Abolition de la messe – Songe de Zwingle – Célébration de la cène – Charité fraternelle – Péché originel – Les oligarques contre la Réforme – Attaques diverses
On n’avait pas voulu procéder à l’abolition de la messe dans Zurich aussitôt après l’abolition des images ; maintenant le moment paraissait arriver.
Non seulement les lumières évangéliques s’étaient répandues dans le peuple, mais encore les coups que frappaient les adversaires appelaient les amis de la Parole de Dieu à y répondre par des démonstrations éclatantes de leur inébranlable fidélité. Chaque fois que Rome élève un échafaud et fait tomber quelques têtes, la Réformation élèvera la sainte Parole du Seigneur et fera tomber quelques abus. Quand Hottinger fut exécuté, Zurich abolit les images ; maintenant que les têtes des Wirth ont roulé à terre, Zurich répondra par l’abolition de la messe. Plus Rome accroîtra ses cruautés, plus la Réformation verra croître sa force.
Le 11 avril 1525, les trois pasteurs de Zurich se présentèrent, avec Mégandre et Oswald Myconius, devant le grand conseil et demandèrent qu’on rétablît la cène du Seigneur. Leur parole était gravea ; les esprits étaient recueillis ; chacun sentait combien était importante la résolution que ce conseil était appelé à prendre. La messe, ce mystère qui depuis plus de trois siècles était l’âme de tout le culte de l’Église latine, devait être abolie ; la présence corporelle de Christ devait être déclarée une illusion, et cette illusion même devait être enlevée au peuple ; il fallait du courage pour s’y résoudre, et il se trouva dans le conseil des hommes que cette audacieuse pensée fit frémir. Joachim Am-Grüt, sous-secrétaire d’État, effrayé de la demande hardie des pasteurs, s’y opposa de tout son pouvoir. « Ces paroles : Ceci est mon corps, dit-il, prouvent irrésistiblement que le pain est le corps de Christ lui-même. » Zwingle fit remarquer qu’il n’y a pas d’autre mot dans la langue grecque que ἐστι (est) pour exprimer signifie, et il cita plusieurs exemples où ce mot est employé en un sens figuré. Le grand conseil, convaincu, n’hésita pas ; les doctrines évangéliques avaient pénétré dans tous les cœurs ; d’ailleurs, puisqu’on se séparait de l’Église de Rome, on trouvait une certaine satisfaction à le faire aussi complètement que possible et à creuser un abîme entre elle et la Réformation. Le conseil ordonna donc l’abolition de la messe, et arrêta que le lendemain, jeudi saint, la cène se célébrerait conformément aux usages apostoliques.
a – Und vermantend die ernstlich. (Bull. Chron. p. 263.)
Zwingle était vivement occupé de ces pensées ; et le soir, quand il ferma les yeux, il cherchait encore des arguments à opposer à ses adversaires. Ce qui l’avait si fort occupé le jour se représenta à lui en songe. Il rêva qu’il disputait avec Am-Grüt et qu’il ne pouvait répondre à sa principale objection. Tout à coup un personnage se présenta à lui dans son rêve, et lui dit : Pourquoi ne lui cites-tu pas Exode.12.41 : Vous mangerez l'agneau à la hâte, il est le passage (la pâque) de l'Éternel. » Zwingle se réveilla, sortit du lit, prit la traduction des Septante, et y trouva le même mot ἐστι (est) dont le sens ici, de l’aveu de tous, ne peut être que signifie. »
Voici donc dans l’institution même de la Pâque, sous l’ancienne alliance, le sens que Zwingle réclame. Comment ne pas en conclure que les deux passages sont parallèles ?
Le jour suivant, Zwingle prit ce passage pour texte de son sermon, et parla avec tant de force qu’il détruisit tous les doutes.
Cette circonstance, qui s’explique si naturellement, et l’expression dont Zwingle se servit pour dire qu’il ne se rappelait pas l’apparence du personnage qu’il avait vu en songeb ont fait avancer que ce fut du diable que ce réformateur apprit sa doctrine.
b – Ater fuerit an albus nihil memini (je ne me rappelle pas s’il était blanc ou noir) ; somnium enim narro.
Les autels avaient disparu ; de simples tables couvertes du pain et du vin de l’eucharistie les remplaçaient, et une foule attentive se pressait alentour. Il y avait quelque chose de solennel dans cette multitude. Le jeudi saint, les jeunes gens ; le vendredi, jour de la Passion, les hommes et les femmes ; le jour de Pâques, les vieillards célébrèrent successivement la mort du Seigneurc.
c – Fusslin Beyträge, IV. 64.
Les diacres lurent les passages des Écritures qui se rapportent à ce sacrement ; les pasteurs adressèrent au troupeau une pressante exhortation, invitant tous ceux qui, en persévérant dans le péché, souilleraient le corps de Jésus-Christ, à s’éloigner de cette cène sacrée ; le peuple se mit à genoux, on apporta le pain sur des grandes patènes ou assiettes en bois, et chacun en rompit un morceau ; on fit passer le vin dans des gobelets de bois : on croyait ainsi se rapprocher mieux de la cène primitive. La surprise ou la joie remplissaient tous les cœursd.
d – Mit grossen verwundern viler Lüthen und noch mit vil grössern fröuden der Glöubigen. (Bull. Chron. p. 264.)
Ainsi la Réforme s’opérait dans Zurich. La simple célébration de la mort du Seigneur semblait avoir répandu de nouveau dans l’Église l’amour de Dieu et l’amour des frères. Les paroles de Jésus Christ étaient de nouveau esprit et vie. Tandis que les divers ordres et les divers partis de l’Église de Rome n’avaient cessé de disputer entre eux, le premier effet de l’Évangile, en rentrant dans l’Église, était de rétablir la charité parmi les frères. L’amour des premiers siècles était rendu alors à la chrétienté. On vit des ennemis renoncer à des haines antiques et invétérées, et s’embrasser après avoir mangé ensemble le pain de l’eucharistie. Zwingle, heureux de ces touchantes manifestations, rendit grâces à Dieu de ce que la cène du Seigneur opérait de nouveau ces miracles de charité, que le sacrifice de la messe avait dès longtemps cessé d’accomplie. »).
« La paix demeure dans notre ville, s’écria-t-il ; parmi nous point de feinte, point de dissension, point d’envie, point de querelle. D’où peut venir un tel accord, si ce n’est du Seigneur et de ce que la doctrine que nous annonçons nous porte à l’innocence et à la paixf ? »
e – Expositio fidei. (Zw. Opp. II. 241.)
f – Ut tranquillitatis et innocentiæ studiosos reddat. (Zw. Epp. p. 390.)
Il y avait alors charité et unité, quoiqu’il n’y eût pas uniformité. Zwingle dans son Commentaire de la vraie et de la fausse religion, qu’il dédia à François Ier, en mars 1525, année de la bataille de Pavieg, avait présenté quelques vérités de la manière la plus propre à les faire accueillir par la raison humaine, suivant en cela l’exemple de plusieurs des théologiens scolastiques les plus distingués. C’est ainsi qu’il avait appelé maladie, la corruption originelle, et réservé le nom de péché pour la transgression actuelle de la loih. Mais ces assertions, qui excitèrent quelques réclamations, ne nuisirent pourtant point à l’amour fraternel ; car Zwingle, tout en persistant à appeler le péché originel une maladie, ajouta que les hommes étaient perdus par ce mal, et que l’unique remède était Jésus-Christi. Il n’y avait donc ici aucune erreur pélagienne.
g – De vera et falsa religione commentarius. (Zw. Opp. III. 145-325.)
h – Peccatum ergo morbus est cognatus nobis, quo fugimus aspera et gravia, sectamur jucunda et voluptuosa: secundo loco accipitur peccatum pro eo quod contra legem fit. (Ibid.) 204.
i – Originali morbo perdimur omnes ; remedio vero quod contra ipsum invenit Deus, incolumitati restituimur. De pecc. orig. declaratio ad Urbanum Rhegium. (Ibid. I. 632.)
Mais, tandis que la célébration de la cène était accompagnée dans Zurich d’un retour à la fraternité chrétienne, Zwingle et ses amis avaient d’autant plus à soutenir au dehors l’irritation des adversaires. Zwingle n’était pas seulement un docteur chrétien, il était aussi un vrai patriote ; et nous savons avec quel zèle il combattait les capitulations, les pensions et les alliances étrangères. Il était convaincu que ces influences du dehors détruisaient la piété, aveuglaient la raison et semaient partout la discorde. Mais ses courageuses protestations devaient nuire aux progrès de la Réforme. Dans presque tous les cantons, les chefs qui recevaient les pensions étrangères, et les officiers qui conduisaient au combat la jeunesse helvétique, formaient de puissantes factions, des oligarchies redoutables, qui attaquaient la Réformation, non pas tant en vue de l’Église qu’à cause du préjudice qu’elle devait porter à leurs intérêts et à leurs honheurs. Déjà ils l’avaient emporté à Schwitz ; et ce canton où Zwingle, Léon Juda et Oswald Myconius avaient enseigné, et qui semblait devoir suivre la marche de Zurich, s’était tout à coup rouvert aux capitulations mercenaires et fermé à la Réforme.
A Zurich même, quelques misérables, soulevés par des intrigues étrangères, attaquaient Zwingle au milieu de la nuit, jetaient des pierres contre sa maison, en brisaient les fenêtres et appelaient à grands cris le « roux Uli, le vautour de Glaris, » en sorte que Zwingle réveillé courait à son épéej. Ce trait le caractérise.
j – Interea surgere Zwinglius ad ensem suum. (Zw. Opp. III. 411.) Uli est un diminutif de Ulrich. Zwingle avait été curé à Glaris.
Mais ces attaques isolées ne pouvaient paralyser le mouvement qui entraînait Zurich et qui commençait à ébranler la Suisse. C’étaient quelques cailloux jetés pour arrêter un torrent. Partout ses eaux grossissant, menaçaient de vaincre les plus grands obstacles.
Les Bernois ayant déclaré aux Zuricois que plusieurs États avaient refusé de sièger à l’avenir avec eux en diète : « Eh bien ! répondirent ceux de Zurich avec calme, et en levant, comme autrefois les hommes du Rulli, leurs mains vers le ciel, nous avons la ferme assurance que Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, au nom duquel la confédération été formée, ne s’éloignera point de nous, et nous fera à la fin sièger, par miséricorde, à côté de sa majesté souverainek. » Avec une telle foi, la Réforme n’avait rien à craindre. Mais remporterait-elle de semblables victoires dans les autres États de la confédération ? Zurich ne demeurerait-il pas seul du côté de la Parole ? Berne, Bâle, d’autres cantons encore, resteront-ils assujettis à la puissance de Rome ? C’est ce que maintenant nous allons voir. Tournons-nous donc vers Berne, et étudions la marche de la Réforme dans l’État le plus influent de la confédération.
k – Bey Ihm zuletzt sitzen. (Kirchhofer Ref. v. Bern. p. 55.)