Poursuivant son idée de la liberté, il en dit l’essence (5.13-14), et trouve occasion de châtier de graves désordres moraux qui, loin de découler de la liberté, ne peuvent relever que de la chair (5.15). Il trace alors un tableau général des œuvres vicieuses, afin qu’ils puissent s’y reconnaître et s’y juger ; et montrant qu’il y a antagonisme entre la chair et l’esprit, il leur prouve que s’ils étaient sous l’esprit, en dehors de la loi, ils produiraient les fruits qu’il énumère, car les chrétiens vivent par l’esprit ; il les exhorte donc à marcher selon cet esprit (5.16-25).
13 Pour vous, Frères, vous êtes appelés à la liberté, mais ne la tournez pas en occasion de vie charnelle ; assujettissez-vous au contraire les uns aux autres par la charité,
γὰρ ; d’habitude on commence une division principale à ce verset, mais il me semble qu’il se lie intimement à ce qui précède comme l’indique ce car ; en effet, « S’ils veulent se circoncire et se placer ainsi sous le joug de la servitude, qu’ils le fassent ; mais vous, ne soyez pas entraînés par leur exemple, car mes frères vous êtes appelés non à la servitude mais à la liberté ». Toutefois afin qu’on n’abusât pas de sa doctrine sur l’abolition de la loi pour tomber dans la licence, ou afin que ses adversaires ne pussent pas l’interpréter méchamment, il a soin d’ajouter : μόνον μὴ etc., seulement ; mais prenez garde. Il y a ici une ellipse comme on la trouve chez les auteurs profanes, ἔχητε ou τρέψητε est sous-entendu. (Voyez Arrien. Epict. 3, 24) —εἰς ἀφορμὴν pour occasion, pour opportunité. Ce mot souvent employé pour désigner le mauvais usage d’une bonne chose (1 Timothée 5.14 ; Romains 7.8), signifie ; Ce qui donne occasion et produit excitation pour faire quelque chose — τῇ σαρκί (Romains 7.18, ss. Galates 1.16 : 3.3). Encore un mot sur cette expression et sur ses sens dérivés. Chair, dit Olshausen, indique la substance matérielle en tant qu’elle est la hase de l’organisme vivant ; morte, elle s’appelle κρέας. Chair et os ensemble (σῶμα) ont souvent cette même valeur (Luc 24.39 ; Éphésiens 5.20). Ce sens fondamental est appliqué dans nos Saints Livres d’une double manière à des rapports spirituels. σάρξ signifie :
- l’enveloppe visible de l’âme, l’extérieur, la forme, comme la lettre est le corps de l’esprit, comme manifeste est l’opposé de caché (Romains 2.28-19 ; Colossiens 2.1, 5 ; Hébreux 9.10) ;
- le côté périssable de l’homme, opposé à son impérissable esprit, comme dans ces locutions : chair et sang (Matthieu 16.17 ; 1 Corinthiens 15.50 ; Éphésiens 6.12) ; toute chair (Luc 3.6 ; Jean 3.6 ; 1 Pierre 1.24).
Dans l’idée de caducité se trouve nécessairement renfermée celle de vitiosité puisque celle-ci est la cause de la première. La σὰρξ, surtout dans les Épîtres aux Romains et aux Galates, signifie cette vitiosité elle-même, comme dans ces mots : convoitises de la chair (Éphésiens 2.3 ; 1 Jean 2.18 ; 2 Pierre 2.18) ; intelligence de chair (Colossiens 2.18) ; corps de chair (Colossiens 2.11, etc.). Du reste il ne faut pas conclure, de cette façon de parler que les écrivains bibliques aient, voulu regarder le péché comme n’étant fondé que sur les penchants corporels, comme n’étant que la prédominance de la nature sensible ; loin de là, ce mot embrasse la vie psychique totale avec ses sens et son vouloir, car sans la ψυχή animatrice bien distincte toutefois du πνεῦμα, la chair ne peut pas pécher. — Ainsi : Le christianisme est un état de liberté ou d’affranchissement par rapport au joug des cérémonies de la loi, et comme chrétiens vous êtes appelés à jouir de cette indépendance, mais n’abusez pas de cette liberté pour servir les désirs de la chair et pour la dénaturer en licence ; — ἀλλὰ, au contraire — δουλεύετε, servez. Il emploie ce mot pour faire contraste avec celui de : liberté(1 Corinthiens 9 ; 1 Pierre 2.16 ; 2 Pierre 2.19). Au principe égoïste et licencieux de la liberté charnelle, il oppose celui du dévouement réciproque par l’amour, car ce verbe signifie : faire ce qui plaît aux autres, les servir, leur être voué, dévoué. Chrys., Théodor., Théophyl., ont pensé que ces exhortations au sacrifice se rapportaient aux dissidences que les vains docteurs avaient excitées parmi les Galates ; en effet, les uns cédaient à l’erreur judaïsante, et les autres fiers de leur indépendance regardaient les faibles avec orgueil ou peut-être même les injuriaient, ce que le v. 15 autorise à croire. Paul alors leur fait comprendre en quoi consiste la liberté chrétienne ; il la traduit lui-même par ces mots : « Mais servez-vous les uns les autres par amour », de sorte que la liberté est identique au dévouement fondé sur l’amour. Examinons ce neuf et profond enseignement. Comme nous le disions plus haut, le premier besoin de toute force est de se développer selon ses lois. Ce déploiement réalisateur a deux faces ; d’après la première, cette force doit être et rester le plus que possible en dehors de toute contrainte extérieure désorganisatrice qui viendrait l’asservir et finalement la nier ; d’après la seconde, il faut qu’elle se meuve en elle-même, qu’elle fonctionne dans son cercle vivant et propre d’une manière conformé à sa nature, à ses lois, à ses facultés, à son but. Dans le nombre des forces créées par Dieu, les unes ont reçu le don de se voir, de se savoir, et dans cette conscience d’elles-mêmes celui de déterminer leurs mouvements et leurs actions, celui de se posséder, de se diriger ; c’est là ce qu’on peut appeler la liberté abstraite. Mais que sera la liberté réelle, agissante, morale ? Sera-ce le pouvoir et l’acte de cette force de s’annuler, de se nier dans ses évolutions, soit 1° en se plaçant elle-même sous l’action et la domination d’agents extérieurs contraires à ses lois, soit 2° en fonctionnant dans la sphère de ses facultés sous l’inspiration d’influences négatrices de sa nature, de ses lois, de ses capacités et de son but ? Ou bien sera-ce la puissance et l’acte permanents de se poser et de se maintenir force, d’accomplir sans fin ni cesse ses impérieuses et constitutives exigences, de réaliser sa règle fixe, sa loi inflexible, son devoir organique, essentiel, et de perpétuer en elle sans solution de continuité, un état de possession normale, de détermination régulière et d’obéissance voulues et dues à la loi morale, contre les envahissements neutralisant et les chocs hostiles, despotiques et désorganisateurs du dedans et du dehors ? La question ainsi posée, la réponse ne saurait être douteuse. Évidemment la liberté ne peut pas consister dans le pouvoir et l’acte de choisir entre le bien et le mal moral, de se déterminer contre soi-même, d’agir contre sa nature, ses lois, ses facultés, son but, de diminuer en soi la vie ou en un mot de se suicider, mais dans le pouvoir et l’acte de l’homme de révéler son être pur et véritable par le vouloir et l’effet, ou de vouloir et d’agir conformément et non contradictoirement à son essence ; la liberté est une perpétuelle obéissance. Le christianisme ne s’en tient pas à ces généralités ; Paul entend par liberté, ainsi que l’indique le mot servir, un état d’âme, un mode très précis et très concret d’être, de rester et d’agir ; une action continue de notre force spirituelle en harmonie avec ses lois ; cela étant, deux manières contraires de sentir, de vouloir et de pratiquer, l’une selon le bien et l’autre selon le mal, ne peuvent exister simultanément dans l’âme, et comme en raison de leurs antipathies mutuellement négatives elles ne peuvent constituer à elles deux la liberté morale par égale coopération, il s’en suit que l’un des deux états étant le véritable, le normal ou le libre, l’autre doit être le faux, l’anormal ou l’esclave. Elle est donc fondée, cette philosophie religieuse du christianisme qui nous enseigne que l’homme vertueux est seul libre et que les vicieux sont esclaves (Jean 8.32-36 ; Romains 6.17-18 ; 8.2) ; que la liberté véritable consiste dans un accroissement positif et fécond de la vie morale, dans un sentiment progressif de notre dépendance permanente et totale à l’égard des lois éternelles du monde moral, dans un dévouement incessant de la force ou du moi à sa règle ou à son devoir, dans une identification du sujet et de l’objet. Cela étant, comme la loi morale suprême est l’amour, nous concevons comment l’apôtre a pu définir la liberté : un dévouement réciproque inspiré par l’amour. C’est ainsi que l’Évangile entend la liberté et en fait la puissance sociale par excellence.
14 car toute la loi est contenue dans ce seul précepte : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ;
Les uns donnent au verbe πληρόω le sens de : est contenue, résumée (Synonyme, Romains 13.9) ; d’autres, celui de : est accomplie avec exactitude et plénitude (Matthieu 3.15 ; 5.17 ; 22.39-40 ; Romains 8.4 ; 13.8 ; Colossiens 4.17). Les mots « en un seul précepte » semblent favoriser le premier sens. Le passage cité se trouve Lévitique 19.18 ; Matthieu 7.12 ; 19.19 ; 22.39-40 ; Marc 12.31 ; Romains 13.9 ; Jacques 2.8). — Tu aimeras πλησίον tout homme (Matthieu 19.19 ; Romains 13.10 ; Éphésiens 4.25). — Comme toi-même ; ces mots employés pour définir et préciser l’amour du prochain indiquent non tant la force que la pureté de cet amour (dit Olshausen sur Matthieu 22.39), car celui qui ordonne de haïr sa propre vie (Luc 14.26) ne peut pas faire du faux amour-propre la règle de l’amour du prochain. Dès lors le véritable amour du prochain témoigne aux autres ce qu’il se fait à lui-même, c’est-à-dire, qu’il hait le mal dans le prochain aussi bien qu’en lui-même, et qu’il n’aime en soi-même comme dans les autres que ce qui est de Dieu. L’amour pur, d’après la parole de l’Ecriture « Haïssez le mal et aimez le bien (Amos 5.15 ; Romains 12.9) », a en soi l’élément du sérieux aussi bien que celui de la douceur. — La description que Paul nous donne de l’amour (1 Corinthiens 13.4-7 ; Romains 12.9-21), nous le montre comme la source de la patience, de la bonté, de l’humilité, de la joie, de la bienveillance, de la douceur et de toutes les vertus, comme le principe dissolvant de tous les vices et comme le lien de la perfection (Colossiens 3.14) ; dès-lors il est à juste titre le plérôme de la loi (Romains 13.8-10). En effet l’amour chrétien n’est pas un précepte mais un élément vivifiant, un dynamisme divin, la vie éternelle en nous, un reflet dans l’âme, de cette perfection qui porte Dieu constamment à rouloir avec efficacité le plus grand bonheur de ses créatures, parce qu’il est (1 Jean 4.16) amour pur, désintéressé, universel, actif, persévérant, immuable. Aussi lorsque cet inépuisable amour commence à se verser dans un cœur, il y produit un accomplissement toujours plus pur, plus universel, plus actif, plus persévérant et plus immuable de la loi, car l’amour étant progressif dans l’homme, l’accomplissement de la loi le devient aussi. Comme le monde et l’homme qui est dans le monde ne sont que par l’amour, Dieu aussi ne demande qu’amour, et c’est ainsi que l’amour est le plérôme de la loi. Rien n’est au dessus de lui, car Dieu est amour, et personne ne peut aimer hors de Dieu ou à coté de Dieu, mais seulement en Dieu. — Pour aimer véritablement les âmes, dit saint Augustin, il faut les aimer en Dieu, parce qu’elles sont errantes et muables en elles-mêmes, et qu’elles sont fixes et immobiles en Lui de qui elles tiennent toute la solidité de leur être et sans qui elles s’écouleraient et périraient. Ne les aimez donc qu’en Dieu, et entraînez vers Lui avec vous toutes celles que vous pourrez en disant : Voilà celui qui doit être l’objet unique de notre amour. Il n’est pas éloigné de nous, car il ne s’en est pas allé après avoir créé toutes choses ; mais étant toutes procédées de Lui, elles sont toutes demeurées en Lui. Si on le cherche, on le trouvera dans le fond du cœur (Confess., liv. iv, ch. xii). C’est encore Augustin qui a si bien dépeint l’un des traits de la nature merveilleuse de l’amour dans ces mots : Amor cum redditur, non amittitur, sed reddendo multiplicatur.
15 mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres.
δάκνετε, mordre ; poursuivre quelqu’un de son envie, l’accabler d’injures, d’outrages, de calomnies. Xénophon, Cyrop. i, 4, 13 ; iv, 3, 2 — κατεσθίετε (passage semblable dans Plutarque, adv. Colot. c. 30) proprement : consumer en mangeant, dévorer ; puis, faire une grande injure, perdre quelqu’un (2 Corinthiens 11.20) ; mot hébreu synonyme, Psaumes 27.2 — ἀναλωθῆτε être consumé. Il y a gradation dans cette nerveuse et concise description des effets des disputes : Si vous vous mordez et vous mangez les uns les autres, prenez garde, vous vous consumerez mutuellement.
16 Marchez donc par l’esprit et vous n’accomplirez pas les convoitises de la chair ; 17 car la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair, et il y a lutte réciproque entre ces choses afin que vous n’accomplissiez pas ce que vous voulez.
πνεύματι περιπατεῖτε ; synonymes : marcher selon l’esprit ; penser les choses de l’esprit ; être dans l’esprit (Romains 8.1, 4, 9) ; être conduit par l’esprit v. 14 (Galates 5.18) ; στοιχεῖν πνεύμ.. (Voyez être né de l’esprit Jean 3.6.) Quel ques exégètes voient ici dans le mot esprit subjectivement appliqué « la condition interne de l’âme qui a été régénérée par l’Esprit-Saint ; la nature supérieure qui dans l’homme est le siège de ce nouvel état ; le νοῦς, l’homme intérieur animé par l’Esprit divin ». Ils disent que dans ce passage l’esprit étant opposé à la chair, et la chair étant de l’homme, l’auteur a dû vouloir aussi parler de l’esprit de l’homme, ce que paraît confirmer le combat de la chair et de l’esprit dont il est parlé v. 17, comparez avec les parallèles Romains 7.18-23 ; 8.1-7. D’autres dont l’opinion est bien résumée par Néander pensent que dans tout le chapitre comme dans toute la lettre il faut maintenir et appliquer la même idée touchant l’esprit, et adopter celle « d’Esprit-Saint objectivement pris » ; ils s’appuient sur le v. 18 et sur la description des fruits de cet esprit en disant que celui de l’homme ne le produit pas de lui-même et de sa propre nature, mais seulement parce qu’il est l’organe de ces vertus que Celui de Dieu peut seul enfanter ; d’ailleurs, ajoute-t-on, lorsque Paul encourage l’homme au combat et veut lui inspirer confiance, il ne l’adresse pas à l’élément subjectif humain, mais à la force toute-puissante de Dieu. Le v. 17 n’est pas contraire à cette explication, car Paul y désigne l’esprit comme une puissance qui à pénétré l’individualité humaine, comme un principe de vie qui a attiré et pris à soi la nature de l’homme et y a formé et organisé une animation particulière et nouvelle. — Pour nous, il nous semble que ces deux esprits, le subjectif et l’objectif, sont inséparables parce qu’ils sont également nécessaires en fait d’expériences chrétiennes. Car d’une part, comment l’homme pourrait-il marcher selon l’esprit de Dieu, s’il n’était pas par le sien propre en communication avec cet esprit ? si son organe spirituel n’était pas là comme capacité ardente et analogue pour recevoir et s’assimiler le rayonnement du Soleil d’en haut ? et de l’autre comment l’homme pourrait-il marcher selon son esprit, selon la conscience religieuse pure, dans un sentiment constant de dépendance et d’obligation envers son Père, s’il n’était en union permanente avec Lui, si Dieu ne se communiquait pas à Lui en versant dans son cœur sa connaissance vivifiante et son amour ? Ces deux actes ne peuvent pas être disjoints dans la vie d’une âme fidèle. « Marchez (ce mot relève la coopération de l’homme dans l’ensemble de ses fonctions spirituelles) ayant pour guide les lumières du πνεῦμα divin qui ne peuvent vous éclairer qu’en se répandant dans votre πνεῦμα humain créé par Dieu pour les recevoir ». — καὶ τελέσητε, et vous n’accomplirez pas, etc., synonyme : faire la volonté de la chair (Éphésiens 8.4) ; marcher selon la chair (Romains 8.4) ; penser les choses de la chair (Romains 8.5) ; faire les désirs de la chair (Jean 8.44) ; désirs charnels (1 Jean 2.16 ; 1 Pierre 2.11). Il est clair en effet que la marche de l’homme par l’esprit étant une direction positive de tout son être vers Dieu et une victoire progressive sur le péché, elle doit renfermer et développer un affranchissement parallèle du joug des convoitises charnelles qui constituaient la direction pratique de l’homme loin de Dieu, vers le moi et le monde, et la réalisation progressive du péché. C’est l’explication que donne le v. 17 et qu’annonce γὰρ, car ; la chair étant le moi égoïste et l’esprit l’abnégation du moi, ils se posent comme deux pôles, l’un de la mort, l’autre de la vie ; aussi la lutte entr’eux est-elle inévitable ! — ταῦτα, etc., ces choses sont opposées et leurs tendances sont contradictoires — ἳνα μὴ, afin que ; les paroles qui suivent cette conjonction ont été torturées de beaucoup de manières, voici le sens qui nous paraît le plus simple : ces tendances sont ainsi fortement antagonistes, afin que par cette guerre, bien tranchée vous puissiez distinguer nettement ce qui est de l’esprit et ce qui provient de la chair ; afin que vous n’accomplissiez pas ce que vous voulez selon le moi de la chair, c’est-à-dire, les volontés terrestres, mais ce que veut l’esprit en vous, c’est-à-dire les volontés spirituelles. Nous prenons donc le mot vouloir dans le sens de : volonté charnelle (Jean 8.44 ; 1 Timothée 5.11).
18 Mais si vous êtes dirigés par l’esprit vous n’êtes plus sous la loi.
« Mais si vous êtes mus, dirigés par l’esprit, tous n’êtes plus sous la loi ». En effet, à celui dont l’intérieur est intimement uni à la législation par excellence, à l’ordre spirituel et vivant, qu’est-il besoin de pédagogue (Galates 3.19, 24 ; 4.1 ; 1 Timothée 1.9 ; Romains 7.6) ? Lorsque le principe divin s’est assis dominateur au centre de l’âme, et là qu’il réunit et concentre en son pouvoir toutes les forces et tous les organes, alors le moi égoïste désorganisé d’abord et puis transfiguré successivement par la vertu divine, passe sous l’empire de cette liberté spirituelle glorieuse et ferme dans laquelle se meut l’esprit divin qui le possède, et la loi cesse d’être pour lui une lettre, un commandement extérieurement posé et imposé, un ordre oppressif étranger à sa volonté, un joug pesant qui donne la mort (Romains 7.5-6 ; 2 Corinthiens 3.6-7 ; Romains 2.29). L’esprit étant la loi vivante ou la vie selon l’ordre, l’homme qui en est possédé est nécessairement un avec la loi ; il y a en lui pleine réconciliation et unification de l’objet et du sujet, de la loi et du moi ; dès-lors il n’est plus sous les coups de la loi, mais il est avec elle ; elle est en lui et il est en elle ; les deux ne font plus qu’un.
19 Or les œuvres de la chair sont manifestes ; les voici : adultère, impudicité, débauches immondes ; 20 idolâtrie, magie ; inimitiés, contentions, jalousies, colères, disputes, discordes, sectes, 21 envies, meurtres, ivrogneries, gloutonneries et choses semblables dont je vous prédis comme je l’ai déjà fait, que ceux qui les pratiquent n’hériteront pas le royaume de Dieu ;
Voici les œuvres de la chair (Romains 1.29 ; 2 Corinthiens 12.20 ; 1 Corinthiens 6.9-10 ; 3.3 ; Éphésiens 5.3-5 ; Colossiens 3.5 ; Jacques 3.14 ; Matthieu 15.19 ; Marc 7.21). — πορνεία débauche et adultère ; union charnelle en dehors du mariage ; liaisons illégitimes (Matthieu 15.19 ; 5.32). — ἀκαθαρσία tout plaisir charnel illicite ; toute volupté impure, surtout souillure mutuelle des mâles (2 Corinthiens 12.21 ; Romains 1.24 ; Éphésiens 4.19). — ἀσέλγεια, lascivité effrontée qui a dépouillé tout sentiment de pudeur ; débauche effrénée dans les discours, dans les gestes, etc. ; infâmes débordements (Romains 13.13 ; 2 Corinthiens 12.21 ; Éphésiens 4.19 ; 2 Pierre 2.7, 18). Voilà les voluptés charnelles exposées dans leur gradation ; elles commencent dans le mystère avec les femmes et se continuent de même à travers les hommes pour éclater au grand jour, sans honte, sous toutes les formes, par toutes les impudeurs. — εἰδωλολατρία, idolâtrie (1 Corinthiens 10.14 ; 1 Pierre 4.3). Les Hébreux donnaient le nom de libertinage au culte des idoles et à toute apostasie du vrai Dieu (Ézéch. ch. 16, 22, Osée ch. 3), et de fait chez les païens le culte de certaines divinités était une immoralité organisée, une frénésie des sens. Voilà pourquoi l’idolâtrie est immédiatement placée après les dégradations physiques ; elle était une dégradation de l’âme et un libertinage de l’esprit s’échauffant et se consommant dans les sens. — φαρμακεία a diverses significations ; médecine, potion dangereuse, poison, sortilège, maléfice. Cet emploi criminel de choses pharmaceutiques était alors très répandu d’après les témoignages de Suétone, Nerva 33, 34, 35 ; Tibère 73 ; Claude i ; de Tacite, Annal. 12, 66 ; de Valère Maxime 2, 5, 3 ; de Pline, Epist. 7, 6. — Magie, prestiges, fascinations au moyen des démons (Hérod. 7, 114 ; Apocalypse 9.21 ; 18.23 ; Exode 7.11-12. Septante, Ésaïe 47.9,12). Dans ce passage des Septante, les magiciens et les enchanteurs sont appelés φὰρμακους. Les arts de Circé sont désignés par ce nom, Aristoph., Plutus, vers 302. Justin Martyr joint les mots ἐπορκίστης, ἐπάστης et φαρμακεύτης Apolog. 1, p. 45. Les Latins employaient aussi le mot veneficium pour incantationes, Cicer., Catil. 2,1 ; Ovid. Heroid. 6, 19 ; Hist. nat. de Pline, 18, 6. — Nous lisons dans Dézobry que les Chaldéens étaient les devins qui avaient le plus d’influence parmi les hautes classes et auprès des hommes ambitieux, tels que Catilina, Antoine, Octave, Agrippa. Ils étaient aussi les devins de prédilection de femmes. La race des devins était très nombreuse ; beaucoup étaient ambulants, parce qu’ils étaient mendiants, exploitant les campagnes et les dupes. Il y avait aussi des devineresses magiciennes. Le peuple allait aux sortilégi, espèce de devins qui trouvaient auprès des masses une immense crédulité. — Ce passage de l’idolâtrie à la magie est très fondé, car dans l’Ancien Testament les arts magiques sont toujours joints à l’idolâtrie (Deutéronome 18.10 ; Exode 22.17), et dans les Actes, ils sont enveloppés, tels qu’on les pratiquait dans l’Asie mineure, dans une même proscription avec le culte des idoles (Actes 19.19). Dézobry nous donne encore pour raison que l’art des mages consistait particulièrement dans certains sacrifices ayant pour but de modifier la destinée, de donner à chacun des vertus surnaturelles. — Cette union entre la magie et l’idolâtrie est inévitable ; celle-ci sous toutes ses formes est le repoussement de Dieu et la déification du moi humain et du monde ; dès lors l’idolâtre conséquent avec lui-même doit se croire possesseur et jusqu’à un certain point modificateur de sa destinée par lui-même et par l’emploi des forces du monde ; il doit se poser arbitre de son sort, dispensateur des vertus célestes au moyen de ses propres forces combinées avec celles de la création ; il doit se croire et se constituer magicien. — L’idolâtrie, la superstition, voilà le second degré de l’abaissement de l’homme ; ici encore il y a gradation dans ces deux vices, car d’après ce que nous venons de dire on entrevoit sans peine que la magie ne peut subsister que là où il y a idolâtrie, qu’elle est et ne peut qu’être la conséquence de celle-ci. — Il y a aussi un certain ordre rationnel de génération dans ces deux, dégradations générales ; le culte des sens, l’exaltation de la chair, l’apothéose de la volupté et la déification du moi détruisent nécessairement l’idée le sentiment et le fait de la foi, de l’amour et de l’adoration de Dieu et enfantent l’idolâtrie. Un homme qui obéit à sa conscience morale et à sa nature spirituelle ne peut tomber dans ces monstrueuses aberrations religieuses ; l’idolâtrie est un enfant de la chair et du sang, un produit impur des impuretés de la vie, de réchauffement et de l’enivrement des passions. — La corruption religieuse est le fruit de la corruption personnelle et nous ne chûtons à l’égard de Dieu qu’après notre propre déchéance ; alors se produit une troisième dégradation relative à la société ; nos rapports avec nous-mêmes et avec Dieu étant viciés ces deux désordres enfantent inévitablement celui de nos relations avec nos semblables ; quand on n’est dans l’ordre et dans la paix ni avec soi-même ni avec Dieu, comment peut-on l’être avec les autres nous-mêmes qui sont aussi des enfants du même Dieu ! — ἔχθραι inimitié qui éclate en paroles et en actes (Luc 23.12). — ἔρεις, zèle des rixes (Philippiens 1.15) ; altercations (1 Corinthiens 1.11). — ἔχθραι, jalousie ; envie qui enfante la haine (Jacques 3.14, 16 ; Actes 5.17 ; Romains 13.13). — θυμοὶ, colère, éclats de colère (Luc 4.28 ; 2 Corinthiens 12.20). — ἔριθείαι de ἔριθος homme mercenaire ; œuvre, travail de l’homme mercenaire ; soif du lucre ; ambition, brigues, intrigues, factions ayant leur source dans un amour-propre véhément (Romains 2.8 ; 2 Corinthiens 12.20 ; Philippiens 1.16 ; 2.3 ; Jacques 3.14, 16). — διχοστασίαι, discordes (Romains 16.17 ; 2.3 ; 1 Corinthiens 3.3), soit dans la famille, soit dans l’Église. — αἱρέσεις, sectes qui naissent des dissensions (1 Corinthiens 11.19 ; Actes 5.17 ; 15.5). — φθόνοι, envies, φόνοι, meurtres. Il y a là paronomasie. — μέθαι et κῶμοι (Romains 13.13), débauche, banquets lascifs et luxurieux tels qu’ils étaient chez les Grecs et les Romains, dans les jours de fête, à l’honneur de quelque divinité, de Bacchus par exemple. Ils étaient publics ou privés, et allaient jusque bien avant dans la nuit, suivis de pompes solennelles et de courses nocturnes. On voyait alors des hommes ivres qui ornés de couronnes couraient dans les rues, avec des armes, des flambeaux, des instruments de musique, chantant, criant, sautant et troublant la tranquillité publique. — καὶ τὰ, etc., et choses semblables. Telles sont les lésions profondes que l’empire de la chair fait à la vie sociale. C’est un venin qui éclate d’abord en inimitiés, en colères, en haines, en combats d’homme à homme, mais qui par ces attaques et ces brèches individuelles multipliées se généralise et se transforme en plaie sociale, prenant pour point de mire l’exploitation de la société entière par brigues et déchirements ; de là les discordes, les dissensions et les meurtres. Ainsi marche et fait son œuvre de mort, le principe égoïste ; il se déroule haineux sur la société jusqu’à ce que l’enlaçant tout entière de son atmosphère désorganisatrice, il fait jouer sur une vaste échelle, ses ressorts destructeurs, son drame furieux et sanglant où tout s’entrechoque, s’attaque et se déchire. Tel est l’enchaînement générateur que nous croyons apercevoir dans cette énumération des œuvres mauvaises ; la chair commence et achève ; tout part d’elle, se meut en elle, et finit en elle, par elle et pour elle.
22 mais le fruit de l’Esprit est : charité, joie, concorde, longanimité, humanité, bonté, fidélité, douceur, continence ;
καρπὸς, fruit, désigne des choses vraiment utiles, salutaires, dignes de louange (Éphésiens 5.9 ; Romains 1.13 ; 6.22 ; 15.28 ; Philippiens 1.11,22 ; 4.17). Le mot œuvres exprimant la sécheresse légale et un caractère extérieur, Paul qui aime à faire passer dans les mots l’opposition des pensées, a choisi à cet effet l’expression fruit qui réveille l’idée d’une germination intérieure, d’une florescence vivante mieux en harmonie avec le travail intime de l’esprit. — ἀγάπη l’amour, chœur et reine des vertus (Romains 13.10 ; 1 Corinthiens 13.4 ; Colossiens 3.14) — χαρὰ, joie opposés à envie ; sympathie qu’excite la vue des avantages des autres, dit Winer ; sérénité d’esprit que donne la vraie piété à travers les vicissitudes de la vie, selon Schott (1 Thessaloniciens 1.6 ; Romains 14.17). Cette joie divine de l’homme sur lui-même et sur ses semblables ne peut jaillir que de l’amour. — εἰρήνη, opposé à disputes, à divisions et à sectes ; c’est ici la concorde et non la tranquillité intérieure déjà exprimée dans la joie ; d’ailleurs les vertus qui suivent harmonisent bien avec la concorde. — μακροθυμία opposé à jalousie ; patience à supporter les injures qui retient la colère et le châtiment (Romains 2.4 ; Éphésiens 4.2 ; Colossiens 3.12 ; 1 Pierre 3.20) ; c’est l’ἀνοχή (le support ou la bonté qui diffère la punition) continuée, persévérante ; longanimité, clémence. — χρηστότης, appliquée à Dieu (Romains 2.4) ; aux hommes (2 Corinthiens 6.6 ; Colossiens 3.12) ; bonté qui rend aimable, qui se montre facile à pardonner et prompte à secourir les affligés, mansuétude, bénignité. Ce mot n’ a été employé que par les Septante et les Pères ; on ne le trouve dans aucun auteur grec. — ἀγαθωσύνη, zèle de bien faire envers les autres ; bénificence, bonté. — πίστις, vertu de l’homme qui dit vrai et qui garde ses promesses ; fidélité, véracité (Romains 3.3 ; Tite 2.10 ; 1 Timothée 4.12 ; 6.11 ; Matthieu 23.23). — πρα"ύτης opposé à colère ; douceur, mansuétude envers les autres qui remet tout-à-fait la peine, tandis que la longanimité finit par punir (1 Corinthiens 4.21 ; 2 Corinthiens 10.1) — ἐγκράτεια, opposé à impureté ; continence qui domine les appétits déshonnêtes (Actes 24.25 ; 2 Pierre 1.6). — On peut aussi trouver une enchaînement réel entre les vertus chrétiennes ici énumérées. C’est d’abord comme racine de ces vertus, l’amour, cette vue idéale, cette contemplation lumineuse, cet embrassement ardent et ce puissant vouloir de bonheur auxquels l’âme chrétienne se livre envers l’humanité ; le reflet de cette ravissante perspective et de ces jets brûlants de l’âme aimante dans son propre sein et dans son intime conscience constituent la joie ou le retour sur lui-même de l’amour satisfait, heureux de ses visions sublimes et de ses conceptions splendides d’ordre et de félicité. Cet amour universel, idéal, avec la joie personnelle qui l’accompagne, sort de l’enceinte de l’âme pour s’appliquer aux dissonnantes réalités du monde et pour se réaliser en les redressant ; il se pose puissance sociale, force réconciliante, et dissout les disputes d’homme à homme, les divisions nationales et les scissions religieuses en ramenant la concorde et la paix entre tous, car il inspire support et longanimité envers les jalousies et les injures ; mansuétude et bénignité envers les fautes et les misères des hommes. Zèle ardent pour le bien de tous, il fonde parmi eux à l’encontre du mensonge ce meurtrier de la vérité, cette cause de tant de dissensions et de maux, la fidélité, fidélité à la vérité et aux promesses ou la foi publique, ce nerf si puissant de la vie commune ; et comme la perfection n’est pas de la terre et que des vices peuvent encore se manifester malgré la puissance régénératrice de toutes ces vertus, il inspire la douceur qui voile, qui corrige, qui pardonne et porte ainsi le dernier coup aux disharmonies de la vie sociale. Dans l’énumération des œuvres mauvaises, nous avons vu la liste des dégradations qu’elles produisent fermées par un retour à la dégradation charnelle qui en est le commencement et la fin ; ici aussi, Paul termine la belle chaîne des vertus qui dissolvent les vices de la société par cette vertu qui comprime et extirpe les vices charnels, foyer de tous les autres, par la continence, car par l’absence de la chasteté, la corruption physique avait entraîné toutes les autres sur ses pas. — Nous répétons ici volontiers cette vérité pleine d’à propos et qui ressort de ce qui précède, savoir que la régénération sociale ne peut être que l’effet coordonné, de la régénération personnelle.
23 à l’égard de ces choses il n’est pas de loi ;
κατὰ τῶν, etc. En prenant cette préposition dans le sens de contre, on a alors : Contre ces choses il n’y a pas de loi, c’est-à-dire, l’homme spirituel ne fait pas des choses honteuses auxquelles seules la loi est contraire, mais des choses honnêtes auxquelles elle n’est pas opposée ; ou bien encore : Si la loi a pour but d’être contre les œuvres de la chair, lorsqu’on fait les fruits de l’esprit on n’a plus de relation avec elle ; il n’y a pas de loi contre les vertus chrétiennes. On peut aussi traduire κατὰ par : à l’égard de, quant à (voyez Winer et Bretschneider) ; et dire : A l’égard de ces vertus il n’est pas de loi ; ce qu’on appelle loi n’a rien à faire ici, tandis qu’elle a tout à faire relativement aux œuvres de la chair ; en effet la loi n’ayant que le but négatif de réprimer les éclats de la volonté pécheresse, comme il n’y a rien à réprimer dans le πνεῦμα, elle n’a rien qui le concerne ; c’est ainsi qu’Œcuménius a dit : Celui qui marche selon l’esprit n’a pas besoin du pédagogue de la loi ; il est plus élevé qu’elle. Avec ce sens qui nous paraît préférable Paul conclut par une vérité qu’il avait émise avant qu’il exposait les œuvres de la chair et les fruits de l’esprit : « Si vous êtes dirigés par l’esprit, vous n’êtes plus sous la loi », et cette identité de sens devient une raison pour admettre la seconde explication.
24 or les chrétiens ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises ;
δὲ, or, particule qui continue le raisonnement. — οἱ τοῦ, etc. (Voyez Galates 3.29, sur cette locution). — τὴν σάρκα etc., ont crucifié la chair. Ce verbe plus caractéristique que mourir, indique un rapport avec la crucifixion de Christ. — παθήμασιν etc., affection, excitation forte et vive du sentiment ; passion ; ici passions pécheresses à cause du mot chair (Romains 5.6), c’est-à-dire, manifestations du vieil homme à travers tous les organes de la nature humaine spirituelle et physique. — Qu’est-ce qui détruit la vie en Dieu, la vraie vie spirituelle ? L’égoïsme et l’orgueil avec leurs convoitises ou la chair. Pour rétablir l’harmonie de l’âme avec Dieu, que faut-il faire ? anéantir le péché, crucifier la chair. La mort est sous deux faces le salaire du péché, puisque celui-ci la donne et la reçoit par cela même à son tour ; en effet le péché, diminution véritable de la vie, sort de la mort pour y aboutir à travers des ruines, et forme un cercle de néant où il s’enlace et se dévore lui-même. — Mais comment les chrétiens ont-ils crucifié le péché ? Pour eux la mort de Jésus est la mort même du péché ; en effet, le péché atteint son apogée d’action dans le fait de cette mort ; on y voit la concupiscence des yeux, de la chair et l’orgueil de la vie dans leurs plus colossales proportions ; la chair sous ses formes impie, impure, égoïste s’exalte dans toute sa délirante et satanique grandeur contre le pur des purs, le juste des justes ; la haine, le vice, la licence, les ténèbres, l’égoïsme, qui forment une mort croissante, y sont aux prises avec l’amour, la sainteté, l’obéissance, la lumière, le dévouement et la vie ; Jésus la substance même de toutes ces divines réalités s’expose volontairement à la rage de l’hydre du péché aux cent têtes, il souffre son action diabolique, il entre dans sa passion ; mais le péché impuissant à le séduire et à le vicier, retomba refoulé, de chute en chute, dans son propre néant, et atteint ainsi dans cette défaite son apogée de vidité, car sous toutes ses formes il est positivement vaincu de la manière la plus concrète et dans le plus réel des combats par la substance vie, amour, sainteté, lumière, dans la personne de J. C. Dans cette lutte gigantesque, divine et diabolique, l’action positive du bien triomphe de la passion du mal ; l’esprit y consume la chair qui se suicide de ses propres mains. Cette crucifixion souveraine et universelle du mal par l’homme type et chef étant une fois fixée comme fait spirituel et historique dans le sein de l’humanité, le chrétien qui s’unit à Jésus par la foi s’incarne spirituellement avec la vie historique et toute la chaîne des destinées de son Sauveur, et pour parler de la phase biographique qui nous occupe, il meurt avec son Sauveur, comme son Sauveur, avec son esprit et pour sa cause. Dans son amour pour Jésus il puise une immense haine contre toutes les causes de la douloureuse passion de son Christ, crucifiant à son tour en lui le péché qui a crucifié son céleste Ami ; il se plonge et s’absorbe dans les souffrances et dans les causes, dans la nature, dans le but, dans les triomphes et dans les gloires de cette mort ; vivant en Christ, un avec Lui, il s’assimile par le cœur, par l’intelligence, par la volonté, par toutes les sympathies saisissantes de son âme aimante et fidèle, cet esprit de vie, de sainteté, d’amour, qui dans sa lutte avec le péché fit éclater sur le Golgotha tant de puissance, il l’aspire, il en vit, et alors s’opère aussi positivement sur le Calvaire de son âme que sur celui de Jérusalem, le supplice et la mort de la chair, la crucifixion, et le suicide du péché qui vivait en lui. — Qu’on n’oublie pas qu’il n’est question que d’une crucifixion spirituelle, d’une mort intérieure, d’un travail consumant et transfigurant de l’esprit de vie contre celui de la mort ; élevons-nous au-dessus de toute compréhension crasse et judaïque de la mort de J. C. pour la contempler et la bénir, moins dans ses accidents corporels et dans ses circonstances humaines finies, terrestres, que dans la beauté céleste et la force infinie de sa valeur spirituelle, et dans la gloire de l’amour et de la sainteté dont elle est la vive splendeur. — Rappelons-nous aussi la forme active, ont crucifié, afin de ne pas perdre de vue que la volonté humaine vivifiée par l’énergie divine, coopère avec elle à cette vivifiante crucifixion. Ce sens spirituel est confirmé par le verset suivant.
25 si nous vivons par l’esprit, marchons donc selon l’esprit.
Si nous, chrétiens, avons crucifié la chair (ou synonyme), si nous vivons à l’esprit — ζῶμεν πνεύματι, opposé à : vivre dans la chair ; être tenu, possédé, dirigé par l’esprit divin ; faire de cet esprit l’aliment de notre âme. — Le verbe στοιχῶμεν égal à περιπατ. (Actes 21.24 ; Romains 4.12 ; Philippiens 3.16 ; Galates 6.26) suivi du datif signifie primitivement « conformer sa course à une certaine règle », et par extension « vivre » parce que la vie est comparée à une course : « Si nous vivons à l’esprit, marchons, vivons selon l’esprit, obéissons-lui, et exprimons par les actions une meilleure vie. »