Anne Boleyn chez Marguerite de Valois – Anne, dame d’honneur de Catherine – Inclination de lord Percy – Wolsey les sépare – siège de Rome et Cromwell – Intercession de Wolsey pour la papauté – Il demande Renée de France pour Henri – Il échoue – Anne reparaît à la cour – Elle repousse les hommages du roi – Lettre de Henri – Il se résout à hâter le divorce – Deux motifs qui portent Anne à refuser la couronne – Opposition de Wolsey
Marguerite de Valois, qui avait sans hésitation écarté la couronne qu’on lui faisait entrevoir, avait eu la jeune et aimable Anne Boleyn parmi ses dames d’honneur. Celle-ci, se livrant aux plaisirs avec toute la vivacité de son âge, avait brillé, aux fêtes de la cour, parmi les plus jeunes et les plus belles. Entourée, dans la maison de Marguerite, des hommes les plus éclairés, son intelligence et son cœur s’étaient développés en même temps que ses grâces ; elle commença à lire, sans le bien comprendre, le saint livre où Marguerite, dit Brantôme, trouvait son repos et sa consolation, et à diriger quelques pensées, légères et fugitives, vers « ce doux Emmanuel, » auquel sa maîtresse adressait de si beaux vers.
Anne était retournée en Angleterre en 1522. On a dit qu’après la bataille de Pavie, la régente, craignant que Henri se jetât sur la France, lui avait envoyé Anne pour l’en dissuader. Mais ce fut une voix plus puissante que la sienne qui arrêta le roi d’Angleterre. « Demeurez en repos, lui écrivit Charles-Quint, j’ai le cerf dans mes toiles, et il ne nous faut songer qu’à partager la chasse. » D’autres ont cru que Marguerite, ayant épousé le roi de Navarre à la fin de janvier 1527, et pouvant en conséquence quitter Paris et la cour de son frère, sir Thomas Boleyn, qui ne se souciait pas pour sa fille d’un séjour dans les Pyrénées, la fit revenir seulement alors en Angleterre. Mais, nous le répétons, Anne paraît être revenue en Angleterre en 1522. Boleyn demanda que sa fille fut reçue au nombre des dames d’honneur de la reine ; on le lui accorda, et la nièce du duc de Norfolk éclipsa bientôt ses compagnes, nous dit un contemporain ennemi des Boleyn, par les grâces de sa figure et l’excellence de sa conduitea. » Toute la cour était frappée de la régularité de ses traits, de l’expression de son regard, de la douceur de ses manières, de la majesté de son portb. « C’était une belle créature, dit un ancien historien, bien proportionnée, courtoise, aimable, fort agréable, et qui s’entendait bien à la musiquec. »
a – Among whom, for her excellent gesture and behaviour, she did excell all others. (Cavendish’s Wolsey, p. 424.)
b – Representing both mildness and majesty, more than can be expressed. (Memoir of sir Th. Whyat. Appendice de Cavendish’s Wolsey, p. 424.)
c – Meteren, Hist. des Pays-Bas, fol. 20.
Parmi les jeunes nobles au service du cardinal se trouvait lord Percy, fils aîné du comte de Northumberland. Tandis que Wolsey s’entretenait avec le roi, Percy se glissait dans les appartements de la reine, et plaisantait avec ses dames. Il ressentit bientôt pour Anne la passion la plus vive, et la jeune Boleyn, qui n’avait point accueilli les hommages des seigneurs de la cour de François Ier, répondit à cette affection de l’héritier de Northumberland. Les deux jeunes gens rêvaient déjà une vie heureuse, paisible, élégante, dans les beaux châteaux du nord de l’Angleterre. Ceci se passait en 1523.
Wolsey détestait les Norfolk, et par conséquent les Boleyn ; c’était pour contre-balancer leur influence qu’il avait été introduit à la cour ; il s’irrita donc en voyant un jeune homme de sa maison rechercher la main de la fille et de la nièce de ses ennemis. D’ailleurs quelques partisans du clergé accusaient Anne d’être amie de la Réformationd… On a cru qu’à cette époque Wolsey avait déjà surpris les regards de Henri s’arrêtant avec complaisance sur Anne Boleyn, et qu’il fut ainsi porté à contrarier l’inclination de Percy ; cela semble peu probable. De toutes les femmes de l’Angleterre, Anne était celle dont Wolsey devait craindre et craignit en effet le plus l’influence ; il eût donc été fort heureux de la voir épouser Percy. On a prétendu qu’Henri engagea le cardinal à s’opposer à l’affection des deux jeunes gens ; mais, dans ce cas, confia-t-il à Wolsey le véritable motif de son opposition ? Celui-ci eut-il des intentions coupables, entreprit-il de livrer au déshonneur la fille et la nièce de ses adversaires politiques ? Cela serait horrible ; cela est possible, et l’on pourrait même le déduire du récit de Cavendish ; mais il faut espérer que cela ne fut pas. Si cela fut, la vertu d’Anne déjoua énergiquement d’infâmes complots.
d – Meteren, Hist. des Pays-Bas, fol. 20.
Quoi qu’il en soit, un jour que le fils du comte de Northumberland était de service auprès du cardinal, celui-ci l’interpella brusquement : « As-tu perdu la tête, lui dit-il, que tu oses t’engager avec cette jeune fille sans le consentement de ton père et du roi ? Je t’ordonne de rompre avec elle. » — Percy fondit en larmese, et conjura le cardinal de plaider sa cause. — « Je te défends de la voir », répondit sèchement Wolsey ; puis il se leva et sortit. Anne reçut en même temps l’ordre de quitter la cour. Fière et courageuse, attribuant son malheur à la haine de Wolsey, elle s’écria en sortant du palais : « Je tirerai vengeance de cette injure ! » Mais à peine était-elle entrée dans les tourelles gothiques du château de Hever, qu’une nouvelle plus triste encore vint l’accabler ; Percy venait de se fiancer avec lady Mary Talbot. Elle versa d’abondantes larmes, et voua au jeune lord, qui l’abandonnait, un mépris égal à sa haine pour le cardinal. Anne était réservée à un sort plus illustre, mais plus malheureux.
e – Sir, quoth the lord Percy all weeping. (Cavendish’s Wolsey, p. 123)
Wolsey était tout occupé de ses intrigues, lorsqu’un bruit étrange vint le remplir d’effroi. On disait que les armées impériales avaient pris Rome d’assaut, et même que quelques Anglais étaient montés à la brèche. Parmi eux on nommait Thomas Cromwell, qui, près de vingt ans auparavant, avait obtenu des indulgences de Jules II, en lui offrant des confitures anglaises. Ce soldat avait sur lui le Nouveau Testament d’Érasme, et l’on assure qu’il l’apprit par cœur pendant cette campagne. Plein de vivacité, d’intelligence, de courage, il conçut, en lisant l’Évangile et en voyant Rome, une grande aversion pour la politique, les superstitions et les désordres de la papauté ; la journée du 6 mai 1527 décida de sa vie : détruire la puissance papale en devint l’idée dominante.
Voulant, pour l’accomplissement de ses desseins, unir étroitement la France et l’Angleterre, il avait jeté les yeux sur la princesse Renée, fille de Louis XII, et belle-sœur de François Ier, pour en faire l’épouse future de Henri VIII. Aussi le traité d’alliance entre les deux couronnes ayant été signé à Amiens le 18 août, François Ier, sa mère et le cardinal se rendirent à Compiègne, et là, Wolsey, nommant Charles le partisan le plus âpre du luthéranismef, promettant conjonction perpétuelle d’un côté (entre l’Angleterre et la France), et disjonction perpétuelle de l’autreg (entre l’Angleterre et l’Autriche), demanda pour Henri la main de Renée. Staffileo, doyen de vote, affirma que le pape n’avait pu permettre le mariage entre Henri et Catherine, que par une erreur des clefs de saint Pierreh. Cet aveu, si remarquable de la part du doyen de l’une des premières juridictions de Rome, rendit la mère de François Ier favorable à la demande du cardinal. Mais, soit que cette proposition déplût à Renée, qui plus encore que Marguerite de Valois, devait professer un jour la pure foi évangélique, soit que François ne se souciât pas d’une union qui aurait donné à Henri des droits sur le duché de Bretagne, Renée fut promise au fils du duc de Ferrare. C’était un échec pour le cardinal ; mais il devait à son retour en Angleterre en recevoir un plus rude encore.
f – Omnium maxime dolosus et hæresis Lutherianæ fautor acerrimus. (State Papers, 1 p. 274.)
g – Du Bellay à Montmorency. (Le Grand, Preuves, 1 p. 186.)
h – Nisi clave errante. (State Papers, 1 p. 272.)
Sir Thomas Boleyn qui avait été créé en 1525 vicomte de Rocheford, contrarié de l’éloignement de sa fille, obtint son rappel, et la jeune Anne, qui ne soupçonnait point qu’Henri eût eu quelque part dans son exili, reparut à la cour avec une entière liberté. Elle avait vingt ans ; sa beauté, son port élégant, ses cheveux noirs, sa figure ovale, son œil vif, l’agrément de son chant, la légèreté et la noblesse de sa danse, son désir de plaire auquel se mêlait un peu de coquetterie, sa gaieté, la vivacité de ses reparties et surtout l’amabilité de son caractère lui gagnèrent tous les cœurs. Elle apportait à Greenwich et à Londres les belles manières de la cour de François Ier. Chaque jour, dit-on, elle inventait une toilette nouvelle, et décidait des modes de l’Angleterre. Mais à toutes ses qualités elle joignait la modestie, et elle l’imposa même par son exemple. Les dames de la cour, qui jusque-là avaient suivi un usage contraire, dit son plus grand ennemi, l’abandonnèrent pour se vêtir pudiquement comme ellej ; et les méchants, incapables d’apprécier les motifs d’Anne, attribuèrent cette modestie de la belle jeune fille, au désir de cacher quelque difformité secrètek. De nombreux admirateurs entourèrent de nouveau Anne Boleyn, entre autres l’un des nobles et des poëtes les plus distingués de l’Angleterre, sir Thomas Wyatt, partisan de Wiclef. Ce n’était pas lui pourtant qui devait remplacer le fils des Northumberland.
i – For all this while she knew nothing of the king’s intended purpose, said one of his adversaries. (Cavendish’s Wolsey, p. 129.)
j – Ad illius imitationem reliquæ regiæ ancillæ colli et pectoris superiora, quæ antea nuda gestabant, operire cœperunt. (Sanders, p. 16.)
k – Voir Sanders, ibid. Il est inutile de réfuter les contes de Sanders. Nous renvoyons pour cela à l’évêque Burnet, à Herbert lord Cherbury (Vie de Henri VIII), à Wyatt et à d’autres écrivains. Il suffit, au reste, de lire Sanders lui-même pour apprécier convenablement les foul calumnies, comme parlent ces auteurs, de celui qu’ils appellent le légendaire romain.
Henri, poursuivi par les préoccupations que lui donnait l’affaire de Catherine, était habituellement triste et pensif. Les rires, les chants, les reparties et la beauté d’Anne, le frappèrent, le captivèrent, et bientôt il fixa des regards complaisants sur la jeune dame d’honneur. Catherine avait passé quarante ans, et l’on ne pouvait espérer qu’un homme aussi passionné que Henri VIII, eût fait, comme parle Job, un accord avec ses yeux pour ne pas contempler une vierge. Il voulut témoigner son admiration à Anne Boleyn, et lui présenta, selon l’usage, un joyau de prix ; celle-ci l’accepta, s’en para et continua à danser, à rire et à babiller, sans attacher une importance particulière à ce cadeau royal. Les attentions de Henri devinrent plus suivies ; et il profita d’une occasion où il se trouvait seul avec Anne pour lui déclarer ses sentiments. Étonnée, émue, la jeune fille se jeta tremblante aux pieds du roi, et s’écria tout en larmes : « Sire, je pense que c’est pour me mettre à l’épreuve que Votre Majesté parle de cette manière… Plutôt perdre ma vie que ma vertul. » Henri lui dit avec grâce, qu’il espérait qu’elle ne voulait pas lui ôter toute espérance. Mais Anne, se relevant avec fierté, répondit au roi : « Je ne comprends pas, Sire, comment vous pourriez en avoir ; je ne puis être votre femme, puisque vous en avez déjà une, et que d’ailleurs je suis indigne d’un tel honneur ; et quant à être votre maîtresse, tenez pour certain que je ne le serai jamais ! » Anne tint parole. Elle continua, après cet entretien, à montrer au roi le respect qu’elle lui devait ; mais à plusieurs reprises elle repoussa ses vœux avec fierté, et même avec véhémencem. On la vit, dans ce siècle de galanterie, résister pendant près de six années aux séductions dont Henri savait l’entourer. Un tel exemple ne se trouve pas souvent dans l’histoire des cours. Les livres qu’elle avait lus dans la maison de Marguerite, lui donnaient une force inconnue. Chacun la regardait avec respect ; la reine elle-même la traitait avec égards. Cette princesse montra cependant qu’elle avait remarqué les prévenances du roi. Un jour qu’elle jouait aux cartes avec sa dame d’honneur, en présence de Henri, Anne ayant souvent le roi : « Milady, s’écria la reine, vous avez du bonheur avec le roi… Mais vous n’êtes pas comme les autres, vous voulez tout ou rienn. » Anne rougit ; les attentions de Henri acquéraient dès ce moment plus d’importance ; elle résolut de s’y soustraire, et quitta la cour avec lady Rocheford.
l – I will rather lose my life, than my virtue. » (Sloane, MSC., no 2495. Turner, Hist., II, p. 196.)
m – Tanto vehementius preces regias illa repulit. (Sanders, p. 17.)
n – You have a good hap to stop at a king. » (Wyatt, petit-fils de sir Thomas, Memoirs of Anne B., p. 448.)
Le roi, qui n’était pas habitué à la résistance, fut désolé, et ayant appris qu’Anne ne voulait revenir à la cour, ni seule ni avec sa mère, il envoya au château de Hever un exprès chargé pour elle d’un message et d’une lettre. Si l’on se rappelle les mœurs du siècle de Henri VIII, et combien alors les hommes étaient éloignés, dans leurs rapports avec les femmes, de cette réserve que la société leur impose maintenant, on ne peut s’empêcher d’être frappé des expressions respectueuses du roi. « Puisqu’il me semble le temps être bien long, écrivait le roio (en français), depuis avoir ouï de votre bonne santé et de vous, la grande affection que j’ai vers vous me persuade de vous envoyer ce porteur pour être mieux asserténé (assuré) de votre santé et volonté. Et puisque depuis mon partement de avec vous, on m’a averti que l’opinion en quoi je vous laissais, est de toute autre changée, et que ne vouliez venir en cour ni avec Madame votre mère, ni autrement, si ce rapport est vrai, je ne saurais assez m’en émerveiller, puisque je m’assure de n’avoir jamais commis une faute envers vous ; et il me semble bien petite rétribution pour si grand amour que je vous porte, de m’éloigner et la parole et le personnage de la femme du monde que plus j’estime. Et si vous m’aimez de si bonne affection comme j’espère, je suis sûr que l’éloignement de nos deux personnes vous serait un peu ennuyeux ; toute fois ceci n’appartient pas tant à la maîtresse comme au serviteur. Pensez bien, ma maîtresse, que l’absence de vous fort me peine, espérant qu’il n’est pas votre volonté que ainsi soit. Mais si j’entendais par vérité que volontairement vous la désiriez, je ne pourrais plus faire, sinon plaindre ma mauvaise fortune, et relâcher peu à peu ma grande folie. Et ainsi à faute de temps, je fais fin de ma rude lettre, suppliant de donner foi à ce porteur, en ce qu’il vous dira de ma part. Écrit de la main de tout votre serviteur.
o – Il est difficile de fixer l’ordre et la chronologie des lettres de Henri VIII à Anne Boleyn. Celle-ci est la seconde dans le recueil du Vatican, mais elle me semble être la plus ancienne. On la regarde comme étant de mai 1528, je la crois plutôt de l’automne 1527. Le recueil du Vatican a été imprimé dans le Pamphleteer, nos 42 et 43. La lettre ci-dessus s’y trouve p. 347.
Le mot serviteur, qui se trouve dans cette lettre, explique le sens dans lequel Henri employait celui de maîtresse. Dans le langage chevaleresque du temps, ce dernier mot signifiait une personne à qui l’on soumettait son cœur.
Il paraît que la réponse d’Anne à cette lettre fut celle qu’elle avait faite au roi dès le commencement, et que le cardinal Pole mentionne à plus d’une reprise, le refus opiniâtre d’un amour adultèrep. Henri comprit enfin la vertu d’Anne Boleyn ; mais il fut loin, comme il l’avait promis, de relâcher peu à peu sa grande folie. Ce tyrannique égoïsme, que ce prince manifesta souvent dans sa vie, se montra surtout dans ses amours. Voyant qu’il ne pouvait atteindre son but par des voies illégitimes, il résolut de rompre le plus promptement possible les liens qui l’unissaient à la reine. La vertu d’Anne fut le troisième motif du divorce de Henri VIII.
p – Concubina enim tua fieri pudica mulier nolebat, uxor volebat. Illa cujus amore rex deperibat, pertinacissime negabat sui corporis potestatem. (Polus ad Regem, p. 176.) L’autorité du cardinal Pole est plus digne de foi que celle de Sanders.
Cette résolution une fois prise, il fallait l’exécuter. Henri ayant enfin obtenu le retour d’Anne Boleyn, se procura un entretien secret avec elle, lui offrit sa couronne, et saisissant sa main, lui enleva une de ses bagues. Mais Anne, qui n’avait pas voulu être maîtresse du roi, se refusa également à devenir son épouse. La gloire d’une couronne ne pouvait l’éblouir, dit Wyatt, et deux motifs surtout contre-balançaient toutes les perspectives de grandeur que l’on faisait briller à ses yeux ; le premier était le respect qu’elle avait pour la reine : « Comment, s’écriait-elle, offenserais-je une princesse d’une si haute vertuq ? » Le second était la crainte qu’une union avec celui qui était son seigneur et son roi, ne lui offrît pas cette ouverture de cœur et cette liberté dont elle jouirait en s’unissant à un époux du même rang qu’eller.
q – The love she bare even to the queen whom she served, that was also a personage of great virtue. (Wyatt, Mem. Of A.B. p. 428.)
r – There was not that freedom of conjonction with one that was her lord and king. » (Ibid.)
Cependant les seigneurs et les dames qui entouraient Henri se disaient à l’oreille qu’Anne Boleyn deviendrait reine d’Angleterre. Les uns étaient tourmentés par la jalousie, les autres, ses amis, étaient ravis de la perspective d’un avancement rapide. Les ennemis de Wolsey surtout se délectaient dans la pensée de renverser ce favori. Ce fut au moment où toutes ces émotions remuaient la cour en des sens si divers, que le cardinal reparut à Londres, revenant de son ambassade auprès de François, et qu’un coup inattendu vint l’atteindre.
Wolsey exprimait à Henri sa douleur de n’avoir pu obtenir pour lui ni Marguerite, ni Renée. « Consolez-vous, lui dit le roi ; je veux épouser Anne Boleyn. » Le cardinal resta un moment interdit. Que deviendra-t-il si le roi pose la couronne d’Angleterre sur la tête de la fille et de la nièce de ses plus mortels ennemis ? Que deviendra l’Église si une seconde Anne de Bohême monte sur le trône ? Wolsey se jeta aux pieds de son maître et le conjura de renoncer à un projet si funestes. Ce fut sans doute alors que, comme il le dit plus tardt, il demeura à genoux devant le roi, dans son cabinet, une heure ou deux, mais sans obtenir que Henri renonçât à son dessein. Wolsey, persuadé que s’il continuait à s’opposer ouvertement à la volonté de Henri, il perdrait à jamais sa confiance, dissimula sa douleur, se réservant de se débarrasser par quelque intrigue de cette rivale importune. Pour commencer, il écrivit à Rome et prévint le pape qu’une jeune dame, formée par la reine de Navarre, par conséquent atteinte de l'hérésie de Luther, avait captivé le cœur du roiu ; dès lors toutes les haines et les calomnies de la papauté furent acquises à Anne Boleyn. Mais en même temps Wolsey, pour cacher ses desseins, se mit à donner à Henri des fêtes, où Anne brillait par-dessus toutes les dames de la cour.
s – Whose persuasion to the contrary, made to the king upon his knees. (Cavendish, p. 204.)
t – I have often kneeled before him in his privy chamber on my knees, the space of an hour or two. (Cavendish, p. 388.)
u – Meteren, Hist. Of the Low Countries, folio, 20.