La première des sources où nos auteurs vont puiser leur enseignement est naturellement l’Écriture. Ils la regardent tous comme inspirée, mais sans analyser un peu profondément le concept de l’inspiration. Seul, saint Jérôme fait remarquer que l’auteur inspiré n’est pas entre les mains de Dieu, comme le pensaient les montanistes, un instrument purement passif, ravi en extase et ne comprenant pas lui-même ce que Dieu disait par sa bouche. Non, cet auteur restait conscient et actif, et c’est pourquoi nous constatons tant de différence dans le style des écrivains sacrés, chacun d’eux marquant l’expression de la vérité inspirée de sa personnalité propre. Une conséquence de l’inspiration est d’ailleurs que l’Écriture ne peut ni se contredire, ni se tromper, ni nous tromper. Elle doit donc être notre guide ; en elle tout est parfait.
Comment nos auteurs l’interprètent-ils ? J’ai déjà dit que saint Hilaire et plus encore saint Ambroise allégorisent souvent, et cherchent volontiers au delà, et quelquefois en dehors du sens littéral un sens plus haut. On en peut dire autant de Zenon de Vérone. Victorin, au contraire, malgré les explications originales, singulières, qu’il a données de certains passages de l’Écriture, se tient plus près de son texte et l’interprète en grammairien. Quant à saint Jérôme, il emprunte à Origène la distinction des trois sens historique, tropologique et spirituel. Le premier est conforme à la lettre ; le second expose la leçon morale que le texte contient ; le troisième enfin met en relief, s’il y a lieu, les vues que ce même texte nous donne sur le ciel et la vie future. Saint Jérôme ne veut pas qu’on s’arrête toujours uniquement au sens littéral, qui peut être une occasion de scandale ; mais il condamne bien davantage ceux qui « divaguent » sous prétexte d’interprétation tropologique ou spirituelle.
L’Écriture est donc une première autorité qui nous instruit de ce que nous devons croire. Mais saint Hilaire observe que ceux qui sont hors de l’Église « ne peuvent avoir l’intelligence de la parole divine », que dans l’Église « a été établie la parole de vie ». Saint Ambroise dit que le doigt de l’Église nous montre la foi, qu’elle seule garde la loi complète du Seigneur. Saint Jérôme à son tour remarque, par la bouche du luciférien qu’il approuve, que la tradition et la coutume de l’Église peuvent suppléer au silence de l’Écriture, comme on le voit pour maintes pratiques. Et nous connaissons par l’histoire tous les faits qui supposent dans nos auteurs la conviction intime que la vraie Église ne peut errer dans son enseignement. L’argument tiré des « Pères » n’était pas encore, il est vrai, Complètement créé, et saint Hilaire n’était pas fixé sur ce qui faisait au juste l’autorité d’un concile. Saint Jérôme cependant a opposé aux pélagiens les écrits de saint Cyprien et même de saint Augustin ; et l’on sait que les définitions de Nicée ont été regardées par saint Hilaire comme irréfragables.
Mais autant les écrivains latins du ive siècle relèvent l’autorité de l’Écriture et celle de l’Église, autant font-ils peu de cas de la philosophie, du moins si l’on entend ce mot des spéculations métaphysiques. En général, ils ne veulent pas de l’immixtion de la philosophie dans les choses de la foi. Saint Hilaire l’en écarte expressément, la déclarant inhabile à nous y éclairer. Saint Ambroise, qui pense d’ailleurs que la philosophie a emprunté aux Écritures ce qu’elle a dit de bien, l’accuse de nous empêcher de trouver le Christ. Tous la présentent comme une science vaine, incapable de nous faire vivre, plus riche de paroles que de vérité, devenue inutile par l’avènement du Christ. De ce concert toutefois, qui n’étonnera pas de la part de nos latins du ive siècle, il faut excepter Victorin. Philosophe dans le paganisme, il n’a pas renoncé à l’être en devenant chrétien. Il a vu dans la nouvelle religion surtout une consécration de ses idées néoplatoniciennes, et c’est pourquoi tout son effort tend à montrer les harmonies de sa philosophie et de sa foi. Effort intéressant par sa nouveauté même, et qui ne sera pas renouvelé de longtemps avec autant de vigueur et de sincérité.