Avant la rédemption de Jésus-Christ, remarque saint Cyrille d’Alexandrie, les âmes des défunts descendaient directement aux enfers : maintenant, celles des justes peuvent entrer dans le paradis, il admet donc que la rétribution définitive suit immédiatement la mort ; et c’est bien aussi la pensée de saint Nil, et probablement celle de Théodoret. Il semble même que saint Maxime fasse allusion à un jugement particulier qui succède au trépas, jugement dans lequel les hommes dont les œuvres sont mêlées de bien et de mal seront purifiés par la crainte comme par le feu. Il y a là une sorte de purgatoire, mais c’est d’ailleurs l’unique forme sous laquelle cette doctrine se présente directement chez les grecs à l’époque que nous examinons.
La croyance en la résurrection de la chair est si ancienne qu’il y a à peine lieu de la mentionner parmi celles des ve-viie siècles : elle est affirmée et défendue maintes fois. Mais il faut signaler à part, sur cette question, le traité d’Énée de Gaza, vers 530. L’auteur ne veut pas établir seulement le fait de la résurrection : il veut dire quelle sorte de corps sera de nouveau uni à l’âme, et comment ce corps sera celui-là même qu’elle avait perdu. Car il est juste, observe-t-il, que, après la résurrection, le même corps soit jugé, souffre ou jouisse avec l’âme qui lui a servi dans son existence terrestre. Comment cela pourra-t-il se faire, étant donné la dispersion et la transformation des éléments matériels ?
Pour résoudre cette difficulté, Énée esquisse une explication qui se rapproche beaucoup de celle de saint Grégoire de Nysse. Tout corps vivant se compose de matière et de forme. La matière se dissout et se disperse, mais la forme (τοῦ εἴδους ὁ λόγος) reste immortelle. Cette forme — que l’auteur considère comme une idée directrice active — recompose la matière et lui donne la même disposition qu’elle possédait avant d’être dissoute : elle refait le même corps. C’est ce qui se voit par exemple dans un grain de blé qui se reproduit. Or si la forme des vivants ordinaires est ainsi indestructible, combien plus celle de l’homme, celle de l’âme immortelle elle-même. L’âme habitant dans cette forme et la connaissant bien, pourra donc en elle et avec elle reconstituer son ancien corps, et cela d’autant mieux que Dieu, qui appelle chaque âme en particulier, l’envoie à ce qui lui appartient, πρὸς οἰκεῖον.
L’attention était attirée sur cette question au vie siècle par le renouveau d’origénisme qui se produisit à cette époque, et contre lequel sévirent Justinien et ses conciles. On condamna notamment dans deux canons (10 et 11) ceux qui soutiendraient que Jésus-Christ est ressuscité en un corps éthéré et sphérique, que les hommes, après la résurrection, auront aussi des corps éthérés et sphériques, bien plus, que ces corps seront anéantis au jour du jugement, et qu’il n’y aura plus au monde que des esprits. D’autre part, les auteurs expliquèrent que le corps ressuscité sera sans doute le même que celui qui est mort, mais sera cependant, chez les justes, un corps spirituel (πνευματικὸν σῶμα), parce qu’il se trouvera désormais affranchi des besoins naturels, qu’il obéira à la direction de l’Esprit-Saint, et ne servira plus qu’aux fonctions spirituelles de l’âme (εἰς μόνα βλέπον τὰ τοῦ πνεύματος).
La résurrection des corps sera suivie du jugement. Le jugement est un thème que nos auteurs, surtout les ascétiques, ont souvent développé, comme il convient, pour stimuler les âmes et provoquer la résipiscence des pécheurs. Alors, le partage se fait entre élus et réprouvés. Les réprouvés ne sont pas seulement les infidèles et les idolâtres : ce sont généralement tous ceux qui ont aimé les choses injustes et honteuses (ἐκτόπων ἐπιδευμάτων ἐρασταί). Anastase le Sinaïte se demande s’il y faut joindre les enfants morts sans baptême. Sans se prononcer absolument, il incline vers la négative (ἐμοὶ δοκεῖ οὐκ εἰσέρχεσϑαι αὐτὰ εἰς γέενναν), parce que les enfants ne doivent point porter la faute de leurs pères. Quoi qu’il en soit, la peine des damnés sera éternelle : c’est l’enseignement commun des meilleurs théologiens de l’époque. Après la mort ou après le jugement, déclarent-ils, il n’y a plus, pour les pécheurs, possibilité de changer de dispositions ; par conséquent, leurs peines n’auront point de fin ; leur feu ne s’éteindra point. Car le feu sera un de leurs supplices : « ils seront, écrit saint Cyrille, la proie d’un feu dévorant », πυρὸς ἔσονται παμφάγου τροφή.
Quant aux justes, ils iront dans les tabernacles célestes, où ils verront Dieu, où ils recevront récompense, clarté, honneurs, couronnes, où leur corps sera glorifié ; mais où leur félicité sera d’ailleurs plus ou moins grande suivant le degré de leurs mérites. Alors aussi, le monde matériel sera lui-même renouvelé et partagera le rajeunissement des amis de Dieu dont il avait partagé l’affliction et les soupirs.
Toute cette théologie, comme on peut le voir, n’innove rien sur ce qui a été dit précédemment : elle prolonge seulement la doctrine des siècles antérieurs, en la cristallisant en bien des points. A la fin du viie siècle, la pensée théologique grecque est en quelque sorte épuisée ; elle attend le sommiste qui, au siècle suivant, la résumera et lui donnera sa forme définitive.