(1526)
Délivrance des captifs ; Berquin, Marot – Michel d’Arande nommé évêque – Toussaint tiré du cachot – Grande joie à Strasbourg – Les réfugiés dans cette ville – Lefèvre et Roussel reçus par Marguerite – Les fruits de l’épreuve – Réunion évangélique à Blois – Toussaint à la cour – Une ère lumineuse commence – Le roi vient à Paris l’inaugurer – Les nobles et prélats, croyants à la cour, rejettent la foi quand ils en sont loin – Faiblesse de Lefèvre et de Roussel – Toussaint dégoûté de la cour – Que la France soit digne de la Parole
La chrétienté avait un sentiment instinctif qu’elle n’avait été jusqu’alors qu’une société éparse, un grand désordre, un immense chaosx. Elle avait un besoin intime de cette unité sociale, de cet ordre suprême, de cette pensée dominante que la papauté n’avait pu lui donner. La Réformation, en proclamant une création nouvelle, devait accomplir cette tâche. L’isolement des peuples allait cesser ; tout se toucherait ; les influences réciproques se multiplieraient de génération en génération… C’était la Réformation qui devait préparer la grande unité au milieu des hommes.
x – Guizot, Histoire de la Civilisation en Europe.
Les chrétiens évangéliques avaient le sentiment, indistinct peut-être, mais profond de cette nouvelle évolution des choses humaines, et plusieurs d’entre eux auraient voulu que la France ne cédât pas à l’Allemagne ou à l’Angleterre le privilège de marcher à la tête des temps nouveaux. Ils se disaient que puisque l’Empereur se mettait au premier rang des ennemis de la Réforme, le roi devait se mettre au premier rang de ses défenseurs. La duchesse d’Alençon, surtout, revenait sans cesse à la charge auprès du roi, et le suppliait de rappeler en France les hommes qui pouvaient y apporter la véritable lumière. François l’accueillait froidement, lui répondait même parfois rudement, et coupait broche à toute réponse ; mais la duchesse était infatigable, et quand le roi lui fermait la porte, « elle y traversait comme par les fentes. » — Enfin, François Ier, qui aimait sa sœur, qui estimait les lettres, qui méprisait les moines, se rendit aux pressantes sollicitations de Marguerite ; mais surtout, je pense, à des idées nouvelles et aux exigences de ses plans politiques. Les portes des prisons s’ouvrirent.
Berquin était encore captif ; triste, mais consolé par sa foi ; ne voyant pas clair dans son avenir, mais inébranlable dans sa fidélité à l’Évangile. Le roi résolut de le sauver des griffes de la faction de Beda. « Je ne souffrirai pas que l’on attente à la personne de ce gentilhomme ou à ses biens, fit-il dire, le 1er avril, au parlement ; je veux connaître moi-même toute cette affaire. » Des officiers envoyés par le roi tirèrent le chrétien captif de sa prison, et tout en le faisant garder à vue, l’établirent dans un appartement commode. Berquin se mit aussitôt à former des desseins pour le triomphe de la vérité.
Clément Marot avait payé cher le privilège d’être le secrétaire de Marguerite ; il était en prison et se consolait en cadençant ses rimes légères. Marguerite obtint son entière délivrance, et Marot se hâta de courir vers ses amis, de faire éclater sa joie, de s’écrier :
La liberté qui sans cause et sans droit,
M’avait été par malins défendue,
Ce nouvel any, par le roi m’est rendue.
y – Le nouvel an était à l’époque de Pâques ; ce ne fut que plus tard que le commencement de l’année fut définitivement fixé au 1er janvier.
Michel d’Arande, qui, en 1524, avait prêché l’Évangile avec tant de force à Lyon, avait été éloigné de Marguerite dont il était l’aumônier. Elle le fit venir ; elle lui communiqua son dessein d’introduire l’Évangile dans l’Église catholique de France, en la renouvelant sans la détruire. « Je vous ai fait nommer, lui dit-elle, évêque de Trois-Châteaux, en Dauphinéz ; allez et évangélisez votre diocèse. » Michel d’Arande accepta ; la vérité avait déjà été répandue dans le Dauphiné par Farel et par d’autres. D’Arande partageait-il les vues de Marguerite, ou l’ambition fut-elle pour quelque chose dans son acceptation ? Il est difficile de le dire.
z – « Suo Michaeli de Arando Episcopo Sancti Pauli in Delphinatu. » (Cornel. Agripp. Ep., p. 835.)
Une quatrième victime de la persécution fut bientôt sauvée. Le jeune prébendier de Metz, l’agréable Pierre Toussaint, était encore dans l’affreux cloaque où l’avait plongé l’abbé de Saint-Antoine. Son hôte de Bâle ne lui avait pas envoyé les livres que ce prêtre perfide l’avait contraint à demander ; sans doute ce bon Bâlois, sachant dans quelles mains se trouvait son ami avait compris le danger auquel un tel envoi l’exposerait. Plusieurs chrétiens évangéliques de France, de Suisse et de Lorraine, le marchand Vaugris en particulier, avaient successivement intercédé en sa faveur, mais inutilement. Voyant tous leurs efforts inutiles, ils s’adressèrent enfin à Marguerite, qui plaida chaudement auprès du roi la cause du jeune évangélique. En juillet 1526, l’ordre de mise en liberté arriva. Les officiers chargés de cette tâche agréable descendirent dans la sombre prison choisie par l’abbé de Saint-Antoine, et arrachèrent l’agneau aux griffes de cette bête fauve. Toussaint, maigre, frêle, pâle comme une fleur fanée, sortit lentement de son affreux cachot. Ses yeux affaiblis pouvaient à peine supporter la lumière du jour, et il ne savait où aller. Il se rendit d’abord auprès d’anciennes connaissances ; mais chacun avait peur d’un hérétique échappé à l’échafaud. Le jeune prébendier n’avait pas l’énergie de Berquin ; il était de ces natures sensibles et délicates qui ont besoin d’un appui, et il se trouvait dans le monde, en plein air, presque aussi seul que dans son bouge : « Ah ! disait-il, Dieu, notre Père céleste, qui fixe à la colère des hommes des bornes qu’elle ne peut franchir, m’a délivré d’une manière admirable des mains des tyrans ; mais, hélas ! que devenir ? le monde est en furie et insulte l’Évangile renaissant de Jésus-Christa !… » Quelques amis timides, mais bienveillants, lui dirent : « La duchesse d’Alençon seule peut vous protéger ; il n’y a d’asile pour vous qu’à la cour. Adressez vous à cette princesse qui accueille avec tant de générosité tous les amis des lettres et de l’Évangile, et profitez de votre séjour pour examiner de près le vent qui souffle en ces lieux élevés. » Toussaint fit ce qu’on lui disait ; il se mit en route, malgré sa timidité naturelle, et arriva à la cour, où nous le retrouverons.
a – « Insaniat mundus, et insultet adversus renascens Christi Evangelium. » (Toscanus Œcolampadio, 26 juillet 1526. Herzog, Œcolampade, II, p. 286.)
Des délivrances plus importantes encore se préparaient. Strasbourg allait être dans la joie. Il n’était aucune ville hors de France, où le retour du roi eût été salué avec autant d’enthousiasme. Plusieurs Français évangéliques y avaient cherché un abri contre les cruautés de Duprat, et ils soupiraient après le moment qui les rendrait à leur patrie. Au nombre des réfugiés était le célèbre Corneille Agrippa. Sa réputation n’est pas sans tache ; un livre sur l’Incertitude des sciences lui fait peu d’honneur ; mais il semble qu’à cette époque, il était occupé de l’Évangile. Ayant reçu une lettre de l’excellent Papillon, qui lui disait combien le roi paraissait favorable aux nouvelles lumières, Corneille Agrippa, qui, entouré alors d’hommes pieux, prenait le ton et mettait sa voix d’accord avec la leur, s’écria : « Toute l’Église des saints, apprenant quels sont les triomphes de la Parole, soit à la cour, soit dans presque toute la France, s’en réjouit d’une immense joieb. Je bénis le Seigneur, de la gloire dont la Parole est parmi vous couronnée. Plût à Dieu seulement qu’il nous fût permis, aussi à nous, de revenir en France. » Un autre pays préoccupait également ce savant : « Écrivez-moi ce que l’on fait à Genève… Dites-moi si l’on y aime la Parole et si l’on s’y occupe des lettresc… »
b – Gavisa est vehementissime tota Ecclesia sanctorum qui apud nos sunt, audientes fructum Verbi apud aulicos, itidem apud Galliam fere omnem. » (Cornel. Agripp. Ep., p. 829.)
c – « Scribe quid Gebennis agatur aut scilicet Verbum ament ?… » Des arguments qu’il serait trop long d’exposer me paraissent établir l’authenticité de cette lettre révoquée en doute par Bayle.
Des hommes plus évangéliques que Corneille Agrippa se trouvaient à Strasbourg. Pendant tout l’hiver la maison hospitalière de Capiton avait vu souvent se réunir les chrétiens qui avaient élevé le plus haut en France l’étendard de l’Évangile. On y voyait le vieux Lefèvre, le premier traducteur de la Bible, qui n’avait échappé au bûcher que par la fuite ; le pieux Roussel, Vedaste, Simon ; Farel même y était arrivé de Montbéliard. Ces amis de la Réformation se cachaient sous de faux noms ; Lefèvre s’appelait Antoine Péregrin ; Roussel se nommait Tolnin ; mais ils étaient connus de tout le monde, et les enfants même les nommaient dans les ruesd. Ils voyaient souvent Bucer, Zell, le comte de Haute-Flamme, et s’édifiaient tous ensemble. Marguerite entreprit de les faire revenir en France. La cour était alors dans le Midi ; le roi se trouvait à Cognac, où il était né, et où il résida souvent ; les duchesses (sa mère et sa sœur), à Angoulême. Un jour qu’ils étaient réunis, Marguerite supplia son frère de faire cesser le cruel exil de ses amis ; François accorda tout.
d – … Omnes Galli, contubernales ac hospites mei… Latere cupiunt, et tamen pueris noti sunt. » (Capito Zwinglio, 20 nov. 1521. Zwingl. Ep., I, p. 439.)
Quelle joie ! le vieux Lefèvre, le fervent Roussel sont rappelés avec honneur, dit Érasmee. Les Strasbourgeois les embrassaient avec larmes, mais le vieillard se sentait heureux d’aller mourir dans le pays où il était né. Il prit aussitôt avec Roussel la route de la France ; d’autres les suivirent ; on crut à des temps nouveaux. Les évangéliques se rappelaient dans leurs assemblées ces paroles : Ils retourneront et ils reviendront avec chants de triomphe ; la douleur et le gémissement ont disparu. La joie et l'allégresse sont sur leur têtef. Lefèvre et Roussel coururent vers leur protectrice. Marguerite les reçut avec bonté, les retint dans ce château d’Angoulême, où elle était née, sur cette riante colline qu’elle chérissait, près de cette Charente, qui coule doucement (comme elle parle). Lefèvre et Roussel eurent avec elle de précieux entretiens. Ils aimaient à raconter leur vie à Strasbourg, les lumières nouvelles qu’ils y avaient trouvées, la communion fraternelle, dont ils y avaient joui. « Nous étions là, disaient-ils, avec Guillaume Farel, Michel d’Arande, François Lambert, Jean Vedaste, le chevalier d’Esch et beaucoup d’autres évangéliques… membres épars d’un corps déchiré, mais un en Jésus-Christ. Nous éloignions avec soin tout ce qui pouvait troubler l’accord entre les frères ; la paix que nous goûtions, loin d’être sans saveur, comme celle du monde, était toute parfumée de la bonne odeur du service de Dieu. »
e – « Faber honorifice in Galliam revocatur. » (Erasmi Ep., p. 829.)
f – Esaïe.35.10.
Cette réunion à Strasbourg avait porté des fruits. L’énergique Farel, le savant Lefèvre, le spiritualiste Roussel, doués de natures si opposées, avaient réagi l’un sur l’autre. Farel était devenu plus doux ; Roussel plus fort ; le contact avec le fer avait donné une vigueur inaccoutumée à ce métal un peu mou de sa nature. Les prédications qu’ils entendaient, des conversations fréquentes, l’épreuve de l’exil et les consolations de l’Esprit de Dieu avaient retrempé ces âmes, un peu découragées par la persécution. Roussel avait profité de son loisir pour étudier l’hébreu ; et la Parole de Dieu avait acquis à ses yeux une importance souveraine. Frappé des vertus dont les premiers chrétiens avaient donné l’exemple, il avait compris qu’il fallait chercher dans les entrailles de l’Église primitive, dans les Écritures inspirées de Dieu, le secret de leur vie. « Jamais, disait-il, on ne rétablira la pureté de la religion, si l’on ne puise aux sources que le Saint-Esprit nous a donnéesg. »
g – Nisi adsint qui fontes porrigant, quos reliquit nobis Spiritus sanctus. » (Msc. Bibl. de Genève. Schmidt, Roussel, p. 188.)
Ce n’était pas assez que les réfugiés fussent de retour ; il fallait mettre à profit pour la France leur activité chrétienne. Au commencement de juin, Roussel se rendit à Blois. Marguerite voulait faire de cette ville, séjour favori des Valois et célèbre par les crimes qui s’y accomplirent plus tard, un refuge pour les persécutés, une hôtellerie des saints, une forteresse de l’Évangile. Le 29 juin, Lefèvre lui-même y allah. Le roi le chargea de l’éducation de son troisième fils et du soin de la bibliothèque du château. Le médecin de la duchesse d’Angoulême, Chapelain ; un autre médecin, Cop, dont il sera question plus tard, étaient aussi dans cette ville, et tous, pleins de reconnaissance envers François Ier, s’occupaient des moyens d’apporter quelque chose du christianisme au roi Très-Chrétieni ; ce qui était en effet très nécessaire.
h – « Faber Stapulensis hodie hic discedens, Blesios petiit. » (Cornel. Agripp. Ep., p. 848.)
i – « Quod transferas non nihil de christianismo ad christianissimum Regem. » (Ibid., p. 859.)
Ainsi tout était en mouvement. Il semblait que les lettres et l’Évangile fussent revenus de l’exil avec le roi de France. Macrin, dont Zwingle unissait le nom à celui de Berquin, était mis en libertéj. Corneille Agrippa retournait à Lyon. D’une ancienne famille de Cologne, il avait servi sept ans dans les armées impériales, puis grand savant (et non grand magicien, comme on le prétendait), il était devenu docteur en théologie, en droit et en médecine. Il publia sur le mariage et contre le célibat un livre qui suscita de vives clameurs. Corneille s’en étonna fort et non sans raison. « Eh quoi ! dit-il, les nouvelles de Boccace, les farces du Pogge, les adultères d’Euryale et de Lucrèce, les amours de Tristan et de Lancelot sont lus avidement, même par des jeunes fillesk,… et l’on crie contre mon livre sur le mariage !… » Ceci nous explique un trait de l’histoire ; ces jeunes lectrices de Boccace devaient former le fameux « bataillon » de Catherine de Médicis, au moyen duquel cette femme impure remporta tant de victoires sur les seigneurs de la cour.
j – « Berquinus et Macrinus liberabuntur. » (Zwingl. Ep., VIII, 1.)
k – « Leguntur avide, etiam a puellis, novellæ Boccatii. » (Cornel. Agripp. Ep., p. 833.)
En apprenant toutes ces délivrances, on crut décidément que François Ier, voyant Charles-Quint à la tête du parti romain, allait se mettre à la tête du parti évangélique, et que les deux champions videraient en champ clos la grande controverse du siècle. « Le roi, écrivait l’excellent Capiton à l’énergique Zwingle, le roi est favorable à la Parole de Dieul. » Marguerite voyait déjà l’Esprit-Saint faire revivre en France l’Eglise une, sainte, universelle… Elle résolut de hâter ces temps heureux, et quittant Angoulême et Blois au mois de juillet, elle arriva à Paris.
l – « Rex Verbo favet. » (Capito Zwinglio.)
Toussaint l’y cherchait. Venu dans la capitale sous un nom emprunté, ce jeune évangéliste, s’était tenu d’abord caché. Apprenant l’arrivée de la sœur de François Ier, il lui fit demander la permission de la voir en secret ; et la princesse le reçut, selon sa coutume, avec une grande bonté. Quel contraste pour ce pauvre jeune homme, à peine échappé aux serres cruelles de l’abbé de Saint-Antoine, que de se voir transporté dans le palais de Saint-Germain, où la personne de Marguerite, son urbanité, son esprit, sa piété vivante, son zèle infatigable, son amour des lettres, son élégance charmaient tous ceux qui l’approchaient. Toussaint ne pouvait se lasser d’admirer en elle, comme le poète,
Une douceur, assise en belle face,
Qui la beauté des plus belles efface ;
Un vif esprit, un savoir qui m’étonne,
Et par sus tout, une grâce tant bonne,
Soit à se taire, ou soit en devisantm.
m – Épître de Marot à la duchesse d’Alençon (1526).
Quelque chose pourtant ravissait encore plus Toussaint, c’était la vraie piété qu’il trouvait dans Marguerite. Elle le traitait avec la bienveillance d’une femme chrétienne ; aussi fut-il bientôt à son aise. « La très illustre duchesse d’Alençon, écrivit-il, m’a reçu avec autant de bonté, que si j’eusse été un prince ou l’homme qui lui est le plus chern. J’espère, ajouta-t-il, que l’Évangile de Christ régnera bientôt en Franceo. » La duchesse, de son côté, touchée de la foi du jeune évangéliste, l’invitait à revenir la voir « le lendemain, à telle heure. » Il revenait, puis revenait encore ; il avait avec Marguerite de longs et fréquents entretiens sur les moyens de répandre partout l’Évangilep. « Il faut, lui dit-il, que Dieu par la lumière de sa Parole illumine le monde, et que par le souffle de son Esprit, il transforme les cœurs. L’Évangile seul, Madame, remettra en un état bien ordonné tout ce qui est confus. — C’est la seule chose au monde que je désire, répondit Margueriteq. » Elle croyait à la victoire de la vérité ; il lui semblait que les hommes de lumière ne pouvaient être vaincus par les hommes de ténèbres. La vie nouvelle allait s’élever comme la mer, et recouvrir bientôt de ses flots immenses les landes arides de la France. Marguerite entrevoyait des flammes lumineuses, elle entendait des voix éloquentes, elle sentait battre autour d’elle des cœurs émus. Tout s’agitait dans ce monde nouveau et mystérieux qui ravissait son imagination. C’était pour inaugurer cette ère, toute pleine de lumière, de foi, de liberté, que son frère avait été délivré des prisons de Charles-Quint : « Ah ! disait-elle à Toussaint, dans leurs évangéliques colloques, ce n’est pas moi seulement, qui désire les triomphes de l’Évangile ; le roi lui même les appeller. Et, croyez-moi, notre mère, (Louise de Savoie !) ne s’opposera pas à nos effortss. Le roi, affirma-t-elle au jeune homme, le roi vient à Paris, pour assurer les progrès de l’Évangile, si du moins la guerre ne l’arrêtet. » Grandes illusions ! Certaines pensées à ce sujet, en rapport avec sa politique, roulaient sans doute dans l’esprit de François Ier ; mais ce prince pensait surtout alors à se dédommager des privations de la captivité en se livrant à la galanterie.
n – « Principem aliquem vel hominem sibi carissimum. » (Tossanus Œcolampadio. Herzog, (Œcolampade, t. II, p. 286.)
o – Brevi regnaturum Christi Evangelium per Galliam. » (Ibid.)
p – Multum sumus confabulati de promovendo Christi Evangelio. » (Ibid.)
q – « Quod solum est illi in votis. » (Tossanus Œcolampadio.)
r – « Nec illi solum, verum etiam regi ipsi. » (Ibid.)
s – « Nec horum conatibus refragatur mater. » (Ibid.)
t – « Eam ob causam Rex contendit Lutetiam. »(Ibid.)
Le jeune prébendier de Metz était sous le charme ; se livrait aux plus belles espérances, et saluait avec joie le firmament nouveau, où Marguerite brillait comme un des astres les plus lumineux. Il écrivit à Œcolampade : « Cette princesse illustre est tellement enseignée de Dieu, et si familière avec les saintes Écritures, que nul ne pourra jamais la séparer de Jésus-Christu. » On peut se demander si ces prédictions se sont réalisées. Marguerite de Navarre, épouvantée par les menaces de son frère, fit sans doute plus tard de tristes concessions, et une lettre que lui adressa Calvin le témoigne ; mais elle était pourtant un arbre planté près des ruisseaux d’eaux. L’orage en emporta quelques branches, toutefois les racines étaient profondes et l’arbre a toujours subsisté.
u – « Certe dux Alenconiæ sic est edocta a Domino, sic exercita in litteris sacris, ut a Christo avelli non possit. » (Tossanus Œcolampadio.)
Toussaint trouvait souvent les salles du château de Saint-Germain remplies des personnages les plus distingués du royaume, empressés à présenter leurs hommages à la sœur de François Ier. A côté des ambassadeurs et des nobles, dont les vêtements étalaient un grand luxe, et des guerriers aux armes étincelantes, se trouvaient des cardinaux couverts de pourpre et d’hermine, des évêques avec leurs chapes de satin, des ecclésiastiques de tout ordre, aux longues robes et à la tête tonsuréev. Ces clercs, fort désireux de parvenir aux plus hautes charges de l’Église, s’approchaient de l’illustre princesse, lui parlaient de l’Évangile, de Christ, de l'amour inextinguible, et Toussaint écoutait avec étonnement ces étranges propos de cour. Son ancien patron, le cardinal de Lorraine, archevêque de Reims et de Lyon, qu’il ne faut pas confondre avec son infâme neveu, l’un des bourreaux de la Saint-Barthélemy, faisait l’accueil le plus affable au jeune prébendier, ne cessant de lui répéter qu’il aimait extrêmement l’Évangile… Marguerite, qui se laissait facilement persuader, prenait le babil religieux de ce troupeau de flatteurs pour une piété de bon aloi et inspirait au jeune chrétien son aveugle confiance.
v – « Cum suis longis tunicis et capitibus rasis. » (Ibid.)
Cependant celui-ci se demandait quelquefois si toutes ces belles paroles n’étaient pas de l'eau bénite de cour. Il entendit un jour l’évêque de Meaux, Briçonnet, en qui les plus crédules plaçaient encore quelques espérances, mettre l’Église romaine très haut et la Parole de Dieu très bas : « Prêtre hypocrite ! dit Toussaint à part, tu es plus désireux de plaire aux hommes que de plaire à Dieu ! » Quand ces clercs flagorneurs rencontraient des gentilshommes moqueurs ou athéistes, dans quelque salon éloigné de celui où se trouvait la princesse, ou sur la terrasse de Saint-Germain, ils se dévoilaient sans crainte et tournaient en ridicule la foi évangélique qu’ils avaient prônée devant la sœur de François Ier. Puis quand ils avaient obtenu les bénéfices qu’ils convoitaient, ils changeaient de parti ; ils étaient les premiers en ligne contre les luthériensw ; et s’ils apercevaient quelques évangéliques, ils leur tournaient le dos. C’est alors que le pauvre Toussaint s’écriait : « Hélas ! ils parlent bien de Jésus-Christ avec ceux qui en parlent bien ; mais avec ceux qui blasphèment, ils blasphèmentx. »
w – « Primi stant in acie adversus eos quos mundus vocat Lutheranos. » (Tossanus Œcolampadio.)
x – « Cum bene loquentibus bene loquuntur de Christo, cum blasphemantibus blasphemant. » (Tossanus Œcolampadio.)
Lefèvre et Roussel étant alors venus de Blois à Paris (c’était vers la fin de juillet 1526), le jeune et bouillant Toussaint, plein de respect pour eux, courut leur raconter son chagrin et leur demanda de dévoiler ces hypocrites et d’annoncer hautement le pur Evangile au milieu de cette cour perverse. « Patience, » dirent les deux savants, un peu temporiseurs de leur nature, et que l’air de la cour avait déjà peut-être affaiblis, patience, ne gâtons rien, l’heure n’est pas encore venuey. » Alors Toussaint, droit, généreux et plein d’affection, fondit en larmes. « Je ne puis, dit-il, retenir mes pleursz. Eh bien oui, soyez sages à votre guise, attendez, différez, dissimulez tant que vous voudrez ; vous reconnaîtrez pourtant à la fin qu’il est impossible de prêcher l’Evangile sans endurer la croixa. La bannière de la miséricorde divine est maintenant déployée, la porte du royaume de Dieu est ouverte. Dieu n’entend pas que nous recevions son appel avec nonchalance. Il faut se hâter, de crainte que l’occasion ne nous échappe et que la porte ne se ferme ! »
y – « Nondum est tempus, nondum venit hora. » (Ibid.)
z – « Certe continere non possum a lacrymis. » (Ibid.)
a – « Sint sapientes, quantum velint, expectent, different, et dissimulent…, non poterit prædicari Evangelium absque cruce. » (Ibid.)
Toussaint, attristé, oppressé par le ton de la cour, écrivit tout son mécontentement au réformateur de Bâle : « O mon Œcolampade, lui dit-il, quand je pense que le roi et la duchesse sont aussi disposés que possible à avancer l’Évangile de Christ, et que je vois en même temps ceux qui sont appelés à travailler les premiers à cette chose excellente, user sans cesse de délais, je ne puis contenir ma douleur. Que ne feriez-vous pas en Allemagne, si l’Empereur et son frère Ferdinand favorisaient vos efforts ?… » Toussaint ne cacha pas son désillusionnement à Marguerite elle-même : « Lefèvre, dit-il, manque de courage ; que Dieu l’affermisse et le fortifie ! » La duchesse fit tout pour retenir le jeune évangéliste à sa cour ; elle cherchait des hommes qui, tout en ayant un cœur chrétien, une vie chrétienne, ne rompissent pourtant pas avec l’Église ; elle offrit donc à l’ex-prébendier de grands avantages, mais en lui demandant de se modérer. Toussaint, d’un caractère résolu, même un peu vert, repoussa fièrement ces avances. Il étouffait à la cour ; l’air qu’on y respirait lui faisait mal, le dégoût avait succédé à l’admiration. « Je méprise ces offres magnifiques, dit-il, j’ai la cour en horreur comme jamais personne ne l’eutb … Adieu la cour… c’est la plus dangereuse des prostituéesc… » Marguerite le conjura du moins de ne pas quitter la France, et l’envoya chez une de ses amies, Madame de Contraigues, qui, pleine de charité pour les évangélistes persécutés, les recevait dans son château de Malesherbes, en Orléanais. Avant de partir, le jeune Messin, prévoyant une lutte prochaine et terrible, recommanda aux amis qu’il laissait derrière lui, de demander à Dieu que la France se montrât digne de la Paroled. Puis il s’éloigna, demandant lui-même au Seigneur d’envoyer à ce peuple le Docteur, l’Apôtre, qui étant lui-même un modèle de vérité et de dévouement, le conduirait dans les chemins nouveaux de la vie.
b – « Aula, a qua sic abhorreo ut nemo magis. » (Manuscrit de Neuchâtel.)
c – « Aula, meretrix periculosissima. » (Tossanus Œcolampadio.)
d – « Rogate Dominum pro Gallia ut ipsa tandem sit digna Verbo. » (Herzog, Œcolampade, p. 488.)