Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

30.
Oh ! que n’ai-je les ailes de la colombe !

Aussi ai-je dit : Oh ! qui me donnera l’aile de la colombe ?
Je m’envolerais et me poserais en lieu sûr.
Voilà ! Je m’enfuirais au loin,
Je chercherais asile au désert.

(Psaume 55.7-8)

« Oh ! que n’ai-je les ailes de la colombe ! »

Combien de fois ces paroles du Psalmiste sont venues se placer sur nos lèvres comme l’expression de nos pensées ! et sous combien d’inspirations diverses !

Que n’ai-je les ailes de la colombe ! me dis-je, quand je parcours des yeux mon étroit horizon sur ce vaste univers. L’oiseau du moins s’élève libre dans l’espace ; rapide comme la pensée, il se porte en quelques secondes plus loin que mon regard ne peut le suivre ; du haut des airs, il voit au même instant plus de merveilles que je ne puis en visiter en bien des jours ; un seul regard lui montre l’ensemble de ce que je ne puis voir qu’en détail ; il effleure à tire-d’ailes ce monde où je rampe ; il le connaît mieux que moi. Qu’ai-je vu de cette création ? et surtout qu’en ai-je compris ? Quel est cet air que je respire et qui soutient cette colombe ? D’où vient et où va ce vent qui me renverse et qui la porte ? Comment sont suspendus ces astres ? Sont-ils habités ? Leurs habitants sont-ils des hommes ? Ces créatures sont-elles heureuses ? Les connaîtrai-je un jour ? Que de merveilles, mais que de mystères ! Que de choses je vois, mais que de choses j’ignore ! Que de trésors sous ma main, mais combien plus que je ne puis atteindre dans l’immensité de l’univers ! Oh ! que n’ai-je les ailes de la colombe ! Je m’envolerais bien loin pour voir, pour toucher, pour apprendre.

Mais bientôt, comme en réponse à ce désir, la Parole de Dieu me dit : « Nous ne voyons que confusément à cette heure ; mais un jour nous verrons face à face ; nous connaîtrons comme nous sommes connus. Les cieux et la terre racontent la gloire de Dieu. Ses perfections invisibles, sa puissance et sa divinité se voient comme à l’œil par la création du monde, considérées dans ses ouvrages, en sorte que les hommes sont inexcusables. » Et ce dernier mot me fait sentir que si je n’ai pas de cet univers une connaissance assez vaste pour satisfaire ma curiosité, j’en ai du moins une suffisante pour me révéler un Dieu bon et puissant que je dois adorer.

Mon désir de connaître une fois modéré, un autre désir s’élève, et je dis encore avec tristesse : « Que n’ai-je les ailes de la colombe pour fuir ces hommes méchants, impurs, criminels, qui s’agitent autour de moi et me rendent la vie amère ! Celui-ci me trompe, celui-là me dépouille ; les uns m’insultent, les autres me dédaignent ; des amis eux-mêmes m’abandonnent ; des parents me haïssent ; mes obligés deviennent ingrats. Plus j’étudie cette race, plus je la trouve désespérément maligne. Je voudrais du moins la paix, et sous mille formes elle me fait la guerre ; je ne lui demande que justice, et je n’en reçois que faussetés, médisances, mensonges, violences. Jadis je croyais en voir quelques-uns dignes d’affection ; plus j’avance dans la vie, plus de tels hommes me paraissent rares, et je prévois le jour où mes yeux dessillés n’en apercevront plus aucun. J’ai changé de relations, et j’ai trouvé les secondes, après quelques jours, semblables aux premières. J’ai changé de contrée, et j’ai retrouvé partout les mêmes vices sous des apparences différentes. Aujourd’hui, pour éviter de nouveaux mécomptes, je suis contraint de me renfermer en moi-même, de me nourrir de mes propres pensées, et de fuir les hommes pour ne pas rencontrer des méchants. Mais où aller ? Oh ! que n’ai-je les ailes de la colombe ! Je m’enfuirais bien loin et je me tiendrais au désert.

Pour apaiser ces murmures, la Parole de Dieu tombe encore sur mon cœur ; dans le Psaume même qui formule mon désir et mes plaintes, David me donne la consolation. « Rejette ta charge sur l’Éternel, et il te soulagera ; il ne permettra jamais que le juste tombe. Je suis ton bouclier et ta haute retraite ; quand même ton père et ta mère t’abandonneraient, moi, l’Éternel, je ne t’abandonnerais pas. » La prière de Jésus en faveur de ses Apôtres me semble dans ces moments écrite pour moi-même : « Mon Père, je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal. » Je comprends alors, comme saint Paul, que s’il m’est bon de partir pour être avec Christ, je puis, en restant, faire du bien à mes frères : leurs injustices m’apprendront la patience ; leurs vices appellent mes bons exemples, et si ces hommes ne me sont pas agréables, ils peuvent encore me faire du bien en me sanctifiant par l’épreuve. Toute chose, et ainsi donc tout homme, peut contribuer à sa manière à mon propre bien, si vraiment j’aime Dieu. Ce sont les pharisiens et les gens de mauvaise vie qui ont fait briller la sagesse et la bonté de Jésus ; ce sont ses bourreaux qui ont provoqué ses pardons et amené son sacrifice ; qu’il en soit de même pour moi, son disciple. Comment serais-je surpris d’être traité comme mon propre Seigneur, recevant des injures et n’en répondant point, acceptant le mal et rendant le bien ? Persévère donc, et prie pour celui qui te dépouille et te maudit.

Détournant mes regards des hommes, je les porte alors sur moi-même, et en étudiant mon cœur et ma vie, je suis conduit à m’écrier : Que ne puis-je me fuir moi-même ! que ne puis-je oublier mon passé ! Oh ! que n’ai-je les ailes de la colombe pour m’échapper d’une terre où tout se change pour moi en tentation, où les dons de Dieu me sont eux-mêmes des pièges ! Entre les mains d’autrui, ces biens me portent à l’envie ; dans les miennes, à l’orgueil, et, si j’en suis privé, au blasphème ! Comme la loi manifeste la désobéissance, de même tout ici-bas met au jour le péché caché dans mon cœur. Si je touche aux joies légitimes de ce monde, j’en abuse et me souille ; entre mes mains l’or se change en fumier. Dieu m’a donné plus d’intelligence qu’à la brute, et je m’en sers pour faire le mal avec plus d’adresse ; il m’a donné des parents qui, par leur affection, ont fait jaillir mon ingratitude ; la conscience elle-même, qui m’élève au-dessus de toute la création, m’a montré le bien, non pour me le faire accomplir, mais pour constater que je ne l’accomplissais pas. J’ai reçu le précieux privilège de prier Dieu, et j’en ai fait un devoir pénible que même je néglige. J’ai reçu sa Révélation, et j’en suis moins curieux que des sciences humaines. Je la lis par lambeaux, lâchement, sans plaisir. Je reconnais que tout cela est mal, et je le fais ; je le reconnais encore, et je le recommence ; je le blâme chez les autres, et je l’excuse chez moi ; j’aime le bien en théorie, mais je n’aime pas moins le mal en pratique. Chaque jour je pleure sur l’abîme de ma misère, et chaque lendemain je le creuse plus profond ; en sorte qu’en vieillissant j’accumule des connaissances et des péchés ! Oh ! si je pouvais entrer ici dans les détails de ma vie, au lieu de la décrire à grands traits ; si je pouvais nommer mes fautes par leurs noms, désigner les lieux où elles ont été commises, en montrer les victimes, en indiquer les complices, et dire tout ce que Dieu sait aussi bien qu’il le sait, quelle honte, quelle honte ! Oh ! que n’ai-je les ailes de la colombe pour fuir mes péchés, pour échapper à leur souvenir, pour aller chercher au ciel d’autres forces, d’autres exemples, un autre cœur !

Grâce à Dieu, ce désir se transforme en prière, et mon Sauveur me crie : « Toi, fatigué et chargé, viens à moi, et je te soulagerai ; tes péchés fussent-ils rouges comme le cramoisi, je les blanchirai comme la neige. » Sans monter au ciel, tu peux recevoir ton pardon sur la terre ; sans prendre les ailes de la colombe, tu peux être exaucé sur les ailes de la prière. Demande à ton Père céleste, et tu recevras son Esprit, sa sainteté, son amour, enfin un cœur nouveau capable de faire le bien avec autant de plaisir qu’à cette heure tu en trouves à faire le mal. En un mot, « crois, et tu seras sauvé. »

Oui croire, me dirai-je peut-être un autre jour, je le voudrais bien ; mais je ne le puis pas. Ah ! si j’avais pu, comme la colombe, contempler le grand spectacle de l’Arche, et rapporter comme ce témoin du déluge la branche d’olivier ; si j’avais pu, comme la colombe, planant au-dessus de Christ dans les eaux du Jourdain, entendre la voix divine disant : « C’est ici mon fils bien-aimé, » certes alors je croirais. Ah ! si j’avais aujourd’hui les ailes de la colombe pour aller chercher au faîte des espaces et au fond des abîmes les secrets de la nature, pour pénétrer dans le ciel et voir un seul instant ce Dieu, ces anges, ce trône éternel ! Mais non, mes souhaits sont vains, mes ailes sont coupées ; pour me faire croire, aucun souffle, ne vient me soulever. Pourquoi Dieu me prive-t-il du seul miracle que je demande ? Pourquoi ne pas m’accorder un instant la vue après laquelle je promets toute une vie de foi ? Moïse n’a-t-il pas vu le buisson ardent ? Abraham n’a-t-il pas entendu la voix de l’ange ? Jacob luttant n’a-t-il pas senti la main de Dieu ?Les Prophètes, les Apôtres n’ont-ils pas fait des miracles, et le peuple juif ne les a-t-il pas contemplés ? Thomas enfin, le bienheureux Thomas n’a-t-il pas, à sa demande, mis le doigt dans le côté percé de Jésus ressuscité ? Pourquoi donc moi seul serais-je privé de la preuve ? Oh ! que n’ai-je les ailes de la colombe pour reculer vers le passé ou avancer dans l’avenir, pour monter au ciel que vous m’offrez ou descendre à l’enfer que vous me faites craindre !

Insensé, qui veux être plus sage que Dieu et substituer la vue du corps à la foi de l’âme ! Et si j’avais vu le Ciel, pourrais-je me refuser d’y tendre ? Ma marche vers le bien ne serait-elle pas irrésistible comme celle d’une machine, et, cessant ainsi d’être moral, pourrais-je encore être heureux ? Insensé, sentir n’est-il pas aussi probant que voir, et ne sens-je pas que le juste diffère de l’injuste, que je suis responsable, et ma faible raison elle-même ne me démontre-t-elle pas un Dieu, comme ma conscience me démontre un avenir ? Je demande des preuves ; mais, à vrai dire, ai-je extrait de la Bible toutes celles qu’elle renferme ? ai-je étudié les prophéties accomplies ? ai-je regardé dans le monde celles qui s’accomplissent à cette heure et mettent de vrais miracles sous mes yeux ? ai-je assez médité sur la sagesse de la loi de Dieu et la beauté morale de Christ ? ai-je étudié l’Évangile avec autant de soin, par exemple, que la profession qui doit me faire vivre quelques années sur cette terre, lui, qui doit me fait vivre une éternité ? Non, non ; mon dernier souhait, comme tous les autres, est déraisonnable ; ou, renfermé dans de sages bornes, il est déjà satisfait par la Révélation.

C’est ainsi que mon âme, agitée par mille désirs sortis de ma nature, se trouve toujours calmée par une parole tirée de l’Évangile. Quand revient l’agitation, revient aussi le calme ; la première appelle le second, comme le flux promet le reflux sur les bords de l’Océan. Grâce à Dieu, ces agitations diminuent de force et de fréquence, et c’est à cela que je reconnais le progrès de la grâce de Dieu sur mon cœur. Je répète plus rarement : « Que n’ai-je les ailes de la colombe ! » et je m’abrite plus souvent contre les hommes, le péché et le doute sous l’aile de mon Dieu. Je prie, je crois et suis joyeux.

Ce désir de posséder « les ailes de la colombe » pour fuir les souffrances de ce bas monde revêt encore mille formes impossibles à préciser. Une épreuve dans notre santé, un revers dans notre fortune, un obstacle à nos plans, souvent même une tristesse sans motif, nous poussent à former des souhaits pour changer de lieu, de position, de travaux. Nous sentons que nous ne sommes pas bien ; cependant nous ne saurions dire où nous serions mieux, et, chose remarquable, nous retrouvons ces désirs jusque dans la prospérité, jusque dans les fêtes et les joies du monde ; c’est là peut-être qu’ils sont les plus poignants : c’est l’eau qui ne désaltère pas, c’est le pain qui périt. Nous nous détournons de ces jouissances, et nous nous écrions encore : « Que n’ai-je les ailes de la colombe ! »

Ce soupir, qui se prolonge toute la vie, et qui devient plus profond vers la fin de nos jours, n’a-t-il donc point de sens ? Serait-il si généralement éprouvé s’il n’était pas au fond de notre nature ? Pourquoi Dieu l’a-t-il mis en nous ? Pourquoi, comme la colombe de l’Arche, ne pouvons-nous trouver sur cette terre un lieu où poser paisiblement le pied ? et pourquoi, comme elle, reprenons-nous, après chaque tentative, notre vol vers les Cieux ?

Ah ! ce dernier mot sert de réponse : c’est que nous ne sommes pas de ce monde, c’est que notre véritable patrie est ailleurs ; c’est que les moissons de nos champs et l’onde de nos fleuves sont faites pour nourrir et rafraîchir un instant notre corps, sans pouvoir jamais satisfaire notre âme. Comprenons donc ce langage du sens intime, et répondons-lui par la foi à ces promesses en si parfaite harmonie avec les besoins de notre nature : « Nous avons dans le Ciel un domicile éternel qui n’est point fait de main d’homme. Là, Dieu essuiera toute larme de nos yeux ; il n’y aura plus de mort, plus de deuil, plus de cri, plus de larme ; mais Dieu sera tout en tous pendant une éternité. »

Oui, ces désirs que rien ne saurait apaiser ici-bas sont la preuve la plus forte que nous tendons vers une autre vie où ils doivent être satisfaits. Toutefois prenons-y garde : à ces désirs légitimes nous pourrions en mêler de coupables ; apprenons donc à distinguer ceux-ci des premiers.

Il n’est pas rare de voir des hommes, mécontents de tout ce qui les entoure, toujours prêts à blâmer leurs frères, quoi que ceux-ci fassent et disent. Pour eux les événements mêmes ont tort, et il semble, à les entendre, que s’ils eussent, eux-mêmes, gouverné le monde, tout en eût bien mieux été. Aussi, se targuant des fautes d’autrui, sont-ils fiers d’eux-mêmes ; parce qu’ils savent signaler un vice, ils croient avoir la vertu opposée ; parce qu’un homme les a blessés, ils condamnent le monde entier. A les en croire, il n’y a guère qu’eux qui fassent le bien : au lieu de haïr le mal, ils haïssent le méchant ; comme, au lieu de faire le bien eux-mêmes, ils se contentent de l’approuver. « Oh ! si j’avais les ailes de la colombe, semblent-ils dire, comme je fuirais ce monde d’impies, et comme il me serait doux d’aller vivre saintement au milieu des saints ! » En attendant, ils vivent en pécheurs au milieu des pécheurs qu’ils blâment.

C’est ainsi qu’ils prennent leur sévérité envers autrui pour de la sainteté, et leur approbation de la vertu pour la pratique du bien ; c’est ainsi qu’ils imitent le pharisien criant dans le temple : « Moi, je ne suis pas comme le reste des hommes qui sont injustes, ravisseurs, adultères, » tandis qu’ils devraient se frapper la poitrine et dire avec le péager : « O Dieu, prends pitié de moi qui suis un pécheur. »

Cessez donc de vous vanter de vos bons désirs, de tirer gloire de la honte des autres. Ce voile brillant sur votre corruption n’abuse que vous-même, et, s’il ne trompe pas les hommes, comment tromperait-il Dieu ? Étudiez moins la vie d’autrui et plus la vôtre, gémissez plus rarement sur le mal et faites plus souvent le bien ; blâmez le pécheur, non par vos saintes paroles, mais par vos saints exemples, et, au lieu de répéter sans cesse : Que n’ai-je les ailes de la colombe, pour fuir le monde ! revenez plutôt ici-bas, comme la colombe, annoncer à la famille humaine la retraite des flots de votre colère, et déposer dans l’Arche terrestre le gage de la paix.

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