Julien l’Apostat, qui fut empereur romain de 361 à 363, le mieux doué et le plus acharné de tous les anciens ennemis du christianisme, essaya, mais en vain, avec la triple autorité de sa position, de son talent et de son exemple, de rétablir le culte idolâtre dans l’empire. Son règne passa comme le fantôme nuageux d’une vision, sans laisser de traces ; on en tira seulement cette importante leçon que le vieux paganisme était mort sans retour, et qu’aucune puissance au monde ne pouvait arrêter la marche triomphante de la religion nouvelle.
Dans son ouvrage contre le christianisme, où il avait réuni toutes les objections antérieures en y mettant son esprit sarcastique, voici ce qu’il dit du Christ, comme nous, le lisons dans son adversaire Cyrille, évêque d’Alexandrie, Contre Julien, IV, page 191 :
« Après avoir persuadé quelques-uns d’entre vous, ô Galiléens (c’est ainsi qu’il appelait les chrétiens par mépris), Jésus a été glorifié pendant les trois cents ans qui viennent de s’écouler, quoiqu’il n’ait rien fait dans sa vie qui fût digne de gloire, à moins qu’on ne tienne pour une merveille de guérir des paralytiques et des aveugles, et d’exorciser des possédés dans les villages de Bethsaïde et de Béthanie. »
Certes, c’est assez amer et assez dédaigneux ; et cependant Julien accorde au Christ le pouvoir d’opérer des miracles. Mais ces miracles, qui ont tous un caractère hautement moral et bienfaisant, sont un argument en faveur de la sainteté du Christ et de l’origine de sa personne. Le savant et sagace Lardner, dans sa Crédibilité de l’histoire biblique, éditée par le Dr Kippis, à Londres, 1838, vol. VII, p. 628, a fait sur ce passage les excellentes réflexions qui suivent :
« 1° Cela s’appelle reconnaître simplement la vérité de l’histoire évangélique, quoique Julien ne cite pas tous les grands faits que Jésus a accomplis, et ne nomme pas tous les lieux où ils l’ont été.
2° Il reconnaît que Jésus a été glorifié pendant trois siècles et plus. Or, cette glorification se fondait sur les œuvres que Jésus avait faites durant sa vie. Ces œuvres ont été racontées par ses disciples, qui en avaient été les témoins oculaires, et la tradition s’en était propagée et transmise depuis l’origine du christianisme jusqu’au temps de Julien.
3° Guérir des paralytiques, des aveugles et des malades affectés d’autres souffrances que l’on attribuait communément aux mauvais esprits, ne serait-ce pas de grandes œuvres ? Tout homme impartial et intelligent doit tenir ces guérisons, accomplies en un clin d’œil comme c’était toujours le cas dans la vie de notre Seigneur, pour de grandes œuvres, plus grandes même que de fonder des villes, d’établir une vaste monarchie, ou de soumettre des nations entières par des massacres, en y employant les moyens ordinaires de la conquête, quoiqu’on ait regardé de telles choses comme plus dignes d’être racontées et expliquées par les historiens.
4° S’il n’y en eut que peu qui crurent en Jésus aussi longtemps qu’il fut sur la terre, il ne faut pas l’attribuer au défaut de preuves décisives. Il y en avait, paraît-il, de suffisantes pour convaincre des gens de mauvaise vie, des péagers et des pécheurs, comme les appellent les Evangiles, ou les pires des hommes, comme vous dites. Mais il se trouva aussi quelques disciples sérieux et pieux, réfléchis et scrutateurs, comme Nathanaël, Nicodème et d’autres, qui arrivèrent à la foi complète, quoiqu’ils eussent été quelque temps remplis de préjugés contre Jésus. Il y eut même des hommes plus mauvais que ceux que vous appelez les plus mauvais : je veux dire des scribes et des pharisiens pleins d’orgueil, de ruse et d’ambition, qu’aucune preuve raisonnable, quelque claire et quelque forte qu’elle fût, ne put amener à admettre des principes religieux qui heurtaient leurs intérêts mondains. »
Le même auteur, après un examen attentif de tous les arguments de Julien contre la religion de la Bible et le caractère du Christ et des apôtres, pèse, d’une manière habile et avec exactitude, leur valeur comme témoignages involontaires et inconscients en faveur de la vérité et de la crédibilité de l’histoire évangélique :
« Julien, dit-il, comme doit l’avouer tout homme qui a lu les extraits de ses écrits que nous avons rapportés, est un témoin très précieux, de la vérité des livres du Nouveau Testament. Il accorde que Jésus est né sous le règne d’Auguste, au temps du recensement de Quirinius en Judée, et que la religion chrétienne naquit et se répandit sous les empereurs Tibère et Claude. Il atteste l’authenticité des quatre évangiles de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean, ainsi que des Actes, et il semble vouloir indiquer, par la façon dont il les cite, que c’étaient les seuls récits historiques reconnus par les chrétiens comme faisant autorité, et renfermant des données authentiques sur le Christ et ses apôtres, aussi bien que sur les doctrines enseignées par eux. Il reconnaît qu’ils ont été composés à une époque tout à fait rapprochée des faits ; il argumente même en faveur de cette opinion. Il cite aussi les Actes des apôtres et les épîtres de Paul aux Romains, aux Corinthiens, aux Galates, ou y fait au moins des allusions évidentes. Loin de nier les miracles du Christ, il admet que Jésus a guéri des aveugles, des paralytiques, des démoniaques, qu’il a apaisé des tempêtes et calmé les flots de la mer. Sans doute, il essaie d’amoindrir ces œuvres, mais en vain ; on ne peut échapper à la conséquence qui en découle : c’est que de telles œuvres prouvent une mission divine. Il s’efforce aussi de diminuer le nombre deos premiers croyants, et cependant il accorde qu’il y en avait des multitudes en Grèce et en Italie, avant que saint Jean écrivît son évangile. Il voudrait bien encore amoindrir et rapetisser la position morale et sociale des premiers chrétiens, et cependant, il reconnaît qu’en outre des serviteurs et des servantes, Corneille, centurion romain à Césarée, et Serge Paul, proconsul de Chypre, furent convertis à la foi avant la fin du règne de Claude. Souvent il parle, avec une grande indignation, de Pierre et de Paul, ces deux éminents apôtres de Jésus, et ces prédicateurs si bénis de l’Evangile. C’est ainsi que, en somme et sans le vouloir, il a rendu témoignage à beaucoup de faits rapportés par les écrits du Nouveau Testament. Son dessein était de renverser la religion chrétienne, et il n’a fait que la raffermir. Les arguments qu’il met en œuvre contre elle font pitié, et ne suffisent pas à ébranler même les plus faibles des croyants. Il rejette, et à bon droit, des choses que les confesseurs de la foi, soit de son temps, soit avant lui, introduisirent dans la religion chrétienne ; mais il n’a fait aucune objection de quelque importance contre le christianisme lui-même, tel qu’il est contenu dans les écrits authentiques et primitifs du Nouveau Testament. »