Caractère de son Église. — Fidélité à l’Église nationale. — Discipline. — Idées de Malan sur le baptême et sur la Cène.
Lorsque Malan rompit avec l’Église nationale de Genève, il eut soin d’établir qu’il se séparait de cette Église « telle qu’elle existait alors. » C’était dire que sa séparation, provoquée par des raisons dogmatiques, ne l’amènerait pas à instituer un ordre de choses nouveau.
En effet, il ne cessa pas de considérer l’Église nationale comme la sienne ; même après la fondation de sa chapelle, il continua, jusqu’en 1821, à communier avec les siens dans les temples. En janvier 1825, il publia sa Déclaration de fidélité à l’Église de Genève. Plus tard encore, dans un écrit publié en 1855, et intitulé : L’Église du Témoignage, dans ses rapports de doctrine et de discipline avec l’ancienne Église de Genève, il s’attacha à montrer qu’il était le véritable continuateur de la tradition des Réformateurs.
Avec eux, il acceptait la distinction entre l’Église visible et l’Église invisible. L’Église visible est séparée en diverses Églises particulières ; parmi celles-ci, chacune ne mérite le nom d’ « Église de Dieu » que si « elle est fondée sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ étant lui-même la principale pierre de l’angle. » De là découlaient tout naturellement les principes de la discipline ecclésiastique.
Le premier critère d’une Église, aux yeux de Malan, est la pure doctrine, la prédication de la vérité ; c’est à ce titre seul qu’elle peut s’appeler chrétienne.
Les enfants des croyants ont le droit d’être reçus dans cette Église par le baptême.
En 1824, Malan faisait paraître une brochure intitulée : Dieu ordonne que dans l’Église de Christ les petits enfants lui soient consacrés par le sceau du baptême ; avec cette épigraphe : « La promesse est faite à vous et à vos enfants » (Actes 2.39)a.
a – Cette brochure fut provoquée par les controverses qui divisaient l’Église du Bourg-de-Four au sujet du baptême.
Dès le titre, se montre la tendance autoritaire et dogmatique de Malan. Pour lui, la solution de la difficulté n’est pas douteuse : Dieu ordonne.
L’auteur commence par établir la nécessité et la signification du baptême. Sa nécessité, il la trouve dans l’ordre du Sauveur à ses disciples : « Allez et baptisez » (Matthieu 28.19) ; dans la déclaration de Jésus à Nicodème : « Si quelqu’un ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean 3.5). Quant à sa signification, elle n’est autre que la purification de l’âme par le sang de Christ, et plus particulièrement encore par l’efficace du Saint-Esprit. Le baptême n’est que le signe de la régénération, et nullement la régénération elle-même. La régénération a lieu par la Parole de Dieu, rendue puissante par le Saint-Esprit ; mais elle n’a pas lieu par l’eau du baptême (Cf. Jacques 1.18 ; 1 Pierre 1.23 ; 1 Corinthiens 4.15).
Le baptême est une prédication sensible et une solennelle déclaration de ces deux grandes doctrines de l’Écriture : « 1° L’expiation du péché et le nettoiement de l’âme par le sang de Christ ; 2° le renouvellement de l’âme par l’esprit de Dieu. »
Le baptême ne régénère donc pas l’enfant du chrétien ; il lui enjoint, dès qu’il le peut connaître, de se consacrer à Celui (le Père, le Fils et le Saint-Esprit) qui lui a imposé ce sceau, et il enjoint également aux parents chrétiens d’élever pour le Seigneur ceux qui sont sortis d’eux (Ésaïe 44.3).
A qui ce baptême doit-il être donné ? A tous ceux qui appartiennent à l’Église de Christ. Or, les enfants des membres de cette Église, selon les termes de la promesse de grâce faite à l’Église dès le commencement, appartiennent à cette Église sur la terre, et doivent donc être baptisés.
Les baptistes (que Malan appelle anabaptistes, parce qu’il revendique pour lui le terme de baptiste) répondent qu’on ne doit pas baptiser les enfants des chrétiens : 1° parce que ce baptême n’est point expressément ordonné dans l’Écriture, ce qui aurait lieu, s’il était d’institution divine.
Malan réplique qu’avec un pareil raisonnement tout ce que l’Écriture n’ordonne pas expressément ne devrait pas être fait : par exemple, les femmes ne devraient pas communier ; les parents ne devraient pas prier avec leurs enfants et leur famille ; aucun chrétien ne devrait sanctifier le sabbat chrétien, etc.
2° Les baptistes remarquent qu’il n’y a dans l’Écriture aucun exemple du baptême des enfants.
Malan répond d’abord qu’il y a un texte (Exode 12.37, comparé à 1 Corinthiens 10.1-2), lequel enseigne que les enfants « furent baptisés en Moïse, en la nuée et en la mer. » De plus, si dans d’autres passages, les enfants ne sont pas nommés explicitement, ils sont compris dans les mots famille ou maison, οἴκος ou οἰκά signifiant la maison et ceux qui l’habitent, la famille, l’assemblage des parents, des enfants et des serviteurs (Cf. Luc 10.5 ; 11.17 ; 19.9 ; Actes 10.2 ; 11.14 ; 1 Corinthiens 1.16 ; Actes 16.15, 31).
Même si l’on serre de plus près la question, et que l’on soutienne qu’il n’y a aucun exemple d’un tel baptême, Malan déclare que le baptême d’enfants adultes de chrétiens n’a pour lui aussi aucun exemple, pas davantage le baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et on peut même douter que les apôtres aient été baptisés, car il n’en est fait aucune mention dans l’Écriture.
3° Les baptistes disent que les petits enfants ne peuvent croire, et que la foi est requise pour le baptême.
Cette doctrine sera examinée plus tard ; quant à l’incapacité des enfants à croire, elle est supposée, car Jean-Baptiste fut rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère : il était donc capable de foi (On pourrait répondre à Malan que c’est une exception qu’il est impossible de citer pour exemple).
4° Les petits enfants ne peuvent faire profession de leur foi.
Assurément, mais Corneille et toute sa maison n’en firent point, et cependant ils reçurent tous le baptême (Actes 10.44-48).
5° Mais que signifie un tel baptême donné à ceux qui ne le connaissent pas, et qui la plupart ensuite prouvent par leur conduite qu’ils sont irrégénérés et ennemis de Dieu ?
Malan répond qu’avec une semblable théorie, il ne faudrait baptiser que ceux desquels on pourrait être sûr que leur conduite sera pure ; qu’il n’y a point en eux d’hypocrisie, et qu’ils ne se séduisent pas eux-mêmes. — Mais les apôtres eux-mêmes étaient-ils ainsi sûrs de la sincérité et de la fidélité de Simon le Magicien, d’Hyménée, de Philète, et de tous ceux qui, étant sortis du milieu d’eux, cependant n’étaient pas des leurs ?
6° Mais si les petits enfants doivent être baptisés, pourquoi ne doivent-ils pas aussi recevoir la sainte Cène ! L’un des sacrements a tout autant d’autorité que l’autre.
Sans doute, l’autorité est la même, mais le sens de l’un est très différent de celui de l’autre. Le baptême introduit l’enfant du chrétien dans l’Église visible ; la Cène le nourrit et le console dans l’Église invisible ; mais ces deux bénédictions ne sont pas simultanées.
Quant aux autres objections des baptistes, elles se ramènent à celles-là, ou bien elles se rencontreront dans l’examen des preuves positives en faveur du baptême des enfants.
La première de ces preuves est la circoncision. Les enfants étaient circoncis dans l’Église, sous la dispensation de la Promesse faite à Abraham. L’Église actuelle est sous la dispensation où elle était du temps d’Abraham ; la circoncision était la même ordonnance que le baptême ; donc les enfants dans l’Église doivent être baptisés.
Ces propositions ont besoin d’être prouvées.
a) Malan voit l’analogie de la dispensation de Promesse faite à Abraham avec celle qui est faite, sous l’Évangile, envers l’Église dans plusieurs textes (Genèse 17.7 ; Lévitique 26.3-12 ; Hébreux 8.10 ; Galates 3.14), dans lesquels ou la Promesse faite à Abraham est représentée comme se rapportant aussi à l’Église, ou les mêmes termes sont employés pour désigner les deux alliances. Cette Promesse, dont la circoncision était le signe et le sceau, s’étendait à la maison d’Abraham, à ses serviteurs, à ses enfants, à sa postérité, même aux étrangers servant ou habitant au milieu d’eux (Cf. Deutéronome 29.9-15). Or c’est la seule dispensation de grâce et de promesse que le Seigneur ait jamais faite envers le genre humain. Il n’y a pas eu deux promesses, ni deux dispensions de grâce, quoiqu’il y ait eu diverses circonstances dans l’économie de cette dispensation.
Dans cette dispensation unique et toujours la même, Dieu s’est déclaré le Dieu des enfants et des petits enfants, aussi bien que des pères et des jeunes gens. Or, si Dieu n’a pas changé formellement les termes de la promesse, s’il n’a pas dit : « Je ne serai plus le Dieu des petits enfants, » ces termes demeurent les mêmes, et les petits enfants, restés dans l’alliance de grâce, doivent recevoir le sacrement du baptême, comme ils recevaient celui de la circoncision.
b) La circoncision est, en effet, le même sacrement que le baptême. Ce sceau n’était pas seulement extérieur et temporel, comme le soutiennent les baptistes, il était aussi spirituel et moral. Saint Paul l’appelle « le sceau de la justice de la foi » (Romains 4.11), et, de plus, en parlant des circoncis qui redeviennent incirconcis, il donne bien à entendre que si le signe matériel demeure en leur chair, ils repoussent la grâce spirituelle signifiée par le sacrement.
C’est cette conception de la spiritualité de la circoncision et de la permanence de la Promesse primitive qui forme le point central de l’argumentation de Malan.
Pourquoi donc la circoncision a-t-elle été abolie après la résurrection du Seigneur, et n’est-elle pas restée le sceau et le signe permanent d’une dispensation permanente ? Parce que, répond Malan, l’Église, ayant cessé d’être contenue dans un seul peuple, dut recevoir un sacrement ou sceau de consécration, qui pût appartenir à toute nation sur la terre et à toute âme d’homme. Non seulement la dispensation de la Promesse, dans laquelle les enfants étaient compris, n’a pas varié, mais encore nous voyons, par des preuves certaines, que Jésus-Christ a accueilli les enfants et ne les a pas repoussés de son Église : « Quiconque recevra en mon nom, a-t-il dit, un de ces petits enfants, me recevra » (Marc 9.36) ; il a béni des enfants (Matthieu 19.13-15 ; Marc 10.14). Saint Paul a dit des enfants des chrétiens qu’ils sont « purs » (1 Corinthiens 7.14). Malan discute longuement ce texte, lequel lui paraît établir péremptoirement que les enfants issus de chrétiens ont part à la dispensation de la Promesse.
Suivent alors quelques pages qui sont consacrées à l’examen des pratiques de l’Église apostolique sur ce point. Mais ce n’est que le témoignage de Tertullien qui peut avoir quelque importance ; les textes de Justin Martyr, d’Irénée et de Clément d’Alexandrie sont loin d’être catégoriques. Quant à Tertullien, il certifie que l’usage constant de l’Église avait été, et était de son temps, de baptiser les enfants en bas âge ; et la preuve décisive qu’il en fournit, c’est qu’il s’en plaint en exprimant le désir que ce sacrement soit renvoyé à un âge plus mûr. D’après Origène, l’Église a reçu, depuis les apôtres, la tradition que le baptême doit être administré aux enfants. Les autres témoignages sont trop récents pour avoir quelque valeur.
Malan s’explique ensuite sur la forme du baptême, et il repousse l’immersion, comme n’étant pas enseignée dans l’Écriture et ne pouvant être inférée de exemple des baptêmes qui y sont rapportés.
Enfin il examine quelques textes qui, d’après les baptistes, sont probants en faveur du baptême des adultes, principalement ceux dans lesquels il est fait allusion au baptême des croyants. Malan remarque que ce baptême ne supprime pas le baptême des enfants, car dans le premier cas, il est une confirmation de grâces déjà reçues, et dans le second, le signe ou gage d’une promesse.
Si les vues de Malan touchant le baptême étaient très larges, sa discipline pour la sainte Cène était très sévèrement exercée : « Le baptême d’eau, disait-il, se rapporte à la vocation, ou au renouvellement terrestre, et à la profession visible de l’Église, tandis que la sainte Cène appartient à l’élection céleste et à la foi invisible de ceux qu’a baptisés le Saint-Esprit. Par le baptême d’eau, Dieu dit à l’homme : Sois baptisé ! tandis que dans la Cène, il lui dit : Examine-toi d’abord, puis prends et mange avec foi ! — Le baptême d’eau doit être donné à tous les enfants d’Adam qui sont appelés par la promesse de l’Évangile, tant sur ceux qui entrent dans l’Église visible, que sur ceux qui s’y trouvent déjà (par le fait de leur naissance de parents membres de cette Église)… Le baptême d’eau ne régénère pas celui qui le reçoit… Le chrétien reçoit le baptême invisible, qui est aussi nommé le sceau du Saint-Esprit. Il ne le reçoit qu’après qu’il a cru… La Cène ne doit être accomplie que par les baptisés du Saint-Esprit, et non par les baptisés seulement d’eau, puisqu’il faut auparavant s’examiner soi-même pour voir si l’on est dans la foib. »
b – Témoignage de Dieu ou catéchisme de la vie éternelle, p. 29.
Ce fut en 1821 que Malan se résolut à introduire dans son Église une discipline pour la sainte Cène. Il s’y décida, après beaucoup d’hésitations et de luttes intérieures, en voyant ce qu’était devenue la participation à ce sacrement dans l’Église nationale. La confusion entre le citoyen et le chrétien avait fait des communions de véritables solennités nationales, auxquelles on ne pouvait se dispenser de prendre part, sans faire aussitôt douter de son patriotisme et de son « honorabilité. » Communier devenait alors un acte de convenance, un devoir religieux, ou encore un moyen de s’assurer la continuation des bénédictions célestes ; l’acte extérieur lui-même risquait de suppléer aux dispositions intérieures qui en sont la condition indispensable, et de s’accomplir en dehors d’elles.
De là la réaction opérée par Malan, comme par l’Église du Bourg-de-Four, et l’introduction d’une discipline pour ce sacrement, discipline qui portait sur la doctrine comme sur la vie chrétienne.
Parmi les devoirs sur lesquels Malan se montrait sévère, il faut citer la sanctification du dimanche qui devait être très rigoureusement observée. Rejetant toutes les fêtes introduites par les hommes, il était d’autant plus strict à éviter toute espèce de travail pendant le « jour du Seigneur. »
Comme nous l’avons déjà remarqué, par suite du caractère de Malan lui-même et de sa nature, toute la direction de l’Église du Témoignage fut entre les mains du pasteur et son presbytérianisme devint de l’épiscopalisme.
Cette direction parut lourde à plusieurs des membres de l’Église, et ce fut ce qui amena la crise de 1830, à la suite du vote de confiance demandé par Malan.
En résumé, l’Église du Témoignage ne nous présente pas une organisation ecclésiastique nouvelle. Si, sur la question de la discipline, Malan fut amené à des pratiques différentes de celles de l’Église nationale, ce fut sous la pression des circonstances, et d’une manière générale, on peut dire, que la question ecclésiastique a tenu dans ses préoccupations une place tout à fait secondaire.