Synonymes du Nouveau Testament

28.
Κύριος, δεσπότης
Seigneur, maître

D’après les grammairiens grecs postérieurs à l’époque classique, un homme était un δεσπότης pour des esclaves, mais un κύριος pour sa femme et ses enfants, qui, en lui parlant ou en le nommant, lui donnaient ce titre d’honneur ; « comme Sarah obéissait à Abrabam, l’appelant son seigneur » (κύριον αὐτὸν καλοῦσα, 1 Pierre 3.6 ; cf. 1 Samuel 1.8 ; cf. Plutarch. (De Virt. Mul. s. vv. Μίκκα καὶ Μεγιστώ). Il y a quelque chose de vrai dans cette distinction. Sans aucun doute, κύριος renferme l’idée d’une autorité qui reconnaît des limites et peut-être des limites morales : il est également entendu que celui qui est revêtu de l’autorité du κύριος ne refusera point, en l’exerçant, de considérer le bien de ceux en faveur desquels il l’exerce ; tandis que le δεσπότης déploie une puissance plus grande, une domination plus absolue, et ne reconnaît aucune limite semblable. Celui qui s’adresse à quelqu’un en l’appelant δέσποτα, accentue une soumission que κύριε n’aurait pas comportée ; aussi les Grecs, quand ils n’étaient pas encore dégénérés, refusaient le titre de δεσπότης à qui que ce fût, à l’exception des dieux (Eurip. Hippol. 88 ; ἄναξ θεοὺς γὰρ δεσπότας καλεῖν χρεών). Du reste, l’usage que nous faisons nous-mêmes des termes « despote », « despotique », « despotisme », comme opposés à « seigneur », « seigneurie » et autres mots semblables, prouve que ces mots éveillent en nous la même idée qu’ils éveillaient chez ceux qui nous les ont transmis.

Cependant diverses influences à l’œuvre tendaient à effacer cette distinction. L’esclavage (on a beau lui accorder la sanction de la loi) répugne tellement au sentiment inné de la justice chez l’homme, qu’il cherche à en adoucir l’horreur, si ce n’est de fait, du moins dans le langage ; ainsi un planteur de l’Amérique du Sud ne parlait pas volontiers de ses « esclaves », mais préférait se servir de quelque autre terme ; de même, dans l’antiquité, partout où perçait une idée plus humaine à l’endroit de l’esclavage, on remplaçait continuellement l’antithèse δεσπότης et δοῦλος par celle de κύριος et de δοῦλος. L’antithèse plus dure pouvait encore survivre, mais la plus douce prévalait toujours. Nous n’avons pas besoin de remonter plus haut qu’aux écrits de saint Paul pour voir combien peu l’on observait, dans le langage populaire, la distinction des grammairiens. Les maîtres étaient tantôt des κύριοι (Éphésiens 6.9 ; Colossiens 4.1), et tantôt des δεσπόται (1 Timothée 6.1-2 ; Tite 2.9 ; cf. 1 Pierre 2.18) sous la plume de l’apôtre. Comparez Philon, Quod Omn.Prob.Lib.6.

Mais, tandis que toute l’expérience prouve combien il est peu sûr de confier à l’homme pécheur un pouvoir illimité sur ses semblables (fait moral qu’atteste notre emploi du mot « despote » comme équivalent de « tyran », aussi bien que l’histoire du mot « tyran » lui-même), ce ne peut être qu’une bénédiction pour l’homme de considérer Dieu comme l’absolu Seigneur, le Gouverneur et le Dispensateur de sa vie ; puisqu’en Dieu jamais le pouvoir n’est séparé de la sagesse et de l’amour ; et comme nous avons vu que les Grecs, non sans avoir un certain sentiment de cette vérité, aimaient bien appeler leurs dieux δεσπόται, quoiqu’ils refusassent ce titre à tout autre, ainsi, dans les limites de la Révélation, δεσπότης, non moins que κύριος, s’applique au seul vrai Dieu. Voyez dans les Septante : Josué 5.14 ; Proverbes 29.25 ; Jérémie 4.10 ; 2 Maccabées 5.17, et ailleurs, et encore dans le N. T. : Luc 2.29 ; Actes 4.24 ; Apocalypse 6.10 ; 2 Pierre 2.1 ; Jude 1.4. Dans ces deux derniers passages, c’est à Christ, mais à Christ comme Dieu, que le titre est attribué. Érasme, il est vrai, imbu de cet arianisme latent dont peut-être il avait à peine conscience, nie que, dans Jude 1.4, il faille rapporter δεσπότην à Christ, et ne lui cède que κύριον, réservant le titre de δεσπότην au Père. Le fait que dans le texte grec, tel qu’il le lisait, Θεόν suivrait et qu’il était joint à δεσπότην, se trouvait sans doute le motif de sa répugnance à attribuer le titre de δεσπότης au Christ. Pour lui ce n’était pas une difficulté philologique, mais théologique, quoiqu’il ait cherché à se persuader le contraire.

Ce mot δεσπότης exprimait sans doute sur les lèvres des fidèles qui l’employaient, le sentiment qu’ils avaient du droit absolu de Dieu sur ses créatures, de son pouvoir autocratique (« faisant ce qui lui plaît, tant dans l’armée des cieux que parmi les habitants de la terre », Daniel 4.35), et il exprimait ce droit avec plus de force que κύριος ne l’aurait fait : cela résulte clairement des paroles de Philon (Quis Rer. Div. Hœr. 6), qui pour preuve de l’εὐλάβεια d’Abraham, et de la grâce qu’il reçut lors de l’occasion remarquable, où il tempéra sa hardiesse par la révérence et la crainte de Dieu, allègue le fait que, s’adressant à Dieu, le patriarche abandonna le mot plus usité de κύριε pour y substituer celui de δέσποτα ; car δεσπότης, comme le remarque plus loin Philon, ce n’est pas κύριος, mais φοβερὸς κύριος, et le mot implique, de la part de celui qui s’en sert, un abaissement plus entier du moi devant la puissance et la majesté de Dieu, que ne l’aurait fait κύριος.

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