Théologie Systématique – II. Apologétique et Canonique

3.1 Critique du matérialisme

Nous distinguons le matérialisme et le positivisme en ce que ce dernier terme désigne la méthode, l’autre, la doctrine elle-même. Nous avons fait la critique du positivisme dans la Méthodologiea.

aExposé, tome I.

*

Nous empruntons à l’Histoire de la philosophie de Cousin la caractéristique du matérialisme atomistique de l’Ecole d’Abdère, qui nous prouvera qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil : « Le fonds de toutes choses est la matière, le plein, consistant en atomes indivisibles au sein de l’espace vide. Les atomes forment tous les corps en se combinant entre eux suivant certaines lois. Le mouvement des premiers corps est éternel, et rien n’échappe à la loi de la pesanteur. Les corps, composés d’atomes, sont continuellement en mouvement, et, par conséquent, en perpétuelle émission de quelques-uns de leurs atomes ; ces émanations des corps extérieurs en sont les images ; ces images en contact avec les organes produisent la sensation, et la sensation produit la pensée. »

« Epicure, à son tour, enseigne que les atomes dont se composent les corps sont dans un écoulement perpétuel, ἀπόῤροια. Le monde, n’étant qu’un composé d’atomes qui possèdent en eux-mêmes le mouvement et les lois de toutes les combinaisons possibles, le monde se suffit à lui-même et s’explique par lui-même. Il n’est besoin ni d’un premier moteur, ni d’une intelligence première. Les dieux sont des images semblables à celles de nos songes, mais plus grandes et ayant la forme humaine. »

Les modernes matérialistes n’ont, disons-nous, rien ajouté d’essentiel aux principes des premiers philosophes de la Grèce.

Selon Büchner, la force est inhérente à la matière, et la matière est le fonds primitif de tout être :

« Le matérialisme, écrit le même auteur, est une vérité qui, malgré sa clarté, sa simplicité et son évidence, ne paraît pas avoir obtenu aujourd’hui l’assentiment général des naturalistes. La matière est immortelle, indélébile ; il n’y a pas de grain de poussière dans l’univers, si petit ou si gros qu’il soit, qui puisse se perdre ; aucun ne peut y être ajouté. Nous ne pourrions ni ajouter ni retrancher le plus petit atome sans que le monde fût jeté par là dans une confusion complète, les lois de la gravitation bouleversées et l’équilibre de la matière rompu. Le grand mérite de la chimie, dans les dernières dizaines d’années, est de nous avoir enseigné de la manière la plus claire et la plus incontestable que la métamorphose ininterrompue des choses dont nous sommes généralement les témoins, la naissance ou la dissolution des formes organiques, ne repose pas sur la naissance ou la dissolution d’une matière qui n’y eût pas préexisté, ainsi qu’on le croyait généralement dans les anciens temps, mais que cette transformation consiste uniquement en ce que, dans la métamorphose continue et ininterrompue des mêmes éléments matériels, leur quantité et leur qualité reste immuable et identique pour tous les temps. »

Le facteur premier de cette substance universelle de la matière est l’atome :

« Nous nommons atome la molécule infiniment petite de matière, laquelle nous nous représentons comme ne pouvant plus être divisée, et comme ne divisant plus, et nous concevons toute matière comme composée de ces atomes. »

L’atome est la résidence de tous les mouvements et la cause de toutes les transformations ultérieures de la matière.

« Les atomes eux-mêmes sont immuables, impérissables ; placés tantôt dans une relation, tantôt dans une autre, ils forment par la diversité de leurs concours les figures infiniment variées dans lesquelles la matière nous apparaît, emportée qu’elle est par un mouvement d’échange perpétuel et incessantb. »

bForce et matière. Cette citation et la plupart des suivantes sont empruntées à l’ouvrage d’Hettinger, auteur catholique : Der Beweis des Christenthums. 1te Aufl., tome I, pages 160-197. Der Materialismus.

« Un des caractères les plus généraux de la matière, écrit M. Moleschott, est de pouvoir, dans des circonstances propices, se mettre elle-même en mouvementc. »

cLa circulation de la vie. Lettre 17 ; citation de M. E. Naville, Physique moderne, page 205.

Selon le même auteur : « La toute-puissance créatrice est la parenté mutuelle des molécules de la matière. C’est par là que se fait le développement de la terre, de l’air et de l’eau, jusqu’à la production des êtres organiques et pensants. Le carbone et l’azote que les plantes enlèvent au carbonate et à l’ammoniac, deviennent successivement herbe, trèfle, froment, animal et homme, pour redevenir carbonate et ammoniac ; c’est là le miracle du cycle de la nature. C’est là l’œuvre créatrice dont nous sommes journellement les témoins, et qui ne laisse rien ni vieillir, ni périr, que l’air et les plantes, les animaux et les hommes se tendent partout la main, se purifient, se développent, se rajeunissent, s’ennoblissent continuellement ; que chaque être particulier s’immole en sacrifice à l’espèce ; que la mort n’est pas autre chose que l’immortalité du cycle ».

Ainsi, selon le matérialisme, l’objet sensible se confond avec le réel.

« Vérité, réalité et existence sensible sont tout un » (Feuerbach).

« Le naturaliste ne connaît que les corps et les qualités des corps, et il considère la transcendance comme une aberration de l’esprit humain » (Büchner).

« La limite de l’expérience sensible marque la limite de la pensée » (Vogt).

« La science naturelle tient la matière pour éternelle et impérissable, parce qu’aucune expérience n’a révélé la naissance ou la disparition de la plus petite partie de matière » (Hæckel).

Malheureusement, la cause première du mouvement et des multiples transformations de la matière reste incompréhensible :

« Le mouvement perpétuel, écrit Büchner, est inhérent à la matière éternelle ; aussi le mouvement de la matière est-il aussi éternel que la matière elle-même. La cause qui fait que celle-ci a adopté un mouvement déterminé dans un temps déterminé, nous reste, il est vrai, cachée.

Dans ces temps de l’organisation primitive, écrit le même auteur, tout était autre, et le procédé de la formation des choses était autre aussi. Si donc nous ne voulons pas recourir aux miracles et aux impossibilités, nous devons accorder que la naissance des premiers êtres organisés sur la terre eut lieu par la force de production spontanée de la matière ; et les causes qui font que cette force productrice n’agit plus, se déduisent de lois naturelles générales, en vertu desquelles le nécessaire seul se constitue à l’exclusion du superflu…

La manière dont s’opère la croissance des êtres organisés ne peut en aucune façon jusqu’ici être déterminée scientifiquement, encore qu’on puisse espérer que des recherches subséquentes apporteront plus de lumières sur ce point. »

Dans sa théorie de l’origine des choses, Hacckel se voit à son tour placé dans la douloureuse situation d’admettre de confiance la génération spontanée sous peine de devoir accepter le miracle :

« Nous voici parvenus au problème de l’origine des monères. C’est là une question primordiale, celle de l’origine de la vie, de la génération spontanée. Dans les limites où je la circonscris, la génération spontanée est une hypothèse nécessaire sans laquelle on ne saurait concevoir le début de la vie sur la terre ; elle se ramène alors à savoir comment les monères se sont formées aux dépens des composés carbonés inorganiques. Comment des corps vivants sont-ils apparus sur notre planète jusqu’alors purement minérale ? Ils ont dû se former chimiquement aux dépens des composés inorganiques ; ainsi a dû apparaître cette substance que nous avons appelée protoplasme ; elle se trouve au fond de la mer à d’énormes profondeurs… La doctrine de la génération spontanée ne se peut réfuter expérimentalement…, mais il est aussi fort difficile de la prouver par des expériences. Pour quiconque n’admet pas avec nous la génération spontanée des monères à l’origine de la vie, il n’y a plus d’autre alternative que le miracled. »

dAnthropogenie.

Toutefois ce premier pas franchi, le savant naturaliste, heureux désormais de confier les destinées de la science et celles du monde au transformisme, croit devoir s’affranchir des formes dubitatives :

« La théorie de l’évolution, au sens le plus large, en tant que conception philosophique de l’univers, soutient qu’il existe dans la nature entière un grand processus évolutif, continu et éternel, et que tous les phénomènes de la nature, sans exception, depuis le mouvement des corps célestes et la chute d’une pierre, jusqu’à la croissance des plantes et à la conscience de l’homme, arrivent en vertu d’une seule et même loi de causalité ; bref, que tout est réductible à la mécanique des atomes. Conception mécanique ou mécaniste, unitaire ou moniste du monde, ou, d’un seul mot, monismee. »

eLes preuves du transformisme, page 16.

La réduction de l’existence universelle à l’unité de la matière impliquait dans l’homme lui-même la réduction des facultés psychologiques à des fonctions purement physiologiques et à des phénomènes de sécrétion :

« Chaque observateur, écrit M. Vogt, arrivera bien, je pense, par une suite de raisonnements logiques à l’opinion que voici : que toutes les propriétés que nous désignons sous le nom d’activité de l’âme ne sont que des fonctions de la substance cérébrale, et, pour nous exprimer d’une façon plus grossière (en effet), la pensée est à peu près au cerveau ce que la bile est au foie et l’urine aux reinsf. »

fHistoire de la Création, page 32. Cité par M. E. Navillc dans La science et le matérialisme, page 41.

Cette impuissance à sortir des étroites limites de l’expérience sensible et l’inconséquence inévitable qui oblige à tout instant le naturaliste matérialiste à interroger des origines antérieures ou des mystères transcendants au domaine des sens, n’ont pas eu pour effet d’inspirer la modestie à MM. Oscar Schmidt et Charles Vogt : « Quiconque, s’écrie le premier, n’éprouve pas l’inspiration nécessaire pour vouloir et pour affirmer que la vie trouve sa raison suffisante dans ce qui n’a pas la vie, mais qui a besoin d’un acte créateur pour la commencer, celui-là doit être abandonné, car il ne sera pas convaincu ».

Dans ses Lettres philosophiques, Charles Vogt a répondu à quelques objections suscitées par le passage précité : « J’ai dit que chaque savant arrivait aux déductions dont j’ai parlé par la suite du raisonnement logique, mais je n’ai jamais voulu soutenir qu’il n’y avait pas de savants incapables de raisonnements logiques et suivis, et je n’ai jamais prétendu qu’il n’y avait pas parmi les savants des hommes dépourvus de bon sens et d’intelligenceg ».

g – Voir Naville, La science et le matérialisme, page 44.

Les principes du matérialisme, tels qu’ils se dégagent des citations précédentes, peuvent se résumer sous les six chefs suivants :

  1. Il n’y a qu’une substance qui est la matière.
  2. Cette substance est éternelle en même temps qu’universelle.
  3. Toutes les divisions de la matière et des organismes matériels aboutissent à une dernière molécule à la fois étendue et indivisible, échappant à toute expérience, appelée atome.
  4. La force mouvant l’atome est inhérente à l’atome lui-même.
  5. Ce sont les combinaisons infiniment diverses de ces atomes qui engendrent tous les êtres de l’univers, toutes les formes et tous les états de la vie, sans que rien puisse être ajouté au total de l’existence universelle et que rien puisse en être retranché.
  6. La raison première et déterminante de tous les mouvements et de toutes les combinaisons de ces atomes n’est pas encore découverte.

La théorie transformiste, déjà professée par Diderot et Lamarck, et qui a surgi de nouveau avec éclat dans le champ de la science lors de l’apparition du livre de Darwin sur L’origine des espèces (1859), n’est point, considérée en elle-même, une profession de matérialisme ou d’athéisme, bien qu’elle ait été promptement accaparée par les adversaires des croyances religieuses ; elle est une hypothèse scientifique ; et jusqu’à aujourd’hui même, de l’aveu d’autorités compétentes, elle n’est que cela. Par conséquent la confirmation ou la réfutation de l’une ou de l’autre des doctrines en présence, celle de la fixité des espèces ou celle de leur continuelle transmutation, celle qui fait intervenir la puissance créatrice à intervalles réguliers dans la production des différents ordres de l’existence, ou celle selon laquelle tous les types ont été virtuellement renfermés dans un produit unique et primordial dont ils se seraient successivement dégagés, cette controverse, dis-je, n’intéresse pas l’apologétique.

« Il y a de la grandeur, a écrit Darwin dans son premier ouvrage, dans une telle manière d’envisager la vie et ses diverses puissances, animant à l’origine quelques formes ou une forme unique, au souffle du Créateur. Et tandis que notre planète a continué à décrire ses cycles perpétuels d’après les lois fixes de la gravitation, des formes sans nombre se développeront d’un si petit commencement, de plus en plus belles, de plus en plus merveilleuses, dans une évolution sans fin. »

Les principes fondamentaux du transformisme se résument sous les chefs suivants :

1° La loi de variabilité ou d’adaptation des espèces, en vertu de laquelle les organismes changent leur constitution sous l’influence des circonstances et des milieux, procédant d’un ou de plusieurs types primitifs et simples appelés monères ou protoplasmes.

2° Cette première loi ne suffisant pas pour assurer le développement du protoplasme dans les organismes les plus perfectionnés, on a fait intervenir ici la sélection naturelle, en vertu de laquelle ce seraient toujours les plus forts et les mieux organisés d’entre les plantes et les animaux qui auraient la survivance : loi complétée par celle de la sélection sexuelle, selon laquelle la femelle chez les animaux donne toujours la préférence au mâle le mieux organisé. L’effet de cette double sélection sera l’élimination et la disparition graduelle des types et des individus mal venus.

3° La troisième loi, dont la traduction populaire et bien ancienne est que les gros poissons mangent les petits, est devenue célèbre sous le nom de combat pour l’existence. Seulement ce qui avait passé pour un accident trop fréquent est désormais érigé en loi générale de la nature.

4° L’effet de la loi d’hérédité qui s’ajoute à la précédente est que les qualités accumulées par une série d’individus seront acquises au capital de la race ou de l’espèce.

5° La loi de l’atavisme, limitative de la précédente, et faisant la part des exceptions individuelles et familiales, réserve les cas où la transmission des caractères aux descendants saute une ou deux générations.

6° Enfin la loi de divergence des caractères établit la possibilité des divergences de types issus d’un type primitifh.

h – Dans le Dritler Abschnitt de son ouvrage, intitulé : Die darwinische Descendenztheorie, l’auteur fie se borne pas à résumer les principaux principes du transformisme, en en marquant les rapports avec les croyances religieuses et morales, mais il engage avec le darwinisme une discussion directe et détaillée qui occupe une cinquantaine de pages, ce qui me paraît être, de la part d’un théologien, une témérité, et pour la cause de la vérité religieuse et morale, un péril.

Le transformisme ne devient une doctrine incompatible avec les croyances fondamentales de la religion et de la morale que dans le cas où toute cause première et transcendante à la nature étant niée, les frontières des principaux ordres de la nature, la nature organique et la nature inorganique, d’une part, et dans le sein de la nature organique elle-même, les limites des trois grands règnes, végétal, animal et humain, étant supprimées, tous les êtres et tous les états de la nature seraient censés issus d’une substance primitive, inerte et amorphe, suivant une ascension ou promotion interne, où le plus serait sorti du moins.

Sous, cette forme extrême, disons-nous, et qui représenterait une nouvelle usurpation de la science de la nature sur des domaines qui lui sont étrangers, la réfutation du transformisme se confondrait avec celle du matérialisme qui va nous occuperi.

i – Sur la question du darwinisme, voir une critique très vive de cette théorie dans la Revue des Deux-Mondes, 1874, no du 15 juin ; article Blanchard : La variabilité des espèces et la lutte pour l’existence. Revue chrétienne, 1878, papes 261 et sq. ; article de M. Suchard : Une nouvelle explication de l’origine des êtres. Zeitfragen, 1878, 5e et 6e cahiers, critique très sévère de Wiegandt : Der Darwinismus, ein Zeichen der Zeit. Studien und Kritiken, 1879, 1er cahier, pages 149 et sq. : Darwinismus, Religion, Siltlichkeit, où Weigoldt cherche à montrer dans quelles limites le darwinisme peul s’accorder avec religion et moralité. Die Urwell der Schweiz, de Oswald Heer ; voir contre le transformisme, pages 598-603, 1re édit. Dans un sens plutôt favorable au darwinisme, l’article de M. Contéjean, Revue scientifique, 1881, no du 30 avril. A recommander particulièrement comme critique du darwinisme, faite au point de vue de la science naturelle, les deux articles de M. E. Naville : La question de l’origine des espèces. Bibliothèque universelle et Revue suisse, septembre et octobre 1889.

Dans une étude sur le darwinisme, publiée successivement dans la Bibliothèque universelle et Revue suissej et dans les Discours laïques, M. Ch. Secrétan exprime l’opinion, que rien au point de vue spiritualiste ne s’oppose à la thèse que l’homme serait descendu d’une espèce animale quant à la partie physique de sa nature, et que cette supposition ne devrait pas plus nous offusquer que l’origine tellurique assignée au corps de l’homme par le récit génésiaque, étant bien entendu qu’une intervention créatrice et divine a déposé dans ce germe animal un principe nouveau et supérieur.

j – 1876. numéro de mai.

« Quoi, le premier homme fut-il créé adulte, en possession d’un âge qu’il n’avait pas, ou bien n’est-il pas sorti d’un germe ? Et s’il est sorti d’un germe, comme il le faut pour qu’il ait été réellement un homme, dans quelles conditions ce germe a-t-il dû se nourrir, grandir et se transformer ? Est-ce dans les conditions les plus compatibles ou dans les conditions les moins compatibles à sa nature ? La loi du plus court chemin ne permet pas l’alternative ; c’est dans les conditions les plus favorables, et ces conditions ne sont-elles pas réunies dans le sein et les mamelles d’un être le moins différent possible de l’humanité ? Il m’importe peu que cette nourrice eût une forme assez voisine de celle du singe. L’homme passe encore aujourd’hui par la forme du singe et il y passe visiblement. »

M. Secrétan a résumé en note les objections faites à son point de vue par son ami, M. Thury, professeur de sciences naturelles à l’université de Genève :

La première, c’est que l’espèce est une réalité dans l’ordre du monde aussi bien que l’individu, qu’elle naît et meurt comme l’individu, qu’elle persiste dans son identité durant le temps de son être, et que l’apparition d’une nouvelle espèce est une crise dans le développement de la vie générale, aussi bien que l’apparition de l’individu est une crise dans le développement de l’espèce.

La seconde objection est que le procédé suivant lequel l’espèce se maintient et se propage servirait également, lorsqu’elle serait arrivée au terme naturel de sa durée, à effectuer la transition d’une espèce a l’espèce voisine et subséquente. Ainsi un processus identique en apparence aboutirait à deux résultats opposés. Or le passage d’une espèce à l’autre doit, d’après M. Thury, s’opérer nécessairement suivant un autre mode que celui qui nous est familier.

Sans prétendre trancher un débat qui dépasse notre compétence, il nous suffira d’émettre l’opinion que l’hypothèse de M. Secrétan est bien l’ultime concession que le spiritualisme puisse faire au transformisme sans se renier lui-même.

Le critère unique de la certitude invoqué par le matérialisme étant, d’après nos citations précédentes, l’expérience sensible, notre critique du matérialisme se bornera à. montrer qu’il n’est pas fidèle à ce critère ; que la matière dont il fait l’unique objet de la certitude, aussitôt que cette notion est soumise à une analyse sérieuse, fait surgir des obscurités et des difficultés au prix desquelles celles que l’on voulait éviter n’entrent pas en ligne de compte ; que si les mystères de l’esprit sont grands, ceux de la matière sont insondables ; que la notion de la matière, enfin, qui devait être la seule claire et la seule certaine, trahit ouvertement l’un et l’autre de ces caractères.

Le premier problème que nous pose l’existence de la matière est le point de savoir si elle est ou non divisible à l’infini. Or, nous allons nous convaincre que toute issue donnée à ce problème défie absolument notre faculté de conception, et probablement aussi celle de nos adversaires.

Supposé la matière divisible à l’infini, nous demandons où réside la force prétendue inhérente à la matière, qui agrège les molécules dans les divers états sous lesquels elle se rend perceptible à nos sens, si cette force n’est ni inhérente à aucun de ces aggrégats, produit lui-même de cette force, ni à aucune des molécules, si réduite qu’on la suppose, dont il est composé, et qui est divisible à son tour, ni non plus extrinsèque à aucune matière ou molécule de matière, laquelle est la substance unique.

Si nous disons la matière divisible à l’infini, la matière avec la force qui lui est censée inhérente s’évanouit dans ma pensée ; son lieu ne la reconnaît plus ; le matérialisme tourne au nihilisme.

Or le principe de la divisibilité à l’infini de la matière a en sa faveur de fortes présomptions tirées de la divisibilité à l’infini de l’espace, qui tout à la fois échappe à ma perception et s’impose à ma raison. Je puis en effet toujours me représenter soit une molécule matérielle occupant une certaine étendue d’espace, soit une certaine étendue d’espace occupée par une molécule matérielle ; et s’il est mathématiquement établi que l’espace est divisible à l’infini, mon esprit ne saurait se lasser de combler de matière les limites de cet espace infiniment rapprochées sans être jamais confondues ; car dès l’instant où la dernière subdivision de l’espace se trouverait confondue pour mon esprit avec le point mathématique, c’est-à-dire avec une abstraction sans dimensions, la dernière molécule occupant ce dernier point divisible se trouverait eo ipso, une fois cette limite franchie, convertie en quelque chose qui ne serait plus matière, mais force pure, et le matérialisme abdiquant son principe essentiel aurait tourné au dynamismek.

k – Sur la divisibilité infinie des corps, voir Bossuet, Traité du libre arbitre. ch. IV. Voir aussi l’Analyse métaphysique de M. Alaux, qui la nie.

Ou bien, nous ferons à l’adversaire l’importante concession d’arrêter la division de la matière à un point fixe, simple, immuable, indélébile, encore étendu (sinon, ne relevant plus de l’espace, il ne serait plus matériel), mais indécomposable, puisqu’à ce point s’est épuisée la série des divisions. Ce seraient ces points appelés atomes qui seraient la résidence et comme la retraite dernière de la force que nous voyons produire tous les mouvements de la nature entière, depuis les affinités chimiques causées par les mouvements moléculaires jusqu’aux déplacements des corps sidéraux dans les infinis de l’espace.

Nous reconnaissons que cette seconde alternative procure au matérialisme un appui pour reprendre pied, mais cette satisfaction ne saurait être bien longue. La concession même que nous venons de lui faire, de l’existence de l’atome, ne lardera pas à se retourner contre lui, en mettant deux fois de suite en défaut le seul critère de connaissance et de certitude qu’il reconnaisse. Soit en effet que nous considérions l’atome dans l’espace ou dans le temps, les prédicats qui lui sont attribués, l’étendue, l’indivisibilité et l’éternité échappent, aussi bien que l’existence et les caractères de l’esprit, à toute expérience et perception sensible. A la place donc de l’élément primordial qui devait rendre raison de l’universalité de l’être et des êtres, je ne trouve plus que le concept d’un objet dont les attributs essentiels et l’existence même sont également hypothétiques.

Supposez donc l’atome étendu, vous ne pouvez empêcher mon esprit de pratiquer dans cette surface étendue de nouveaux partages. Supposez au dernier terme de la division le point indécomposable et inétendu, il n’y a plus de matière, parce qu’il n’y a plus d’espace.

Jusqu’ici cependant nous avons considéré l’atome fixe et immobile. De nouvelles difficultés nous attendent pour l’instant où ces atomes seront mobilisés, mis en relation les uns avec les autres, et où nous assisterons aux combinaisons par lesquelles le monde actuel se produit et se conserve.

Nous allons voir le système osciller entre deux principes différents sinon contraires, le fatalisme et le hasard, selon que les mouvements des atomes seront conçus déterminés ou désordonnés.

« D’après le système, a écrit M. Secrétan, l’intelligence ne figure en aucun sens comme principe dans la constitution du monde, et néanmoins elle résulte nécessairement du groupement d’atomes sans intelligence. Dans le détail tout a sa cause ; dans l’ensemble, tout vient de rien. Telle est la logique du système. Mais cette logique n’aboutit pas. Ce que le système nie en paroles, il l’accorde en fait. La nébuleuse contient bien réellement la raison en puissance, puisque la raison de l’homme doit nécessairement en sortir. Cette nécessité que le meilleur arrive à la fin n’est autre chose que la finalité mal déguisée, et ne peut se soutenir qu’aux mêmes conditions que la finalité proclamée. Si la nécessité que l’esprit arrive à la fin existe dès le commencement, l’esprit subsiste dès le commencement. Nous n’échappons à la théologie qu’en nous empêchant de tirer toute la conséquence du principe que nous posons nous-mêmes.fg

Rapportez-vous tous les mouvements de la matière à des lois ? Il vous reste à expliquer le rapport de ces lois avec l’atome dont vous faites le principe unique de toutes choses. Il faudra donc admettre que ces lois motrices de la matière sont des déterminations inhérentes à la molécule simple, soit que les mêmes déterminations soient communes à tous les atomes, soit que chaque atome soit affecté de déterminations qui lui soient propres.

Mais dans ce cas l’atome n’est plus déterminant, mais déterminé, et cette détermination attachée aux atomes nous rejette forcément vers un principe extrinsèque à eux et qui serait le déterminant, c’est-à-dire la loi. Comment en effet s’expliquer par l’essence de l’atome qui, divisible ou indivisible, n’occupe à chaque instant qu’un espace, une direction constante de cet atome de la partie de l’espace qu’il occupe vers celle qu’il n’occupe pas encore ? Cela serait contradictoire en soi, à moins d’une force motrice venant d’ailleurs et tendant ailleurs, c’est-à-dire d’une cause extérieure et déterminante, et dans ce cas l’unité de la substance est sacrifiée.

Encore si ces savants se contentaient, comme certains politiques, de faire de l’ordre avec du désordre, de maintenir les lois de l’univers avec du hasard, nous les trouverions déjà bien habiles. Ils vont plus loin ; ils aspirent au progrès ; ils se font les parangons du progrès. Ils oublient que là où il n’y a pas de commencement, il n’y a pas de fin, et qu’où il n’y a ni commencement ni fin, il ne saurait y avoir marche de l’un à l’autre. Qu’est-ce qu’un progrès dont le point de départ se perd dans la nuit ? Où est-il écrit que l’état de mammifère représente un progrès sur l’état de mollusque, et l’état humain sur l’un et l’autre ? En portant à son actif les progrès de l’industrie, des sciences, des arts, des lumières, le matérialisme trahit l’irrésistible aspiration qui, se dégageant du fond de l’âme humaine, proteste contre la théorie qui la supprime. En nommant le progrès, il dépose en faveur des vérités qu’il repousse. En réalité le matérialisme ne se soutient qu’en empruntant au spiritualisme ses défroques ; il ne peut renier l’esprit qu’à la condition d’accorder à la matière autant de moralité, de vertu et d’esprit qu’à l’esprit.

Citons comme un des nouveaux exemples de cette inconséquence, l’extrait suivant du catéchisme civique de M. André Barthel :

— D. Est-ce que les espèces n’ont pas toujours été ce qu’elles sont ?
— R. Non. l’oiseau n’a pas toujours eu l’empire des airs.
— D. Où était-il alors ?
— R. Au bas de l’échelle, attendant son tour de faveur ; absolument comme le paralytique de Béthesda alors !

L’élève ne comprenant pas, demande ce que l’oiseau pouvait bien être avant d’être oiseau :

— R. C’était un reptile immonde qui vivait dans la fange ; mais un jour le saurien a été mordu secrètement par l’instinct des destinées supérieures. Ce saurien se plaît à rêver des voyages à travers les airs. Le rêve de ce crâne aplati fut si persévérant que la nature obéissante dut s’y associer et prendre l’engagement de faire de ce saurien un oiseau dans ses moments perdusl.

l – Extrait de L’Illustration, n° de Juin 1883.

Pour échapper au dualisme qui menace le système, il faudra se tourner vers l’alternative que l’atome n’est affecté d’aucune détermination constante, est livré à des mouvements désordonnés dont le concours fortuit a fini par produire l’ordre dont nous sommes les témoins ; que, comme le veut Büchner, il n’y a que matière en mouvement, mais point de force causatrice et directrice de ces mouvements, et nous tombons du déterminisme dans l’atomisme absolu.

Mais supposé que l’extravagance de cette supposition soit compensée par l’extension indéfinie du temps et de l’espace où cette chance unique a pu arriver à son tour, toujours est-il que l’heureux hasard, qui aurait produit le monde une fois, devrait se répéter une infinité de fois pour le conserver, ou faire à son tour place à la loi seule suffisante pour rendre raison de l’immutabilité et de la périodicité constatées par l’expérience des phénomènes naturels.

« On croit dire quelque chose, s’écrie avec raison J.-J. Rousseau, par ces mots de force motrice, de mouvement nécessaire, et l’on ne dit rien du tout. L’idée du mouvement n’est autre chose que l’idée du transport d’un lieu dans un autre. Il n’y a point de mouvement sans quelque direction, car un être individuel ne saurait se mouvoir à la fois dans tous les sens. Dans quel sens donc la matière se meut-elle nécessairement ? Toute la matière des corps a-t-elle un mouvement uniforme, ou chaque atome a-t-il son mouvement propre ? Selon la première idée, l’univers doit former une masse solide et indivisible ; selon la seconde, il ne doit former qu’un fluide épars et incohérent, sans qu’il soit jamais possible que deux atomes se réunissent. Sur quelle direction se fera ce mouvement commun de toute la matière ? Sera-ce en droite ligne ou circulairement ? en haut ou en bas, à droite ou à gauche ? Si chaque molécule de matière a sa direction particulière, quelles seront les causes de toutes ces directions et de toutes ces différences ? Si chaque atome ou molécule de matière ne faisait que tourner sur son propre centre, jamais rien ne sortirait de sa place, et il n’y aurait point de mouvement communiqué ; encore même faudrait-il que ce mouvement circulaire fût déterminé dans quelque sens. Donner à la matière le mouvement par abstraction, c’est dire des mots qui ne signifient rien, et lui donner un mouvement déterminé, c’est supposer une cause qui le détermine. Plus je multiplie les forces particulières, plus j’ai de nouvelles causes à expliquer, sans jamais trouver un agent commun qui les dirige. Loin de pouvoir imaginer aucun ordre dans le concours fortuit des éléments, je n’en puis pas même imaginer le combat, et le chaos de l’univers m’est plus incompréhensible que son harmonie. Je comprends que le mécanisme du monde peut n’être pas intelligible à l’esprit humain ; mais sitôt qu’un homme se mêle de l’expliquer, il doit dire des choses que les hommes entendentm. »

mEmile, Livre IV. Profession de foi du Vicaire savoyard, première partie.

Ainsi, que le matérialisme parle de lois dans la nature et de progrès dans l’humanité, il s’abuse et nous abuse. Il nous paie de mots. Qu’il réduise au contraire le principe de l’existence à l’atome animé de mouvements fortuits, il ramène le monde à un état permanent de chaos. Nous accordons que les mystères de la substance matérielle en sont aussi pour nous, et nous ne nous chargeons pas de les résoudre. Mais il y a cette différence entre nos adversaires et nous que, réduits à une seule source d’informations, si celle-ci frustre leur attente, ils n’ont plus ni secours ni lumières nouvelles à recevoir d’ailleurs ; tandis que repoussés du côté de la matière, il nous reste toujours le droit de nous adresser à l’esprit. Or mystères pour mystères, nous répétons que ceux de l’esprit, substance simple, indivisible, identique à elle-même, homogène à la pensée, sont moins redoutables, moins contradictoires en eux-mêmes que ceux de la matière.

Mais ce critère posé par le matérialisme comme unique et souverain, de la perception sensible, à supposer même, ce qui n’est pas, que le système y répondit, a-t-il du moins une valeur objective, ou serait-il, lui le premier, autre chose qu’une hypothèse ?

En l’examinant en lui-même, nous y trouvons une affirmation implicite de la prémisse même qu’il fallait établir, du point même qui est en question : savoir l’impossibilité en soi de l’existence de l’esprit. De l’action des causes dites secondes attestée par l’expérience sensible, le matérialisme s’empresse de conclure à l’incompatibilité d’une cause dite première avec ces causes secondes ; de la présence constatée des causes efficientes, à l’impossibilité de causes finales ; de la présence indubitable des faits matériels à l’absence non moins indubitable des faits spirituels. On pose ainsi en fait que l’existence de la matière est exclusive de celle de l’esprit ; que l’affirmation de l’une implique la négation de l’autre.

Or c’est là une pure pétition de principes. Que notre adversaire se l’enferme dans l’ignorance des faits qui échappent au critère qu’il a posé, nous lui en accordons le droit. Que l’âme ne se découvre point à la pointe du scalpel, ni Dieu au bout d’un télescope, pas plus qu’au terme d’un syllogisme, nous le savions déjà. Mais passer du doute à la négation, c’est-à-dire à l’affirmation opposée, ce n’est que substituer un dogme à un autre.

Nous venons de voir le matérialisme condamné lui le premier par les principes de méthode que lui-même a choisis et prétend imposer à autrui. Mais c’est à ses conséquences morales que nous l’attendons ; et c’est ici même que son audace semble croître avec son incompétence. Mis en présence du critère moral, il va se révéler à nous non plus comme une erreur seulement, mais comme une faute :

« La liberté humaine, écrit Büchner, est un non-sens. L’ignorance seule peut être assez présomptueuse pour parler de libre arbitre et de conscience. La responsabilité, l’imputabililé, telle que la morale, la jurisprudence criminelle et Dieu sait quoi encore, voudraient nous l’imposer, n’existe en aucune façon. Le péché et la faute sont des mots qui ne signifient rien. Amour et haine, générosité et trahison, meurtre, crime, hypocrisie sont les conséquences nécessaires de certaines combinaisons du cerveau. Tout est permis à l’homme de ce qu’il peut faire pour la satisfaction de ses penchants naturels. Le mariage est une institution accidentelle. L’égoïsme est la cause de toutes les vertus. La foi chrétienne est l’hypocrisie de l’aveuglement volontaire, le péché capital du temps actueln. »

nDu matérialisme au point de vue des sciences naturelles et des progrès de l’esprit humain. Cité par M. Fréd. de Rougemont dans sa brochure : L’homme et le singe.

On voit qu’en morale pas plus qu’en métaphysique, le matérialisme ne se prive de se contredire. Il n’y a ni péché ni crime ; néanmoins la foi chrétienne est un péché et un crime. Il n’y a point de liberté ; néanmoins la foi chrétienne est un aveuglement volontaire. Il n’y a ni vérité ni erreur, et toute croyance religieuse n’en est pas moins une erreur. Le crime est une action moralement indifférente, mais la sentence qui le condamne et le punit est criminelle. Et la voix de la conscience restée muette au spectacle du mal commis, se réveille, s’indigne et s’insurge chez vous au contact de l’intérêt atteint ou de l’honneur offensé.

Il faut donc que ces grands principes de l’opposition du bien et du mal, de la vérité et de l’erreur, soient bien profondément gravés dans la conscience humaine, pour qu’ils ressuscitent ainsi à tout propos de leur tombeau, et que parfois, à leur insu et contre leur gré, les mêmes hommes les confirment à l’instant même où ils les nient.

« Quoi, s’écrie J.-J. Rousseau dans un mouvement de saine éloquence, je puis observer, connaître les êtres et leurs rapports ; je puis sentir ce que c’est qu’ordre, beauté, vertu ; je puis contempler l’univers, m’élever à la main qui le gouverne ; je puis même aimer le bien, le faire, et je me comparerais aux bêtes ! Ame abjecte, c’est ta triste philosophie qui te rend semblable à elles ; ou plutôt tu veux en vain t’avilir ; ton génie dépose contre tes principes ; ton cœur bienfaisant dément ta doctrine ; et l’abus même de tes facultés prouve leur excellence en dépit de toi. »

Un dernier châtiment restait réservé au matérialisme et au positivisme contemporain ; un dernier démenti à donner à ses prétentions. C’est, avons-nous dit dans notre volume précédent, M. Taine qui s’est chargé de prononcer le dernier mot du système annoncé naguère comme apportant avec lui et lui seul la certitude valable et absolue. Or ce dernier mot est le scepticisme absolu et universel ; le scepticisme gagnant le sanctuaire même du moi, dissolvant et éteignant l’axiome dont Descartes avait fait le fondement de toute évidence : l’identité du moi ; le scepticisme qui, après avoir dévoré la conscience, la pensée, finit par emporter, et cela par une conséquence logique, directe et inévitable, l’existence du moi lui-même.

Mais que parlons-nous de logique et de pensée ; et que faisait M. C. Vogt d’en appeler en faveur du matérialisme à ces vocables surannés empruntés à l’ordre invisible. Si vous êtes plus capable que moi de comprendre votre formule, que la pensée serait une sécrétion du cerveau, cela même prouve que votre pensée est autre chose, et retournant contre le matérialisme l’existence même des savants matérialistes, nous leur disons avec M. E. Naville : « Si la matière existait seule, le matérialisme n’existerait paso ».

oLe libre arbitre, page 20.

La conclusion logique de notre critique du matérialisme semblerait être la négation absolue de l’existence de la matière, comme impliquant contradiction en soi, et sa réduction à une cause d’illusion ou à l’état d’apparence. Celte conclusion dépasserait nos intentions. Le fait qu’une chose nous apparaît comme incompréhensible n’est point une raison suffisante pour nous en faire rejeter la réalité, et il est d’ailleurs un grand nombre de faits qui dépassent notoirement notre conception, et dont nous tenons, bon gré, mal gré, l’existence pour certaine. La matière est de ce nombre, et si nous avons pu en opposer l’incompréhensibilité à ceux qui prétendent rattacher à cet unique élément la raison universelle des choses, nous ne saurions, d’autre part, nous prévaloir de ce caractère pour établir le caractère irréel de cette substance et dissoudre l’atome étendu dans l’atome dynamique. Mais comme le dynamisme bien qu’erroné, selon nous, a pourtant une gravité bien moindre que le matérialisme, d’une part, que le panthéisme, de l’autre ; que même cette doctrine, une fois admise, ne menacerait point les principes fondamentaux de la révélation naturelle que nous défendons ici ; qu’elle reste compatible avec la foi religieuse et morale, il sera entendu que la critique de cette conception n’intéresse pas aussi directement l’apologétique que les systèmes que nous venons de nommer.

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