1.[1] Le dernier anneau dans la chaîne des preuves du complot d'Antipater fut apporté par son affranchi Bathyllos. Ce personnage arriva avec un second poison, composé de venin d'aspic et des sécrétions d'autres serpents, dont Phéroras et sa femme devaient s'armer contre le roi, si le premier manquait son effet. Par un surcroît de perfidie contre Hérode, Antipater avait remis à cet homme des lettres astucieusement rédigées contre ses frères, Archélaüs et Philippe. Ces fils du roi, qu'il faisait élever à Rome, étaient déjà des adolescents pleins de hautes pensées. Antipater, qui voyait en eux un obstacle à ses espérances, chercha à s'en défaire au plus vite ; il forgea donc contre eux des lettres au nom de ses amis de Rome et détermina, contre espèces sonnantes, d'autres personnes à écrire que ces jeunes princes déblatéraient contre leur père, déploraient publiquement le sort d'Alexandre et d'Aristobule et s'irritaient de leur propre rappel ; car leur père les avait mandés auprès de lui, et c'était là ce qui inquiétait le plus Antipater.
[1] Sections 1-2 Ant., XVII, 4, 3 ; Sections 3-5 Ant., XVII, 5, 1-2.
2. Avant même son départ pour Rome, Antipater, étant encore en Judée, avait fait envoyer de Rome, à prix d'or, des lettres de ce genre contre ses frères ; puis il était allé trouver son père, qui n'avait encore nul soupçon contre lui, et avait plaidé la cause de ses frères, alléguant que telle chose était fausse, telle autre imputable à leur jeunesse. Pendant son séjour à Rome, comme il avait dû payer très grassement ceux qui écrivaient contre ses frères, il se préoccupa de dépister les recherches qu'on pourrait en faire. A cet effet, il acheta de riches vêtements, des tapis variés, de la vaisselle d'argent et d'or et beaucoup d'autres objets précieux, afin de pouvoir dissimuler, dans l'énorme total de ces dépenses, le salaire payé pour l'autre affaire. Il consigna une dépense totale de deux cents talents, dont le plus fort était mis au compte de son procès avec Sylléos. Toutes ces fourberies, même les moindres, furent alors découvertes en même temps que son grand forfait. Cependant, au moment même où toutes les tortures criaient son complot contre son père, où les lettres en question révélaient un nouveau projet de fratricide, aucun de ceux qui arrivaient à Rome ne lui apprit le drame qui se jouait en Judée ; et pourtant il s'écoula sept mois entre la preuve de son crime et son retour. Tant était forte la haine que tous lui portaient ! Peut-être y en eut-il qui avaient l'intention de lui apprendre ces nouvelles, mais les mânes de ses frères, tués par lui, leur fermèrent la bouche. Il écrivit donc de Rome, annonçant avec joie son prochain départ et les honneurs que César lui faisait en le congédiant.
3. Le roi, impatient de mettre la main sur le traître et craignant qu'Antipater, averti à temps, ne prît ses sûretés, lui écrivit, pour le tromper, une lettre pleine d'une feinte bienveillance, où il l'exhortait à hâter son retour. S'il faisait diligence, disait Hérode, il pourrait faire oublier les griefs qu'on avait contre sa mère, car Antipater n'ignorait pas que celle-ci eût été répudiée.
Précédemment Antipater avait reçu à Tarente la lettre lui annonçant la mort de Phéroras, il avait donné de très grandes marques de deuil. Plusieurs lui en faisaient un mérite, l'attribuant à la perte d'un oncle, mais son émotion, à ce qu'il semble, se rapportait à l'échec de son complot : il pleurait en Phéroras non l'oncle, mais le complice. Puis la peur le prenait au souvenir de ses machinations : le poison pouvait être découvert. Il reçut en Cilicie le message de son père dont nous venons de parler et hâta aussitôt son voyage. Cependant, en débarquant à Celenderis[2], la pensée lui vint de la disgrâce de sa mère, et son âme eut une vision prophétique de sa propre destinée. Les plus prévoyants de ses amis lui conseillèrent de ne pas aller retrouver son père avant de savoir clairement les raisons pour lesquelles Hérode avait chassé sa mère : ils appréhendaient que les calomnies répandues contre elle n'eussent quelque autre conséquence. Mais les imprudents, plus impatients de revoir leur patrie que de servir les intérêts d'Antipater, l'exhortèrent à faire diligence, tout retard pouvant donner à son père de fâcheux soupçons, à ses calomniateurs un prétexte favorable ; « même si quelque intrigue s'est tramée maintenant contre lui, c'est en raison de son absence ; lui présent, on n'aurait pas osé. Et puis il est insensé de sacrifier des biens certains à de vagues soupçons, de ne pas courir se jeter dans les bras d'un père pour recueillir un royaume dont il supporte seul malaisément le poids ». Persuadé par ces discours ou plutôt poussé par sa destinée, Antipater continua sa route et débarqua au port d'Auguste, à Césarée.
[2] Il semble qu'il y ait là quelque confusion, car Celenderis est un des premiers ports de la Cilicie Trachée et il semble qu'Antipater ait dû aborder là.
4. Là, contre son attente, il trouva une profonde solitude ; tous se détournaient, nul n'osait l'aborder, c'est qu'en effet, il était également haï de tous, et que la haine trouvait maintenant la liberté de se montrer. De plus, la crainte du roi intimidait grand nombre de gens, toutes les villes étaient remplies de rumeurs annonçant une disgrâce qu'Antipater était seul à ignorer : nul n'avait obtenu compagnie plus brillante que la sienne à son départ pour Rome, nul ne rencontra jamais accueil plus glacial que celui qui reçut son retour. Cependant Antipater, devinant les tragédies qui s'étaient déroulées au palais, dissimulait encore par une habileté scélérate. Mourant de crainte au fond du cœur, il sut se faire un front d'airain. D'ailleurs, il n'y avait plus moyen de fuir, d'échapper aux dangers qui l'entouraient. Même alors, il ne reçut aucune nouvelle certaine de ce qui se passait au palais, tant les menaces du roi jetaient l'épouvante ; et il gardait encore un rayon d'espoir : peut-être n'avait-on rien découvert ; peut-être, si l'on avait découvert quelque chose, saurait-il, à force d'impudence et de ruses, ses seuls moyens de salut, dissiper l'orage.
5. Ainsi armé, il se rendit au palais, sans ses amis, car on les avait injuriés et écartés dès la première porte. A l'intérieur se trouvait Varus, gouverneur de Syrie[3], Antipater entra chez son père et, payant d'audace, s'approcha de lui pour l'embrasser. Mais le roi, tendant les bras pour l'écarter et détournant la tête : « Voilà bien, s'écria-t-il, la marque d'un parricide, de vouloir m'embrasser, quand il est sous le coup de pareilles accusations. Sois maudite, tête sacrilège ; n'ose pas me toucher avant de t'être disculpé. Je t'accorde un tribunal et, pour juge, Varus, qui vient ici fort à propos. Va, et prépare ta défense jusqu'à demain ; je laisse ce délai à tes artifices ». Le prince, stupéfait, se retira sans pouvoir rien répondre, puis sa mère et sa femme[4] vinrent le trouver et lui rapportèrent en détail toutes les preuves rassemblées contre lui. Alors il se recueillit et prépara sa défense.
[3] P. Quintilius Varus, légat de Syrie, de 6 à 4 av. J.-C.
[4] Non pas la fille d'Aristobule, mais celle du roi Antigone (Ant., XVII, 92).