La meilleure constitution ecclésiastique est celle qui est le plus d’accord avec l’ensemble des principes scripturaires et où l’Église trouve le plus de moyens d’atteindre son but : savoir la propagation de la vérité chrétienne et le développement de la vie chrétienne.
La constitution d’une Église peut se diviser en intérieure et extérieure, la première tenant essentiellement à sa règle de foi, la seconde à sa forme de gouvernement.
Le Catholicisme et le Protestantisme nous offrent deux systèmes de constitution ecclésiastique bien distincts et, sous plusieurs rapports, opposés. Dans l’un, ainsi que nous l’avons déjà dit, tout dépend de l’Église, même la Bible : dans l’autre, tout dépend de la Bible, même l’Église, car l’Église est régie et jugée par la Bible.
Dans le système romain, tout porte sur le principe d’autorité et d’infaillibilité. L’Église, toujours dirigée par le Saint-Esprit, l’Église qui a reçu la promesse de la présence constante de Jésus-Christ au milieu d’ellec, en même temps que le dépôt de la Parole non écrite, commentaire et complément essentiel de la Parole écrite, est le seul interprète certain des Ecritures, le juge suprême dont la sentence détermine et la doctrine générale du Livre divin et le sens spécial de chaque passage controversé. C’est le devoir de tous les chrétiens de se soumettre humblement à ses décisions. « Tant qu’il y aura des disputes qui partageront les fidèles, dit Bossuet, les pasteurs interposeront leur autorité et diront après les apôtres : Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous. Et quand l’Église aura parlé par leur moyen, on enseignera à ses enfants qu’ils ne doivent pas examiner de nouveau les articles qui ont été résolus, mais qu’ils doivent recevoir humblement ses décisionsd. » Dans ce système, le rapport direct des âmes est avec l’Église, source infaillible de la vérité et de la grâce, médiatrice entre la terre et le ciel ; c’est par elle que se forme leur rapport avec Dieu et avec Jésus-Christ ; se fondant sur ses prérogatives surnaturelles, elle réclame et exerce une souveraineté absolue.
c – Certains docteurs catholiques, s’appuyant sur les doctrines philosophiques actuelles, font de l’Église « l’incarnation permanente de Jésus-Christ » et dérivent de là, toutes ses attributions et ses prérogatives supérieures (Mœhler. Symbolique). Le mysticisme panthéistique du jour donne de la couleur à ces théories étranges ; il leur prête une ombre de vérité, qui frappe et séduit bien des gens. Mais cette lueur factice ne saurait durer. Elle peut, d’ailleurs, se tourner au profit de l’individualisme.
d – Exposition de la Foi.
La Réformation changea profondément l’Église comme la doctrine, par cela même qu’elle élevait au-dessus de l’une et de l’autre la Bible. Restituant la notion de la sacrificature spirituelle et universelle, elle combla la ligne de démarcation qui faisait du peuple et du clergé deux sociétés distinctes ; plaçant, par delà l’Église visible, l’Église invisible, elle mit à côté du devoir de l’union et de la soumission, le droit de protestation, par suite celui de séparation ; elle abolit l’idée sacramentelle et sacerdotale, sur laquelle reposait l’édifice catholique, et d’où il était sorti pièce après pièce. Mais, en rejetant le principe de l’infaillibilité, avec les droits et les pouvoirs qu’on en dérive, les protestants ne refusent pourtant pas toute autorité à l’Église comme corps organisé. Ils lui reconnaissent la puissance et l’obligation de régler les matières de discipline et même, à certains degrés, les matières de foi, sous le contrôle suprême de l’Ecriture, dont il faut, d’après eux, suivre les déclarations quand elle parle et l’esprit quand elle se tait ; l’Ecriture est l’autorité et la règle souveraine, il n’est ni coutumes, ni traditions, ni décisions humaines qui puissent prévaloir contre elle. Il va sans dire que nous nous tenons au point de vue foncier de la Réformation, dont s’écartent le confessionalisme et l’indépendantisme. Il est entendu aussi que, regardant moins aux faits qu’aux principes, nous considérons l’Église dans son état normal, destinée à sortir, par conséquent, de son fractionnement actuel et à présenter sur la terre une image du Royaume des Cieux : gloires de l’idéal scripturaire, que nous aimons à contempler à travers les tristesses du réel.
On divise ordinairement le pouvoir de l’Église en dogmatique et en disciplinaire, qui se subdivise en réglementaire et en judiciaire.
Ce pouvoir, sous toutes ses formes, a pour but l’union et l’édification (Romains 14.19 ; 15.1.2 ; 1 Corinthiens 14.40). C’est simplement une autorité d’ordre, différant, en nature aussi bien qu’en étendue, de l’autorité romaine. L’autorité protestante se borne à constater et à poser la doctrine biblique, à laquelle elle ne se reconnaît point le droit de retrancher ou d’ajouter ; l’autorité catholique, établissant une autre source ou règle de vérité, la tradition ecclésiastique, en a tiré des croyances étrangères à la Parole de Dieu, et les prescrit comme des articles de foi tout aussi obligatoires que ceux qui se puisent directement dans les Livres sacrés. L’autorité protestante laisse subsister à côté d’elle le libre examen et le jugement particulier ; l’autorité catholique, partout où elle est reconnue, les condamne l’un et l’autre, par cela même qu’elle se déclare infaillible. Toujours cette différence, cette opposition interne des choses sous l’identité des noms. Il importe d’autant plus de la relever qu’on semble prendre à tâche de l’effacer aujourd’hui. L’autorité protestante n’est, redisons-le, qu’une autorité d’ordre, elle n’est et ne veut être de droit divin qu’en tant qu’établie de Dieu, comme l’autorité civile, et faisant de la Parole de Dieu sa loi, comme le plus humble chrétien. L’autorité catholique s’arroge des attributions et des prérogatives surnaturelles : elle prétend que Dieu parle par elle, en sorte que ses décisions, commentaire officiel et complément essentiel de l’enseignement sacré, lient la conscience religieuse et morale ; s’érigeant par là en une véritable théocratie : prétention absolument réprouvée par l’autorité protestante.
Pouvoir dogmatique. — Selon les principes du Protestantisme, le pouvoir dogmatique se borne à déterminer la doctrine générale de l’Église, en tant qu’elle sert de base à l’enseignement public dans les écoles, les académies et les temples. Ce pouvoir ne lie directement que le corps dirigeant et n’impose que les points absolument essentiels à la communauté de croyance et de vie. Il se légitime par les préceptes du Nouveau Testament qui ordonnent de veiller au dépôt de la foi, au maintien de la saine doctrine (1 Timothée 6.5 ; Tite 1.9) et de se garder des faux prophètes et des faux docteurs (Matthieu 7.15 ; 2 Corinthiens 2.17 ; Tite 1.11, etc.) ; ainsi que par les exemples de l’Église apostolique (Actes 16.4-5 ; ch. 15).
Et même, à part ces préceptes et ces exemples, le pouvoir dogmatique de l’Église serait né de sa nature, de son but, de ses obligations ; gardienne de la vérité, elle est tenue de la conserver pure et de bannir l’erreur des enseignements qui se donnent en son nom. Ajoutons que n’existant que par sa doctrine, elle se trouve sous l’impérieuse nécessité d’en garantir au moins les points essentiels.
Le pouvoir dogmatique est reconnu, quoiqu’à des degrés différents, dans toutes les opinions. Il n’est pas jusqu’au latitudinarisme le plus extrême qui, en repoussant les confessions de foi et en réduisant son symbole à un seul article, celui d’une révélation surnaturelle (latitud. ancien), ou du salut par Christ (latitud. actuel), ne suppose toujours certaines doctrines générales, base obligatoire de l’enseignement public. Il y a là une nécessité inévitable ; aussi ne parvient-on jamais à s’y soustraire complètement. Une Église, comme toute autre Société, doit avoir sa charte constitutionnelle pour pouvoir se développer librement, régulièrement, ou même pour subsister. Les théories les plus larges ou les plus libérales, (selon l’épithète qu’elles aiment à se donner), celles qui font si bon marché du dogme, sont toujours forcées de s’arrêter à quelques points, plus ou moins bien définis, où l’association religieuse a sa raison et sa fin. Il est donc impossible qu’une Église échappe longtemps, quoi qu’elle fasse, à l’obligation de déclarer ce qui est fondamental pour elle, ce qui fait partie essentielle de son enseignement et de son culte, en d’autres termes ce qu’elle tient comme élément constitutif de la doctrine et de la vie chrétienne. Elle ne peut, sans se suicider, ni laisser saper sa foi par ceux qu’elle revêt des fonctions pastorales, ni consentir à se transformer en une Babel. Seulement, il importe qu’elle ne donne à ses décisions qu’un caractère et une force réglementaires, si elle veut rester fidèle au vrai principe protestant, car dans le Protestantisme l’Église n’est pas la source de la vérité, elle n’en est que « la colonne et l’appui », elle ne fait que la déterminer telle qu’elle la trouve dans la Bible, en revenant sans cesse, selon le précepte que prescrivait déjà Polycarpe, « à la Parole annoncée dès le commencement ». A ce point de vue le pouvoir dogmatique se confond avec le pouvoir disciplinaire, ou s’il s’en distingue, c’est uniquement par son objet. Nous reviendrons sur la question des symboles, quand nous discuterons les différents systèmes de constitution ecclésiastiquee.
e – V. ci-après : Constit. int. de l’Église.
Pouvoir disciplinaire (réglementaire et Judiciaire). — Le pouvoir disciplinaire proprement dit a pour objet principal la conduite de l’Église et la forme du culte. Il se fonde : 1° Sur ce que la diversité des temps, des lieux, des positions, des idées, des mœurs, des coutumes, doit nécessairement amener, à ce double égard, des modifications plus ou moins graves dans une société destinée à couvrir la terre et à durer jusqu’à la consommation des siècles ; il est bien évident, par exemple, qu’elle ne peut suivre les même règles, soit pour sa direction générale, soit pour le service divin, aux époques de persécution et à celles de liberté et de calme. Et puis, le mouvement des idées et des choses, effet direct ou indirect de l’esprit qu’elle répand, le progrès interne et externe des peuples qu’elle régit, les états divers qu’elle traverse, amènent nécessairement des modifications, sinon dans le fond vital de sa foi, du moins dans sa liturgie et dans sa discipline, dans les formes de son administration et de son culte. Et tout cela doit être réglé et ne peut l’être que par elle-même.
2° Sur ce que le Nouveau Testament, sans doute par la raison que nous venons d’indiquer, ne renferme pas de loi complète sur ces points (gouvernement et culte) comme l’avait fait l’Ancien, qui fut donné pour une nation particulière et une situation déterminée. Le Mosaïsme entre dans les détails les plus minutieux du rituel, il expose et arrête tout et le rend par cela même obligatoire ; c’est la religion de la lettre ; le Christianisme, au contraire, est la religion de l’esprit, et, par suite, il peut sans inconvénient et sans danger supporter bien des variations dans ses institutions extérieures. — Nous voyons, dès l’origine et sous la direction des apôtres, les églises suivre deux régimes différents à bien des égards, selon qu’elles se composaient de Juifs ou de Gentils. La vie de la foi et de la charité, dominant les diversités de forme, maintenait l’unité de direction par l’unité des principes et des sentiments. La grande règle était celle que rappelle saint Paul 1 Corinthiens 14.40 : « Que toutes choses se fassent avec bienséance et avec ordre » ; et Éphésiens 4.15 : « Suivant la vérité dans la charité. » — Le Nouveau Testament renferme des préceptes évidemment locaux et temporaires, fondés sur les opinions et les coutumes du temps, utiles alors par conséquent, et dont l’Église s’est affranchie à mesure que les idées et les circonstances ont changé. De ce nombre sont le baiser de paix ou de fraternité, les agapes, les prescriptions relatives aux cheveux longs et au voile chez les femmes, aux cheveux courts chez les hommes, l’interdiction des viandes étouffées, etc. A côté de ces points, qu’il convenait de régler alors parce qu’ils touchaient aux idées et aux mœurs du temps, il en est d’autres qui ont été vivement débattues plus tard et sur lesquels les auteurs sacrés se taisent complètement, comme la forme du baptême (immersion, effusion, aspersion), la manière dont il faut recevoir la Sainte-Cène (assis, debout, à genoux ; quel pain ? quel vin ?), etc. Là s’exerce en liberté le pouvoir disciplinaire ; il y est seulement limité, de même que partout ailleurs, par les principes généraux du Nouveau Testament, auxquels il doit toujours se conformer, par l’esprit du Christianisme et l’analogie des Ecritures, dont il ne saurait s’écarter sans crainte et sans péril.
Rome place les commandements de l’Église sur la même ligne que les commandements de la Bible, s’attribuant le droit de faire des lois qui lient la conscience à l’égal des lois divines. Elle a revêtu d’un caractère sacré le corps pastoral, ainsi que ses décrets et ses actes, pour lui soumettre plus complètement les peuples ; elle a fait des additions sans nombre au culte évangélique ; elle enjoint, sous peine de péché mortel, des jeûnes, des abstinences, des mortifications, dont l’Ecriture ne dit pas un mot, des pratiques, telles que l’adoration des images et l’invocation des saints, que l’Ecriture interdit expressément. Elle heurte la liberté et la spiritualité chrétiennes par des observances innombrables, qu’elle impose au même titre que les prescriptions scripturaires.
Les protestants rejettent de concert ces abus d’autorité. Suivant eux, l’Église ne possède pas de pouvoir législatif proprement dit, elle n’a qu’un pouvoir exécutif et réglementaire, semblable à celui du gouvernement dans les états constitutionnels. Son véritable office est de publier, de développer, d’appliquer la règle de foi et de vie qu’elle a reçue de Dieu, d’en fixer, selon les temps, les parties variables, autant que l’ordre l’exige, et c’est à cela seul que se rapportent ses ordonnances. Mais dans cette limite même, il ne lui en reste pas moins des devoirs nombreux et des droits étendus. Elle a à déterminer sa constitution extérieure et intérieure, les conditions que doivent remplir ceux qui prétendent à ses emplois, le temps et le lieu des assemblées religieuses, etc., etc. Sur tout cela, il faut des règles pour prévenir la confusion et le scandale ; et comme ces règles ne peuvent procéder que de l’Église, il faut donc qu’en ces matières chacun reconnaisse et respecte son autorité ; il le faut, en particulier, pour ce qui concerne l’ordre du culte et sa forme.
L’Église a dès le principe et, comme tout l’annonce, sous la direction des apôtres, établi le premier jour de la semaine pour le Sabbat chrétien. Plus tard, elle a institué les fêtes de Noël, de Pâques, de Pentecôte, etc. Le Concile de Nicée termine le long différend entre l’Orient et l’Occident, au sujet de la deuxième de ces fêtes, et il ordonne, de plus, l’observation du Vendredi Saint. A la Réformation, en renversant le Calendrier romain comme nuisible à la société et comme incompatible avec le vrai caractère du Christianisme (Romains 14.6 ; Colossiens 2.17-23), quelques-unes des Églises protestantes, celle d’Ecosse par exemple, allèrent jusqu’à abolir les grandes fêtes chrétiennes et à ne conserver que le Dimanche ; elles sont toutes, je crois, revenues de cet extrême où les avait jetées l’excès antérieur. Mais quelles que soient à cet égard les règles établies dans une Église, il est du devoir de ses membres de s’y soumettre, tout en usant, s’ils le trouvent bon, du droit qu’ils possèdent d’en demander la révision et la réforme.
Il en est de même du rituel. Dieu veut, il est vrai, être adoré « en esprit et en vérité » (Jean 4.24) ; les dispositions et les œuvres saintes importent beaucoup plus que les observances (Matthieu 12.7) et l’on doit se garder avec soin de l’ἐθελοθρησκεία (Colossiens 2.23). Il y a cependant dans la forme du service divin bien des points qui doivent être réglés pour en assurer la régularité et la dignité, et qui ne peuvent l’être que par l’autorité ecclésiastique ; tels, par exemple, la tenue des assemblées religieuses, l’administration du baptême et de la Sainte Cène, le psautier, la liturgie, etc.
Si les apôtres avaient laissé un rituel, l’Église n’aurait qu’à s’y conformer. Ils ne l’ont point fait, parce que cela n’entrait pas dans l’ordre et le plan divin. Il n’y a donc d’obligatoire, pour tous les temps et pour tous les lieux, que les principes généraux du Nouveau Testament. Nous n’avons guère de directions particulières, de règlements de détail que dans saint Paul, et en les étudiant, nous trouverons, je crois, qu’il ne pensait pas que tous dussent lier à jamais les consciences, et qu’il reconnaissait aux disciples le droit d’en établir eux-mêmes, selon les besoins. Quelques-unes de ses directions sur le culte se rapportent à l’usage des dons miraculeux (1Cor. ch. 14) et ne peuvent s’appliquer que fort indirectement à notre état actuel, si elles s’y appliquent en quelque manière. D’autres ont trait à des opinions, à des mœurs, à des coutumes (voile chez les femmes, Sainte Cène après l’agape, etc.) qui sont tombées depuis longtemps, et par conséquent ne nous concernent pas non plus. Il recommande, nous l’avons dit, que tout se fasse dans l’Église avec bienséance, avec ordre et pour l’édification, ce qui suppose à l’Église des pouvoirs particuliers. Les coutumes, et par suite les convenances, changent incessamment avec le mouvement des idées et des choses, — (Que l’on compare, par exemple, ce qui fut essentiel à Genève du temps de Calvin, avec ce qui serait possible aujourd’hui, — ou les Églises actuelles des Etats-Unis, même les plus fortement disciplinées, avec les Églises puritaines d’autrefois) — d’où le droit de l’Église de modifier ses institutions, et le devoir des fidèles de se soumettre à ses règlements.
Cette conséquence est d’ailleurs en parfaite harmonie avec le fond vital et le but du Christianisme, dont l’extérieur, la forme, a dû rester en quelque sorte flexible, par cela même qu’il est esprit et vie et qu’il était destiné à être perpétuel et universel.
Mais l’Église, il faut le redire, ne doit user de son pouvoir réglementaire qu’avec mesure, dans l’intérêt de l’ordre et du culte, et dans l’analogie de l’Ecriture et de la foi. On sait ce qu’est devenu le service divin dans la Communion grecque et dans la Communion romaine. L’Église ne doit pas non plus, répétons-le, prétendre imprimer à ses ordonnances disciplinaires le caractère d’obligation morale qui n’appartient qu’aux lois divines. Ses décisions n’ont pour objet que la convenance ou l’utilité commune, elles peuvent toujours être révisées, modifiées ou abandonnées, lorsqu’elles ne remplissent plus leur but primitif.
Mais ce pouvoir de l’Église, quand il se renferme dans ses limites légitimes, suppose chez les fidèles l’obligation de le respecter et d’y obéir, lors même qu’ils n’approuveraient pas tout ce qu’il prescrit. La condescendance et la soumission sont pour eux des devoirs positifs, naissant des principes évangéliques d’humilité, de renoncement, de support, d’amour de l’union et de la paix. C’est dans cet esprit que les forts sont tenus en bien des circonstances de faire céder leurs lumières à l’édification des faibles, de s’arrêter même devant des scrupules aveugles ou superstitieux, et de sacrifier leur liberté plutôt que de nuire à la concorde ou de donner du scandale (Romains ch. 14 et 15 ; 1 Corinthiens 8.9-13). C’est dans cet esprit et pour ces motifs que le Concile de Jérusalem proscrivit temporairement l’usage des viandes étouffées et du sang. C’est dans le même esprit que saint Paul fit circoncire Timothée. Ces exemples et ces faits particuliers, qui ne nous concernent pas directement puisqu’ils se rapportent à un état religieux qui n’existe plus, nous révèlent cependant le principe qui doit nous servir de règle. La vie de Jésus-Christ nous fournirait de semblables enseignements, car il se soumit à l’ordre établi, dans les points même qui n’étaient pas prescrits par la loi, tels que la fête de la Dédicace, les observances de la Pâque, le service des synagogues ; — (il n’attaqua que ce qui était contraire à la vraie piété, que le formalisme et la superstition ; et il l’attaqua dans les institutions légales comme dans les coutumes traditionnelles). — Il est bien évident, en effet, que cet esprit de condescendance chrétienne qui prescrit le support, même dans les matières de doctrine, ainsi que nous l’avons vu ailleurs, le prescrit à plus forte raison dans les matières de pure discipline.
Le pouvoir judiciaire, dont il nous reste à parler, ne saurait en principe être contesté à l’Église ; toute Société a besoin, pour exister, de maintenir ses lois constitutives, et, pour maintenir ses lois, d’avoir une certaine action sur ses membres. Ses besoins à cet égard fondent ses droits, en particulier celui d’admission et d’exclusion, nommé souvent le pouvoir des clefs.
L’admission et l’exclusion sont deux points corrélatifs. Partout où l’on est facile sur l’un on est difficile sur l’autre, et vice-versa. L’idée qu’on s’en forme dépend de la notion qu’on se fait de l’Église. Se représente-t-on l’Église comme ne devant renfermer que de vrais chrétiens ? on est conduit par là à être très sévère, soit pour admettre soit pour exclure : la considère-t-on comme constituée par sa confession de foi et sa discipline ? quiconque adhère à ses règles extérieures est alors admis, quiconque refuse de s’y soumettre sur quelque point est exclu : se la figure-t-on comme sans confession ni discipline ? il n’est dès lors plus question d’admission ni d’exclusion. Le premier système est celui de la plupart des églises séparatistes (pures) ; le deuxième, celui des anciennes églises de la Réformation ; le troisième, celui de la plupart des églises actuelles, car, dans ces églises, les formulaires du xvie siècle sont généralement tombés en désuétude, et là même où ils existent en droit ils n’existent plus de fait, puisqu’ils ont perdu leur autorité.
A côté du droit d’exclusion dans l’Église, se trouve chez ses membres le droit de séparation. Si elle peut rejeter hors de son sein les personnes qui, refusant de se soumettre à ses lois fondamentales, gênent sa marche ou compromettent son existence, les personnes qui ne trouvent plus eu elle l’aliment de vérité et de vie, ou qui craignent d’exposer leur salut en suivant son enseignement et son culte, peuvent aussi se séparer pour former des associations indépendantes. L’exercice de ce droit, l’application de ce principe peut être contesté dans tel ou tel cas, le droit, le principe lui-même ne saurait l’être. Le chrétien est libre de choisir entre les églises ou d’en former une nouvelle, mais au-dessus de cette liberté il y a des devoirs qui la règlent et la limitent. Chacun aura à répondre devant Dieu de l’usage qu’il en fait.