(1525, 1526)
Le passage du Rhin à Strasbourg – Le comte de Haute-Flamme – Correspondance de Marguerite et de Haute-Flamme – Le système de Marguerite – Elle invite Haute-Flamme en France – Interdit d’écrire, d’imprimer, de lire – Interrogatoire de Berquin – Marguerite gagne sa mère en faveur de Berquin – Le roi défend au parlement de procéder – Henri d’Albret, roi de Navarre – Il recherche la main de Marguerite – Préoccupations de Marguerite
Marguerite, qui revenait d’Espagne pleine d’espoir pour la délivrance de son frère, était décidée à faire tout ce qui serait en son pouvoir pour le triomphe de l’Évangile. Tandis que les hommes du parti ultramontain, rappelant sans cesse la défaite de Pavie, demandaient qu’on apaisât le Ciel par des échafauds, Marguerite pensait au contraire que la France humiliée devait se tourner vers Jésus-Christ, pour obtenir de lui de glorieuses délivrances.
Mais François Ier marcherait-il dans les voies de sa sœur ? L’histoire offre peu de caractères plus inconséquent que celui de ce prince. Il cédait tantôt à Marguerite et tantôt à la Sorbonne. Il emprisonnait et libérait, il rivait les chaînes et les brisait. Toutes ses actions se contredisaient ; tous ses projets semblaient s’exclure l’un l’autre ; par son côté lumineux, il était le père des lettres ; par son côté ténébreux, l’ennemi de toute liberté, et surtout de celle que donne l’Évangile ; et il passait avec aisance de l’un de ces rôles à l’autre. Cependant l’influence que Marguerite exerça sur lui en faveur des réformés, sembla la plus forte, pendant les huit ou neuf années qui suivirent sa captivité ; François se montra plutôt favorable aux évangéliques durant cette époque, sauf certains moments où quelques excès l’irritèrent. Coursier fantasque et fougueux, il sentit quelquefois une mouche qui le piquait, se cabra et jeta bas son cavalier ; mais il se calmait pourtant et se remettait au pas. Aussi plusieurs crurent pendant ces années 1525 à 1534, que la patrie de Bernard et de Valdo ne resterait pas en arrière de l’Allemagne, de la Suisse et de l’Angleterre. Si la Réforme s’y fût accomplie, la France eût été sauvée des abominations des Valois, du despotisme des Bourbons, et des superstitions asservissantes des papes.
Il y avait neuf ans que la Réformation avait commencé en Allemagne ; ne passerait-elle pas le Rhin ?… Strasbourg est le pont principal par lequel les idées allemandes viennent en France, et les idées françaises vont en Allemagne. Il en a déjà beaucoup passé, de bonnes et de mauvaises, de la rive droite à la rive gauche, et de la gauche à la droite ; et il en passera aussi longtemps que le Rhin coulera. En 1521, le mouvement avait été très actif. Il y avait eu à Strasbourg une invasion des doctrines et des écrits de Luther ; la foire avait été sur le pont. La noble conduite de Luther à la diète de Worms avait enthousiasmé l’Allemagne, et la nouvelle en arrivait de tous côtés. On se répétait ses paroles, on dévorait ses écrits. Zell, curé de Saint Laurent et pénitencier épiscopal, réveillé l’un des premiers, se mit à chercher la vérité dans les Écritures, à prêcher que l’homme est sauvé par grâce ; et ses discours firent une immense impression.
Un seigneur de cette ville, le comte Sigismond de Haute-Flamme (en allemand Hohenlohe), ami et allié de la duchesse, qui l’appelle son bon cousin, fut touché de l’héroïsme de Luther et des prédications de Zell. Sa conscience fut réveillée ; il s’efforça de vivre selon la volonté de Dieu ; et sentant en lui le péché qui l’en empêchait, il éprouva le besoin d’un sauveur, et le trouva en Jésus-Christ. Sigismond n’était pas de ces nobles, fort nombreux alors, qui parlaient en secret du Sauveur, mais qui, devant le monde, semblaient ne pas le connaître ; Lambert, d’Avignonr, admirait sa franchise et son courages. Quoique dignitaire de l’Église, doyen du grand chapitre, le comte s’appliqua à répandre la vérité évangélique autour de lui, et conçut en même temps une grande pensée. Se trouvant placé entre les deux pays, parlant les deux langues, il résolut de se donner pour tâche de faire passer en France les grands principes de la Réformation. En effet, à peine avait-il reçu un nouvel écrit de Luther, qu’il le faisait traduire en français, imprimer, et l’envoyait à la sœur du roit. Il fit plus ; il s’adressa à Lutheru ; il le supplia d’écrire quelques lettres à la duchesse, ou même de composer quelque écrit propre à l’encourager dans ses saintes entreprises. Le comte, qui connaissait l’esprit, la piété, l’influence de Marguerite sur le roi, ne doutait pas qu’elle fût la porte, par où les idées nouvelles, qui allaient renouveler le monde, pénétreraient en France. Il composa et publia lui-même un écrit intitulé : Le Livret de la Croix, où il présentait la mort de Christ comme l’essence de l’Évangile.
r – Voir pour Lambert, d’Avignon, l’Histoire de la Réformation du seizième siècle, vol. IV, 13.3.
s – « Videmus quosdam tui ordinis, qui abscondite Christi adserunt, publice autem negant. » (Lambert à Hohenlohe.)
t – « Neque cessat libellos tuos in gallicam linguam versos, mittere Gallorum regis sorori. » (Epist. Gerbilii ad Lutherum. Rœhrich, Reform. in Elsass, p. 457.)
u – « Libello aliquo per te in tam sancto instituto ut perseveraret, adhortari. » (Epist. Gerbilii ad Lutherum. Rœrich, Reform. in Elsass, p. 457.)
Les efforts de Sigismond auprès des prêtres et des nobles qui l’entouraient, ne furent pas couronnés de succès. Les moines surtout le regardaient d’un œil étonné, et répondaient qu’ils avaient garde de rien changer à la bonne vie qu’ils menaient. Lambert d’Avignon, qui avait l’œil fin, s’en aperçut et dit en souriant au comte : « Vous ne réussirez pas ; ces gens craignent de perdre leurs besaces, leurs cuisines, leurs étables et leurs ventresv. »
v – « Timent miseri et cæci suis peris, culinis, stabulis et ventribus… (Lambert in Joël.)
Mais il réussit mieux auprès de Marguerite. A peine eut-il appris la défaite de Pavie, qu’il lui écrivit une lettre pleine de sympathie. « Que Dieu vous fasse récompense, lui répondit-elle, de la grâce que vous nous avez faite de visiter de si bonne amour, la mère et la fille, pauvres veuves, non sans affliction. Vous montrez que vous n’êtes pas seulement un cousin selon le sang et la chair, mais aussi selon l’esprit. Nous avons résolu de suivre votre conseil, pour autant que le Père de tous les hommes nous y sera propicew. » Sigismond écrivit de nouveau à la duchesse pendant qu’elle était en Espagne ; et quand il apprit son retour en France, il lui manifesta le désir de venir lui-même à Paris avancer l’œuvre de la Réformation. Il se montrait en même temps plein de confiance dans le zèle de Marguerite. « Vous me croyez plus avancée que je ne suis, lui répondit elle ; mais j’espère que Celui qui, malgré tous mes démérites, vous inspire de moi cette opinion, daignera accomplir aussi en moi son œuvre. » La duchesse d’Alençon ne voulait pourtant pas, nous l’avons dit, une Réformation comme celle de Luther, ou de Calvin. Elle désirait voir dans l’Église une piété sincère, vivante, tout en conservant les évêques et la hiérarchie. Changer le dedans, mais laisser subsister le dehors, tel était son système. Si l’on sortait de l’Église, il en résulterait, selon elle, deux maux qu’elle voulait éviter ; d’abord cela soulèverait des oppositions insurmontables ; ensuite cela créerait des divisions et amènerait la rupture de l’unité. Elle espérait arriver à ses fins au moyen d’une union entre la France et l’Allemagne. Si l’Allemagne excitait la France, si la France modérait l’Allemagne, ne parviendrait-on pas à une Réformation universelle de l’Église ? Elle n’avait pas fait son plan à l’avance, mais les circonstances l’amenèrent peu à peu à cette idée, qui n’était pas la sienne seulement, mais celle des conseillers les plus influents de son frère, et qui fut quelquefois celle de son frère lui-même. Réussirait-elle… ? La vérité est fière, et n’entend pas marcher de concert avec l’erreur. Rome, d’ailleurs, l’est aussi, et elle eût sans doute profité (si ce système avait prévalu) des ménagements des réformateurs, pour maintenir tous ses abus.
w – Lettres de la reine de Navarre, I, p. 180.
Le grand événement qu’attendait Marguerite doublait ses espérances. Quand François Ier passerait les Pyrénées, ce serait à ses yeux le soleil se levant aux portes de l’Orient, pour inonder de ses rayons notre hémisphère. Marguerite ne doutait pas que son frère ne rassemblât aussitôt autour de lui tous les amis de l’Évangile, comme des planètes autour de l’astre du jour. « Venez au milieu d’avril, écrivit-elle à Hohenlohe, qui était à ses yeux une étoile de première grandeur ; vous trouverez tous vos amis rassemblés… L’esprit qui par la vive foi vous unit à votre seul Chef (Jésus-Christ) vous fera diligemment communiquer votre assistance à tous ceux qui en ont besoin, principalement à ceux qui vous sont unis en l’esprit et en la foi. Dès que le roi sera revenu en France, il enverra vers eux et les recherchera à son tour. » Marguerite se voit donc déjà à la cour de France, ayant à côté d’elle le comte, autour d’elle les exilés, les prisonniers, les docteurs… Quels effets cette masse de lumière n’aura-t-elle pas sur les Français ? Toutes les glaces du catholicisme scolastique fondront devant les rayons du soleil. « Il y aura bien au commencement quelque peine, dit-elle, mais la Parole de vérité sera entendue… Dieu est Dieu. Il est ce qu’il est, non moins invisible qu’incompréhensible. Sa gloire et sa victoire sont spirituelles. Il est le vainqueur, quand le monde le croit le vaincux. »
x – Lettres de la reine de Navarre, I, p. 212. M. Genin a retraduit cette lettre de l’allemand ; il faut corriger ces traductions.
Le roi était encore captif ; la régente et Duprat, qui étaient contraires à la Réformation, exerçaient le pouvoir suprême ; les prêtres comprirent l’importance du moment, réunirent tous leurs efforts pour combattre les influences évangéliques, et obtinrent un éclatant triomphe. Le lundi 5 février 1526, un mois avant le retour de François Ier, le son de trompe se faisait entendre dans tous les carrefours de Paris, et plus tard dans ceux de Sens, d’Orléans, d’Auxerre, de Meaux, de Tours, de Bourges, d’Angers, de Poitiers, de Troyes, de Lyon, de Mâcon et « en tous baillages, sénéchaussées, prévôtés, vicomtés et terres du royaume. » La trompe ayant cessé, le héraut criait par ordre du parlement : « Défense à toutes personnes d’exposer ni translater de latin en français les épîtres de saint Paul, l’Apocalypse, ni autres livres. Que désormais nuls imprimeurs n’ayent plus à imprimer aucuns livres de Luther. Que nul ne parle des ordonnances de l’Église ni des images, sinon ainsi que la sainte Église l’a ordonné. Que tous livres de la sainte Bible, translatés en français, soient vidés des mains de ceux qui les possédaient et apportés dans huit jours aux greffes de la cour. Et que tous prélats, curés et vicaires défendent à leurs paroissiens d’avoir le moindre doute sur la foi catholiquey. » Traductions, impressions, explications, et le doute même étaient prohibés.
y – Journal d'un Bourgeois de Paris sous François Ier, p. 276.
Cette ordonnance affligea fort Marguerite. Son frère confirmera-t-il ces monacales et sauvages interdictions, ou coopérera-t-il à la victoire de la vérité ? Permettra-t-il que la Réformation passe d’Allemagne en France ? Une circonstance vint remplir d’espoir la duchesse d’Alençon ; le roi se prononça en faveur de Berquin. On se rappelle que ce gentilhomme était enfermé à la Conciergerie. Trois moines, ses juges, se présentèrent dans sa prison, et lui reprochèrent d’avoir dit que « les portes de l’enfer ne pouvaient rien contre celui qui possède la foi. » Cette idée d’un salut entièrement indépendant des prêtres irritait ces clercs. — « Oui, répondit Berquin, quand le Fils éternel de Dieu reçoit le pécheur qui croit en sa mort et qu’il en fait un enfant de Dieu, cette adoption divine ne peut se perdre. » Mais les moines ne voyaient qu’un enthousiasme coupable dans cette confiance joyeuse. Berquin envoya à Érasme les propositions censurées par ses juges. — « Je n’y trouve rien d’impie, » répondit le prince des écoles.
La Sorbonne ne pensait pas de même. Le prieur des chartreux, le prieur des célestins, des moines de toutes couleurs, « suppôts de l’Antechrist, » dit le chroniqueur, « donnaient confort à la bande de la Sorbonne, afin de détruire, par multitude, la fermeté de Berquin… — Vos livres seront brûlés, dirent à l’accusé les délégués du pape ; vous ferez amende honorable, et alors seulement vous échapperez ! Mais si vous vous refusez à ce qu’on vous demande, on vous mènera au feu. — Je ne céderai pas un seul point, » répondit-il. Là-dessus, les sorbonistes, les chartreux et les célestins s’écrièrent : « Pour lors, c’est fait de vous ! » Berquin attendit tranquillement l’accomplissement de ces menaces. Quand la duchesse d’Alençon apprit ces choses, elle écrivit aussitôt à son frère, et embrassa les genoux de sa mère. Louise de Savoie n’était pas inaccessible à la compassion, dans ces jours solennels qui devaient décider de la liberté de son fils. Cette princesse était de ces esprits profanes, qui se soucient peu de Dieu en temps ordinaire, mais crient à lui quand la mer en furie est sur le point de les engloutir. Enfermée dans son cabinet avec Marguerite, elle priait avec elle pour que Dieu rendît le roi à la France. La duchesse, pleine à la fois de charité et de finesse, profita de l’un de ces moments intimes pour attendrir sa mère en faveur de Berquin. Elle réussit ; la régente se prit d’un beau zèle, et fit écrire aux délégués du pape qu’ils eussent à surseoir à cette affaire jusqu’après le retour du roiz.
z – « Jussi fuerunt supersedere ad regium usque adventum. » (Berquinus Erasmo, 17 avril 1526.)
Ces délégués, fort surpris, lurent et relurent cette lettre, qui leur sembla très étrange. Ils en délibérèrent, et se croyant bien au-dessus de cette femme, ils suivirent tranquillement leur œuvre. Louise de Savoie, altière et résolue, ayant appris cette impertinence, fut hors d’elle-même, et fit écrire une seconde lettre aux agents du pontifea, qui se contentèrent de dire : « Non possumus, » et se hâtèrent, craignant que leur victime ne leur échappât. La mère du roi, de plus en plus indignée, s’adressa au parlement, dont Berquin était honoré, et où l’on disait hautement que toute cette affaire n’était qu’un complot de moines. Alors les hommes du parti romain s’agitèrent encore plus. Plusieurs d’entre eux (il faut le reconnaître) croyaient faire une œuvre nécessaire au bien public. — « Érasme est un apostat, disaient-ils, Berquin est son sectateurb… Leurs opinions sont hérétiques, schismatiques, scandaleuses… Il faut brûler les livres d’Érasme et… Berquin avec euxc. »
a – « Binis litteris Regiæ matris. » (Berquinus Erasmo, 17 avril 1526.)
b – « Erasmum hæreticum et apostatam subinde clamantes, et Berquinum illius fautorem. » (Ibid.)
c – « Ut libri Erasmi velut hæretici cremerentur et una cum iis Berquinus. » (Ibid.)
Mais Marguerite ne perdait point courage. Elle se rappelait que la veuve de l’Évangile avait obtenu sa demande à force d’importunité. Elle suppliait sa mère, elle écrivait à son frère : « Si vous n’intervenez, disait-elle sans cesse, Berquin est un homme mortd. » François Ier se rendit à sa requête et fit écrire au premier président que lui, le roi, lui redemanderait la vie de Berquin s’il osait le condamner. Le président arrêta la procédure, les moines baissèrent la tête ; et Bède et ses amis, dit le chroniqueur, faillirent crever de dépite. »
d – « Perierat nisi mater regis sublevasset eum. » (Erasmi Ep., p. 1522.
e – Crespin, Martyrologue, p. 113.
Cependant Marguerite ne se cachait pas qu’elle avait devant elle une lutte difficile et qui réclamait de la force et de la persévérance. Elle sentait le besoin d’un appui pour amener à bonne fin en France une transformation semblable à celle qui renouvelait alors l’Allemagne. Ce n’était pas assez du comte de Haute-Flamme, à Strasbourg ; il lui fallait, à côté d’elle, un soutien qui la mît en état de supporter les mécontentements de son frère. Dieu parut vouloir le lui donner.
Il y avait à la cour un prince, jeune, vif, spirituel, d’une belle apparence, courageux, gai, un peu rude parfois, qui avait eu déjà d’étonnantes aventures ; et, ce qui n’était pas peu de chose aux yeux de Marguerite, qui avait été le compagnon d’armes et de captivité de François Ier. C’était Henri d’Albret, roi de Navarre, roi de droit sinon de fait, alors âgé de 24 ans. La communauté d’infortune avait uni d’une étroite amitié François et Henri, et bientôt le jeune d’Albret conçut une vive affection pour la sœur de son ami. Henri aimait les lettres, avait une grande vivacité d’esprit et parlait avec facilité, même avec éloquence. On aimait à l’entendre raconter avec grâce, dans les cercles de la cour, la manière dont il s’était échappé du fort de Pizzighitone, où il avait été renfermé après la bataille de Pavie. « En vain, disait-il, j’offrais à l’Empereur une riche rançon, il faisait la sourde-oreille. Résolu d’échapper à mes geôliers, je gagnai deux de mes gardes ; je me procurai une échelle de corde ; et moi et Vivis (c’était son page), nous la suspendîmes à la fenêtre pendant la nuit. Ma chambre était à une grande hauteur, et située dans la principale tour, au-dessus des fossés. Mais décidé à sacrifier ma vie plutôt que les États de mes pères, je me revêtis des habits de l’un de mes gens qui lui-même prit ma place dans mon lit. J’ouvris la fenêtre ; c’était vive nuit ; je me suspendis entre la terre et le ciel ; je descendis lentement le long des hautes murailles ; je touchai terre, j’escaladai les fossés, je sortis du château de Pavie, et fis tant avec l’aide de Dieu, que la veille de Noël (1525) j’arrivai à Saint-Justf. »
f – Lettre de Henri de Navarre au conseiller du comté de Périgord, 27 décembre 1525.
Henri d’Albret ayant ainsi échappé à ses ennemis, se rendit à Lyon où se trouvait Madame, et où Marguerite arriva bientôt après, à son retour d’Espagne. Épris de sa beauté, de son esprit, de ses grâces, le roi de Navarre ambitionna sa main. Tout en lui charmait ceux qui le voyaient ; mais la main de Marguerite n’était pas facile à obtenir. Elle avait été d’abord demandée en mariage pour le jeune Charles, roi d’Espagne ; et une telle union, si elle se fût accomplie, n’eût pas été peut-être sans influence sur les destinées de l’Europe. Mais l’âge de ce monarque (il n’avait alors que 8 ans), fit échouer cette négociation, et la sœur du roi de France épousa le duc d’Alençon, prince du sang, mais homme sans esprit, sans amabilité et sans courage. Ce prince, cause principale des désastres de Pavie, s’était enfui du champ de bataille et était mort de honte. Marguerite n’agréa pas d’abord les hommages du jeune roi de Navarre. Elle ne devait pas trouver en lui l’appui dont elle aurait besoin ; mais ce n’était pas le motif de son refus ; elle ne pouvait se résoudre à penser au mariage, tant que son frère était prisonnier. Henri ne se découragea pas ; il faisait tout ce qu’il pouvait pour plaire à la duchesse, et connaissant son attachement à l’Évangile, il ne manquait jamais, quand il se trouvait au conseil, de prendre la défense des hommes pieux que le cardinal Duprat voulait livrer à la mort. Cette intervention n’était pas un soin superflu. La persécution devint même telle que Marguerite, se dérobant aux assiduités du prince, ne pensa plus qu’aux dangers des humbles chrétiens dont elle partageait la foi.
On allait voir que le pape et la Sorbonne avaient plus d’influence en France que la régente et le roi.