Saint Irénée a dû naître vers l’an 135-140 à Smyrne ou dans les environs de cette ville. Polycarpe en était alors évêque et, de bonne heure, le jeune Irénée écouta ses instructions et recueillit ses paroles. La profonde impression qu’il en conserva prouve qu’il fut, sinon un disciple proprement dit, du moins un auditeur assidu et réfléchi du vieil évêque. Il aimait plus tard à faire appel à son autorité. Mais du reste, Polycarpe ne fut pas le seul maître qui l’instruisit. Outre Polycarpe, Irénée mentionne souvent des « presbytres » asiates avec qui il avait conversé et dont il rapporte les enseignements.
Nous ignorons à quelle époque et par suite de quelles circonstances Irénée quitta l’Asie et vint en Gaule. Ce que nous avons dit prouve seulement qu’à ce moment il avait atteint à peu près l’âge d’homme et que sa formation intellectuelle et religieuse était achevée. En 177 nous le trouvons à Lyon, prêtre de l’Église dont saint Pothin était évêque. Il est délégué par les martyrs lyonnais encore dans les fers pour porter à Rome, au pape Éleuthère, une lettre relative aux affaires du montanisme : une lettre spéciale le recommandait lui-même comme « un zélateur du testament du Christ ». Peut-être Irénée dut-il à ce voyage d’échapper à la rage des persécuteurs. Quoi qu’il en soit, en 177 ou 178, il succédait à saint Pothin sur le siège de Lyon. De son activité épiscopale trois circonstances surtout sont connues : il combattit le gnosticisme ; il travailla à l’évangélisation des contrées voisines de Lyon ; il intervint, vers l’an 190-191, auprès du pape Victor dans la question de la Pâque, pour maintenir la paix entre Rome et les Églises d’Asie. Sa mort est mise communément en l’an 202-203. L’Église l’honore comme martyr. Il est bien remarquable cependant que saint Jérôme est le premier, dans son commentaire sur Esaïe écrit entre 408-410, à lui donner ce titre. On explique le silence des auteurs anciens par le peu de relief qu’aurait eu la mort violente d’Irénée, enveloppé, sous Septime Sévère, dans un massacre général des chrétiens lyonnais.
Il reste de saint Irénée deux ouvrages complets et quelques fragments d’ouvrages disparus.
Le premier ouvrage complet est le traité Contre les hérésies dont le vrai titre est La fausse gnose démasquée et réfutée (Ἔλεγχος καὶ ἀνατροπὴ τῆς ψευδωνύμου γνώσεως). On a perdu la plus grande partie du texte grec original, mais il en subsiste une ancienne version latine très littérale et des morceaux de traductions arménienne et syriaque. L’Adversus haereses comprend cinq livres dont l’auteur a composé et envoyé au destinataire d’abord les deux premiers, puis le troisième et le quatrième et enfin le cinquième. Lorsque Irénée écrivait le troisième, Éleuthère (174-189) était pape (3.3.3) et l’Église était en paix : d’où l’on conclut que les trois premiers livres se placent entre les années 180-189 ; les deux autres peuvent être plus récents et dater, à la rigueur, du pontificat de Victor (189-198) ; mais ils peuvent très bien aussi avoir été composés plus tôt et avoir précédé la mort d’Éleuthère.
Irénée avait écrit son ouvrage pour répondre au désir d’un de ses amis, peut-être un évêque, qui lui avait demandé un exposé des erreurs des hérétiques qu’il connaissait mal. Dans le plan primitif de l’auteur, cet ouvrage devait être fort court, mais peu à peu, sous sa plume, la matière s’est étendue. Le livre premier démasque (ἔλεγχος), en en faisant un exposé exact, les erreurs des diverses sectes gnostiques. Du système de Ptolémée, qu’il avait d’abord principalement en vue, l’évêque de Lyon a passé aux autres formes du valentinianisme, et du valentinianisme aux autres formes de la gnose. Les livres 2 à 5 contiennent la réfutation (ἀνατροπή). Dans le deuxième, l’auteur fait appel surtout à la dialectique et aux preuves de raison : il montre l’absurdité des conceptions et l’inanité des arguments de ses adversaires. Dans le troisième — le plus important —, il s’appuie sur la tradition. La règle de la foi se trouve dans l’enseignement des apôtres inaltérablement conservé par l’Église.
Or cet enseignement de l’Église et des apôtres contredit celui des gnostiques. Au livre quatrième, la démonstration est reprise « par les paroles de Jésus-Christ » (per Domini sermones) ; mais dans ces paroles de Jésus-Christ Irénée comprend aussi les enseignements de l’Ancien Testament, puisque c’était toujours le Verbe qui s’exprimait par les écrivains sacrés. Aussi s’applique-t-il dans ce livre à mettre en lumière, contre les marcionites, l’unité d’origine des deux Testaments. Enfin le livre cinquième, sans apporter un nouveau genre de preuves, traite surtout de la question des fins dernières que l’auteur avait négligée dans les livres précédents. L’ouvrage entier se termine par quelques lignes sur l’harmonie du plan divin dans l’humanité.
Le traité Contre les hérésies est, au point de vue théologique, une œuvre capitale, et d’une portée qui dépasse de beaucoup la question particulière du gnosticisme. On peut dire que, par les principes qu’il y pose sur l’autorité doctrinale de l’Église et de l’Église de Rome en particulier, l’auteur réfute par anticipation toutes les hérésies. Dans l’exposé qu’il fait des systèmes gnostiques, saint Irénée se montre sincère et bien informé, encore qu’il n’ait pas toujours tenu compte de l’âge exact de ses documents. Dans la réfutation, sa dialectique est souple et nerveuse. C’était un esprit clair, précis, à qui les abstractions prétentieuses de ses adversaires n’en imposaient pas, et qui prend un malin plaisir à en mettre à nu le ridicule. Son style simple et facile ne paraît, dans la traduction latine, long et embarrassé que par suite de la fidélité excessive de cette traduction à se calquer sur la phrase originale. L’évêque de Lyon, au début de son livre (i, Préf., 3), exprime la crainte que l’habitude où il est de parler le celtique n’influe sur sa manière d’écrire le grec. Il ne semble pas que cette crainte se soit réalisée.
Le second traité entièrement conservé de saint Irénée est la Démonstration de la prédication apostolique (ἐπίδειξις τοῦ ἀποστολικοῦ κηρύγματος), retrouvée récemment dans une traduction arménienne très littérale du viie ou du viiie siècle. L’ouvrage, qui est postérieur à l’Adversus haereses, est adressé à un ami de l’auteur nommé Marcien. Il contient d’abord un exposé des principaux dogmes chrétiens, puis une démonstration, par les prophéties, de la vérité de ces dogmes. C’est une petite apologie à l’usage des fidèles ; mais saint Irénée n’y sort pas d’ailleurs du cadre des idées qu’il a développées dans le traité contre les hérésies.
Parmi les écrits de l’évêque de Lyon dont on n’a que des fragments, il faut mettre d’abord une lettre à Florin Sur la monarchie ou sur ce que Dieu n’est pas l’auteur du mal. Ce Florin, qui avait suivi avec Irénée, en Asie, les leçons de Polycarpe, était passé à la gnose. Dans le fragment conservé, saint Irénée lui rappelle les enseignements de leur commun maître (Eusèbe, H. E., 5.20.4-7).
L’hérésie de ce même Florin fut de plus l’occasion pour saint Irénée d’écrire un traité De l’ogdoade, dont Eusèbe a rapporté la clause finale (H.E., 5.20.1-2), et peut-être une lettre au pape Victor dont il s’est conservé un fragment.
Signalons encore avec Eusèbe une lettre à Blastus Sur le schisme (H. E., 5.20.1 ; cf. 5.15) ; « un livre très court et tout à fait utile contre les Grecs intitulé De la science » (une apologie probablement, 5.26) ; un recueil de Discours divers (ibid.), et enfin, à l’occasion de la question pascale, des lettres au pape Victor et à d’autres évêques (H.E., 5.23.3 ; 24.11-18). Les Discours sur la foi à Demetrius, diacre de Vienne, dont il reste cinq citations, sont d’authenticité douteuse. Les quatre fragments dits de Pfaff sont certainement un faux.