Ces trois vocables se présentent ensemble, quoique dans un ordre exactement inverse, dans Romains 1.30, et constituent un sujet intéressant d’étude synonymique.
Ἀλαζών ne se trouve qu’une fois ailleurs (2 Timothée 3.2), et ἀλαζονεία, deux fois seulement (Jacques 4.16 ; 1 Jean 2.16). Dérivé d’ἄλη, course errante, ἀλαζών désignait d’abord les saltimbanques vagabonds (all. « Marktschreier »), les conjurateurs, les marchands d’orviétan, et les exorcistes (Actes 19.13 ; 1 Timothée 5.13 ; Lucien, Revivisc. 29 : ἀλαζόνες καὶ γόητες) ; tous ces hommes qui se vantent de leurs prétendus remèdes et de leurs faux exploits, ainsi que le fait Volpone, dans le Fox de Ben Jonson, act. ii, sc. 1. Le mot fut ensuite appliquée à tout fanfaron ou vantard (ἀλαζὼν καὶ ὑπέραυχος, Philo, Cong. Erud. Grat. § 8), qui se disait possesseur de talents, de connaissances, de courage, de vertu, de richesses ou de quelque autre chose qui n’était pas réellement à lui (Plutarch., Qua quis Rat. Laud. 4). Ainsi dans les Définitions qui passent sous le nom de Platon, l’ἀλαζονεία est décrite comme ἕξις προσποιητικὴ ἀγαθῶν μὴ ὑπαρχόντων ; d’autre part Xénophon (Cyr. ii, 2, 12) parle ainsi de l’ἀλαζὼν : ὁ μὲν γὰρ ἀλαζὼν ἔμοιγε δοκεῖ ὄνομα κεῖσθαι ἐπὶ τοῖς προσποιουμένοις καὶ πλουσιωτέροις εἶναι ἤ εἰσι, καὶ ἀνδρειοτέροις καὶ ποιήσειν ἃ μὴ ἱκανοί εἰσι ὑπισχνουμένοις. καὶ τοῦτα φανεροῖς γιγνομένοις, ὅτι τοῦ λαβεῖν τι ἕνεκα καὶ κερδᾶναι ποιοῦσιν ; et Aristote (Ethic. Nic., iv, 7, 2) : δοκεῖ δὴ ὁ μὲν ἀλαζῶν προσποιητικὸς τῶν ἐνδόξων εἶναι καὶ μὴ ὑπαρχόντων καὶ μειζόνων ἢ ὑπάρχει. Comme tel, il est probable qu’il sera un mêle-partout, un intrigant, ce qui peut expliquer la juxtaposition d’ἀλαζονεία et de πολυπραγμοσύνη (Ep. ad Diognetum, 4).
Ce n’est point un accident, mais il est de l’essence du caractère de l’ἀλαζών, dans ses vanteries, de dépasser les limites de la vérité (Sagesse 2.16-17) ; ainsi Aristote voit en lui quelqu’un qui ne se contente pas de faire une parade inconvenante des choses qu’il possède réellement, mais qui se vante encore de celles qu’il ne possède pas, et il lui oppose ἀληθευτικὸς καὶ τῷ βίῳ καὶ τῷ λόγῳ ; cf. Rhet. iil, 6 : τὸ τὰ ἀλλότρια αὑτοῦ φάσκειν ἀλαζονείας σημεῖον, et Xénophon, Mem. 1, 7 ; de son côté Platon (Rep. viii, 560 c) joint ensemble les ψευδεῖς ἀλαζόνες λόγοι, et Plutarque (Pyrrh. 19) associe l’ἀλαζών au κόμπος.
Nous avons, dans le même sens, une vivante description de l’ἀλαζών dans les Caractères de Théophraste (23), et une meilleure encore, des faux-fuyants et des échappatoires auxquels il a recours, dans le livre Ad Herenn. iv, 50, 51. Donc, si « fanfaron » ou « vantard » traduit bien ἀλαζών, le mot « ostentation » ne rend pas bien ἀλαζονεία, car un homme ne peut être plein d’ostentation que par rapport à des choses qu’il a réellement à montrer. Aucun de nos vocables (et certainement pas « orgueil » (1 Jean 2.16) ne reproduit la physionomie d’ἀλαζονεία d’une manière aussi fidèle que le fait l’allemand « Prahlerei ». Pour la chose, Falstaff et Parolles constituent deux excellents types, quoique bien différents ; joignez-y Bessus, dans la pièce King and no King par Beaumont et Fletchera ; tandis que, d’un autre côté, en dépit de tous ses grands mots sonnants le Tamburlaine (Tamerlan) de Marloweb, n’est pas ἀλαζών, puisque les terribles effets de son pouvoir servent de base et de faîte à ses μεγάλης γλώσσης κόμποι. Cette manière d’agir en franc pourfendeur de géants (braggadocio) est un vice qu’on attribue quelquefois à des nations entières ; ainsi on accusait les Éoliens d’ἔμφυτος ἀλαζονεία (Polyb. iv, 3 ; cf. T. Live 33.11) ; de nos jours, ce reproche s’adresse aux Gascons, ce qui a donné lieu au terme « gasconnade ». La Vulgate, qui rend ἀλαζόνες par « elati » (la version de Reimsc par « fiers »), n’a point saisi l’idée centrale avec le même succès que Théodore de Bèze qui traduit par « gloriosi ».
a – François Beaumont et Jean Fletcher, deux jeunes poètes de génie qui ont vécu ensemble dix ans, et qui ont écrit de concert trente-huit pièces de théâtre. Le premier naquit en 1586 ; le second, né en 1576, mourut de la peste (1625) dix ans après son ami. Leurs comédies valent mieux que leurs tragédies. Trad.
b – Le plus grand auteur tragique qui ait précédé Shakespeare. Il excellait dans la peinture des caractères. Jeffrey estime que de toutes ses pièces, son « Faustus » est la plus belle et son Edward « the Second », du style le plus égal. Dans son « Tamburlaine the Great », à côté de beaucoup de déclamation, se trouvent des passages d’une grandeur sauvage et d’une vraie beauté. » Doctor Angus’s Engl. Lit., § 249. Trad.
c – Version anglaise du N. T., faite et publiée d’après la Vulgate à Reims en 1582, avec des notes. En 1609-10 on y joignit l’A. T., toujours d’après la Vulgate. Cette version parut à Douay en 2 vol. in-4o avec des notes, et elle est considérée par les catholiques romains anglais comme leur standard Bible (trad. officielle). Ils l’appellent souvent the Douay Bible. Trad.
On a quelquefois établi une distinction entre l’ἀλαζών et le πέρπερος (ἡ ἀγάπη οὐ περπερεύεται, 1 Corinthiens 13.4). Le premier, a-t-on dit, se vante de choses qu’il n’a point, le second de choses qu’il a en réalité, mais dont il n’est pas convenable qu’il se vante. Mais une telle distinction ne peut point se soutenir (voir Polyb. xxxii, 6,5 ; xl, 6,2) ; ces deux sortes d’hommes sont également menteurs.
Mais celle vanterie habituelle de ce qui vous appartient ne peut guère manquer de dégénérer bientôt en dédain pour ce qui est aux autres. Si elle ne trouvait pas un tel sentiment, elle l’enfanterait aussitôt ; aussi l’ἀλαζών est-il souvent encore un αὐθάδης (Proverbes 31.24). Ἀλαζονεία est étroitement liée à ὑπεροψία : ces mots sont employés presque comme termes équivalents (Philo, De Carit. 22-24). Mais de ὑπεροψία à ὑπερηφανία le pas est très petit ; nous ne devons donc point nous étonner de rencontrer ὑπερήφανος ; joint à ἀλαζών : cf. Clément Romain, Ad Cor. 16. Les endroits où ce mot se trouve, à part ceux déjà indiqués, sont : Luc 1.51 ; Jacques 4.6 ; 1 Pierre 5.5 ; ὑπερηφανία se lit Marc 12.22. Une pittoresque image lui sert de base ; ὑπερήφανος, dérivé de ὑπέρ et de φαίνομαι, désigne quelqu’un qui se montre au-dessus de ses semblables, absolument comme le latin « superbus » vient de « super ». Le mot anglais « stilts » est de la famille de « stolz » et de « stout », si l’on remonte, pour ce dernier mot, à sa signification première d’« orgueilleux », ou d’« élevé ». Deyling (Obs. Sac, vol. v, p. 219) : « Vox proprie notat hominem capite super alios eminentem, ita ut, quemadmodum Saul, præ ceteris sit conspicuus, 1 Samuel 9.2. Figurate est is qui ubique eminere et aliis præferri cupit ».
Un homme ne peut se montrer ἀλαζών que dans la société de ses semblables, mais le vrai siège de la ὑπερηφανία (allem. « Hochmuth ») est au dedans de nous. Celui qui est atteint de ce péché se compare secrètement aux autres et se place au-dessus d’eux, s’estimant plus digne d’honneur. Son péché, comme le décrit Théophraste (Caract. 34), est καταφρόνησίς τις πλὴν αὑτοῦ τῶν ἄλλων : aussi ce péché est-il joint à ἐξουδένωσις, Psaumes 30.19. La conduite du ὑπερήφανος ; envers les autres n’est point de l’essence de son péché, elle n’en est que la conséquence. Son « arrogance », comme nous disons, ses prétentions à l’honneur et à l’attention qu’il réclame pour lui-même (ὑπερηφανία s’unit à φιλοδοξία, Esther 4.10), son indignation, et, il se peut, sa cruauté et son esprit de vengeance, si l’on écarte ces vices (voir Esther 3.5-6 ; et Appien, De Reb. Pun. viii, 118 : ὡμὰ καὶ ὑπερήφανα), ne sont que les fruits de cette fausse estimation de lui-même ; c’est ainsi qu’on trouve réunis ὑπερήφανος et ἐπίφθονος (Plutarch., Pomp. 24), ὑπερήφανοι et βαρεῖς (Qu. Rom. 63), ὑπερηφανία et ἀγερωχία (2 Maccabées 9.7).
Dans le ὑπερήφανος nous pouvons avoir la dépravation d’un caractère bien plus noble que celui de l’ἀλαζών, le mélancolique (ἀλαζών, tempérament sanguin, et ὑβριστής, colérique) ; mais parce qu’il est plus noble, c’est un caractère qui, s’il tombe, tombe plus bas et pèche plus gravement. C’est quelqu’un dont « le cœur est enflé » (ὑψηλοκάρδιος, Proverbes 16.5) ; un des hommes τὰ ὑψηλὰ φρονοῦντες (Romains 12.16) ; en opposition avec les ταπεινοὶ τῇ καρδίᾳ ; et par suite, il est éloigné de toute vraie sagesse (Siracide 15.8). Cet orgueil de son cœur peut n’être pas simplement dirigé contre l’homme, mais contre Dieu ; il peut s’attaquer aux prérogatives mêmes de la divinité (1 Maccabées 1.21, 24 ; Sagesse 14.6 : ὑπερήφανοι γιγάντες). Théophylacte ne va donc pas trop loin, quand il appelle ce péché ἀκρόπολις κακῶν : et nous ne devons pas être surpris qu’on nous rappelle, à trois reprises, et dans les mêmes termes, que « Dieu résiste aux orgueilleux » (ὑπερηφάνοις ἀντιτάσσεται : Jacques 4.6 ; 1 Pierre 5.5 ; Proverbes 3.34) ; qu’il leur livre bataille comme eux se rangent contre lui !
Il nous reste à parler de ὑβριστής, qui, par sa dérivation de ὕβρις (qui, à son tour, vient de ὑπέρ), est dans une certaine relation étymologique avec ὑπερήφανος (voy. Donaldson, New Cratylus, 3e éd., p. 552). Ὕβρις est une action insolente et mauvaise, dirigée contre les autres, non par vengeance mais par nul autre mobile que le simple plaisir que procure le mal qu’on fait. Ainsi on lit dans Aristote (Rhet. 2.2) : ἔστι γὰρ ὕβρις τὸ βλάπτειν καὶ λυπεῖν ἐφ᾽ οἷς αἰσχύνη ἐστὶ τῷ πάσχοντι μὴ ἵνα τι γένηται αὐτῷ ἄλλο ἢ ὅτι ἐγένετο ἀλλ᾽ ὅπως ἠσθῇ. οἱ γὰρ ἀντιποιοῦντες οὐχ ὑβρίζουσιν ἀλλὰ τιμωροῦνται. Ὑβριστής ne se trouve que deux fois dans le N. T. : Romains 1.30 et 1 Timothée 1.13 ; dans les Septante souvent : dans Job 11.6-7 et dans Ésaïe 2.12, il est associé à ὑπερήφανος ; (cf. Proverbes 8.13) ; Aristote unit aussi, de la même manière, ces deux termes (Rhet. 2.16). Les autres expressions en compagnie desquelles se trouve ὑβριστής, sont : ἄγριος (Hom. Od. 6.120) ; ἀτάσθαλος (Ib. 24.282) ; ἄδικος (Plato, Leg. i, 630 b) ; ἀκόλαστος (Apol. Soc. 26 e) ; ὑπερόπτης (Aristot., Ethic. Nic. iv, 3, 21) ; φιλογέλως (Plutarch., Symp. 8, 5 ; mais ici dans un sens bien plus doux). Son exacte antithèse est σώφρων (Xenoph., Apol. Soc. 19 ; Ages, 10.2 ; cf. πρᾳ"ύθυμος, Proverbes 16.19). Le ὑβριστής dit des injures ; son insolence, son mépris des autres éclate en actes de libertinage et d’outrage. Ainsi, quand Hanun, roi de Hammon, écourta les vêtements des ambassadeurs du roi David, qu’il leur fit couper la moitié de la barbe et qu’il les renvoya dans cet état à leur maître (2 Samuel 10.4), c’était là un acte de ὕβρις. Quand saint Paul persécutait l’Église, il était un ὑβριστής (1 Timothée 1.13 ; cf. Actes 8.3), mais lui-même fut ὑβρισθείς (1 Thessaloniciens 2.2) à Philippes, lors de diverses péripéties (voir Actes 21.22-23)d. Notre Sauveur, prophétisant de sa Passion, déclare que le Fils de l’homme ὑβρισθήσεται (Luc 18.32) et toute cette outrageuse mascarade de la royauté dans laquelle on cherche à lui faire jouer le principal rôle (Matthieu 27.27-30), n’est que l’accomplissement de cette prophétie. « Pereuntibus addita ludibria », comme dit Tacite (Annal, xv, 44), à propos de la mort des chrétiens dans les persécutions de Néron ; ils moururent, μεθ᾽ ὕβρεως, telle est la pensée. On peut en dire autant du personnage du duc d’York (dans le Henri VI de Shakespeare), quand, en dérision de ses prétentions royales, on lui place sur la tête une couronne de papier, avant que Margaret et Clifford le poignardent.
d – Il est intéressant de noter, que notre mot français outrage répond exactement au grec ὕβρις ; c’est proprement un acte outre mesure, un excès, une violence. Dr. A. Scheler.
La cruauté et la volupté sont les deux sphères principales dans lesquelles se meut la ὕβρις, ou plutôt elles n’en font qu’une, car les deux vices se pénètrent ; aussi Milton, décrivant « la volupté côte à côte de la haine », a rencontré juste, cependant il ne dit pas tout ; mais les deux sphères principales de la ὕβρις, c’est bien la cruauté et la volupté, et c’est dans le sentiment que celle-ci lui appartient tout autant que celle-là, que Josèphe (Ant. i, xi, 1) caractérise les hommes de Sodome comme étant ὑβρισταί par rapport aux hommes (cf. Genèse 19.5), non moins qu’ἀσεβεῖς envers Dieu. Il emploie le même langage (Ibib. v, 10, 1) au sujet des fils d’Héli (cf. 1 Samuel 2.22) ; montrant dans ces deux cas que par la ὕβρις qu’il attribue à ceux-ci et à ceux-là, il entendait parler d’un outrage à la pudeur. Cf. Plutarch., Demet. 24 ; Lucian, Dial. Deor. vi ; et l’article Ὕβρεως δίκη, dans l’Encyclopédie de Pauly.
Nos trois vocables se dessinent donc nettement, et occupent trois sphères différentes par leur signification ; ils nous offrent une échelle ascendante de culpabilité, et comme on l’a déjà fait observer, ils désignent chacun, à part, le fanfaron en paroles, l’orgueilleux en pensées, l’insolent et l’injurieux en œuvres.