Chapitre 24 :
Mais le premier jour de la semaine, quand il faisait encore obscur, elles vinrent vers le sépulcre, portant les aromates qu’elles avaient préparés. Mais elles trouvèrent la pierre roulée du sépulcre, et, étant entrées, elles ne trouvèrent point le corps. Et il arriva que, pendant qu’elles ne savaient qu’en penser, voici deux hommes se présentèrent, vêtus d’un habit étincelant ; et tandis qu’elles étaient effrayées et qu’elles abaissaient leurs visages vers la terre, ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui vit ? Il n’est pas ici, mais il est ressuscité. Souvenez-vous comment il vous parlait, étant encore en Galilée, lorsqu’il disait du Fils de l’homme : Il faut qu’il soit livré entre les mains des hommes pécheurs et qu’il soit crucifié et qu’il ressuscite le troisième jour. Et elles se souvinrent de ces paroles. Et s’étant éloignées du sépulcre, elles annoncèrent toutes ces choses aux onze et à tous les autres. Marie-Madeleine, Jeanne, Marie, mère de Jacques, et les autres qui étaient avec elles, dirent ces choses aux apôtres. Et ces choses leur parurent comme du radotage et ils n’en croyaient pas les femmes. Mais Pierre, s’étant levé, courut au sépulcre et, s’étant baissé, il vit les bandelettes seules et il s’en retourna, s’étonnant en lui-même de ce qui était arrivé.
Et voici deux d’entre eux se rendaient le même jour dans un village éloigné de soixante stades de Jérusalem et nommé Emmaüs, et ils causaient ensemble de tous ces événements. Et il arriva, tandis qu’ils causaient et discutaient, que Jésus lui-même, s’étant approché, cheminait avec eux. Mais leurs yeux étaient offusqués de manière à ne pas le reconnaître. Et il leur dit : Quels sont ces discours que vous échangez entre vous, en marchant tout attristés ? Et l’un d’eux, appelé Cléopas, lui dit : Es-tu le seul qui habites Jérusalem et qui n’aies pas eu connaissance des choses qui s’y sont passées ces jours-ci ?
Et il leur dit : Lesquelles ? Mais ils lui dirent : Celles qui concernent Jésus, le Nazaréen, qui fut un prophète puissant en œuvre et en parole devant Dieu et devant tout le peuple : comme quoi nos grands-prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié. Pour nous, nous espérions qu’il était celui qui doit racheter Israël. Mais avec tout cela, voici le troisième jour depuis que ces choses ont eu lieu. Il est vrai que quelques femmes d’entre nous, nous ont stupéfiés : car s’étant rendues de grand matin au sépulcre, et n’ayant pas trouvé le corps, elles sont venues nous dire qu’elles avaient même vu une apparition d’anges, qui disent qu’Il vit. Et quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre et l’ont trouvé comme les femmes l’ont dit, mais quant à lui, on ne l’a pas vu.
Et lui-même leur dit : O hommes sans intelligence et dont le cœur est lent à croire tout ce dont ont parlé les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses et qu’il entrât dans sa gloire ? Et ayant commencé depuis Moïse et depuis tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Et ils approchèrent du village où ils allaient, et lui, feignit d’aller plus loin, et ils le contraignirent, disant : Reste avec nous, car voici le soir et le jour a déjà baissé. Et il entra pour rester avec eux. Et il arriva, comme il était à table avec eux, prenant du pain, il rendit grâces et l’ayant rompu, il le leur distribua. Mais leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent ; alors il devint invisible et les quitta. Et ils se dirent l’un à l’autre : Notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous à la manière dont il nous parlait en chemin, dont il nous expliquait les Écritures ?
Et s’étant levés sur l’heure même, ils retournèrent à Jérusalem et ils trouvèrent réunis les onze et ceux qui étaient avec eux, disant : Le Seigneur est réellement ressuscité et il s’est fait voir à Simon. Et eux-mêmes racontaient ce qui leur était arrivé en chemin et comment ils l’avaient reconnu, lorsqu’il avait rompu le pain.
Tandis qu’ils parlaient ainsi, lui-même se présenta au milieu d’eux et leur dit : Que la paix soit avec vous ! Mais saisis de crainte et d’épouvante, ils s’imaginaient voir un esprit. Et il leur dit : Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi des perplexités montent-elles dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds, car c’est bien moi-même. Touchez-moi et voyez, car un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. Et en disant cela il leur montra ses mains et ses pieds. Et comme de joie ils doutaient encore et étaient tout étonnés, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? Or ils lui servirent une portion de poisson rôti et un morceau de rayon de miel. Et en ayant pris, il mangea devant eux.
Puis il leur dit : Ce sont ici les paroles que je vous ai adressées pendant que j’étais encore avec vous, vous disant qu’il fallait que fussent accomplies toutes les choses écrites à mon sujet dans la loi de Moïse et dans les prophètes et dans les psaumes. Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures. Et il leur dit : C’est ainsi qu’il a été écrit que le Christ souffrirait et qu’il ressusciterait des morts le troisième jour et que la repentance et la rémission des péchés seraient prêchées en son nom à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. C’est vous qui êtes témoins de ces choses et voici, j’envoie sur vous la promesse de mon Père ; mais pour vous, demeurez dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de puissance d’en haut.
Et il les conduisit dehors jusque vers Béthanie, et ayant élevé les mains, il les bénit. Et il arriva que pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’avec eux, et il était enlevé au ciel, et eux, après s’être prosternés, retournèrent à Jérusalem avec une grande joie, et ils étaient constamment dans le temple, louant et bénissant Dieu.
St. Luc ne nomme que trois des saintes femmes. Il nomme, comme Matthieu et Marc, Marie-Madeleine et Marie, mère de Jacques ; il ne mentionne pas, avec Marc, Salomé, mais il est seul à parler de Jeanne, et après avoir parlé de Marie-Madeleine, de Marie, mère de Jacques, et de Jeanne, il ajoute : et les autres qui étaient avec elles. Salomé peut être rangée dans cette catégorie. Il y avait donc plus de quatre femmes se rendant au sépulcre dès l’aube.
Comme Marc, Luc raconte que quand elles arrivèrent au sépulcre, elles trouvèrent la pierre roulée. Mais tandis que d’après Marc, il semblerait qu’aussitôt qu’elles furent entrées dans le sépulcre, elles virent un ange, Luc dit positivement : Et étant entrées, elles ne trouvèrent point le corps. Et il arriva que pendant qu’elles ne savaient qu’en penser, voici deux hommes se présentèrent…
A mesure que nous avançons dans notre étude et que nous recueillons plus de détails, à mesure aussi, comme il fallait nous y attendre, nous distinguons des intervalles qui d’abord n’apparaissaient point. Tandis que, d’après Matthieu, les femmes semblaient avoir vu l’ange aussitôt après leur arrivée au sépulcre, nous voyons, d’après Marc, qu’avant de voir l’ange, elles trouvèrent la pierre roulée et entrèrent dans le sépulcre, et d’après Luc, qu’après y être entrées, elles constatèrent que le corps n’y était pas et qu’il y eut un instant pendant lequel elles ne savaient qu’en penser.
Mais une divergence plus sérieuse nous frappe : Matthieu et Marc avaient parlé d’un seul ange et voilà que Luc parle de deux : Deux hommes, dit-il, se présentèrent vêtus d’un habit étincelant. Nous ne manquerons pas de revenir plus tard sur cette divergence après avoir étudié le récit du quatrième Évangile, et c’est alors qu’elle s’expliquera.
Quant aux paroles prononcées, selon St. Luc, par les deux anges, nous y voyons surtout, comme dans les deux premiers Évangiles, la déclaration de la résurrection de Jésus-Christ ; mais il n’y a plus de rendez-vous donné en Galilée à ses disciples ; en revanche, il y a une allusion beaucoup plus explicite que dans Marc, aux prophéties que Jésus avait faites de sa résurrection : Souvenez-vous comment il vous parlait, étant encore en Galilée, lorsqu’il disait du Fils de l’homme : Il faut qu’il soit livré entre les mains des hommes pécheurs et qu’il soit crucifié et qu’il ressuscite le troisième jour.
Luc ne parle, ni comme Matthieu, d’une apparition de Jésus au groupe de femmes retournant à Jérusalem, ni, comme Marc, d’une apparition à Marie-Madeleine seule. Ainsi que le fait Paul dans le chap. 15 de la Ire épître aux Corinthiens, il ne parle que des apparitions aux hommes. Dès qu’il ne détache pas Marie-Madeleine de ses autres compagnes, il peut bien raconter, sans se trouver en désaccord avec Marc, qu’elles dirent ces choses aux Apôtres.
Luc exprime encore plus vivement que Marc l’impression que le rapport des femmes fit sur les disciples. Et ces choses, dit-il, leur parurent comme du radotage et ils n’en croyaient pas les femmes. Toutefois, il ajoute aussitôt : Mais Pierre, s étant levé, courut au sépulcre, et s’étant baissé, il vit les bandelettes seules et il s’en retourna, s’étonnant en lui-même de ce qui était arrivé.Pierre n’était pas seul pendant cette course, car il est dit au v. 24 : Et quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre et l’ont trouvé comme les femmes l’ont dit, mais quant à lui, on ne l’a pas vu. Le rapprochement de ce verset et du v. 12 nous montre avec quelle aisance Luc et sans doute aussi les autres Évangélistes procédaient dans le narré des faits : ils ne s’attachaient point à dire tout ce qu’ils pouvaient savoir, ils disaient seulement ce qui leur paraissait le plus important et sans se soucier d’une minutieuse exactitude. Luc pouvait donc dire : Pierre courut au sépulcre, sans qu’on pût en conclure qu’il voulût faire entendre que Pierre était seul.
Pierre et son ou ses compagnons allèrent au sépulcre, et, comme les femmes l’avaient dit, ils trouvèrent la pierre roulée, le corps absent, les bandelettes seules. Et Pierre s’en retourna, s’étonnant en lui-même de ce qui était arrivé, c’est-à-dire ne croyant pas encore, mais étonné et cherchant à se rendre compte de ce qui était arrivé.
La première des apparitions du Seigneur racontées par Luc est évidemment la même que la seconde de celles que Marc 16.12 mentionne si brièvement : Après cela il apparut sous une autre forme à deux des disciples qui étaient en marche et se rendaient à la campagne. Mais Luc raconte cette apparition avec de grands détails du plus haut intérêt.
Et voici, deux d’entre les disciples se rendaient le même jour dans un village éloigné de soixante stades de Jérusalem et nommé Emmaüs. Au verset 18, un de ces disciples est nommé : c’était Cléopas. Il ne paraît pas avoir été le même que Clopas (Jean 19.25) ou Alphée, l’époux de Marie, mère de Jacques et de Joses, et sœur ou belle-sœur de la mère de Jésus.
[« Cléopas trahit une origine grecque. En effet, il est mis pour Cléopater, comme Antipas pour Antipater. » (Arnaud, Recherches critiques sur l’Ep. de Jude, p. 49, note. ) Nous verrons plus tard que Clopas, au contraire, semble venir du même mot hébreu qu’Alphée.]
Soixante stades font deux lieues et demie, d’après l’estimation de Tobler citée par Sepp. Bleek dit au sujet de cet Emmaüs : « Plusieurs pensent que c’est le village actuel de El Kubeibeh, au nord-ouest de Jérusalem, mais cette opinion est très problématique, car ce village est éloigné de Jérusalem de plus de soixante-dix stades. D’autres croient qu’il s’agit d’un Emmaüs, appelé plus tard Nicopolis, situé dans la même direction et encore plus éloigné, à une distance de quatre à cinq lieues de Jérusalem ; mais la distance serait beaucoup trop considérable, pour que ce pût être l’Emmaüs dont parle Luc. Il est donc hors de doute que la bourgade dont parle l’Évangéliste était peu importante, qu’elle était bien située à environ soixante stades de Jérusalem et qu’elle aura été détruite par les Romains » — Cette réserve de l’exégète, si pleine de sagesse et de foi, méritait de recevoir une confirmation et elle l’a déjà reçue, paraît-il, car des savants aussi divergents de tendance que l’hébraïsant Hitzig, de Zurich, et l’archéologue et voyageur Sepp, de Munich, se sont accordés récemment pour voir l’Emmaüs dont parle Luc dans l’ancienne ville de Motsa ou Ha Motsa. Il en était déjà question Josué 18.26. Bien des siècles après, Titus y établit une colonie de vétérans : « dans un lieu qu’on appelle Ammaüs, distant de Jérusalem de soixante stades, » dit Josèphe. La ville fut dès lors appelée Colonia, nom qui se retrouve encore attaché à des ruines appelées Kolonieh. Ces ruines sont situées, comme Kubeibeh et l’ancienne Nicopolis, au nord-ouest de Jérusalem.
v. 14 : Et ils causaient ensemble de tous ces événements. Et il arriva, tandis qu’ils causaient et discutaient, que Jésus lui-même, s’étant approché, cheminait avec eux. Mais leurs yeux étaient offusqués de manière à ne pas le reconnaître. On a dit que Jésus ne fut pas d’abord reconnu, parce qu’il n’était plus le même, étant déjà glorifié. Mais d’abord, s’il avait été déjà glorifié, les deux disciples n’auraient pas pu le prendre pour un Israélite quelconque, avec lequel ils pouvaient converser familièrement, lui disant entre autres : Es-tu le seul qui habites Jérusalem et qui n’aies pas eu connaissance des choses qui s y sont passées ces jours-ci ? — Ensuite il est dit positivement que si les deux disciples ne reconnurent pas aussitôt Jésus, ce fut parce que leurs yeux étaient offusqués, et que si plus tard ils le reconnurent lorsqu’il rompit le pain, ce fut parce que leurs yeux s’ouvrirent : ce qui implique que s’ils ne le reconnurent pas d’abord, la cause en était en eux-mêmes et non pas en Jésus, et que s’ils le reconnurent plus tard, ce fut à la suite d’un changement survenu dans leurs propres dispositions intérieures.
Remarquons cependant que Jésus cheminait et parlait avec les deux disciples, comme étant en parfaite santé et nullement comme un homme qui aurait été crucifié trois jours auparavant. Tout en étant ressuscité tel qu’il était avant sa mort, il était donc déjà guéri des cruelles blessures de la crucifixion et, s’il l’était déjà, c’est parce qu’il avait été miraculeusement guéri lors de la résurrection.
Quels sont ces discours que vous échangez entre vous, en marchant tout attristés ? leur dit Jésus. Et eux de lui répondre : Es-tu le seul qui habites Jérusalem et qui n’aies pas eu connaissance des choses qui s’y sont passées ces jours-ci ? — Et comme Jésus leur demandait : Lesquelles ? ils se mirent à lui raconter tout ce qui était arrivé et la perplexité dans laquelle ils se trouvaient. Tout ce morceau est extrêmement instructif et nous fait bien comprendre les sentiments qui agitaient alors les disciples.
Celles qui concernent Jésus, le Nazaréen, répondirent-ils, qui fut un prophète puissant en œuvre et en parole devant Dieu et devant tout le peuple : comme quoi nos grands-prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié. Pour nous, nous espérions qu’il était celui qui doit racheter Israël. Mais avec tout cela, voici le troisième jour depuis que ces choses ont eu lieu. Il est vrai que quelques femmes d’entre nous, nous ont stupéfiés : car s’étant rendues de grand matin au sépulcre et n’ayant pas trouvé le corps, elles sont venues nous dire qu’elles avaient même vu une apparition d’anges, qui disent qu’Il vit. Et quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre et l’ont trouvé comme les femmes l’ont dit, mais quant à Lui, on ne l’a pas vu.
[Il y a proprement dans le grec : mais quant à Lui, ils ou elles ne l’ont pas vu. La déclaration peut se rapporter aussi bien aux femmes qu’aux disciples ou aux femmes et aux disciples réunis, mais le contexte nous conduit à choisir la dernière interprétation et c’est pourquoi nous avons préféré traduire : on ne l’a pas vu.]
Pour nous, nous espérions qu’Il était celui qui doit racheter Israël. Mais avec tout cela, voici le troisième jour depuis que ces choses ont eu lieu. Rappelons-nous ce que Marc dit des disciples au moment où ils reçurent la visite de Marie-Madeleine : Ils étaient dans le deuil et les larmes. Les disciples, précisément à ce troisième jour, étaient au comble du découragement : Jésus pour eux était bien mort et ne devait pas ressusciter ; toutes les espérances qu’ils avaient fondées sur lui pour la rédemption d’Israël se dissipaient. Cependant le rapport des femmes les avait stupéfiés et le retour de Pierre annonçant qu’il avait trouvé le sépulcre comme les femmes l’avaient dit, avait encore augmenté leur stupéfaction. Ils étaient bouleversés : le progrès de leur découragement était sans doute arrêté, mais il n’y avait encore aucune lumière de foi dans leur cœur.
O hommes sans intelligence et dont le cœur est lent à croire tout ce dont ont parlé les prophètes ! reprit Jésus. Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses et qu’il entrât dans sa gloire ? — Et ayant commencé depuis Moïse et depuis tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Cependant les deux disciples ne le reconnurent point encore : ils sentaient bien en eux-mêmes quelque chose d’extraordinaire à la manière dont il leur parlait, dont il leur expliquait les Écritures ; il leur semblait, comme ils se le dirent plus tard (v. 32), que leur cœur brûlait au dedans d’eux, mais ils étaient encore si éloignés de la foi que cette émotion ne leur révélait point la vérité.
Et ils approchèrent du village où ils allaient, et lui, feignit d’aller plus loin et ils le contraignirent, disant : Reste avec nous, car voici le soir, et le jour a déjà baissé. Jésus ne voulait plus rester avec eux en s’imposant en quelque sorte à eux ; il voulait qu’ils l’invitassent à s’asseoir à leur table. De là sa conduite quand ils arrivèrent à Emmaüs.
Et il arriva, comme il était à table avec eux, prenant du pain, il rendit grâces et l’ayant rompu, il le leur distribuait. Mais leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent ; alors il devint invisible et les quitta. Ils reconnurent donc Jésus après qu’il eut prié avec eux pour rendre grâces au commencement du repas, rompu et distribué le pain, comme il l’avait fait si souvent en leur présence et la veille même de sa mort, dans la mémorable soirée où il avait institué le mémorial anticipé de ses souffrances. Mais aussitôt qu’ils l’eurent reconnu, Jésus leur devint invisible et les quitta : disparition, semble-t-il, extraordinairement prompte et vraiment miraculeuse.
Et s’étant levés sur l’heure même, ils retournèrent à Jérusalem et ils trouvèrent réunis les onze et ceux qui étaient avec eux, disant : Le Seigneur est réellement ressuscité et il s’est fait voir à Simon. Et eux-mêmes racontaient ce qui leur était arrivé en chemin et comment ils l’avaient reconnu, lorsqu’il avait rompu le pain. Il y eut donc une apparition de Jésus à Simon dans la même après-midi, vraisemblablement entre le moment où les deux disciples quittèrent Jérusalem, et celui où ils furent rejoints par Jésus. Nous retrouvons cette apparition mentionnée dans 1 Corinthiens 15, en tête des apparitions que l’Apôtre y rappelle, mais du reste avec aussi peu de détails. Il est probable qu’il y eut très peu de paroles échangées entre le Maître et son disciple, si même il y en eut. Peut-être qu’ici comme dans la cour de Caïphe (Luc 22.61), n’y eut-il qu’un simple échange de regards. En tout cas, ce ne fut pas alors que Simon fut réhabilité dans son apostolat.
Il ne faudrait pas conclure de ce qui se disait, selon St. Luc, dans la réunion des Apôtres au moment où les deux disciples revinrent d’Emmaüs : Le Seigneur est réellement ressuscité et il s’est fait voir à Simon, que la foi des Apôtres fût déjà générale et complète : elle commençait, mais elle était encore bien faible, bien imparfaite ; elle pouvait à peine compter. C’était un crépuscule, pouvant être rattaché à la nuit qui finit ou au jour qui commence. Ne soyons donc pas étonnés si St. Marc, après avoir raconté en deux mots l’apparition aux deux disciples, ajoute aussitôt en parlant des apôtres : Et ceux-ci ne les crurent pas non plus. Au reste, St. Luc va nous montrer lui-même la manière dont nous devons interpréter l’expression de foi qu’il nous transmet au v. 34 : Tandis qu’ils parlaient ainsi lui-même se présenta au milieu d’eux et leur dit : Que la paix soit avec vous ! Mais saisis de crainte et d’épouvante, ils s’imaginaient voir un esprit et il leur dit : Pourquoi êtes-vous si troublés et pourquoi de telles pensées montent-elles dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds, car c’est bien moi-même. Touchez-moi et voyez, car un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. Et en disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. Et comme de joie, ils doutaient encore et étaient tout étonnés, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? Or, ils lui servirent une portion de poisson rôti et un morceau de rayon de miel, et en ayant pris, il en mangea devant eux. C’est bien ici l’apparition aux onze dont parle Marc en disant : Mais enfin il apparut à eux-mêmes, aux onze, quand ils étaient à table, et il leur reprocha leur incrédulité et leur dureté de cœur, pour n’avoir pas cru ceux qui l’avaient contemplé ressuscité.
Malgré donc tout ce qui s’était déjà passé dans la journée, les disciples, à l’aspect du Seigneur se présentant soudain devant eux, furent saisis de crainte et d’épouvante, s’imaginant voir un esprit, un revenant ; ils n’en croyaient pas leurs yeux ; ce qu’ils voyaient leur semblait une pure apparence. Il faut que Jésus leur adresse un reproche : Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi des perplexités montent-elles dans votre cœur ? Il faut qu’il leur dise : Voyez mes mains et mes pieds, car c’est bien moi-même. Touchez-moi et voyez, car un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai ; il faut qu’en disant cela, il leur montre ses mains et ses pieds et qu’il les leur fasse toucher. Et cela cependant ne suffit pas pour les convaincre (mais s’ils doutent encore, ce n’est plus dans leur épouvante, c’est dans l’excès de leur joie), il faut que Jésus aille jusqu’à leur dire : Avez-vous ici quelque chose à manger ? et qu’il mange devant eux. Jésus leur disant : Voyez mes mains et mes pieds, car c’est bien moi-même ; touchez-moi et voyez, car un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai ; Jésus leur montrant ses pieds et ses mains ; Jésus mangeant en leur présence, quoi de plus propre à nous convaincre nous-mêmes qu’il apparaissait bien alors à ses disciples tel qu’ils le connaissaient, qu’il était ressuscité avec le même corps dans lequel il avait souffert, c’est-à-dire qu’il n’était point encore glorifié ?
Ewald pense, avec d’autres, que Jésus fut glorifié, spiritualisé, aussitôt que ressuscité ; et, à l’appui de cette opinion, il rapproche les apparitions, où Christ ressuscité apparaissait avec un corps semblable au nôtre, des mystérieuses théophanies rapportées par l’Ancien Testament, où Dieu, malgré sa complète spiritualité, se montrait sous une forme corporelle. Le rapprochement est séduisant au premier abord, mais il ne l’est plus dès qu’on réfléchit que dans ces théophanies Dieu ne cherchait point à persuader qu’il était réellement ce qu’il paraissait être, mais au contraire n’avait qu’un but : celui de transmettre un ordre ou une instruction, par exemple, l’annonce du châtiment de Sodome et Gomorrhe, tandis que Jésus se proposait surtout dans ses apparitions, et tout particulièrement dans celles racontées Luc 24.36-43 ; Jean 20.19-20, 24-29, de convaincre ses disciples de la réalité sensible de ces apparitions. La forme corporelle n’était plus pour lui un simple moyen de transmettre une révélation sans rapport quelconque avec la réalité de cette forme ; c’était précisément la réalité de cette forme qui était l’objet de la révélation transmise. Voyez mes mains et mes pieds, car c’est bien moi-même. Touchez-moi et voyez ; car un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai… Et comme de joie ils doutaient encore et étaient tout étonnés, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? Or ils lui servirent une portion de poisson rôti et un morceau de rayon de miel et en ayant pris il mangea devant eux.
Après avoir ainsi raconté comment Jésus apparut aux onze le soir même du dimanche et les convainquit de la réalité sensible de sa résurrection, Luc continue en disant simplement : Puis il leur dit : Ce sont ici les paroles que je vous ai adressées pendant que j’étais encore avec vous, vous disant qu’il fallait que fussent accomplies toutes les choses écrites à mon sujet dans Moïse et dans les prophètes. Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures. Et il leur dit : C’est ainsi qu’il a été écrit que le Christ souffrirait et qu’il ressusciterait des morts le troisième jour, et que la repentance et la rémission des péchés seraient prêchées en son nom à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. C’est vous qui êtes témoins de ces choses, et voici, j’envoie sur vous la promesse de mon Père ; mais pour vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de puissance d’en haut.
Luc passe aussitôt après, comme Marc, au récit de l’Ascension, et lui aussi, s’il était seul, ferait penser que Jésus est monté au ciel en présence de ses disciples immédiatement après être apparu aux onze le dimanche soir. Mais rien ne nous empêche d’admettre qu’il ait réuni ici des paroles prononcées par Jésus ressuscité en diverses occasions. Nous y sommes même pleinement autorisés par le commencement du livre des Actes, la seconde partie de l’ouvrage dont, le troisième Évangile forme la première, puisqu’il est dit, Actes 1.3 : auxquels, après sa passion, il s’était montré vivant, en leur en donnant plusieurs preuves : pendant quarante jours se faisant voir à eux et leur parlant de ce qui concerne le royaume de Dieu.
Nous pouvons admettre, en particulier, que les paroles du Seigneur ci-dessus mentionnées ont pu être prononcées, soit à la première apparition aux onze, soit à celle qui eut lieu en Galilée d’après Matthieu, soit à la dernière qui précéda l’Ascension. Les versets 44-47 semblent se rapporter surtout à la première de ces apparitions, les versets 48 et 49 à la dernière, et on peut retrouver un écho de Matthieu 28.19, et de Marc 16.15-16, dans le v. 47 : et que la repentance et la rémission des péchés seraient prêchées en son nom à toutes les nations, en commençant par Jérusalem.
Et il les conduisit dehors jusque vers Béthanie, et ayant élevé les mains il les bénit. Et il arriva que pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’avec eux et il était enlevé au ciel. Et eux, après s’être prosternés, retournèrent à Jérusalem avec une grande joie et ils étaient constamment dans le temple, louant et bénissant Dieu. Nous avons traduit : Jusque vers Béthanie, c’est-à-dire jusque dans le voisinage de Béthanie. Et en effet le texte original (ἕως εἰς Βηϑανίαν) peut aussi bien être interprété dans ce sens que dans celui-ci : Jusqu’à Béthanie, comme le constate Bleek. Si nous avons préféré la première interprétation, c’est à cause de Actes 1.12 dont nous aurons plus tard à nous occuper. Béthanie se trouvait sur le revers oriental de la montagne des Oliviers, dans un repli de terrain.
[Plusieurs manuscrits importants, tels que א et B n’ont pas ἕως εἰς Βηϑανίαν, mais πρὸς Βηϑανίαν. Si cette variante était la vraie, la traduction que nous avons adoptée serait la seule possible. Tischendorf a εἰς dans son édition du Nouveau Testament publiée en 1839 et πρὸς dans sa Synopsis evangelica publiée en 1864.]
Tandis que Marc racontait l’Ascension en ces deux mots : Il fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu, Luc nous apprend que Jésus ayant élevé les mains, bénit ses disciples et que pendant qu’il les bénissait, il se sépara d’avec eux et était enlevé au ciel. Marc avait résumé toute l’histoire des Apôtres après l’ascension de leur Maître, en disant : Eux partant, prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux et confirmant la parole par les signes qui l’accompagnaient. Luc, qui devait écrire l’histoire des Apôtres après celle du Maître, ne conduit son récit que jusqu’au moment précis où ils allaient recevoir le Saint-Esprit, ce vrai point de départ de l’histoire apostolique : Et eux, après s’être prosternés, retournèrent à Jérusalem avec une grande joie et ils étaient constamment dans le temple, louant et bénissant Dieu.
Si le récit de Matthieu nous avait frappé par son caractère objectif, et celui de Marc, au contraire, par sa préoccupation des impressions des disciples, les deux caractères se trouvent réunis dans la narration de Luc. Ce qui la distingue encore d’une manière générale, outre les détails dans lesquels elle entre en plus d’une occasion, c’est l’importance qu’elle attache à relever tout ce qui prouvait que Jésus était bien réellement, corporellement ressuscité, et à montrer comment les Apôtres arrivèrent sur ce point à une parfaite conviction.
Voici, du reste, le résumé des principaux faits que nous pouvons extraire du récit du troisième Évangile :
- Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, Jeanne et d’autres femmes, se rendent au sépulcre pour oindre le corps de Jésus et elles trouvent le sépulcre vide, mais deux anges leur apparaissent et leur annoncent que Jésus est ressuscité ;
- Sur le rapport des femmes, Simon Pierre et un ou plusieurs autres disciples vont au sépulcre et eux aussi le trouvent vide ;
- Le Seigneur ressuscité apparaît peu après à Simon Pierre ;
- Il apparaît le même jour à deux disciples se rendant de Jérusalem à Emmaüs ;
- Puis aux onze, après le retour de ces deux disciples ;
- Après avoir prescrit à ses disciples de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre l’accomplissement de la promesse du Saint-Esprit, le Seigneur fut enlevé au ciel en leur présence près de Béthanie.