La question qui se pose ici est celle de notre connaissance des Personnes divines. Sur ce point nous verrons :
- Si les Personnes divines peuvent être connues par la raison naturelle.
- S'il faut attribuer des « notions » aux Personnes divines.
- Le nombre de ces notions.
- Sur les notions, les opinions sont-elles libres ?
Objections
1. Les philosophes n'ont pu arriver à la connaissance de Dieu que par la raison naturelle. Or on trouve chez les philosophes maint passage qui parle de la Trinité des Personnes. Aristote a dit : « Nous nous sommes appliqué à glorifier par ce nombre trois le Dieu unique, qui surpasse toutes les propriétés des choses créées. » S. Augustin écrit même, à propos des ouvrages des platoniciens : « J'y ai lu en d'autres termes, il est vrai, mais c'est bien cela qu'on y établissait par toutes sortes d'arguments, j'y ai lu qu'au commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu et que le Verbe était Dieu », et le reste de ce texte, qui expose la distinction des personnes divines. On dit encore, dans la Glose, que les mages de Pharaon échouèrent « au troisième signe », c'est-à-dire dans la connaissance de la troisième personne, le Saint-Esprit : ils en ont donc connu au moins deux. Enfin Trismégiste écrit : « Un a engendré l'Un, et il a réfléchi sur soi sa flamme. » Voilà bien qui semble enseigner la génération du Fils et la procession du Saint-Esprit. La raison naturelle peut donc atteindre à la connaissance des Personnes divines.
2. Richard de Saint-Victor écrit : « Je tiens sans le moindre doute qu'il ne manque pas d'arguments, non seulement probables, mais encore nécessaires, pour rendre raison de n'importe quelle vérité. » On a en effet avancé maints arguments pour prouver même la Trinité des Personnes. Certains invoquent l'infinie bonté divine, qui se communique infiniment dans la procession des Personnes divines. D'autres font appel à ce principe, qu'il n'y a pas d'heureuse possession d'aucun bien sans société. S. Augustin, lui, cherche à manifester la Trinité des Personnes à partir de la procession du verbe et de l'amour en notre esprit ; c'est la voie même que nous avons suivie ci-dessus. La Trinité des Personnes peut donc être connue par raison naturelle.
3. Révéler à l'homme ce que la raison humaine est incapable de connaître, voilà une démarche vaine. Or, on ne va pas dire que la révélation divine du mystère de la Trinité est une démarche vaine. C'est donc que la raison humaine peut connaître la Trinité des Personnes.
En sens contraire, S. Hilaire écrit : « Que l'homme se garde bien de penser que son intelligence puisse atteindre le mystère de la génération divine ! » Et S. Ambroise : « Impossible de savoir le secret de cette génération. La pensée y défaille, la voix se tait. » Or c'est par l'origine précisément génération et procession qu'on distingue une trinité en Dieu, comme on l'a vu plus haut ; et puisque l'homme peut « savoir et atteindre intellectuellement » ce dont on peut donner une raison nécessaire, il s'ensuit que la Trinité des Personnes n'est pas connaissable par la raison.
Réponse
Il est impossible de parvenir à la connaissance de la Trinité des Personnes divines par la raison naturelle. En effet, on a vu plus haut que, par sa raison naturelle, l'homme ne peut arriver à connaître Dieu qu'a partir des créatures. Or les créatures conduisent à la connaissance de Dieu, comme les effets à leur cause. On ne pourra donc connaître de Dieu, par la raison naturelle, que ce qui lui appartient nécessairement à titre de principe de tous les êtres ; c'est sur ce fondement que nous avons construit notre traité de Dieu. Mais la vertu créatrice de Dieu est commune à toute la Trinité ; autrement dit, elle ressortit à l'unité d'essence, non à la distinction des Personnes. La raison naturelle pourra donc connaître de Dieu ce qui a trait à l'unité d'essence, et non ce qui a trait à la distinction des Personnes.
Et celui qui prétend prouver la Trinité des Personnes par la raison naturelle, fait doublement tort à la foi. D'abord, il méconnaît la dignité de la foi elle-même, dignité qui consiste à avoir pour objet les choses invisibles, c'est-à-dire qui dépassent la raison humaine : « La foi, dit l'Apôtre (Hébreux 11.1) porte sur ce qu'on ne voit pas. » Ensuite, il compromet les moyens d'amener certains hommes à la foi. En effet, apporter en preuve de la foi des raisons qui ne sont pas nécessaires, c'est exposer cette foi au mépris des infidèles ; car ils pensent que c'est sur ces raisons-là que nous nous appuyons, et à cause d'elles que nous croyons. N'essayons donc pas de prouver les vérités de la foi autrement que par des arguments d'autorité, pour ceux qui les acceptent. Pour les autres, il suffit de défendre la non-impossibilité des mystères annoncés par la foi. Ainsi Denys écrit : « Celui qui reste absolument sourd aux oracles, sera inaccessible à notre philosophie. Mais s'il prend en considération la vérité des oracles divins, bien entendu, nous aurons alors nous aussi recours à cette règle. »
Solutions
1. Les philosophes n'ont pas connu le mystère de la Trinité des Personnes divines, du moins par ses notions propres : génération, filiation et procession. C'est ce que dit l'Apôtre (1 Corinthiens 2.6) : « Nous prêchons une sagesse de Dieu que personne n'a connue parmi les princes de ce siècle », c'est-à-dire les philosophes, d'après la Glose. Ils ont pourtant connu certains attributs essentiels qu'on approprie aux Personnes : la puissance, appropriée au Père ; la sagesse appropriée au Fils ; la bonté appropriée au Saint-Esprit, comme on le verra plus loin. Donc, quand Aristote écrit : « Par ce nombre trois, etc. », n'allons pas croire qu'il ait posé le nombre trois en Dieu ; il veut dire que les anciens observaient le nombre trois dans les sacrifices et les prières, parce que ce nombre possède une sorte de perfection.
De même, on lit bien dans les livres des platoniciens : « Au commencement était le verbe... » Mais « verbe » n'y signifie pas une personne engendrée en Dieu : il évoque le type idéal selon lequel Dieu a tout créé, et qu'on approprie au Fils. Et, bien qu'ils aient connu des perfections appropriées aux trois Personnes, on dit qu'ils ont échoué « au troisième signe », c'est-à-dire dans la connaissance de la troisième Personne, parce qu'ils ont dévié de la bonté appropriée au Saint-Esprit, du fait que « connaissant Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu », dit S. Paul (Romains 1.21). Il y a une autre explication : les platoniciens posaient un premier Être, qu'ils appelaient le Père de tout l'univers ; ensuite ils posaient au-dessous de lui une autre substance, qu'ils appelaient la Pensée ou l'Intellect du Père : en lui se trouvaient les idées de toutes choses, comme le rapporte Macrobe dans son Commentaire du Songe de Scipion. On ne voit d'ailleurs pas qu'ils aient posé une troisième substance, qui paraisse correspondre au Saint-Esprit. Mais nous, ce n'est pas un Père et un Fils de cette sorte, substantiellement différents, que nous posons : ce fut l'erreur d'Origène et d'Arius, disciples sur ce point des platoniciens.
Quant à cet aphorisme de Trismégiste : « l'Un a engendré l'Un, et il a réfléchi sur soi sa flamme », il ne concerne pas la génération du Fils, ni la procession du Saint-Esprit, mais bien la production du monde : le Dieu unique a produit un monde par amour de soi.
2. La raison qu'on apporte pour expliquer une chose donnée peut jouer un double rôle. Il peut se faire qu'elle en établisse démonstrativement la cause cachée. ainsi en philosophie de la Nature on prouve efficacement pourquoi le mouvement a une vitesse uniforme. Mais il arrive aussi que la raison qu'on donne ne prouve pas efficacement que telle est la cause cachée que l'on cherche, mais, une cause étant supposée, elle montre que les effets qui, par hypothèse, en découlent s'accordent bien avec elle. Ainsi en astronomie on donne comme raison (des phénomènes observés) la théorie des excentriques et des épicycles, étant donné que ce qui apparaît aux sens des mouvements des astres est respecté par cette hypothèse ; ce n'est pourtant pas une preuve décisive (que telle est la vraie cause de ces phénomènes), car il n'est pas dit qu'une autre hypothèse ne les respecterait pas aussi. On peut donc donner une explication du premier type pour prouver que Dieu est un, etc. Mais la raison que l'on apporte pour manifester la Trinité est du second type : c'est-à-dire que, la Trinité étant admise, les explications qu'on en donne s'accordent avec cette présupposition, mais aucune d'elle ne suffit à prouver que Dieu est Trinité.
C'est clair quand on en vient au détail. La bonté infinie de Dieu se manifeste aussi dans la production des créatures, car produire de rien requiert une vertu infinie. Certes, Dieu se communique en raison de sa bonté infinie. Il ne s'ensuit pas qu'il en procède quelque chose d'infini, mais quelque chose qui reçoit à sa mesure communication de l'infinie bonté. De même pour ce principe que, sans société, il n'y a possession heureuse d'aucun bien. Cela vaut pour une personne qui n'a pas en elle-même la bonté parfaite ; alors elle a besoin, pour atteindre à cette plénitude de bien qui fait le bonheur, du bien d'un autre uni à elle. Quant à l'analogie de notre intellect, elle n'est pas une preuve décisive en ce qui concerne Dieu, pour cette raison que l'intelligence ne se réalise pas de manière univoque en Dieu et en nous. S. Augustin a donc bien dit que c'est par le moyen de la foi qu'on parvient à la connaissance, et non inversement.
3. La connaissance des Personnes divines était nécessaire pour nous à un double titre. Le premier était de nous faire penser juste au sujet de la création des choses. En effet, affirmer que Dieu a tout fait par son Verbe, c'est rejeter l'erreur selon laquelle Dieu a produit les choses par nécessité de nature ; et poser en lui la procession de l'Amour, c'est montrer que si Dieu a produit des créatures, ce n'est pas qu'il en eût besoin, ni pour une autre cause extérieure à lui : c'est par amour de sa bonté. Aussi Moïse, après avoir écrit : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », ajoute ceci : « Dieu dit : que la lumière soit », afin de faire paraître le Verbe de Dieu ; après quoi il écrit : « Dieu vit que la lumière était bonne », pour montrer l'approbation du divin Amour. Et il décrit de même la production des autres œuvres. Le second motif, et le principal, était de nous donner une vraie notion du salut du genre humain, salut qui s'accomplit par l'incarnation du Fils et par le don du Saint-Esprit.
Objections
1. Denys dit qu'on ne doit pas être assez téméraire pour rien dire de Dieu qui n'ait été expressément formulé pour nous par l'Écriture sainte. Or l'Écriture sainte ne fait pas mention des « notions ». Il ne faut donc pas en poser en Dieu.
2. Ce qu'on affirme de Dieu a trait ou bien à l'unité d'essence, ou bien à la trinité des Personnes. Or les notions n'appartiennent ni à l'unité d'essence, ni à la trinité des Personnes. En effet, on ne peut pas attribuer à ces notions ce qui appartient à l'essence : on ne dit pas « la paternité est sage », ni « elle crée ». On ne peut pas non plus leur attribuer ce qui appartient aux Personnes : on ne dit pas « la paternité engendre », ni « la filiation est engendrée ». C'est donc qu'il ne faut pas poser ces notions en Dieu.
3. Ce qui est simple est connaissable par soi ; inutile d'y poser des formes abstraites, principes formels de connaissance. Or les Personnes divines sont souverainement simples. Il n'y a donc pas à poser des « notions » dans les Personnes divines.
En sens contraire, S. Jean Damascène dit que « nous saisissons la distinction des hypostases, c'est-à-dire des personnes, dans leurs trois propriétés : la paternité, la filiation, la procession ». Il faut donc bien poser les propriétés et notions en Dieu.
Réponse
Prévostin, considérant la simplicité des personnes, a dit qu'il ne fallait pas mettre de propriétés ou notions en Dieu ; et si parfois il en rencontre dans les textes qui font autorité, il traduit l'abstrait par le concret : de même que l'usage nous fait dire « Je supplie votre bonté », c'est-à-dire « vous, qui êtes bon », ainsi quand on parle de « la paternité » en Dieu, on veut dire « Dieu le Père ».
Mais, on l'a déjà vu, nous ne dérogeons pas à la simplicité divine en usant de noms abstraits et concrets à propos de Dieu ; car nous nommons selon que nous connaissons. Or notre intelligence ne peut pas atteindre jusqu'à la simplicité divine, considérée telle qu'elle est en soi ; elle saisit et exprime les réalités divines selon son mode à elle, qui est le mode des choses sensibles d'où elle tire sa connaissance. Et dans ce domaine, nous usons de noms abstraits pour signifier les formes pures, et de noms concrets pour signifier les choses subsistantes. Par suite, nous signifions aussi les réalités divines au moyen de noms abstraits pour évoquer leur simplicité, et au moyen de noms concrets pour évoquer leur caractère subsistant et parfait, nous l'avons dit. Mais ce ne sont pas seulement les attributs essentiels qu'il nous faut ainsi exprimer sous ces deux modes, abstrait et concret, disant par exemple : « la déité » et « Dieu », « la Sagesse » et « le Sage » ; ce sont aussi les attributs personnels : il nous faut dire « la paternité » et « le Père ». Deux raisons nous y obligent principalement.
Et d'abord, les instances des hérétiques. Quand nous confessons que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu, ils nous demandent : en raison de quoi sont-ils un seul Dieu, et en raison de quoi sont-ils trois ? Et de même qu'à la première question nous répondons : ils sont un par leur essence, par la déité, ainsi il a bien fallu recourir à des noms abstraits pour dire par quoi se distinguent les personnes : ce sont les « propriétés » ou « notions », c'est-à-dire des termes abstraits tels que « paternité » et « filiation ». De sorte que, en Dieu, nous signifions l'essence comme un « quoi », la personne comme un « qui » et la propriété comme un « par quoi ».
Seconde raison : il y a en Dieu une personne qui se rapporte à deux autres : la personne du Père qui se rapporte à la personne du Fils et à la personne du Saint-Esprit. Or ce n'est pas par une relation unique ; car il s'ensuivrait que le Fils et le Saint-Esprit se rapporteraient aussi au Père par une seule et même relation ; et comme, en Dieu, il n'y a que la relation pour « multiplier la Trinité », le Fils et le Saint-Esprit ne seraient pas deux personnes. Et l'on ne peut pas se contenter de répondre avec Prévostin : De même que Dieu n'a qu'une relation aux créatures, qui pourtant se rapportent à lui par des relations variées, de même aussi le Père se rapporte au Fils et au Saint-Esprit par une relation unique, tandis que ceux-ci se rapportent à lui par deux relations. Cette réponse ne tient pas ; en effet, la raison formelle et spécifique du relatif consiste à se rapporter à l'autre : par conséquent, deux relations auxquelles ne correspond qu'une seule relation opposée, ne sont pas spécifiquement différentes. Si les relations de « seigneur » et de « père » doivent être spécifiquement distinctes, c'est que celle de « service » et de filiation sont diverses. Or, toutes les choses créées se rapportent à Dieu sous un type unique de relation, celui de « créature » de Dieu ; tandis que le Fils et le Saint-Esprit ne se rapportent pas au Père par une relation identique.
De plus, rien ne nous oblige à poser en Dieu une relation réelle à la créature, nous l'avons dit, mais les relations de raison peuvent sans inconvénient être multipliées en Dieu. C'est au contraire une relation réelle qu'il faut poser dans le Père pour le référer au Fils, et au Saint-Esprit ; les deux relations du Fils au Père, et du Saint-Esprit au Père nous obligent donc à poser dans le Père deux relations, le rapportant l'une au Fils et l'autre au Saint-Esprit. Aussi, puisque le Père est une seule et même Personne, il a bien fallu exprimer séparément ces relations sous forme abstraite ; et c'est là précisément ce qu'on appelle des propriétés ou notions.
Solutions
1. La Sainte Écriture ne fait pas mention des notions ; mais elle fait mention des Personnes, en qui les notions sont comprises comme l'abstrait dans le concret.
2. Les relations mêmes ou notions existent réellement en Dieu, on l'a dit plus haut ; cependant nous les signifions en Dieu non pas comme des choses, mais comme des raisons formelles par quoi nous prenons connaissance des Personnes. De là vient qu'on ne peut pas attribuer aux notions ce qui a trait à un acte essentiel ou personnel : cela jurerait avec leur mode de signification. Nous ne pouvons donc pas dire que « la paternité engendre ou crée », ni qu'« elle est sage ou intelligente ». Quant aux prédicats essentiels qui n'ont pas trait à un acte, mais qui écartent de Dieu les conditions créées, on peut les attribuer aux notions : on dira, par exemple, que « la paternité est éternelle, immense, etc. ». De même, en raison de l'identité réelle, on peut attribuer aux notions les prédicats substantiels personnels et essentiels : on peut dire ainsi que « la paternité est Dieu, qu'elle est le Père ».
3. Les personnes sont simples, sans doute. Mais on peut, sans préjudice de cette simplicité, signifier sous forme abstraite les raisons formelles propres des personnes, on vient de le dire.
Objections
1. Les notions des personnes sont proprement les relations qui les distinguent. Or il n'y a en Dieu que quatre relations, nous l'avons dit. Il n'y a donc aussi que quatre notions.
2. Parce qu'en Dieu il n'y a qu'une essence, on dit que Dieu est un ; parce qu'en lui il y a trois personnes, on dit que Dieu est trine. Si donc en Dieu il y a cinq notions, on devrait dire que Dieu est « quine » : or cela ne peut se dire.
3. Admettons qu'il y ait en Dieu trois personnes et cinq notions. Il faut alors qu'une personne possède plusieurs notions : deux ou davantage. C'est ainsi que l'on en pose trois dans la personne du Père : l'innascibilité, la paternité et la commune spiration. Or, ou bien ces trois notions sont réellement distinctes ; ou bien elles n'ont entre elles qu'une distinction de raison. Si c'est une distinction réelle, voilà la personne du Père composée de plusieurs choses. Si c'est une simple distinction logique, une notion doit pouvoir s'attribuer à l'autre : autrement dit, de même que « la bonté de Dieu est sa sagesse » en raison de leur identité dans la réalité divine, de même aussi « la commune spiration est la paternité ». Mais personne n'admet cette dernière proposition. Il n'y a donc pas cinq notions.
En sens contraire, 4. Il semble qu'il y en a plus de cinq. De même que le Père ne procède d'aucun autre d'où la notion d'« innascibilité », de même, du Saint-Esprit il ne procède aucune autre personne ; et ceci va nous faire poser une sixième notion.
5. Il est commun au Père et au Fils d'être principe du Saint-Esprit ; pareillement il est commun au Fils et au Saint-Esprit de procéder du Père. Or, on pose une notion commune au Père et au Fils : la spiration ; il faut donc aussi poser une notion commune au Fils et au Saint-Esprit.
Réponse
On appelle « notion » une raison formelle notifiant en propre une personne divine. Or c'est l'origine qui multiplie les personnes divines ; et une origine comporte un principe et un terme ; ce qui donne deux modes de notifier une personne. La personne du Père ne peut pas être notifiée sous l'aspect de terme procédant d'un autre ; mais elle peut l'être comme ne procédant d'aucun autre : sous ce point de vue, elle a pour notion l'« innascibilité ». Sous l'aspect de principe d'un autre, elle est notifiable doublement : comme principe du Fils, elle se notifie par la notion de « paternité » ; comme principe du Saint-Esprit, elle se notifie par la notion de « spiration commune ». Le Fils, lui, peut être notifié sous l'aspect de terme procédant d'un autre par naissance ; il est notifié ainsi par sa « filiation ». Il peut l'être aussi sous l'aspect de principe de qui procède un autre, à savoir le Saint-Esprit ; il se notifie ainsi de la même manière que le Père, par la notion de « spiration commune ». Quant au Saint-Esprit, il peut être notifié comme terme procédant d'un autre, par sa « procession » ; mais il ne peut pas l'être comme principe d'un autre, puisqu'aucune Personne n'en procède.
Il y a donc cinq notions en Dieu : l'innascibilité, la paternité, la filiation, la spiration commune et la procession. Quatre seulement d'entre elles sont des « relations » ; car l'innascibilité n'est pas une relation, sinon par réduction, ainsi qu'on le verra v. Quatre seulement aussi sont des « propriétés » car la spiration commune, qui convient à deux Personnes, n'est pas une propriété. Enfin, il y en a trois qui sont des « notions personnelles », c'est-à-dire qui constituent les personnes, c'est-à-dire la paternité, la filiation et la procession. La spiration commune et l'innascibilité sont bien des notions des personnes, mais non pas des notions personnelles ; on le verra mieux dans la suite.
Solutions
1. On vient de voir qu'en outre des quatre relations, il y a lieu de poser une cinquième notion : l'innascibilité.
2. On signifie l'essence, en Dieu, comme une réalité ; il en est de même des personnes ; mais on signifie les notions comme des raisons formelles notifiant les personnes. De là vient la différence des expressions ; on dit bien que Dieu est un, à raison de l'unité d'essence ; qu'il est trine, à raison de la trinité des Personnes ; mais qu'il y ait cinq notions n'autorise pas à dire que Dieu est « quine ».
3. Seule l'opposition relative met en Dieu une pluralité réelle. Plusieurs propriétés d'une même personne ne se distinguent donc pas réellement, faute d'opposition relative entre elles. On ne les attribue pourtant pas l'une à l'autre, parce qu'on les signifie par mode de raisons formelles différentes. Pareillement, bien qu'on dise qu'en Dieu « la science est la puissance », on ne dit pas que « l'attribut de puissance est l'attribut de science ».
4. Nous l'avons dit : La personne comporte une dignité. Dès lors, on ne peut pas former une « notion » du Saint-Esprit avec cela seul qu'aucune personne n'en procède : en effet, cela ne concerne pas sa dignité, alors que « n'avoir pas de principe » se rapporte à la dignité du Père, qui est d'être premier principe.
5. Il n'y a pas un mode unique et typique de procéder du Père, qui serait commun au Fils et au Saint-Esprit ; alors qu'il y a un mode unique et typique de produire le Saint-Esprit, qui est commun au Père et au Fils. Or ce qui fait reconnaître une personne est nécessairement quelque chose de typique. Les deux cas sont donc différents, et l'argument ne vaut pas.
Objections
1. S. Augustin dit que nulle part l'erreur n'est plus dangereuse qu'en matière trinitaire ; et il est bien certain que les notions s'y rattachent. Mais les opinions contraires sur ce point ne peuvent pas être exemptes d'erreur. Il n'est donc pas permis d'avoir une opinion contraire au sujet des notions.
2. C'est par les notions qu'on connaît les personnes, nous l'avons dit. Or il n'est pas permis d'avoir une opinion contraire à la doctrine reçue touchant les personnes. Donc, pas davantage touchant les notions.
En sens contraire, il n'y a pas d'article de foi qui traite des notions ; des opinions divergentes sont donc ici permises.
Réponse
Il y a deux façons, pour une vérité, d'appartenir à la foi. D'abord directement : c'est le cas de ce que Dieu nous a révélé à titre principal : par exemple, que Dieu est trine et un, que le Fils de Dieu s'est incarné, etc. Tenir une opinion fausse en ces matières, c'est par là même encourir l'hérésie, surtout si l'on y met de l'opiniâtreté. Appartiennent indirectement à la foi les propositions dont la négation entraîne une conséquence contraire à la foi : si l'on dit, par exemple, que Samuel n'était pas fils d'Helcana, il s'ensuit que la Sainte Écriture dit faux. En ces matières, quelqu'un peut avoir une opinion fausse sans risque d'hérésie, avant de se rendre compte ou avant qu'il soit défini que pareille position entraîne une conséquence contraire à la foi, surtout s'il n'y met pas d'opiniâtreté. Mais une fois qu'il est devenu manifeste, et surtout une fois que l'Église a défini que cette position entraîne une conséquence contraire à la foi, l'erreur en cette matière n'est plus exempte d'hérésie. De là vient que beaucoup d'opinions sont maintenant tenues pour hérétiques, qui ne l'étaient pas précédemment.
Disons donc que, au sujet des notions, quelques théologiens ont émis des opinions contraires à la doctrine commune, et cela sans risque d'hérésie, car ils n'entendaient ainsi rien soutenir de contraire à la foi. Mais celui qui, en cette matière, soutiendrait une opinion fausse en se rendant compte qu'elle entraîne une conséquence contraire à la foi, tomberait dans le péché d'hérésie.
Ainsi est-il répondu clairement aux objections.