommes ; les serviteurs de Dieu, dans les derniers temps surtout, ne doivent pas compter voir en ce monde les fruits de leur travail et la récompense de leur foi. « Voici, il vient, et son salaire avec lui » (Ésaïe 40.10). Ceux qui sont à Christ, entendront la voix du bon Berger (Jean 5.25) ; ils le suivront ; il les rassemblera auprès de lui, et récompensera leur foi. Si Abraham a pu avoir et conserver cette espérance en Dieu, ce n’est pas trop réclamer de nous, que, sous ce rapport aussi, nous marchions sur les traces de sa foi.