Le pays de Beulah ! – Christiana reçoit un message touchant son prochain départ. – Elle adresse un discours d’adieux à chacun de ses compagnons.
Après cela, je remarquai qu’ils continuaient leur chemin jusqu’à ce qu’ils arrivèrent au pays de Beulah où l’on jouit de la clarté du soleil, la nuit aussi bien que le jour. Ici, ils s’arrêtèrent quelque temps pour se reposer parce qu’ils étaient abattus par la fatigue. Cette contrée n’était plus une terre étrangère pour les pèlerins, et parce qu’il y avait là des vergers et des vignes qui appartenaient au Roi de la cité céleste, ils pouvaient user librement de tout ce qui leur faisait plaisir. Le temps qu’ils consacrèrent au repos, ne fut pas long, car le bruit des cloches et des trompettes qui sonnaient continuellement, leur ôtait toute envie de dormir. Mais ce n’était pas pour eux un bruit désagréable, et ils s’en trouvèrent tout aussi bien que s’ils avaient joui d’un long et profond sommeil. Il y avait parmi les habitants de la Cité des voix sans nombre qui produisaient l’effet d’une musique sacrée. L’un des assistants aurait crié : Voici encore des pèlerins qui arrivent, à quoi un autre répondait : Il y en a un bon nombre qui ont passé aujourd’hui le grand fleuve et sont entrés par la Porte-d’or. – Ah ! Ah ! s’écriait un troisième, encore une légion de rayonnants qui viennent de descendre aux portes de la ville, d’où je conclus que d’autres pèlerins sont au bout de leur carrière ; car, les voilà qui vont à leur rencontre jusqu’aux frontières de ce pays, pour les consoler de toutes leurs angoisses à leur dernière heure.
Là-dessus, les pèlerins se levèrent et se mirent à se promener de long en large. Il faut vous dire qu’en ce moment leurs oreilles étaient comme ravies par le charme de toutes ces voix harmonieuses, et leurs regards s’animaient de la beauté des visions célestes. Ici, ils n’entendaient rien, ils ne voyaient rien, ne sentaient rien, ne goûtaient rien, ne respiraient rien qui ne leur fût salutaire ; cependant, lorsqu’ils en vinrent à goûter l’eau du fleuve qu’ils devaient traverser, ils trouvèrent qu’elle était amère au palais ; mais bientôt après, ils reconnurent que cette eau était douce à l’estomac.
Il y avait en cet endroit un registre bien tenu où étaient inscrits les noms de ceux qui allèrent autrefois en pèlerinage, ainsi que la somme de leurs grands exploits. C’est là aussi que les voyageurs avaient l’habitude de s’entretenir relativement au passage du fleuve. L’on rapporte que quelques-uns ont été favorisés par les courants, tandis que d’autres ont été refoulés sur les bords. Il y en a plusieurs qui ont pu le traverser presque à pied sec, et d’autres qui y sont entrés lorsqu’il débordait de tous côtés.
Dans cette contrée, des enfants de la ville allaient cueillir dans les jardins du Roi, des bouquets pour les pèlerins, et les leur présentaient ensuite d’une manière affectueuse. C’est là que croissent « le nard et le safran, la canne odoriférante, et le cinnamome, avec tous arbres d’encens ; la myrrhe, et l’aloès, avec tous les principaux parfums aromatiques. » (Cant. 4.14 : Le nard et le safran, le roseau odorant et le cinnamome, avec tous les arbres qui donnent de l’encens ; la myrrhe et l’aloès, avec tous les plus excellents aromates ;) Les pèlerins avaient coutume de se servir de toutes ces choses pour parfumer leur chambre, et pour oindre leur corps, afin de se préparer ainsi à passer le fleuve quand leur temps serait venu.
Or, tandis qu’ils laissaient couler tranquillement leurs jours dans cette plage, attendant l’heure désirée, le bruit courut dans la ville qu’un messager parti de la cité céleste, venait d’arriver, et qu’il était question d’affaires de grande importance concernant Christiana, la femme de Chrétien le pèlerin. C’est pourquoi on alla la prévenir, et le messager, après s’être informé du lieu de sa demeure, lui apporta une lettre à son adresse dont voici la teneur : « Je te salue, bienheureuse femme ! Je viens t’annoncer que le Maître veut t’appeler à lui, et qu’il compte te voir paraître en sa présence avec des habits d’immortalité, dans une dizaine de jours. » Dès qu’il eut fini de lui lire cette lettre, il lui donna des preuves comme quoi il était bien véritablement envoyé auprès d’elle pour l’avertir à se tenir prête. A cet effet, il lui donna une flèche trempée dans l’amour qui pénétra facilement dans son cœur, et y opéra graduellement de manière à la convaincre de la vérité de son prochain départ.
Quand donc Christiana eut compris que son heure était venue, et qu’elle était de toute la compagnie celle qui devait partir la première, elle appela son guide, M. Grand-Cœur, pour lui dire ce qu’il en était. Ce dernier lui répondit qu’il était fort content d’apprendre cette nouvelle, et qu’il en était tout autant réjoui que si le message avait été pour lui. Elle le pria ensuite de procéder aux arrangements nécessaires pour son départ, et exprima ainsi ses dernières volontés : « Je veux que ces choses se fassent de telle et telle manière, et désire que vous, mes survivants, m’accompagniez jusqu’au bord du fleuve. »
Après cela, elle appela ses enfants, leur donna sa bénédiction et leur dit que c’était pour elle une consolation de voir la marque qu’ils portaient au front, qu’elle était heureuse de les voir en ce moment réunis autour d’elle, et de ce qu’ils avaient gardé leurs vêtements blancs.
Sa tâche étant finie de ce côté-là, elle fit appeler Vaillant-pour-la-Vérité : Monsieur, lui dit-elle, vous vous êtes toujours conduit fidèlement ; soyez fidèle jusqu’à la mort, et mon Souverain vous donnera la couronne de vie. Je voudrais vous supplier en même temps d’avoir l’œil sur mes enfants, et s’il vous arrive quelquefois de les voir faibles ou languissants, parlez-leur selon leur cœur. Mes filles, les femmes de mes fils, ont été fidèles, et la promesse qui doit s’accomplir sera leur récompense. Elle donna ensuite une bague à Demeure-Ferme.
Elle fit encore appeler Franc auquel elle dit en le regardant : « Voici vraiment un Israélite en qui il n’y a point de fraude ! »
— Je vous souhaite un heureux départ pour la montagne de Sion, répliqua M. Franc. J’aurais beaucoup de plaisir à vous voir traverser le fleuve à pied sec.
— Que ce soit à pied sec ou sous les eaux dit-elle, il me tarde de partir ; car, quelque temps qu’il fasse, j’aurai toujours le loisir de m’asseoir, de me reposer et de m’essuyer quand je serai là-haut.
Vint ensuite le pauvre Clocheur pour recevoir ses adieux. C’est ainsi que lui parla Christiana : Ta course a été jusqu’ici bien pénible ; mais à la fin ton repos n’en sera que plus doux. Néanmoins, tu dois veiller et te tenir prêt, car le messager viendra à l’heure que tu n’y penseras point. (Matt. 24.50 : Le maître de ce serviteur-là viendra au jour qu’il ne s’y attend pas, et à l’heure qu’il ne sait pas,)
Après lui vinrent M. Défaillant et madame Frayeur, sa fille : Vous devez toujours vous souvenir, avec reconnaissance, leur dit-elle, de la circonstance où vous fûtes délivrés d’entre les mains du géant Désespoir et du château du Doute. Il est résulté de cette merveilleuse délivrance que vous êtes venus jusqu’ici en sûreté. Soyez toujours dans la vigilance et bannissez la crainte ; soyez sobres, et espérez parfaitement jusqu’à la fin. (1Thess. 5.6 : Ne dormons donc pas comme les autres, mais veillons et soyons sobres.) ; (1Pier. 1.13 : C’est pourquoi, ayant ceint les reins de votre entendement, étant sobres, espérez parfaitement en la grâce qui vous sera apportée à la révélation de Jésus-Christ.)
Elle dit ensuite à l’Esprit-abattu : Toi qui as failli être la proie du géant Ennemi-du-Bien, ta délivrance s’est ainsi opérée afin que tu pusses vivre à toujours en la lumière des vivants, et que tu eusses pareillement la consolation de voir le Roi. Mais je te conseille de t’humilier de cette disposition qui te porte à craindre et à douter de la bonté de ton Souverain, de peur que tu n’aies ensuite à rougir en sa présence quand il paraîtra.