Si nous ne jetons les yeux que sur les nations qui ont surpassé les autres en gloire et en prospérité, et que nous veuillons bien remonter dans les siècles passés, nous ne trouverons rien dans le monde qui n’afflige notre esprit, et qui ne confonde notre raison : nous trouverons que les Grecs, les plus polis et les plus civilisés qui soient parmi tous les peuples de la terre, bâtissent des autels à l’envie et à la discorde ; que les Egyptiens, qui se vantent d’avoir communiqué leurs lumières à la Grèce, cherchent l’objet de leur culte parmi les herbes qui croissent dans leurs jardins ; que les Romains adorent la fièvre, et qu’ils encensent aux divinités qu’ils ont menées en triomphe.
Ce désordre est général. Toutes les nations, qui tiennent quelque rang dans le monde, conçoivent la divinité divisée et multipliée en cent vertus ou providences particulières, corporelle, bornée, produite, faible, misérable. ambitieuse, et déshonorée de mille vices ; ce qui est sans doute le comble de l’extravagance.
Nous trouvons néanmoins au milieu de cette multitude quelques hommes à qui l’on donne le nom de philosophes, qui se moquent des grossières imaginations du vulgaire ; et de ces derniers, les uns ne savent ce qu’ils doivent croire, et sont tentés de douter de toutes choses par le peu de certitude qu’ils trouvent dans leurs spéculations ; les autres, faisant un meilleur usage de leurs lumières, viennent à reconnaître qu’il n’y a qu’un Dieu, qui a fait tout et qui gouverne tout : encore ceux-ci ne laissent-ils pas de mêler des imaginations monstrueuses à cette idée de l’unité et de la parfaite souveraineté de Dieu, qui est le premier et le plus évident de tous les principes ; et l’on en voit si peu qui puissent persister dans une connaissance pure et saine de la divinité, qu’ils ne font point de nombre ; car, pour le général, il est enseveli dans une superstition déplorable.
Mais lorsque nous ne voyons dans le monde qu’ignorance, superstition, mystères impurs, imbécillité dans les peuples, imposture dans les pontifes, incertitude dans les philosophes, des hommes qu’on déifie après la mort, des bêtes qu’on érige en divinités, des divinités dont on fait des bêtes, le crime changé en devoir, et les principes de la religion naturelle servant à flatter l’orgueil ou à nourrir l’impiété des hommes ; nous trouvons dans un coin de la terre, obscur et inconnu, un peuple de sages et de philosophes, s’il m’est permis de parler ainsi, qui ont de plus beaux sentiments de la divinité que Socrate et que Platon, et qui portent l’idée de la vertu beaucoup plus loin que les stoïciens ne l’ont jamais portée.
Les Juifs se représentent la divinité comme un être éternel, infini, un et simple, tout parfait, tout puissant, souverainement saint et heureux, indépendant de lui-même, et duquel toutes choses dépendent ; ils lui rendent leurs hommages, ils lui attribuent tout le bien qu’ils reçoivent ; ils prennent sa loi pour règle de leur conduite ; ils font profession de lui soumettre leur esprit et leur volonté, et de renoncer à leurs mauvais désirs pour l’amour de lui. Que sera-ce que cela ? Est-ce que les Juifs sont plus polis que les autres peuples ? Nullement ; ils sont beaucoup plus grossiers à tous les autres égards. Est-ce qu’ils sont exempts des passions qui font le penchant ordinaire qu’on a pour la superstition ? Mais, si cela est, à quoi attribuerons-nous cette merveille, la plus grande qui puisse être conçue ? Dira-t-on que les Juifs étaient descendus d’Abraham, qui acquit la connaissance du vrai Dieu par la considération de la nature ? Les Ismaélites et les Iduméens se vantent du même avantage. Croira-t-on que c’est par hasard que les patriarches ont acquis la connaissance du vrai Dieu ? Ce serait là un hasard bien judicieux, bien constant et bien sage. D’ailleurs, la difficulté n’est pas tant à savoir comment les Juifs ont acquis la connaissance du vrai Dieu, qu’à nous dire comment cette connaissance a pu se conserver au milieu d’eux pendant plusieurs milliers d’années, sans que le temps, qui change tout, les révolutions de leur État, l’exemple des nations voisines, l’autorité de ces peuples auxquels ils obéissaient de temps en temps, et les passions de leur cœur plus puissantes que tous ces principes et plus capables de changer la religion en superstition, aient pu éteindre la connaissance du vrai Dieu au milieu d’eux.
Est-ce donc que cette nation, si méprisée des autres, serait la dépositaire de cette révélation que nous cherchons ? Elle le prétend ainsi ; mais il faut voir ce qui en est ; et pour cela, nous devons examiner : 1° si cette révélation qu’elle nous montre a des caractères de vérité et de divinité qui nous persuadent qu’elle vient de Dieu ; 2° si, supposé qu’elle ait Dieu pour son principe, nous ne pouvons pas nous assurer, et même sans autre examen, qu’elle ne peut jamais être une source d’erreur et d’illusion pour nous, et que Dieu qui l’a donnée est intéressé à la conserver par sa providence ; 3° si les moyens dont la sagesse divine s’est servie pour nous conserver cette révélation, sont d’une telle nature qu’il soit entièrement impossible qu’elle ait été altérée essentiellement, ou qu’elle se soit perdue ; 4° si l’incrédulité ne peut point concevoir sur ce sujet des soupçons qui méritent d’être considérés.
On espère que la vérité recevra un grand jour de ces quatre espèces d’examen dans lesquelles nous allons entrer.