1.[1] Telle fut la fin d'un des meurtriers d'Alexandre et d'Aristobule. Bientôt l'auteur principal de ce crime, Antipater, tomba à son tour, par une conséquence lointaine de la mort de Phéroras. Quelques-uns des affranchis de Phéroras allèrent, les yeux bas, trouver le roi et lui dirent que son frère était mort empoisonné ; sa femme lui avait offert un mets peu ordinaire, et, aussitôt après l'avoir mangé, il était tombé malade. Or, deux jours auparavant, la mère et la sœur de sa femme avaient amené une femme d'Arabie, experte en poisons, pour préparer un philtre d'amour à Phéroras, au lieu de quoi elle lui avait donné un breuvage de mort, à l'instigation de Sylléos[2], qui la connaissait.
[1] Ch. XXX Ant., XVII, 4, 1-2.
[2] D'après Ant., XVII, § 63, la femme de Phéroras aurait été liée avec la maîtresse de Sylléos.
2. Aussitôt, assailli de nombreux soupçons, le roi fit mettre à la torture les servantes et quelques femmes libres. Une de ces dernières s'écria au milieu des douleurs : « Puisse le Dieu qui gouverne la terre et le ciel frapper l'auteur de ces maux que nous souffrons, la mère d'Antipater ! » Hérode, s'attachant à cet indice, poussa plus loin la recherche de la vérité. La femme dévoila alors l'amitié de la mère d'Antipater pour Phéroras et les dames de sa famille, leurs rencontres clandestines : elle dit que Phéroras et Antipater passaient des nuits à boire avec elles, après avoir quitté le roi, sans laisser aucun serviteur ni servante assister à ces réunions.
3. Telles furent les révélations d'une des femmes libres. D'autre part Hérode fit torturer séparément toutes ces esclaves. Tous leurs témoignages se trouvèrent concorder avec le précédent ; elles ajoutèrent que c'était par suite d'un accord qu'Antipater et Phéroras s'étaient retirés l'un à Rome, l'autre dans la Pérée, car l'un et l'autre se disaient souvent qu'Hérode, après avoir frappé Alexandre et Aristobule, s'attaquerait à eux et à leurs femme ; qu'ayant immolé Mariamme et ses enfants, il n'épargnerait personne, et qu'il valait donc mieux fuir le plus loin possible de cette bête féroce. Antipater, disaient-elles encore, se plaignait souvent à sa mère d'avoir déjà des cheveux gris, tandis que son père rajeunissait tous les jours ; il précéderait peut-être Hérode dans la tombe avant d'avoir vraiment régné. Si même Hérode se décidait à mourir — et quand cela serait-il ? — il ne jouirait que très peu de temps de son héritage. Car ne voyait-on pas croître les têtes de l'hydre, les fils d'Aristobule et d'Alexandre ? Son père ne lui avait-il pas ravi même l'espérance qu'il avait fondée sur ses enfants ? Ne lui avait-il pas assigné pour héritier, non pas un de ses propres fils, mais Hérode, le fils de Mariamme (II) ? En cela, le roi faisait d'ailleurs preuve de sénilité s'il pensait que ses dispositions testamentaires seraient maintenues ; car lui-même prendrait soin de ne laisser en vie aucun de ses enfants. Ce père, le plus dénaturé qui fut jamais, haïssait encore plus son frère que ses enfants. L'autre jour encore, il avait donné à Antipater cent talents pour ne plus s'entretenir avec Phéroras : « Quelle offense, dit alors Phéroras, lui avons-nous donc faite ? » Et Antipater : « Plût au ciel qu'il nous dépouillât de tout et nous laissât la vie toute nue ! mais il est difficile d'échapper à une bête aussi altérée de sang, qui ne vous laisse même pas aimer ouvertement quelques amis. Voyons-nous donc maintenant en secret ; nous pourrons le faire ouvertement le jour où nous aurons le courage et le bras d'un homme ».
4. A ces révélations les femmes torturées ajoutaient que Phéroras avait songé à fuir avec elles à Pétra. Hérode ajouta foi à tous ces témoignages, à cause du détail des cent talents ; car il n'en avait parlé qu'au seul Antipater. Sa colère se déchaîna d'abord sur Doris, mère d'Antipater ; après l'avoir dépouillée de toutes les parures qu'il lui avait données et qui valaient beaucoup de talents, il la répudia pour la seconde fois. Quant aux femmes de Phéroras, une fois torturées, il se réconcilia avec elles et leur prodigua ses soins. Mais tremblant de frayeur et s'enflammant au moindre soupçon, il faisait traîner à la question nombre d'innocents, dans sa crainte que quelque coupable ne lui échappât.
5. Ensuite, il se tourna contre Antipater de Samarie, qui était intendant de son fils Antipater. En lui infligeant la torture, il apprit qu'Antipater avait fait venir d'Égypte, pour tuer le roi, un poison mortel, par l'entremise d'Antiphilos, un de ses compagnons ; que Theudion, oncle maternel d'Antipater, l'avait reçu de cet homme et transmis à Phéroras ; qu'Antipater avait, en effet, prescrit à Phéroras de tuer Hérode, pendant que lui-même serait à Rome, protégé contre tout soupçon ; qu'enfin Phéroras avait remis le poison aux mains de sa femme. Le roi envoya chercher cette femme et lui commanda d'apporter sur-le-champ ce qu'on lui avait confié. Elle sortit comme pour le chercher, mais se précipita du haut du toit pour échapper à la preuve de son crime et aux outrages du roi ; cependant la Providence, ce semble, qui poursuivait Antipater, la fit tomber non sur la tête mais sur le dos, et la sauva. Transportée près du roi, celui-ci lui fit reprendre ses sens, car la chute l'avait fait évanouir puis il lui demanda pourquoi elle s'était jetée du toit ; il déclara avec serment que, si elle disait la vérité, il lui épargnerait tout châtiment, mais que, si elle dissimulait, il déchirerait son corps dans les tourments et n'en laisserait même rien pour la sépulture.
6. La femme garda un instant le silence, puis s'écria : « Après tout, pourquoi respecterais-je encore ces secrets, maintenant que Phéroras est mort ? pourquoi sauverais-je Antipater, l'auteur de notre perte à tous ? Écoute-moi, ô roi ; qu'il m'entende aussi, Dieu, témoin de la vérité de mes paroles, juge infaillible ! Quand tu étais assis en pleurant auprès de Phéroras mourant, il m'appela pour me dire : « Femme je me suis trompé sur les sentiments de mon frère à mon égard ; je l'ai haï, lui qui m'aimait tant ; j'ai comploté de tuer celui qui se montre si bouleversé de chagrin avant même ma mort. Pour moi, je reçois le prix de mon impiété ; quant à toi, apporte-moi le poison que tu gardes pour lui et qu'Antipater nous a laissé, détruis-le promptement sous mes yeux, pour que je n'aille pas me nourrir aux enfers[3] mêmes un démon vengeur ». J'apportai le poison, comme il l'ordonnait ; sous ses yeux, j'en jetai au feu la plus grande partie ; je n'en ai gardé pour moi qu'une petite dose contre les incertitudes de l'avenir et la crainte que tu m'inspirais ».
[3] τρέφοιμι (Naber) au lieu de φέροιμι des mss.
7. Après avoir fait cette déclaration elle apporta la boite qui ne renfermait qu'un petit reste de poison. Le roi fit alors mettre à la question la mère et le frère d'Antiphilos ; ceux-ci avouèrent qu'Antiphilos avait apporté d'Égypte cette boite et qu'il tenait le poison d'un de ses frères, médecin à Alexandrie.
Ainsi les mânes d'Alexandre et d'Aristobule[4] se promenaient à travers tout le palais, recherchant et dévoilant tous les mystères, et traînant devant le juge ceux mêmes qui paraissaient le plus à l'abri du soupçon. C'est ainsi qu'on découvrit aussi que Mariamme, la fille du grand-prêtre, avait été partie au complot ; ses frères, mis à la torture, la dénoncèrent. Le roi punit sur le fils l'audace de la mère ; Hérode, qu'il avait donné pour successeur à Antipater, fut rayé de son testament.
[4] Image toute païenne, empruntée sans réflexion à Nicolas. Elle reparaît plus loin.