On avait cru généralement dans l’Église que l’an 1000 amènerait la fin du monde, et cette croyance avait rempli de terreur toute la génération des dernières années du xe siècle. La vie était comme suspendue par l’attente de l’inévitable catastrophe, et l’on ne s’occupait plus de rien, sinon de se mettre en règle avec le ciel en se mettant en règle avec l’Église. Mais, la date fatale une fois passée, toutes ces terreurs se dissipèrent. Un nouvel horizon terrestre s’ouvrit aux regards. On se reprit à vivre. Ce fut une sorte de résurrection, dont les effets se firent sentir dans tous les domaines de la vie.
Le réveil de l’activité intellectuelle fut d’ailleurs favorisé par un heureux concours de circonstances.
1° La situation politique et sociale de l’Europe commence à s’améliorer. A la période d’agitation, de bouleversement et de guerres continuelles qui avait suivi la chute de l’empire carlovingien, succède une période plus calme et plus paisible. La société politique est mieux assise. Les nationalités commencent à se constituer. Les petits fiefs tendent à être absorbés par les grands. Le pouvoir royal s’élève peu à peu au dessus du pouvoir des grands seigneurs féodaux. Il y a plus d’ordre, plus de stabilité, plus de sécurité dans les relations ; dès lors, plus de calme et plus de loisir pour l’étude ;
2° En même temps cesse l’isolement presque absolu dans lequel avaient longtemps vécu les peuples latins de l’Occident. Ils commencent à entrer en relations avec les Arabes d’Espagne et avec les Grecs d’Orient, grâce à la double croisade entreprise dans la péninsule ibérique et en Palestine. Beaucoup de chrétiens, et même de clercs, fréquentèrent les écoles arabes d’Espagne, qui étaient alors très florissantes. Ils y apprirent à connaître Aristote et ses savants commentateurs. D’autres rapportèrent d’Orient la connaissance des anciens monuments de la littérature chrétienne des premiers siècles, dont on avait jusque-là ignoré les noms et même l’existence. De là naquit le goût de l’étude ;
3° Enfin, ce réveil scientifique fut encouragé par les papes du xie siècle. La papauté, longtemps avilie, venait d’être relevée par les empereurs d’Allemagne. Les Othons avaient pacifié l’Italie ; ils mirent fin aux scandales donnés par les papes du xe siècle, en plaçant sur le siège romain des hommes pieux et instruits. La première impulsion fut donnée aux études par Gerbert, d’Aurillac, évêque de Reims, puis pape sous le nom de Sylvestre II (999-1003). Il avait fréquenté les écoles arabes d’Espagne et y avait étudié la philosophie et les sciences naturelles. Très savant pour son temps, il avait la réputation d’être sorcier. Il fonda à Reims une école qui devint bientôt célèbre, et qui servit de modèle à beaucoup d’autres écoles semblables, successivement fondées à Chartres (par Fulbert), à Tours (par Bérenger), et au monastère du Bec, en Normandie (par Lanfranc, le maître de saint Anselme). A Paris s’ouvrirent aussi diverses écoles qui furent plus tard réunies en université. Nous arrivons ainsi à la scolastique proprement dite, dont Bérenger et Lanfranc sont les précurseurs, ou même les fondateurs, en ce sens que, dans la controverse sur la sainte Cène, ils appliquèrent pour la première fois aux matières de la théologie les méthodes philosophiques, et en particulier, les procédés de la dialectique d’Aristote, dont la Logique était connue, grâce à une traduction latine de Boëce.
Qu’est-ce que la Scolastique ? Son nom même — theologia scolastica — l’indique. Le terme scolasticus était, au moyen âge, synonyme d’eruditus, ou de sapiens, et désignait un homme qui est allé à l’école, qui a appris, un savant, un philosophe. La théologie scolastique est donc une théologie savante et philosophique, qui cherche à démontrer les doctrines chrétiennes par des arguments rationnels et des procédés dialectiques, — par opposition à l’ancienne théologie — theologia positiva, qui se contentait d’exposer la doctrine d’après les anciens Pères, sans entreprendre de la justifier ou de la démontrer d’une manière scientifique.
Ainsi, la scolastique peut se définir : l’effort tenté pour transformer la théologie positive, donnée par la révélation et formulée par l’Église, en un système philosophique. Son programme est donc, au fond, le même que celui de l’ancienne école d’Alexandrie : transformer la foi en science, fonder la γνῶσις sur la πίστις. — Cependant il y a, entre la scolastique et la théologie d’Alexandrie, des différences réelles.
La première différence est dans le point de départ. Sans doute, pour l’une et l’autre, le point de départ, c’est la foi. Mais, tandis que les théologiens d’Alexandrie se trouvaient en présence des grandes données de la révélation chrétienne, non encore formulées en dogmes précis, les scolastiques avaient derrière eux un long travail d’élaboration dogmatique, qui avait abouti pour chaque doctrine à une formule précise, que l’on était tenu d’accepter. De là beaucoup moins de liberté pour le fond des choses.
De là aussi une seconde différence. Les Alexandrins empruntaient à la philosophie, non seulement une méthode, mais encore des principes et des résultats ; aussi retrouve-t-on dans leurs ouvrages des éléments étrangers au christianisme, et appartenant à la philosophie antérieure — en particulier au platonisme. Les scolastiques n’empruntaient à la philosophie qu’une méthode, une forme, un instrument de démonstration. Le contenu de leurs ouvrages était identique à celui de la dogmatique officielle de l’Église ; ils ne se distinguaient des anciens recueils de sentences que par la forme et l’enchaînement systématique. Voilà pourquoi nous voyons dominer dans la théologie alexandrine la tendance spéculative, et dans la scolastique la tendance dialectique. L’une fut une philosophie chrétienne, l’autre, une théologie philosophique. La première s’inspirait davantage de Platon, la seconde d’Aristote.
La scolastique, considérée dans ses caractères généraux, est donc essentiellement une théologie ecclésiastique sous une forme philosophique. C’est l’application de la dialectique aristotélicienne à la dogmatique de l’Église, que l’on reçoit toute faite, et à laquelle on prétend ne rien changer. C’est un effort pour démontrer rationnellement la doctrine chrétienne et en faire un ensemble systématique. La philosophie, pour les scolastiques, n’est que l’humble servante de la foi — philosophia ancilla theologiæ. — Le contenu, les matériaux de la science sont donnés par la révélation et par l’Église ; la philosophie donne la forme, la démonstration, la rigueur scientifique. Le résultat est fixé d’avance ; il ne reste qu’à le justifier.
Anselme raconte qu’un jour les moines de son abbaye du Bec lui demandèrent de leur prouver les dogmes de l’Église sans recourir à l’autorité de l’Écriture et des Pères, par la seule force et la seule évidence de la raison. Tout le programme de la scolastique est là : c’est la foi cherchant à se comprendre et à se démontrer elle-même — fides quærens intellectum.
On ne saurait méconnaître l’importance philosophique et théologique de cette science du moyen âge, dont on a beaucoup médit parce qu’on ne l’a pas bien comprise. C’est peut-être l’effort le plus gigantesque que l’esprit humain ait jamais fait pour pénétrer les plus hauts mystères et résoudre les plus graves problèmes. Beaucoup de hardiesse, d’originalité et de profondeur se cache sous le lourd fatras de cette terminologie barbare. Toutes les grandes questions qui ont préoccupé de tout temps l’intelligence humaine ont été abordées avec courage et résolues avec plus ou moins de bonheur. Beaucoup de ces docteurs, aujourd’hui oubliés, avaient du génie, et auraient beaucoup à nous apprendre, si nous avions le temps et le courage de les lire. Leur malheur, c’est qu’il leur a manqué un instrument, une langue. Leur pensée jeune, originale, audacieuse, profonde, n’a eu pour s’exprimer que le latin barbare de leur époque, langue morte et déjà fossile. — Reconnaissons aussi les défauts incontestables des scolastiques :
1° Ils ont abusé de la logique ; ils ont pris souvent un raisonnement en bonne forme pour une bonne raison, et se sont payés de syllogismes trompeurs ;
2° Ils ont recherché passionnément les subtilités théologiques ; ils ont aimé les questions oiseuses et les formules compliquées. Il en est résulté que la religion est devenue dans l’Église affaire d’intelligence, simple adhésion de l’esprit à d’arides formules ; la vie s’en est allée ;
3° Enfin, ils ont abusé du principe d’autorité ; leur système opprimait toute libre spontanéité, en imposant, d’abord le point de départ et le résultat à atteindre, ensuite la méthode même pour aller de l’un à l’autre. L’Église était réduite à n’être qu’une école. De là plus tard des réactions violentes qui dépassèrent le but.
Malgré les caractères communs qui font l’unité du mouvement scolastique, il y faut distinguer trois phases distinctes :
- L’âge de la formation de la scolastique, d’Anselme à Pierre Lombard (1060-1164) ;
- L’âge de son épanouissement, de Pierre Lombard à Durand de Saint-Pourçain (1164-1320) ;
- L’âge de son déclin, de Durand de Saint-Pourçain à Gabriel Biel (1320-1480).
Cette première période marque la jeunesse de la scolastique. La raison se réveille et prend son essor. Elle s’attache aux points principaux de la doctrine qu’elle prétend s’assimiler, avant de tenter de la réduire tout entière en système. Le moment des grands travaux d’ensemble n’est pas venu ; on se borne à des travaux fragmentaires, entrepris sur des dogmes isolés. Cette première élaboration de la scolastique correspond à la fixation des dogmes que nous avons suivie à travers les grandes controverses orientales ; seulement il ne s’agit plus ici de définir les doctrines, mais de les démontrer.
Les esprits sont beaucoup plus libres à cette époque qu’ils ne le seront plus tard. La scolastique n’a pas encore trouvé ses formules ; le syllogisme n’a pas étouffé l’élan du cœur et de la pensée. On soulève hardiment les plus graves problèmes, et on leur cherche de tous côtés toutes sortes de solutions. De là quelque chose de chaotique et de désordonné dans le mouvement des esprits. Rien n’est organisé ; il n’y a ni méthode imposée, ni hiérarchie établie dans les écoles. La spontanéité se produit sans entraves. Une école se fonde partout où s’élève un maître nouveau ; souvent elle naît et meurt avec lui. Une émulation féconde s’établit entre les disciples de ces écoles diverses. C’est, comme on l’a dit, l’âge héroïque de l’enseignement, où l’on se passionne pour les joutes théologiques et philosophiques comme pour les tournois et les pas d’armes.
Au point de vue philosophique, ce qui caractérise ce premier épanouissement de la scolastique, c’est qu’on emprunte à Aristote sa méthode dialectique sans lui emprunter ses principes de métaphysique. On ne connaît, en effet, d’Aristote que sa dialectique — ὄργανον — traduite par Boëce, avec une introduction de Porphyre. On ne possède pas ses ouvrages de physique et de métaphysique. On connaît encore moins Platon ; mais, comme Augustin exerce sur les docteurs de cette époque une influence dominante, et qu’Augustin avait beaucoup emprunté à Platon, c’est, au fond, une influence platonicienne que subissent, sans le savoir, les premiers scolastiques.
On peut donc signaler dans leurs écrits trois éléments distincts : la foi traditionnelle de l’Église, qui leur sert de point de départ ; la métaphysique platonicienne et la dialectique aristotélicienne, qui leur servent à comprendre et à justifier la foi.
Aussi les scolastiques de cette époque sont-ils, en général, réalistes à la façon de Platon. Selon Platon, les idées générales —αἱ ἰδέαι, — comme les idées d’humanité, d’animalité, etc., existaient dans l’intelligence divine, comme types éternels des choses particulières, avant d’avoir été réalisées au dehors, dans le monde sensible, et ce sont ces idées qui donnent aux choses toute leur réalité. Les scolastiques adoptèrent cette opinion, et appelèrent ces idées universalia, (ante rem). La doctrine des universaux leur rendit de grands services. Le programme de la scolastique était, nous l’avons dit, de rendre un compte rationnel des données de la foi. Or le réalisme platonicien rendait cette tâche plus aisée. Il paraissait difficile, en effet, de faire une théorie rationnelle de la Trinité, de la personne de Christ, de la chute ou de la rédemption, sans admettre que les idées générales de genre et d’espèce ont quelque chose de réel et sont plus que de simples noms.
En face du réalisme se prononce de bonne heure la tendance nominaliste, pour laquelle les idées générales — universalia post rem — ne sont que le résultat du rapprochement des êtres réels. Ceux-ci existent seuls, les universaux n’étant que des noms — nomina et flatus vocis.
De là, la longue et vive querelle des réalistes et des nominalistes. Le nominalisme était, au début de la scolastique, suspect d’hérésie, et le réalisme était défendu au nom des intérêts de la foi. C’est ainsi que Roscelin, qui professait le nominalisme, fut vivement attaqué par saint Anselme et par Guillaume de Champeaux, comme Abélard, dont le conceptualisme se rapprochait fort du nominalisme, fut attaqué à son tour par Bernard de Clairvaux. Ce qui contribua surtout à discréditer le nominalisme, c’est que Roscelin fut accusé d’avoir enseigné une sorte de trithéisme dans sa doctrine de la trinité : depuis lors, le nominalisme fut considéré comme conduisant aux plus funestes erreurs.
La querelle des universaux et des nominaux traverse tout le moyen âge. C’est l’une des formes diverses de l’éternelle querelle de l’idéalisme et du sensualisme, qui se retrouvent en présence à toutes les époques de l’histoire, et qui ont produit de nos jours leurs dernières conséquences dans le panthéisme idéaliste de Hegel, en Allemagne, et dans le positivisme d’Auguste Comte en France. La défaite du nominalisme au xie siècle assura le triomphe de la scolastique au xiie. Deux siècles plus tard, la victoire du nominalisme en amena la ruine.
Les trois hommes les plus remarquables de cette première période, ceux qui en personnifient le mieux l’esprit et les tendances diverses, sont saint Anselme, saint Bernard et Abélard.
Anselme (1033-1109), né à Aoste, montra de bonne heure un goût très vif pour l’étude et pour les choses religieuses. La vie du cloître l’attirait ; mais ses parents contrarièrent de tout leur pouvoir cette vocation monastique. Le jeune homme résolut de quitter sa patrie et sa famille pour aller chercher au loin un asile où il pût se consacrer à Dieu. Après avoir parcouru la Bourgogne et la France, il arriva en Normandie et entra comme novice au monastère de Sainte-Marie du Bec, dont son compatriote Lanfranc était alors le prieur. Il lui succéda en 1063 et devint abbé en 1078. En 1089, il fut appelé à remplacer Lanfranc comme archevêque de Cantorbéry.
Anselme peut être considéré comme le père de la théologie scolastique, dont il a été le premier à formuler le principe et à tracer le programme. Ce principe est exprimé dans cette devise, qui fut celle de la scolastique tout entière et qui fut reproduite par Schleiermacher : fides quærens intellectum. — Non quæro intelligere ut credam, dit Anselme, sed credo ut intelligam. Nam qui non crediderit non experietur, et qui non expertus fuerit non intelliget (Prosl., I ; De fid. trinit., II). L’expérience des choses divines en rend seule la science possible. Ailleurs encore, Anselme s’adresse à Dieu en ces termes : Desidero aliquatenus intelligere veritatem tuam, quam credit et amat cor meum. Nam et hoc credo, quia, nisi credidero, non intelligam (Prosl., I).
Il faut donc croire avant de comprendre ; il faut croire, afin de comprendre. L’intelligence ne peut conduire à la foi ; bien plus, elle est impossible sans la foi. Mais la foi peut et doit conduire à l’intelligence. Il faut donc d’abord croire les vérités de la foi, en vivre, les aimer. Après cela, on s’efforcera de pénétrer ces vérités pour les comprendre, à l’aide de la philosophie et des procédés dialectiques de la raison. C’est là, pour Anselme, un vrai devoir, et nous serions coupables en le négligeant, — negligentia mihi videtur, si, postquam confirmati sumus in fide, non studemus quod credimus intelligere. — C’est qu’en effet, si l’on réussit à comprendre ce que l’on croit, on y gagne un double et précieux avantage : d’une part, une satisfaction intellectuelle qui est une jouissance de la raison, et de l’autre, une confirmation, et, par suite, un accroissement de la foi. Si, au contraire, on ne parvient pas à cette démonstration scientifique et à cette intelligence rationnelle des vérités de la foi, on ne les abandonne pas pour cela. On se contente de croire sans comprendre, en se souvenant des bornes de l’esprit humain.
J’aime l’humilité et la hardiesse de ce point de vue. Il est humble, car il faut d’abord s’incliner, et accepter les données de la foi ; la vérité ne peut être découverte ni inventée ; ce sont des choses qui ne sont point montées au cœur de l’homme. Mais il est hardi, car la raison humaine exprime la prétention d’arriver un jour à la connaissance entière de la vérité. Le programme d’Anselme implique une foi absolue en l’esprit humain et en la science. C’est là un principe puissant et fécond, qui a produit de grandes choses.
Anselme appliqua le premier à trois grandes questions dogmatiques les principes qu’il avait posés. Dans son Monologium et son Proslogium, il donna des démonstrations rationnelles de l’existence de Dieu qui sont restées célèbres, et, dans son Cur Deus homo, il établit la nécessité de l’incarnation et de l’expiation.
Bernard, abbé de Clairvaux (1091-1153), fut l’homme le plus considérable du siècle suivant. Il jouit d’une grande réputation de science et de piété, et exerça une profonde influence par son éloquence et le prestige de ses vertus. Maître du pape Eugène III, qui ne faisait rien sans le consulter, il dit à son Église et à son siècle des vérités que nul autre n’aurait pu leur dire. Il renouvela contre le conceptualisme d’Abélard la lutte engagée contre le nominalisme de Roscelin par Anselme et Guillaume de Champeaux. Il continua ainsi les traditions d’Anselme, mais avec une nuance assez marquée de mysticisme. Il ne crut pas que la vérité pût être assimilée entièrement par la raison humaine, mais seulement par le cœur.
Abailard (1079-1142) est la troisième grande figure de ce temps-là. Il a eu la bonne fortune de rester populaire, grâce à ses aventures romanesques, et au nom poétique d’Héloïse.
Disciple de Guillaume de Champeaux, dont il combattit les doctrines, et qu’il vainquit dans une dispute publique, Abélard enseigna une forme adoucie du nominalisme, qu’on a appelée conceptualisme. Tandis que, pour les réalistes, les universaux existaient réellement avant les choses, et que, pour les nominalistes, ils n’avaient aucune réalité par eux-mêmes, n’étant qu’un nom donné aux choses après leur existence, Abélard enseigna que les universaux existaient, mais seulement dans l’esprit humain, à titre de conceptus. Au fond, c’était nier leur réalité. Aussi cette nouvelle doctrine fut-elle suspecte au même titre que l’ancienne, et enveloppée dans le même anathème.
Enivré par ses succès philosophiques, Abélard voulut se faire un nom dans la théologie. Après être allé suivre pendant quelques temps les leçons d’Anselme de Laon, il revint à Paris et y ouvrit un cours de théologie, qui attira une foule nombreuse d’auditeurs. Il fut novateur en théologie comme en philosophie. C’était un esprit original et hardi, impatient du joug de la tradition, et qui, par sa tendance rationaliste et sceptique, se séparait du courant général de la scolastique. On pourrait voir en lui le précurseur et même le représentant d’une réaction contre la théologie autoritaire, au nom de la philosophie indépendante ; il aspire à prendre la revanche de l’esprit humain sur la domination du dogme ecclésiastique et de la foi religieuse. Aussi, dans sa lutte avec Bernard de Clairvaux, le champ s’est-il singulièrement élargi. Il ne s’agit plus seulement de la question des universaux et de l’interminable querelle des nominalistes et des réalistes. Il s’agit du principe même qui est le fondement de la scolastique, et qu’Anselme avait formulé ainsi : Credo ut intelligam. Abélard opposait à ce principe le principe contraire : examiner avant de croire, et ne croire qu’autant que l’on est convaincu, ne croire que ce que l’on comprend. Il prétendait, il est vrai, conserver la doctrine traditionnelle, et se faisait fort de la justifier par les procédés nouveaux de sa philosophie. Mais il n’expliquait pas toujours les dogmes dans le même sens que l’Église, et, par son principe : « comprendre pour croire », il représentait une tendance hostile à la scolastique et à la doctrine ecclésiastique officielle.
Les plus importants de ses ouvrages sont l’Introductio ad theologiam, la Theologia christiana, en cinq livres, où il s’occupe surtout de la Trinité et de la Rédemption, le traité de morale Scito te ipsum, et enfin le traité Sic et non, le plus remarquable et le plus célèbre de tous. Il y rapporte les passages contradictoires des Pères sur 157 questions, avec une introduction où il expose des principes singulièrement hardis pour son temps. Il y établit des règles de critique que ne désavouerait pas l’école moderne. Il y affirme avec une grande netteté les droits de la raison — in omnibus his quæ ratione discuti possunt, non est necessarium autoritatis judicium, — ce qui exclut l’autorité de la tradition ecclésiastique. Enfin, il y fait du doute le commencement de la sagesse — prima sapientiæ clavis. — Un tel scepticisme aurait conduit à la ruine de la scolastique.
C’est là ce qui explique, sans les justifier, les sévérités dont Abélard a été l’objet de la part de l’Église, la condamnation dont il fut frappé aux deux conciles de Soissons (1121) et de Sens (1140), et la polémique ardente que soutint contre lui Bernard de Clairvaux. Bernard attaqua moins ses opinions particulières en théologie ou en philosophie, que les principes généraux de son enseignement, et sa tendance à donner à l’intelligence la première place dans les choses de la foi. Bernard fut ainsi conduit à protester contre l’abus des discussions et des raisonnements métaphysiques qui était déjà l’écueil de la scolastique. Il insista sur la nécessité de croire humblement les mystères qui dépassent notre raison, et donna à toute sa théologie cette teinte de mysticisme que nous avons signalée.
Ceci nous conduit à mentionner une troisième école, qui se constitua à côté des deux écoles réaliste et nominaliste : c’est l’école mystique de Saint-Victor, fondée dans les environs de Paris par Guillaume de Champeaux, après la dispute célèbre où Abélard remporta sur lui la victoire, et représentée surtout par Hugues et par Richard de Saint-Victor. Comme le rationalisme légèrement sceptique d’Abélard est une réaction contre le principe autoritaire de la scolastique, le mysticisme des moines de Saint-Victor est une réaction contre sa tendance intellectualiste, contre l’aridité de ses formules, qui ne satisfaisaient plus les besoins religieux des âmes. L’école de Saint-Victor insista sur l’intuition, sur l’illumination intérieure du Saint-Esprit. Nous y reviendrons à propos de la Trinité.
Le livre des Sentences de Pierre Lombard — sententiarum libri IV — marque la fin de cette période, et nous introduit dans la période suivante. Pierre Lombard, professeur de théologie, et plus tard évêque de Paris, mort en 1164, fit dans cet ouvrage le premier essai d’une exposition générale et systématique de la doctrine de l’Église. Ce n’est pas un simple recueil d’opinions des Pères, c’est une exposition suivie et raisonnée de la doctrine ecclésiastique, avec les passages des Pères à l’appui. L’ordre, la clarté, la rigueur de méthode qui distinguent ce livre, en même temps que la modération des opinions personnelles de l’auteur, lui valurent une grande célébrité et une grande autorité. Il devint le manuel de l’enseignement théologique dans les écoles, fut l’objet d’un nombre très considérable de commentaires, et resta le type et comme le point de départ obligé de tous les ouvrages de la période suivante : de là le nom de magister sententiarum qui fut décerné à son auteur.
Cette seconde période est celle du complet épanouissement et de l’entier achèvement de la scolastique. Les travaux fragmentaires et préparatoires sur les doctrines particulières sont achevés ; on s’occupe maintenant à construire le système tout entier de la dogmatique. C’est l’époque des Sommes théologiques.
Une révolution importante marque cette nouvelle époque, au point de vue philosophique. A l’influence platonicienne, qui avait dominé au xie et au xiie siècle, grâce à Augustin, succède une influence aristotélicienne. On n’emprunte plus seulement, comme autrefois, à Aristote sa méthode dialectique, mais aussi sa physique et sa métaphysique. Jusque-là, on ne connaissait de lui que son Organon ; maintenant, on possède ses autres ouvrages. C’est d’abord à travers les traductions et les commentaires arabes que la métaphysique d’Aristote parvint aux docteurs d’Occident. Mais ces traductions et ces commentaires (en particulier ceux d’Avicenne) défiguraient passablement le texte. Les Arabes, dont la philosophie avait subi, à son origine, l’influence du néoplatonisme des écoles syriaques, mettaient souvent dans Aristote leurs propres idées, auxquelles le Stagyrite n’avait jamais songé. De là vient que le premier résultat de la diffusion des écrits métaphysiques d’Aristote en Occident, au xiie siècle, fut l’apparition de doctrines passablement panthéistes, que l’Église condamna, et dont elle rendit Aristote responsable.
Mais lorsque plus tard, grâce à la fondation de l’empire latin de Constantinople (1204-1261), les relations furent devenues plus fréquentes entre l’Occident et l’Orient, des traductions latines furent faites directement sur le texte original, et l’on apprit à distinguer le véritable Aristote de l’Aristote défiguré par les Arabes. On trouva dans ses écrits des principes de physique et de métaphysique, dont on se servit pour justifier les doctrines de l’Église et les réduire en système. Ce système fut encore du réalisme, mais avec une nuance. Les universaux furent considérés comme contemporains des choses — universalia in re, — d’après le principe aristotélicien qu’en tout être il y a deux éléments inséparables, la forme et la matière.
Les ordres mendiants — franciscains et dominicains — qui s’étaient peu à peu emparés des chaires de l’université de Paris, rivalisèrent d’ardeur dans cette glorification d’Aristote. Le grand rôle que jouèrent les ordres mendiants est d’ailleurs un des caractères de cette période. C’est dans leurs rangs qu’il faut chercher les plus célèbres docteurs du xiiie siècle.
Alexandre de Hales (Halesius) était franciscain, et mérita le nom de doctor irrefragabilis. Ce fut lui qui inaugura la révolution que nous venons de résumer. Il fut l’un des premiers à faire connaître les ouvrages métaphysiques d’Aristote, sur lesquels il publia de savants commentaires. Il fut aussi le premier à appliquer à la théologie les principes de la métaphysique aristotélicienne, et cela, dans le premier écrit qui porta le nom de Somme théologique, et qui n’est guère qu’un commentaire des Sentences du Lombard.
Après lui, les dominicains Albert et Thomas d’Aquin, les franciscains Bonaventure et Duns Scot, entrèrent dans la voie qu’il avait ouverte et achevèrent l’œuvre qu’il avait commencée.
Albert le Grand enseigna successivement à Paris et à Cologne, et mourut en 1280. Très versé dans toutes les parties de la science du temps, il s’occupa avec prédilection de sciences physiques et naturelles, ce qui lui valut, comme à Gerbert, la réputation de sorcier. Il écrivit un commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard, et une Summa theologiæ, où il invoque souvent l’autorité d’Aristote, et fait un fréquent usage de ses propositions de métaphysique.
Il eut pour disciple l’illustre Thomas d’Aquin, qui éclipsa bientôt son maître par l’éclat de son talent et de sa réputation. Il fut appelé par ses contemporains doctor angelicus, et, par la postérité, l’ange de l’école. Il enseigna tour à tour à Paris et à Naples, où il mourut en 1274, six ans avant Albert, et publia, comme son maître, un commentaire sur le Lombard, et une Summa theologiae qui est demeurée son plus grand titre de gloire. Esprit pénétrant, lucide et subtil, amoureux à la fois de la spéculation et de la clarté, il acheva l’œuvre de ses devanciers, et réalisa d’une manière définitive le programme de la scolastique. Il fut fidèle à la devise d’Anselme : croire pour comprendre ; seulement, il voulut tout comprendre et tout expliquer. Armé de la dialectique d’Aristote et des principes de sa métaphysique, il organisa la doctrine ecclésiastique en un vaste système fortement enchaîné, ne laissant aucune question, grande ou petite, sans l’avoir traitée et élucidée, semant partout des vues profondes et originales, et surtout donnant à son exposition et à son style une clarté remarquable, dont de telles matières ne paraissent pas susceptibles. Ces rares et précieuses qualités firent de sa somme théologique le manuel définitif de la théologie orthodoxe, et elle est encore aujourd’hui le livre classique par excellence dans tous les séminaires catholiques. — C’est, en effet, l’exposition, la plus rigoureuse, la plus lumineuse et la plus complète du système catholique.
Les Franciscains rivalisèrent avec les Dominicains sur le terrain de la science, et au docteur angélique ils opposèrent le docteur subtil — Duns Scot, — et le docteur séraphique — saint Bonaventure.
Duns Scot fut la gloire des Franciscains, comme Thomas celle des Dominicains. Il enseigna à Oxford, à Paris et à Cologne, et mourut en 1308. Esprit moins lucide et moins méthodique que Thomas d’Aquin, mais plus profond, plus original et plus hardi, il mérite de tous points son surnom de doctor subtilis, et sa propre subtilité lui est souvent un piège. Il s’embarrasse et se perd dans des distinctions et des raffinements de pensée infinis, et comme souvent les ressources de la langue lui font défaut pour exprimer ses idées, il invente des mots nouveaux et barbares, qui le rendent parfois inintelligible.
Duns Scot engagea une longue controverse avec Thomas d’Aquin et ses disciples. Il se sépare de son rival sur un grand nombre de points de détail, dont plusieurs sont sans importance, mais n’en étaient pas moins disputés avec acharnement. Derrière ces diversités insignifiantes se cache une divergence plus générale et plus profonde, qui tient aux principes mêmes et à la tendance. Thomas d’Aquin est plus intellectualiste ; il fait résider l’être dans l’intelligence, et Dieu est pour lui la raison infinie, absolue. Duns Scot place dans la volonté l’essence de l’être et, pour lui, Dieu est la liberté absolue. Thomas est disciple d’Aristote en métaphysique et d’Augustin en théologie, — en particulier quant aux doctrines du péché et de la grâce. Duns Scot incline à la fois vers la métaphysique platonicienne et vers les idées pélagiennes. Et cette diversité de principes se retrouve dans les résultats. Thomas arrive à une sorte d’optimisme déterministe, dont on retrouve les éléments principaux dans la théodicée de Leibniz : le monde est pour lui l’œuvre d’une intelligence souveraine qui a tout arrangé pour le mieux. Duns Scot aboutit à une conception des choses où la liberté, en Dieu et en l’homme, tient la première place ; malheureusement cette liberté n’est souvent que de l’arbitraire ; il n’y a rien de bon et de vrai en soi, rien, sinon ce que Dieu veut dans sa toute-puissance et révèle dans l’Église. A part ces conséquences extrêmes, le système de M. Secrétan, de nos jours, se rattache, comme inspiration, à celui de Duns Scot.
A partir de ce moment, les scolastiques se partagèrent en deux écoles rivales, les Thomistes et les Scotistes, et cette rivalité d’écoles ne fut qu’une forme nouvelle de la vieille rivalité des Dominicains et des Franciscains. Elle exerça une grande influence sur les opinions théologiques des docteurs de l’un et l’autre ordre. Il suffisait que les Dominicains eussent pris parti pour une opinion ou une doctrine, pour que les Franciscains prissent parti pour la doctrine ou l’opinion contraire : témoin, le dogme de l’Immaculée Conception, prêché par les Franciscains et combattu par les Dominicains pendant tout le moyen âge.
Bonaventure, le docteur séraphique, mort en 1274 comme Thomas d’Aquin, appartient plutôt à la tendance mystique, que nous avons vue représentée au xie et au xiie siècle par l’école de Saint-Victor. Il pose en principe qu’on ne peut arriver à la pleine connaissance des choses divines par la dialectique et le raisonnement. Il faut, pour cela, une lumière surnaturelle, et cette lumière s’obtient par la prière, par la foi, par la contemplation et par la pureté du cœur. Outre les ouvrages où se retrouvent ses idées mystiques et ascétiques, il a composé des livres de scolastique proprement dite, entre autres une Somme et deux manuels relativement courts, le Centiloquium, pour les commençants, et le Breviloquium, pour les théologiens plus avancés. Il faut y ajouter le commentaire obligé sur Lombard.
Ainsi, nous trouvons encore trois écoles dans cette période, comme dans la précédente, mais avec quelques différences. Dans la première période, ces trois écoles étaient : l’une, réaliste ; l’autre, nominaliste et rationaliste ; la troisième, mystique. Maintenant, nous trouvons devant nous :
1° L’aristotélisme, devenu en quelque sorte officiel, grâce à Thomas d’Aquin, et qui n’avait pas de représentant avant le xiiie siècle, sauf Gilbert de la Porrée, au xiie ;
2° Le platonisme, autrefois dominant dans l’école, maintenant représenté par le scotisme, et vaguement suspect d’hérésie ;
3° Le mysticisme, qui continue, avec Bonaventure, à réagir contre l’intellectualisme desséchant de la théologie scolastique.
Quant au nominalisme, qui a joué un rôle important dans la précédente période, il est maintenant vaincu et abandonné. Mais il va relever la tête auxive siècle, et ce réveil du nominalisme inaugurera le déclin de la scolastique.
Cette nouvelle période est, pour la scolastique, l’âge de la décadence. Après avoir achevé son œuvre, elle se survit à elle-même et prépare sa chute par l’exagération de son propre principe.
Quand toutes les questions eurent été élucidées, quand toutes les doctrines eurent été formulées, justifiées et démontrées, on ne put que se répéter, ou se rabattre sur des questions de détail, oiseuses, puériles, ridicules. L’air et l’espace manquaient aux esprits. Il n’y avait plus de liberté ni de spontanéité possible. Non seulement les résultats, mais les méthodes, les arguments, étaient donnés d’avance. On avait jeté sur la pensée théologique et philosophique un filet de syllogismes aux mailles serrées, qui l’empêchait de se mouvoir. Aussi commença-t-on à se lasser du joug, à se fatiguer des éternelles redites de l’école, et de ces formules arides, abstraites, qui ne disaient rien à l’âme et au cœur. Une double réaction — philosophique et religieuse — se produisit contre la scolastique. Cette réaction avait déjà commencé dans la première période : Abélard, au nom de l’indépendance de la raison, et l’école de Saint-Victor, au nom du sentiment religieux, avaient protesté contre la sécheresse dogmatique de la théologie officielle. Le mouvement de protestation se continue et s’accentue à partir du xive siècle.
I. La réaction philosophique est représentée par Durand de Saint-Pourçain, Guillaume Occam, Raymond de Sabunde, Gabriel Biel, etc., qui s’efforcent, bien que timidement, de secouer le joug d’Aristote et de l’autorité traditionnelle, et cherchent à se frayer des voies nouvelles.
Durand de Saint-Pourçain, professeur de théologie à Paris, et plus tard évêque de Meaux, mort en 1333, était dominicain, et avait d’abord défendu et professé avec ardeur les doctrines de saint Thomas. Mais plus tard il arriva, par des recherches personnelles, à des opinions différentes, qu’il exposa dans son principal ouvrage : Opus super Sententias Lombardi. Il est remarquable surtout par la clarté et la précision qu’il apporta dans les questions les plus obscures, comme aussi par l’indépendance et la hardiesse de ses opinions : de là son nom de doctor resolutissimus.
Guillaume Occam, franciscain, exerça sur le mouvement des esprits une influence beaucoup plus décisive. Il joua un rôle politique considérable, et prêta à Louis de Bavière l’appui de sa plume contre le pape Jean XXII. Il mourut à Munich en 1347.
Il usa à l’égard de son maître, Duns Scot, de la même liberté que Durand à l’égard de saint Thomas. Mais surtout il eut le courage de professer hautement le nominalisme, condamné et abandonné depuis longtemps, comme suspect de conduire à l’hérésie. Il fonda une école nouvelle, celle des Occamistes, qui tendait la main à Roscelin et à Abélard, et préparait le mouvement de réaction scientifique et philosophique qui marqua l’époque de la Renaissance.
Son principal ouvrage est encore une sorte de commentaire de Pierre Lombard ; mais Occam s’écarte souvent du texte du maître. Le titre même est significatif : Super libros Sententiarum subtilissimæ quæstiones. La théorie de la connaissance exposée dans cet ouvrage est à peu près celle du sensualisme, et semble l’écho anticipé de certaines opinions fort en faveur de nos jours. Les universaux, d’après Occam, n’ont rien de réel ; ce ne sont que des abstractions, des concepts, des noms, des étiquettes apposées aux objets. Nous ne connaissons que ce qui paraît, ce qui se voit, le monde de l’expérience et des phénomènes sensibles ; nous ne connaissons pas les choses en soi, ou les réalités objectives. C’est déjà le mot de Locke : nihil in intellectu quod non prius fuerit in sensu. — Occam ajoutait qu’il est impossible de démontrer rationnellement les doctrines de la foi, car elles sont contradictoires avec la raison. Il faut, pour les faire admettre, l’autorité divine de la révélation et de l’Église. Le programme de la scolastique était donc chimérique. Son objet se trouvait nié en même temps que son principe.
Gabriel Biel, qui enseigna la théologie à Tubingue, et mourut en 1495, marque le terme de la scolastique. Nominaliste de l’école d’Occam, il s’attacha à répandre et à vulgariser ses idées. Tel est le but de son Collectorium sive Epitome ex G. Occamo super IV libros Sententiarum, extrait du commentaire d’Occam sur les Sentences, où, négligeant les discussions oiseuses, l’auteur ne s’attache qu’aux points essentiels.
II. Parmi les mystiques de cette période, il faut citer Jean Gerson, chancelier de l’Université, et Thomas a Kempis, auxquels on a attribué tour à tour le livre de l’Imitation de Jésus-Christ, et qui opposent avec force le christianisme intérieur et spirituel, la piété du cœur et de la vie, à la sécheresse des formules scolastiques et à la piété des œuvres extérieures.
Ajoutons que l’appui prêté par la scolastique aux abus et à la tyrannie, contribua encore à provoquer contre elle une réaction puissante. Les docteurs officiels formulèrent avec une hardiesse de logique impitoyable les dernières conséquences du catholicisme. Ils donnèrent aux doctrines des sacrements, des mérites des saints, des indulgences, une forme rigoureuse, qui sanctionnait les abus les plus criants : le formalisme et le matérialisme du culte, le trafic des indulgences, etc.. Ces pratiques finirent par scandaliser tout ce qu’il y avait dans la chrétienté de consciences droites et d’âmes religieuses, et ce cri de l’indignation publique fut le signal de la Réforme.