Chapitre 20.
Or le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine vient le matin, pendant qu’il faisait encore obscur, vers le sépulcre, et elle voit la pierre enlevée du sépulcre. Elle court donc et vient vers Simon Pierre et vers l’autre disciple que Jésus aimait, et elle leur dit : Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur et nous ne savons où ils l’ont mis. Pierre sortit donc, ainsi que l’autre disciple, et ils allaient au sépulcre. Or ils couraient tous deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et il arriva le premier au sépulcre ; et s’étant baissé, il voit les bandelettes par terre ; cependant il n’entra pas. Arrive donc Simon Pierre qui le suivait, et il entra dans le sépulcre : il voit les bandelettes par terre et le linge qui avait été sur la tête, non point par terre avec les bandelettes, mais roulé à part dans un coin. Alors donc entra aussi l’autre disciple, qui était arrivé le premier au sépulcre, et il vit et il crut, car ils n’avaient pas encore compris que d’après l’Écriture il fallait qu’il ressuscitât des morts. Les disciples s’en retournèrent donc chez eux.
Mais Marie se tenait dehors près du sépulcre, en pleurant. Comme donc elle pleurait, elle se baissa vers le sépulcre et elle voit deux anges vêtus de blanc, assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, là où avait été couché le corps du Seigneur ; et ils lui disent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur dit : Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur et que je ne sais où ils l’ont mis. Après avoir dit cela, elle se retourna en arrière et elle voit Jésus debout et elle ne savait pas que ce fût Jésus. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle, s’imaginant que c’est le jardinier, lui dit : Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, je l’irai prendre. Jésus lui dit : Marie ! Elle, s’étant retournée, lui dit en hébreu : Rabbouni, ce qui signifie : Maître ! Jésus lui dit : Ne me touche pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va vers mes frères et leur dis : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Marie-Madeleine va annoncer aux disciples qu’elle a vu le Seigneur et qu’il lui a dit ces choses.
Le soir donc de ce premier jour de la semaine et les portes du lieu où étaient les disciples, étant fermées par crainte des Juifs, Jésus vint et se tint au milieu d’eux et leur dit : Que la paix soit avec vous ! Et ayant dit cela, il leur montra et ses mains et son côté. Les disciples furent donc dans la joie en voyant le Seigneur. Il leur dit donc derechef : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Et ayant dit cela, il souffla et leur dit : Recevez le Saint-Esprit. A tous ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis ; à tous ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.
Cependant Thomas, un des douze, celui qui est appelé Didyme, n’était pas avec eux lorsque vint Jésus. Les autres disciples lui disaient donc : Nous avons vu le Seigneur. Mais il leur dit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main sur son côté, je ne croirai point.
Huit jours après, les disciples étaient de nouveau dans la maison et Thomas était avec eux. Jésus vient, les portes étant fermées, et il se tint au milieu d’eux et dit : Que la paix soit avec vous ! Ensuite il dit à Thomas : Avance ici ton doigt et vois mes mains et avance ta main et la mets sur mon côté et ne deviens pas incrédule, mais croyant. Thomas lui répondit et lui dit : Mon Seigneur et mon Dieu ! Jésus lui dit : Parce que tu as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru !
Jésus fit donc en présence des disciples beaucoup d’autres miracles, qui n’ont point été écrits dans ce livre. Mais ceux-ci ont été écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et afin qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Chapitre 21
[Ce chapitre est souvent considéré, même par ceux qui admettent qu’il provient directement du même auteur que les vingt chapitres précédents, comme ne s’y rattachant point intimement, comme formant un véritable appendice ayant son unité et son but en lui-même : ainsi Godet. Pour le prouver, on insiste, entre autres, sur Jean 20.30-31, qui pourrait, il est vrai, être envisagé comme la conclusion de l’Évangile. Mais le commencement même de cet Évangile montre que son auteur, après avoir posé une thèse (1.7), ne craint point de se laisser aller à certains développements (8-14, 16-18) qui s’en écartent en se rattachant à une idée antérieurement émise, puis reprend la thèse et la démontre largement (15, 19-36). Nous serions disposé à regarder de même 20.30, comme une thèse que Jean développerait 21.1-23, par un exemple, par un nouveau récit destiné en même temps soit à compléter ce qu’il avait déjà raconté dans le chapitre 20 et ce que racontaient aussi les autres Évangiles sur les apparitions de Christ ressuscité, soit à rectifier une erreur qui s’était répandue dans l’Église à propos d’une parole du Seigneur mal comprise (21.23). Au verset 25, Jean reprendrait sa thèse en l’exprimant sous une forme nouvelle, beaucoup plus accentuée, et il terminerait ainsi son Évangile.
Plusieurs théologiens, dont M. Godet, ne croient pas à l’authenticité des versets 24 et 25, mais je ne puis me ranger à leur avis. Je ne suis pas étonné que dans le v. 24 Jean se rende témoignage à lui-même, quand je le vois en faire autant déjà 19.35. Sans doute il dit alors simplement : Il sait qu’il dit vrai, tandis que dans 21.24, il y a : Nous savons que son témoignage est véritable, mais nous voyons le même auteur dans sa première Épître (1.4) parler de lui à la première personne plurielle, bien que plus tard il en parle simplement à la première personne du singulier (2.8), précisément comme il le fait à la fin de son Évangile, où au v. 24 il parle de lui à la première personne plurielle et au v. 25, à la première personne du singulier : Je ne pense pas, dit-il. Ces derniers mots me semblent complètement inexplicables si on ne les rapporte pas à Jean lui-même.
Tout le chapitre se trouve dans tous les manuscrits et toutes les traductions, ainsi que le reconnaît Bleek. Le seul v. 25 était dit omis dans un seul manuscrit et un manuscrit minuscule : le codex 63 ; mais c’était une erreur, à ce qu’atteste Tischendorf. Il est vrai que ce même verset semble avoir été primitivement omis dans le manuscrit beaucoup plus important du Sinaï, mais Godet lui-même reconnaît que cette omission n’aurait pas une grande valeur critique, « d’abord, dit-il, parce que nous avons rencontré dans ce manuscrit un très grand nombre d’omissions arbitraires ou dues à la négligence, et ensuite parce que cette lacune a été, en tout cas, immédiatement comblée par le premier correcteur, contemporain du copiste, comme l’a montré Tischendorf. »]
Après cela Jésus se manifesta de nouveau aux disciples près de la mer de Tibériade et voici comment il se manifesta.
Etaient ensemble Simon Pierre et Thomas, qui est appelé Didyme, et Nathanaël, de Cana en Galilée, et les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples. Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Ils lui dirent : Nous aussi, nous allons avec toi. Ils sortirent et montèrent dans la barque et, cette nuit-là, ils ne prirent rien. Lorsque le matin était déjà venu, Jésus se trouva debout sur le rivage ; les disciples ne savaient pas cependant que ce fût Jésus. Jésus leur dit donc : Enfants, n’avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent : Non. Mais il leur dit : Jetez le filet à la droite de la barque et vous trouverez. Ils le jetèrent donc et ils n’avaient plus la force de le tirer à cause de la quantité des poissons. Ce disciple que Jésus aimait, dit donc à Pierre : C’est le Seigneur ! Simon Pierre, ayant donc appris que c’était le Seigneur, revêtit son sarrau, car il était nu, et se jeta dans la mer. Mais les autres disciples vinrent avec la barque (car ils n’étaient pas éloignés de la terre, mais environ à la distance de deux cents coudées), entraînant le filet des poissons. Lors donc qu’ils descendirent à terre, ils voient un brasier établi et du poisson posé dessus et du pain. Jésus leur dit : Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre. Simon Pierre monta et tira le filet à terre plein de cent cinquante-trois gros poissons, et malgré ce grand nombre, le filet ne se rompit point. Jésus leur dit : Venez, déjeunez. Aucun des disciples n’osait lui demander : Qui es-tu ? sachant que c’était le Seigneur. Jésus vient et prend le pain et il le leur donne et il fait de même pour les poissons. Ce fut déjà la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis sa résurrection des morts.
Lors donc qu’ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ne font ceux-ci ? Il lui dit : Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Il lui dit : Pais mes agneaux. Il lui redit une seconde fois : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ? Il lui dit : Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Il lui dit : Pais mes brebis. Il lui dit pour la troisième fois : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ? Pierre fut attristé de ce qu’il lui avait dit pour la troisième fois : M’aimes-tu ? Et il lui dit : Tu sais toutes choses, tu connais que je t’aime. Jésus lui dit : Pais mes brebis. En vérité, en vérité, je te dis que lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais, mais lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras tes mains et un autre te ceindra et te portera où tu ne veux pas. Or il dit cela pour indiquer de quelle mort il glorifierait Dieu. Et ayant dit cela, il dit : Suis-moi. Pierre, s’étant retourné, se voit suivi par le disciple qu’aimait Jésus et qui pendant le repas s’était appuyé sur sa poitrine et avait dit : Seigneur, qui est celui qui te trahit ? Et Pierre l’ayant vu, dit à Jésus : Seigneur, mais celui-ci qu’en sera-t-il ? Et Jésus lui dit : Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. Le bruit se répandit donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Pourtant Jésus ne lui dit pas : Il ne mourra point, mais : Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ?
C’est lui qui est le disciple qui atteste ces choses et qui les a écrites, et nous savons que son témoignage est vrai. Mais il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites et si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde même pût contenir les livres où elles seraient écrites.
Au sujet de la résurrection, comme à un point de vue plus général, le quatrième Évangile est le plus fragmentaire, le plus incomplet de tous : c’est ainsi qu’il ne parle ni, comme le premier, du moment si solennel où l’ange roula la pierre du sépulcre, ni, comme le second et le troisième, de la glorieuse Ascension, qui termina cette période de la vie de Jésus, bien qu’il y ait cependant une allusion prophétique à ce dernier événement : Jean 6.62. Mais que cet Évangile est exact, suivi et lumineux dans les inappréciables fragments qu’il nous transmet ! On y sent toujours, si ce n’est le témoin oculaire, comme dans le récit des apparitions du Seigneur aux Apôtres, celui du moins qui a puisé immédiatement à la meilleure source, comme dans le narré des deux apparitions dont Marie-Madeleine fut privilégiée !
Il est vrai qu’au premier abord les données de l’Évangile de Jean semblent diverger de toutes les autres plus encore que celles-ci ne diffèrent entre elles ; l’écheveau paraît s’embrouiller davantage. Marie-Madeleine semble apparaître seule et ne plus faire partie d’un groupe de femmes ; deux anges n’apparaissent à cette pieuse femme qu’après que les disciples ont été au sépulcre. Mais si l’on examine de plus près, comme la première impression se modifie ! Au lieu de se compliquer encore, tout s’arrange au contraire, tout se concilie ! non seulement le récit de St. Jean s’accorde parfaitement avec les autres, mais de plus c’est lui qui nous explique comment les autres s’accordent entre eux ; c’est lui qui nous explique, par exemple : et comment Matthieu et Marc pouvaient parler d’un seul ange et Luc de deux, sans se tromper ni l’un ni l’autre ; et comment Marc pouvait dire que les femmes ne dirent d’abord rien à personne, tant elles avaient peur, tandis que dans le troisième Évangile nous les voyons parler aussitôt aux disciples.
Or le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine vient le matin, pendant qu’il faisait encore obscur, vers le sépulcre, et elle voit la pierre enlevée du sépulcre. Elle court donc et va vers Simon Pierre et vers l’autre disciple que Jésus aimait (c’est-à-dire l’Évangéliste lui-même, selon la manière toujours indirecte dont il se désigne dans le cours de son Évangile) et elle leur dit : Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur et nous ne savons où ils l’ont mis. En apparence, il n’est ici parlé que de Marie-Madeleine, nous la voyons seule aller et revenir, mais au fond rien ne nous oblige d’admettre qu’elle eût été seule au sépulcre. Il y a plus : nous devons reconnaître qu’elle ne parla pas aux disciples en son propre nom, mais en quelque sorte comme une déléguée : Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur, dit-elle, et nous ne savons où ils l’ont mis. Remarquons ce nous ne savons.
[De même Riggenbach et Godet. — Godet ajoute avec raison : « Nous trouvons ici une manière de conter toute semblable à celle de Luc, qui après avoir dit (Luc 24.12) : Pierre étant levé, courut au sépulcre, comme s’il voulait parler uniquement de cet Apôtre, met dans la bouche des disciples d’Emmaüs, au v. 24, ces mots : Et quelques-uns des nôtres se sont rendus au sépulcre. Jean ne mentionne, comme Luc, que le personnage qui lui importe pour la suite de son récit. »]
Souvenons-nous maintenant qu’en passant de Matthieu à Marc et de Marc à Luc, nous avons trouvé toujours plus d’intervalle entre le moment où les saintes femmes arrivèrent au sépulcre et celui où elles eurent une apparition d’ange ; souvenons-nous surtout que Luc nous dit expressément qu’étant entrées dans le sépulcre, elles n’y trouvèrent point le corps, et que pendant qu’elles ne savaient qu’en penser, deux hommes se présentèrent tout à coup à elles, vêtus d’un habit resplendissant. Ne pouvons-nous donc pas admettre que pendant cet intervalle où elles ne savaient que penser et avant d’avoir une extraordinaire apparition, Marie-Madeleine se détacha promptement de ses compagnes, ne prenant conseil que d’elle-même ou après avoir pris leur avis, pour aller dire à Pierre et à Jean que le sépulcre était vide ?
Pour elle, il est vrai, dans la vivacité de ses impressions, elle se forma bien vite une opinion : Ils ont enlevé du sépulcre le Seigneur, dit-elle aux disciples, et nous ne savons où on l’a mis. — D’où nous pouvons conclure que si les disciples furent plus tard calomnieusement accusés de cet enlèvement, ce furent eux-mêmes, au moins dans la personne de Marie-Madeleine, qui furent les premiers à en accuser leurs adversaires, mais en toute sincérité.
Pierre sortit donc, ainsi que l’autre disciple, et ils allèrent au sépulcre. Nous retrouvons ici la course de Pierre mentionnée dans Luc. Seulement Jean parle de Pierre et de lui-même, tandis que Luc, ainsi que nous l’avons remarqué, parle tantôt de Pierre seul (v. 12) et tantôt de quelques-uns des nôtres (v. 24). Ici d’ailleurs les détails abondent, même les plus minutieux.
Or ils couraient tous deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et il arriva le premier au sépulcre : et s’étant baissé, il voit les bandelettes par terre. Cependant il n’entra pas. Arrive donc Simon Pierre qui le suivait, et il entra dans le sépulcre, il voit les bandelettes par terre et le linge qui avait été sur sa tête, non point par terre avec les bandelettes, mais roulé à part dans un coin. Alors donc entra aussi l’autre disciple, qui était arrivé le premier au sépulcre, et il vit et il crut, car ils n’avaient pas encore compris que d’après l’Écriture il fallait qu’il ressuscitât des morts. Les disciples s’en retournèrent donc chez eux. Comme ce qui est dit dans ces versets s’accorde exactement avec tout ce que nous savons d’ailleurs sur Pierre et sur Jean ! — Jean est le plus jeune, aussi court-il le plus vite ; Pierre est le plus courageux, le plus impétueux, aussi est-il le premier qui entre dans le sépulcre ; Jean entre à son tour dans le sépulcre et il est le premier à croire à la résurrection de son Maître. C’est bien ce qu’il donne à entendre, car en parlant de lui-même, il dit : Et il vit et il crut, tandis qu’en parlant de Pierre et de lui, il ajoute seulement : Car ils n’avaient pas encore compris que d’après l’Écriture il fallait qu’il ressuscitât des morts. Ces mots montrent aussi que quand il dit de lui-même : Il crut, il veut dire : il crut à la résurrection de son Maître.
En fait que virent les deux Apôtres ? Ils reconnurent d’abord, comme Marie-Madeleine le leur avait annoncé, que la pierre avait été roulée et que le corps du Seigneur n’était plus dans le sépulcre ; mais ils remarquèrent aussi que les bandelettes dont on avait entouré le corps, et le linge qu’on avait mis sur la tête, étaient encore là et que ce linge n’était point à côté des bandelettes, mais roulé à part dans un coin. Jean en conclut que le corps n’avait point été enlevé, parce qu’on aurait aussi enlevé les linges ; mais il ne s’arrêta pas là et il crut aussitôt que Jésus était ressuscité, comprenant seulement alors que d’après l’Écriture il fallait que Jésus ressuscitât des morts, et se souvenant sans nul doute de tout ce que Jésus avait prédit lui-même concernant ses souffrances et sa résurrection.
Quant à Pierre, il ne fit point de si rapides progrès, il en resta à l’étonnement, à la stupéfaction. Il ne savait comment s’expliquer ce qu’il voyait. Luc le dit formellement v. 12 : Et il s’en retourna, s’étonnant en lui-même de ce qui était arrivé.
Jean fut donc le premier des disciples qui crut à la résurrection de son Maître, le premier de ces heureux dont Jésus devait parler quelques jours plus tard, en disant : Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu ! (Jean 20.29)
Cependant Marie-Madeleine était retournée au sépulcre, en suivant de loin les deux apôtres, et voici ce qui lui arriva lorsqu’ils furent revenus à Jérusalem : Mais Marie se tenait près du sépulcre en pleurant. Comme donc elle pleurait, elle se baissa vers le sépulcre et elle voit deux anges vêtus de blanc, assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, là où avait été couché le corps du Seigneur, et ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur dit : Parce qu’ils ont enlevé mon Seigneur et que je ne sais où ils l’ont mis. Marie était tellement absorbée dans sa douleur qu’elle répondit aux deux anges comme s’il n’y avait rien d’extraordinaire dans leur apparition ; elle répondit à leur question comme si cette question lui eût été adressée par le premier venu !
Mais que penser de cette apparition en regard de l’apparition d’un ange au groupe de femmes, selon Matthieu et Marc, et de l’apparition de deux anges au même groupe de femmes, selon St. Luc ? La question nous paraît facile à résoudre : il y a deux apparitions successives et très différentes. Après que Marie-Madeleine eut quitté ses compagnes pour aller avertir Pierre et Jean, celles-ci étant entrées dans le sépulcre, virent un ange assis à la droite, et comme elles étaient épouvantées, il leur dit : Ne vous épouvantez point ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, qui a été crucifié. Il est ressuscité, il n’est point ici. Voici le lieu où ils l’avaient mis. Mais allez, dites à ses disciples et à Pierre : Il vous précède en Galilée et c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit. Et étant sorties, elles s’enfuirent du sépulcre, car le tremblement et l’effroi les avaient saisies ; et elles ne dirent rien à personne, tant elles avaient peur. Peu après leur départ arrivèrent Pierre et Jean. Quand ils furent aussi partis, Marie-Madeleine, revenue au sépulcre, se baissa tout en pleurs vers l’entrée du sépulcre, elle vit alors deux anges, assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, là où avait été couché le Seigneur, et ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu. Ce n’est plus un seul ange qui doit rassurer un groupe de femmes effrayées, leur annoncer que Jésus est ressuscité et les charger d’annoncer aux disciples qu’ils le verraient en Galilée ; ce sont deux anges en présence d’une morne douleur et leur mission semble avoir été surtout de préparer Marie-Madeleine à l’apparition plus glorieuse encore qu’elle allait avoir.
Nous comprenons maintenant comment Matthieu et Marc pouvaient parler d’un seul ange et Luc, de deux. Matthieu et Luc ne séparent jamais Marie-Madeleine de ses compagnes, ils nous parlent toujours d’un seul groupe de femmes ; or nous venons de voir que s’il y eut un seul groupe de femmes jusqu’au moment où elles trouvèrent que le sépulcre était vide, Marie-Madeleine quitta alors ses compagnes et que depuis ce moment son histoire fut différente de la leur : celles-ci virent d’abord un ange leur apparaître et un peu plus tard Marie-Madeleine en vit deux. Dès que Matthieu et Luc se bornaient à raconter en gros ce qui était arrivé aux saintes femmes qui s’étaient rendues au sépulcre, ils pouvaient donc attribuer également au groupe et ce qui était arrivé à ce groupe lui-même avant le départ de Marie-Madeleine, et ce qui était arrivé après ce départ soit à Marie-Madeleine, soit aux compagnes qu’elle avait quittées. Dès qu’ils ne parlaient que d’une apparition d’ange, ils pouvaient également parler d’un seul ou de deux, puisqu’il était vrai que Marie-Madeleine en avait vu deux et que ses compagnes en avaient vu un seul. Et si Luc, en parlant des deux anges, attribuait à Marie-Madeleine et à ses compagnes ce qui n’était arrivé qu’à elle, nous voyons Matthieu faire de même au sujet de la première apparition de Jésus ressuscité : il la rapporte aux deux Marie, tandis qu’à proprement parler Marie-Madeleine en fut seule privilégiée.
Après avoir dit cela, Marie se retourna en arrière et elle voit Jésus debout et elle ne savait pas que ce fût Jésus. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle, s’imaginant que c’était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c’est toi, qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis et moi, je l’irai prendre. Jésus lui dit : Marie ! Elle, s’étant retournée, lui dit en hébreu : Rabbouni, ce qui signifie : Maître ! Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Marie-Madeleine va annoncer aux disciples qu’elle a vu le Seigneur et qu’il lui a dit ces choses. Ce qui nous conduit, ainsi que Tischendorf, Wieseler, Ebrard, Bleek, Godet, à identifier cette apparition de Jésus ressuscité avec celle qui est racontée Matthieu 28.8-10, c’est que là comme dans St. Jean, l’apparition est immédiatement rattachée à la visite des femmes au sépulcre et désignée comme ayant été la première des apparitions de Jésus ressuscité ; — c’est que Marc parle expressément du groupe de femmes comme s’étant rendu à Jérusalem aussitôt après l’apparition de l’ange (Marc 16.8) et qu’il raconte dans les deux versets qui suivent, la première apparition de Jésus comme ayant eu lieu pour Marie-Madeleine seule ; — c’est encore ce que Luc fait dire aux deux disciples qui se rendaient à Emmaüs (Luc 24.22-24) : Il est vrai que quelques femmes d’entre nous, nous ont stupéfiés : car s’étant rendues de grand matin au sépulcre et n’ayant pas trouvé le corps, elles sont venues nous dire quelles avaient même vu une apparition d’anges, qui disent qu’Il vit. Et quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre et l’ont trouvé comme les femmes l’ont dit, mais quant à Lui, on ne l’a pas vu, paroles qui s’expliquent parfaitement, si nous admettons que les deux disciples quittèrent les onze, avant le second retour de Marie-Madeleine, mais après avoir eu connaissance de ce qu’avaient dit successivement Marie-Madeleine de retour de sa première course au sépulcre, les autres femmes, et Pierre et Jean.
[Il semblerait d’après ce passage de Luc que les compagnes de Marie-Madeleine, qui, revenues à Jérusalem ne parlèrent point d’abord de ce qu’elles avaient vu et entendu (Marc 16.18), en parlèrent cependant aussitôt après le retour de Pierre et de Jean et probablement à l’occasion de ce que racontèrent ces Apôtres.]
C’est enfin certaines ressemblances d’autant plus probantes qu’elles sont plus indirectes et plus voilées, entre Matthieu 28.8-10 et Jean 20.14-18. Nous lisons en effet dans Matthieu : Mais elles, s’étant approchées, saisirent ses pieds et se prosternèrent devant lui ; et dans Jean : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté… D’un côté Matthieu fait dire à Jésus : Allez, portez cette nouvelle à mes frères, et de l’autre, Jésus dit, selon Jean : Va vers mes frères et leur dis : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.
Il est vrai que d’après Jean, Jésus ne parle point, ainsi qu’il le fait selon Matthieu, de la Galilée comme lieu de rendez-vous assigné aux disciples. Mais on ne peut pas conclure du récit du quatrième Évangile que Jésus ne dit alors à Marie-Madeleine que les paroles qui y sont rapportées. On peut très bien supposer que Jésus la chargea, en outre, de confirmer le message dont il avait déjà chargé, par le moyen d’un ange, les compagnes de Marie et que celles-ci dans leur effroi ne transmirent pas aussi promptement qu’elles auraient pu le faire.
Avec quelle douceur, quel ménagement Jésus aborde la pauvre Madeleine : Femme, pourquoi pleures-tu ? lui dit-il en premier lieu, répétant ainsi ce que les anges lui avaient déjà dit. Qui cherches-tu ? ajoute-t-il. De même que Marie avait été tellement absorbée par sa douleur, qu’elle avait répondu aux anges comme elle l’aurait fait pour le premier venu qui l’aurait interrogée, de même encore elle voit Jésus, elle l’entend lui parler et elle ne le reconnaît pas, elle le prend même pour un jardinier et elle va jusqu’à lui adresser cette parole où elle semble tellement méconnaître la faiblesse de son sexe : Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis et moi j’irai le prendre ! — Il faut que Jésus l’appelle par son nom pour qu’elle reconnaisse sa voix si aimée, si vénérée. Marie ! lui dit Jésus. La nature de cet appel si intime, si personnel, ne prouve-t-il pas que si Marie-Madeleine n’alla pas seule au sépulcre la première fois, elle fut bien seule à y retourner en suivant Pierre et Jean ? — Marie ! lui dit Jésus — Rabbouni ! lui répond-elle aussitôt… C’est tout ce qu’elle peut dire, mais en même temps elle s’élance vers lui, elle voudrait au moins le toucher, saisir ses pieds en se prosternant devant lui. Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.
Pour comprendre ces mots, rappelons-nous ce que Jésus avait dit peu auparavant à ses disciples, la veille de sa mort (Jean ch. 13 à 17) : comment il leur avait annoncé que dans peu de temps il les quitterait pour aller vers son Père, qu’il serait ainsi pleinement glorifié et retrouverait la gloire dont il jouissait dès avant que le monde existât, qu’alors il dispenserait à ses disciples le Saint-Esprit et entrerait avec eux dans une communion toute nouvelle, qu’il serait lui-même en eux, ainsi que le Père céleste.
Jésus voulait donc dire à Marie-Madeleine : Le temps n’est pas encore venu où, comme je vous l’ai annoncé, j’entrerai avec vous dans la plus intime communion ; je suis encore dans le monde, je ne suis pas encore monté vers mon Père, je ne suis pas encore glorifié, mais je vais l’être, je vais monter vers mon Père. Ne cherche donc point à rester avec moi. Mais va vers mes frères et leur dis que je vais monter vers mon Père et votre Pèrea.
a – Telle est aussi l’interprétation de Godet, Astié, Riggenbach, Neander, Bengel, Calvin, etc.
Si Jésus disait : mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu, il voulait ainsi faire sentir à ses disciples, que quelque imparfaite que fût encore, pour ainsi dire, la forme de leur union avec lui, bien qu’ils fussent même, en ce moment, plutôt séparés que rapprochés de lui, ils devaient cependant avoir pleine confiance, puisque le principe de leur union existait en Dieu, puisque le Père vers lequel il allait était aussi leur Père et que son Dieu était aussi le leur.
Pour rattacher aux paroles transmises par Jean la donnée de Matthieu concernant le rendez-vous en Galilée, — donnée que Jean pouvait d’autant mieux omettre qu’il ne se proposait point de raconter l’entrevue à laquelle devait aboutir ce rendez-vous, — nous pouvons nous représenter que Jésus, après avoir dit à Madeleine : Va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, put ajouter : Dis-leur aussi qu’avant de monter vers mon Père, je les reverrai en Galilée, comme je le leur ai déjà fait annoncer.
Jésus ressuscité n’était donc pas encore glorifié, pas encore monté vers son Père, mais il allait y monter. Il nous semble, du reste, évident qu’il n’y monta ni avant l’apparition aux onze dont il va être question dans le même Évangile, ni avant aucune des autres qui y sont mentionnées. Nous retrouvons, en effet, dans toutes ces apparitions le même caractère de réserve et d’intermittence que dans l’apparition à Marie-Madeleine. Pendant tout le temps que durèrent ces apparitions, Jésus se trouvait dans l’état transitoire qui devait précéder sa glorification. Mais nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.
Ce qui prouve bien que : Je monte vers mon Père, pouvait signifier dans la parole adressée à Marie : Je monterai, je monterai prochainement, et non pas : Je monte aussitôt, c’est que, selon le même Évangile de Jean, Jésus avait dit la veille de sa mort : Je m’en vais vers le Père (Jean 14.12) ; je viens à vous (Jean 14.18) ; vous avez entendu que je vous ai dit : Je m’en vais et je viens à vous ; si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père (Jean 14.28), — voulant dire évidemment par là : Je vais aller, j’irai prochainement vers le Père, je vais aller et je reviendrai à vous, — indiquant ainsi un avenir sans doute prochain, mais nullement immédiat.
[Ces développements paraîtraient avec raison superflus si l’on ne rencontrait parfois des assertions semblables à celle-ci que nous lisons dans l’ouvrage publié en 1864 par M. Colani sur Jésus-Christ et les croyances messianiques de son temps, p. 97 : « D’après la tradition la plus authentique (Matthieu, Marc, Jean, Paul), Jésus est remonté au ciel le dimanche matin, immédiatement après sa résurrection, il a reparu à plusieurs reprises devant ses disciples, en dernier lieu devant Paul sur le chemin de Damas : mais chaque fois il remontait auprès de Dieu. »]
Le soir donc de ce premier jour de la semaine, et les portes du lieu où étaient les disciples, étant fermées par crainte des Juifs, Jésus vint et se tint au milieu d’eux et leur dit : Que la paix soit avec vous ! Et ayant dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent dans la joie en voyant le Seigneur. Il leur dit donc derechef : Que la paix soit avec vous ! Comme le Père ma envoyé, moi aussi je vous envoie. Et ayant dit cela, il souffla et leur dit : Recevez le Saint-Esprit ! A tous ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur sont remis ; à tous ceux à qui vous les retiendrez, ils leur sont retenus. Nous retrouvons ici la même apparition qui a été mentionnée Marc 16.14, et qui a déjà été racontée d’une manière saisissante Luc 24.36-49.
En se bornant à dire que Jésus montra à ses disciples ses mains et son côté, Jean indique seulement ce que Luc avait raconté en détail (v. 37-43). Mais il ajoute à son tour de nouveaux traits. Les portes du lieu étaient fermées par crainte des Juifs, lorsque tout à coup Jésus se tint au milieu des disciples, ce qui nous semble impliquer simplement que Jésus entra miraculeusement dans la chambre, sans que nous puissions rien préciser sur le mode du miracle. Peut-être faudrait-il supposer que les portes furent miraculeusement ouvertes, comme elles le furent dans plusieurs circonstances mentionnées dans Actes 5.19 ; 12.10 ; 16.26) ; mais il n’y aurait eu cette fois ni intervention d’ange, ni tremblement de terre. Quoi qu’il en soit, Jean nous apprend que dans cette apparition, Jésus, après avoir bien convaincu les disciples qui étaient présents, de la réalité sensible de sa résurrection, leur dit une seconde fois : Que la paix soit avec vous ! et ajouta : Comme le Père m’a envoyé, je vous envoie, — puis souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit ; à tous ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur sont remis ; à tous ceux à qui vous les retiendrez, ils leur sont retenus. — Nous comprenons très bien, d’après Luc 24.44-49, comment Jésus fut amené à parler et à agir ainsi, après avoir convaincu ses disciples de sa résurrection. Dès qu’il les en voit convaincus, il leur rappelle comment il l’avait prédite, ainsi que ses souffrances ; il leur explique comment sa mort et sa résurrection étaient déjà prophétisées dans l’Ancien Testament et quel devait en être l’immense résultat : la rémission des péchés, moyennant la repentance et la foi, offerte à tous les hommes de toutes les nations. Ils devaient eux-mêmes annoncer cette bonne nouvelle, eux, les témoins des grands événements, base de la rédemption. Jésus allait les envoyer comme il avait été lui-même envoyé par le Père céleste. Mais ils ne devaient pas s’effrayer de la difficulté et de l’importance de cette extraordinaire mission, ils devaient l’envisager avec confiance et paix. Si la mission était extraordinaire, ils recevraient aussi un secours extraordinaire pour être rendus capables de la remplir : le Saint-Esprit que Jésus leur avait promis de la part du Père céleste.
D’après Jean, Jésus ne se borna pas à faire une nouvelle promesse orale de l’envoi du Saint-Esprit. Comme les prophètes de l’ancienne Alliance, il renouvela cette promesse en y joignant un signe symbolique : Il souffla et dit : Recevez le Saint-Esprit.
Pour comprendre ce symbole, rappelons-nous qu’en hébreu comme en grec, le même mot signifie vent et esprit, et qu’en effet sous plus d’un rapport le vent peut être comparé à l’esprit, lui servir de symbole. Jésus avait dit à Nicodème : Le vent (τὸ πνεῦμα) souffle où il veut et tu en entends le bruit, mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. Il en est de même de tout homme né de l’Esprit (τοῦ πνεὺματος) — et au jour même de la Pentecôte, au moment où le Saint-Esprit fut envoyé aux Apôtres, il est parlé, comme signe matériel de cet envoi, d’un bruit venant du ciel, semblable au bruit d’un vent impétueux. En soufflant sur ses disciples et en leur disant : Recevez le Saint-Esprit, Jésus nous semble avoir voulu surtout préparer ses disciples à croire que le Saint-Esprit leur serait envoyé par Lui et serait en quelque sorte un souffle de sa bouche.
Une dernière observation au sujet de cette réunion : si en la racontant, Luc parle indistinctement des disciples d’abord comme saisis de crainte et d’épouvante à l’aspect inattendu du Seigneur, et s’imaginant voir un esprit, puis comme doutant encore dans l’excès de leur joie, après que le Seigneur leur eut montré ses mains et ses pieds, il ne faudrait pas s’imaginer qu’ils fussent tous alors exactement dans les mêmes dispositions. Il devait y avoir parmi eux des nuances, les uns étant plus avancés que les autres sur le chemin de la foi. Luc lui-même indique que Jésus était déjà apparu à Pierre, et il fait dire à ce sujet à quelques-uns des disciples : Le Seigneur est vraiment ressuscité et il s’est fait voir à Simon. Simon devait donc croire à la résurrection de son Maître, même y croire pleinement. Nous pouvons en dire autant de Jean, qui nous raconte qu’il crut déjà après avoir été au sépulcre avec Pierre. Il semble donc que parmi les Apôtres, Jean fut le premier à croire et Pierre le second, que tous les autres, sauf Thomas, crurent lors de la réunion du premier dimanche et que Thomas fut le dernier dont l’incrédulité fut vaincue à la réunion du second dimanche, qui va nous occuper.
Entre ces deux réunions, il n’y en eut aucune, au moins pour le collège apostolique : nous pouvons le conclure de Jean 21.14, où il est dit de la première apparition du Seigneur en Galilée : Ce fut déjà la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis sa résurrection des morts. Et il n’est absolument rien qui vienne contredire cette indication. Après toutes les apparitions du premier jour, il était bon pour le développement de la foi des Apôtres qu’il n’y en eût pas de nouvelle pendant un certain intervalle : leur foi avait ainsi le temps de s’enraciner, de s’apaiser, de mûrir. Mais il y en eut une le second dimanche et Jean est seul à nous la rapporter.
Il semble que le grand rendez-vous donné en Galilée ne devait, avoir lieu que lorsque tous les Apôtres seraient arrivés à croire à la résurrection de leur Maître. L’un d’eux n’assistait pas à la réunion du premier dimanche et, lorsqu’on lui eut rapporté ce qui s’y était passé, il manifesta son incrédulité de la manière la plus énergique, déclarant qu’il ne croirait qu’après avoir vu lui-même dans les mains du Seigneur la marque des clous, mis son doigt sur les cicatrices et sa main sur le côté du Seigneur. Quelle nouvelle explication du petit mot de Matthieu 28.17 : Mais il y en eut qui doutèrent, petit mot déjà si largement commenté par le second et par le troisième des Évangiles !
Il est probable que dans la réunion du premier dimanche, Jésus avait commandé à ses disciples de ne pas encore partir pour la Galilée et de rester à Jérusalem jusqu’à ce que la fête de Pâques fût terminée. En tout cas, les disciples étaient dans la ville huit jours après la résurrection de Jésus, le second dimanche, et ils étaient réunis au complet, les portes étant fermées comme la première fois, lorsque tout à coup Jésus apparut au milieu d’eux, répétant sa solennelle et douce salutation : Que la paix soit avec vous ! Il ne tarda point à s’adresser à Thomas et, lui montrant qu’il savait ce qu’il avait dit et ce qui était dans son cœur : Avance ici ton doigt, lui dit-il, et vois mes mains et avance ta main et la mets sur mon côté ; et ne deviens pas incrédule, mais croyant.
[Si Jésus invita Thomas à le toucher, tandis que précédemment il avait dit à Marie-Madeleine : Ne me touche pas, cela s’explique par la différente signification qu’avait l’attouchement dans les deux cas. L’Apôtre était invité à toucher le Seigneur pour se convaincre de sa résurrection, tandis que lorsque Marie-Madeleine s’élança vers Jésus en lui disant : Mon Maître ! elle était déjà toute convaincue de la résurrection de son Maître, elle ne cherchait à le toucher que pour mieux lui exprimer les sentiments qui se pressaient dans son cœur et dont Jésus devait refouler l’essor, dans la situation toute transitoire où il se trouvait. C’est de la même manière que Jésus avait pu dire dans le cours de son ministère et sans qu’il y eût contradiction : Celui qui n’est pas avec moi est contre moi (Matthieu 12.30 ; Luc 11.23) et : Qui n’est pas contre nous est pour nous (Marc 9.40 ; Luc 9.50), les deux propositions étant également vraies, mais à divers points de vue. Ullmann a inséré une remarquable étude de ces deux passages dans la Deutsche Zeitschrift de 1851.]
A l’ouïe de ces mots, l’incrédulité du disciple fut aussitôt remplacée par la foi la plus ardente et il s’écria : Mon Seigneur et mon Dieu ! Le plus attardé semblait ainsi être devenu tout d’un coup le plus avancé. Néanmoins Jésus lui dit : Parce que tu as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru !
Quand Jésus se montra de nouveau à ses disciples ou du moins à plusieurs d’entre eux, ce ne fut pas à Jérusalem, ni dans les environs, ce fut en Galilée, sur les bords du lac de Génésareth, comme nous l’apprend Jean ch. 21. Tandis que l’Évangile selon Matthieu ne parle que d’une apparition de Jésus à ses disciples et d’une apparition en Galilée, tandis que d’après le troisième Évangile on pourrait penser qu’il ne leur apparut qu’à Jérusalem et dans les environs, l’Évangile selon St. Jean nous parle de quatre apparitions, dont trois eurent lieu à Jérusalem ou dans les environs, et une en Galilée. Il présente sous ce rapport de l’analogie avec le second Évangile, mais il est bien plus explicite, car Marc parle du rendez-vous en Galilée donné par Jésus, sans dire expressément qu’il eut lieu, et il ne spécifie point les localités où se passèrent les apparitions dont il parle, et où furent prononcées les paroles du Seigneur qu’il cite (Marc 16.15-18), — apparitions que nous savons, d’après les autres Évangiles, avoir eu lieu en Judée, — paroles qui, d’après Matthieu, furent prononcées en Galilée.
Après cela Jésus se manifesta de nouveau aux disciples près de la mer de Tibériade et voici comment il se manifesta. Etaient ensemble Simon Pierre et Thomas, qui est appelé Didyme, et Nathanaël, de Cana en Galilée, et les fils de Zébédée et deux autres de ses disciples. Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Ils lui dirent : Nous aussi, nous allons avec toi. Ils sortirent et montèrent dans la barque et, cette nuit-là, ils ne prirent rien. Les disciples étaient donc retournés en Galilée, suivant l’ordre de leur Maître. Nous voyons dans ces versets un groupe de sept disciples vivant ensemble et se livrant de temps à autre à leur ancien travail de pêcheurs : nous savons que telle était la vocation primitive au moins de trois d’entre eux, Simon Pierre et les deux fils de Zébédée. C’était peut-être la première fois qu’ils se remettaient à la pêche.
Lorsque le matin était déjà venu, Jésus se trouva debout sur le rivage ; les disciples ne savaient pas que ce fût Jésus. Jésus leur dit donc : Enfants, n’avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent : Non. Mais il leur dit : Jetez le filet à droite de la barque et vous trouverez. Ils le jetèrent donc et ils n’avaient plus la force de le tirer à cause de la quantité des poissons. Le disciple que Jésus aimait, dit à Pierre : C’est le Seigneur ! Encore ici nous voyons qu’il n’y avait rien d’extraordinaire dans l’aspect du Seigneur. En le voyant à une certaine distance, les disciples ne le reconnaissent point. Il parle comme un compagnon des pêcheurs et très familièrement : Enfants, n’avez-vous rien à manger ? Les disciples ne le reconnaissent pas non plus à sa voix et il continue de leur parler comme un homme du métier : Jetez le filet à la droite de la barque et vous trouverez. Les disciples suivent le conseil qui leur est donné et cette fois, le filet se remplit tellement de poissons qu’ils n’ont plus la force de le tirer. Alors seulement, à la vue de cette abondance extraordinaire, qui devait éveiller le souvenir d’une autre pêche miraculeuse sur les bords du même lac, le disciple bien-aimé reconnaît son Maître et il dit à Pierre : C’est le Seigneur !
Simon Pierre ayant donc appris que c’était le Seigneur, revêtit son sarrau, car il était nu, et se jeta dans la mer. Mais les autres disciples vinrent avec la barque (car ils n’étaient pas éloignés de la terre, mais environ à la distance de deux cents coudées), entraînant le filet des poissons. Lors donc qu’ils descendirent à terre, ils voient un brasier établi et du poisson posé dessus et du pain. Jésus leur dit : Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre. Simon Pierre monta et tira le filet à terre plein de cent cinquante-trois gros poissons ; et malgré ce grand nombre, le filet ne se rompit point. Jésus leur dit : Venez, déjeunez. Aucun des disciples n’osait lui demander : Qui es-tu ? sachant que c’était le Seigneur. Jésus vient et prend le pain et le leur donne et il fait de même pour les poissons. Jésus avait d’abord crié à ses disciples : Enfants, n’avez-vous rien à manger ? et cette demande, jointe à l’heureux résultat de la pêche, avait pu paraître adressée pour lui-même. Afin de prouver que tel n’avait point été son but, Jésus fait en sorte que lorsque les disciples descendent à terre, ils trouvent déjà un brasier établi et du poisson par-dessus et du pain. Cependant il les invite à joindre au poisson déjà mis sur le brasier quelques-uns des poissons qu’ils venaient de prendre et qu’ils tenaient également de sa libéralité, bien qu’ils eussent concouru à leur capture. Jésus préside lui-même au repas, comme autrefois. C’est lui qui distribue le pain et les poissons, tandis que les disciples observent le plus respectueux silence.
Ce fut déjà la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples, depuis sa résurrection des morts, — à ses disciples, c’est-à-dire à ses disciples réunis en un certain nombre, car dans cette manière de compter, l’Évangéliste ne comprend ni l’apparition à Marie-Madeleine, qu’il raconte avec détail, ni les deux apparitions à Simon Pierre et aux disciples se rendant à Emmaüs. « Le mot déjà fait pressentir que Jean connaît encore d’autres apparitions postérieures accordées aux disciples réunis. » (Godet) L’importance de ce mot est particulièrement manifeste en regard de l’Évangile selon Matthieu, qui ne parle que d’une apparition de Jésus, de la grande apparition en Galilée. St. Jean voudrait dire alors : Déjà avant cette grande apparition, il y en avait eu trois à des disciples réunis.
Si nous avons déjà constaté du symbolisme prophétique dans l’action de Jésus de souffler sur ses disciples en leur disant : Recevez le Saint-Esprit, nous devons en constater davantage encore dans les versets que nous venons d’examiner, et ici nous retrouvons un symbolisme prophétique déjà expliqué par le Seigneur. Il y a, en effet, un rapport évident entre la scène décrite dans ces versets et la première pêche miraculeuse qui nous est racontée : Luc 5.4-14, comme ayant précédé l’appel à l’apostolat de Simon, Jacques et Jean. En appelant Simon à le suivre, Jésus ne lui dit-il pas : Ne crains point, désormais tu seras pêcheur d’hommes ? Mais bien qu’il y ait un rapport évident entre les deux pêches, la seconde n’est pas une simple répétition de la première, elles se distinguent d’une manière significative. « La différence entre la première et la seconde, remarque Godet, est que dans la seconde Jésus vise non plus seulement à une pêche, mais à un repas … Si la pêche, v. 1-8, figure le travail, le repas, v. 9-14, doit être le type du repos et de la joie qui suivront les labeurs de l’apostolat Le Seigneur se présente comme leur offrant un repas ; et cependant ce qu’il a à leur offrir est insuffisant et il les invite à y suppléer, en apportant de leur prise. Ce détail serait incompréhensible, s’il n’avait pas un sens symbolique. Ce repas est le type du bonheur dont doivent jouir, dans la communion de leur Seigneur, les serviteurs fidèles ; le fruit de leur travail doit donc y occuper une place. » (Godet)
Si dans ce qui est rapporté dans la première partie du chapitre, Jésus avait également en vue tous les apôtres qui assistaient à la scène, même tous ceux qui dans l’avenir devaient annoncer l’Évangile, dans la seconde partie il est surtout question de Simon Pierre que Jésus réhabilita solennellement dans l’apostolat. Il est possible, comme le fait observer Godet, que Jésus eût déjà pardonné à Pierre sa faute, lorsqu’il lui apparut pour la première fois et à lui seul, de telle sorte qu’il ne s’agirait proprement ici que de sa réhabilitation dans l’apostolat. Lors donc qu’ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ne font ceux-ci ? Il lui dit : Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Il lui dit : Pais mes agneaux. Il lui redit une seconde fois : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ? Il lui dit : Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime. Et il lui dit : Pais mes brebis. Il lui dit pour la troisième fois : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ? Il lui dit : Tu sais toutes choses, tu sais que je t’aime. Jésus lui dit : Pais mes brebis. En vérité, en vérité, je te dis que lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais, mais lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te portera où tu ne veux pas. Or il dit cela pour indiquer de quelle mort il glorifierait Dieu. Et ayant dit cela, il dit : Suis-moi. Pierre s’étant retourné, se voit suivi par le disciple qu’aimait Jésus et qui pendant le repas s’était appuyé sur sa poitrine et avait dit : Seigneur, qui est celui qui te trahit ? Pierre, l’ayant vu, dit à Jésus : Seigneur, mais celui-ci, qu’en sera-t-il ? Jésus lui dit : Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. Bunsen comprend cette injonction deux fois répétée : Suis-moi, comme un ordre par lequel Jésus aurait enjoint à Pierre de venir aussitôt avec Lui loin de ses compagnons, afin d’entendre ce qu’il avait à lui dire en secret. Mais ce serait singulièrement rapetisser le sens de cette grande parole. D’ailleurs nous voyons Jean suivre Pierre immédiatement après que Jésus eut dit à Pierre son premier : Suis-moi, et Jésus ne pas éloigner Jean. De plus, Jésus dit à Pierre : Toi, suis-moi, immédiatement après avoir dit au sujet de Jean : Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Il mettait ainsi en opposition l’ordre de le suivre qu’il donnait à Pierre, et la possibilité que Jean demeurât jusqu’au retour de son Maître. Il nous semble donc bien préférable de rattacher cet ordre à la prédiction du supplice de Pierre. Suis-moi, c’est-à-dire suis-moi dans la voie que je viens de t’annoncer et où je t’ai précédé moi-même. Cet ordre se relierait ainsi d’une manière émouvante à ce que Jésus, la veille de sa crucifixion, avait dit au même Apôtre : Là où je vais, tu ne peux maintenant me suivre, mais tu me suivras plus tard (Jean 13.36).
Récapitulons les principaux faits transmis par St. Jean :
- Marie-Madeleine et d’autres femmes avec elle vont le matin au sépulcre et le trouvent vide.
- Marie-Madeleine revient seule vers Pierre et Jean et elle leur annonce qu’on a enlevé le corps du Seigneur.
- Pierre et Jean courent au sépulcre et en effet ils n’y trouvent plus le corps du Seigneur, mais à l’inspection des linges laissés dans le sépulcre, Jean commence à croire à la résurrection de son Maître.
- Après leur départ, Marie-Madeleine, revenue au sépulcre, voit deux anges,
- puis le Seigneur lui-même.
- Le soir, Jésus apparaît aux onze réunis, à l’exception de Thomas.
- Le soir du dimanche suivant, Jésus apparaît une seconde fois aux onze et il triomphe de l’incrédulité de Thomas.
- Jésus apparaît une troisième fois à une réunion de disciples, dont cinq au moins étaient apôtres, — sur les bords du lac de Génésareth, et il leur fait faire une seconde pêche miraculeuse.
- Après cette pêche et le repas qui la suivit, Jésus réhabilite Pierre dans l’apostolat.