Le concile avait décrété, dans sa quarantième session générale, que la réformation de l’Église dans son chef et dans ses membres se ferait sur le plan arrêté par le collège réformatoire, et, quelque désir qu’eût le pape d’éluder les réformes, il était difficile qu’il n’en fît au moins quelques-unes. Le collège réformatoire avait terminé ses travaux ; toutes les nations, hormis les Italiens, murmuraient des lenteurs du pontife ; les Allemands avaient reconnu la faute grave qu’ils avaient commise, et ils présentèrent un vigoureux mémoire pour les réformes les plus urgentes ; enfin, la chrétienté était dans l’attente ; que dirait-elle si le concile était dissous avant d’avoir rempli l’un des principaux objets pour lesquels il avait été convoqué ? Toutes ces raisons parlaient haut et devaient suffire ; mais il y en avait une plus cachée, qui seule peut-être, mieux que toutes les autres ensemble, agit avec force sur l’esprit du pontife.
Benoît XIII, abandonné de tous et protestant seul contre le concile sur son rocher de Péniscole, était pour Martin V un grave sujet d’inquiétude. Les Espagnols étaient mécontents, la fidélité du roi d’Aragon peu éprouvée ; le schisme pouvait renaître, une étincelle le ranimer, et le refus du pape en être cause.
Il ne voulut pas donner ce plausible prétexte à son ennemi ; il rédigea lui-même un projet de réforme en seize articles, basé en grande partie sur le mémoire des Allemands, et le présenta au concile en janvier 1418, avec l’apparence d’un zèle sincère, sauf à l’ajourner ou à le rendre inutile par des manœuvres ultérieures et secrètes. Pour apprécier comme il convient les réformes qu’il accomplit, il faut connaître celles que proposa le collège réformatoire.
Trois cardinaux et quatre députés de chaque nation, prélats ou docteurs, composaient ce collège, qui entra en fonctions le 15 juin 1415, et qui prolongea ses travaux durant plus de trente mois. La qualité de ses membres et le temps qu’il mit à son œuvre sont une double et suffisante garantie, non du soin qu’il prit de n’oublier aucune réforme utile, mais de la nécessité absolue de celles qu’il proposaa.
a – Les pièces originales d’après lesquelles sont extraites les résolutions du collège réformatoire ont été tirées des manuscrits de la bibliothèque de Vienne par le docteur Von der Hardt. On les trouve énumérées dans l’Hist. du Conc. de Const., par Lenfant, t. II, p. 309 et suiv.
Le collège réformatoire embrassait, dans son vaste plan, les conciles, le pape, la cour de Rome, les prélats, les ordres religieux, le clergé inférieur et les séculiers dans leurs rapports avec l’Église.
Il proposa ce qui suit :
1° Conciles et synodes : Tous les trois ans au moins on assemblera des conciles provinciaux ; ils dureront huit ou dix jours ; les métropolitains et les évêques s’y trouveront, sous peine d’être privés de leur juridiction et de leurs revenus ; tous les ans des synodes d’évêques seront réunis et dureront au moins cinq jours. Si les archevêques et les évêques négligent de convoquer dans le terme prescrit ces conciles et synodes, ils rendront compte au concile général, qui pourra les priver de leurs charges.
2° Le pape : Le pontife romain ne décidera rien d’important sans le conseil des cardinaux, et en certains cas il attendra la décision d’un concile général. Il ne prendra le titre de très-saint que s’il se montre tel par une conduite irréprochable. Il peut être déposé par un concile œcuménique, non seulement pour hérésie, mais aussi pour simonie et pour tout autre crime notoire et dont il aura été averti solennellement : il le sera s’il se montre incorrigible, un an après l’avertissement qui doit lui être donné par les deux tiers des cardinaux assemblés en collège, ou par trois nations soumises à trois rois différents.
3° Cardinaux : Il n’y aura que dix-huit cardinaux ; ils seront distingués par leur savoir, par leurs mœurs, par leur expérience ; ils n’auront pas moins de trente ans… ils ne seront ni alliés ni parents d’aucun cardinal vivant, jusqu’au deuxième degré inclusivement ; ils ne seront point pris parmi les ordres religieux, hormis un seul. Leur élection se fera au scrutin et par examen public approuvé et souscrit par la majorité des cardinaux.
4° Officiers de la chancellerie et de la chambre apostolique : Leurs charges sont spécifiées, leur nombre est fixé par le collège réformatoire.
5° Réservations : Elles seront abolies ; il est défendu à perpétuité aux papes de se réserver les dépouilles des évêques et les revenus des bénéfices pendant les vacances, aussi bien que les procurations ou provisions destinées aux évêques pendant qu’ils visitent leurs églises. Le collège casse toutes les concessions par lesquelles la collation des bénéfices vacants avait été réservée à la chambre apostolique au préjudice de ceux qui avaient le droit d’en disposer. Si la cour de Rome n’exécute point ce décret il convient qu’elle soit suspendue de ses pouvoirs jusqu’à la restitution et que ses officiers soient excommuniés ipso factob.
b – Le collège ne fit pas mention des réserves mentales des papes parmi les collations des bénéfices, parce qu’elles ne furent inventées que plus tard, sous Jules II et Léon X. (Fra Paol., Hist. du Conc. de Trente, liv. viii.)
6° Dispenses : Les papes ne dispenseront plus à l’avenir les évêques et les abbés élus de prendre les ordres dans le terme de trois mois prescrit par le droit canon, si ce n’est de l’aveu de la majorité des cardinaux ; et quant aux dispenses d’âge pour les ordres, elles ne seront point étendues au delà de trois ans ; les dispenses accordées aux enfants pour avoir des évêchés et d’autres dignités ecclésiastiques seront regardées comme nulles. Les évêques et les abbés n’auront qu’un évêché ou qu’une abbaye ; le pape ne les dispensera point de la résidence.
7° Justice ecclésiastique, appels à Rome : Les papes n’empêcheront plus le cours de la justice ; ils ne prolongeront ni n’anéantiront les procès après qu’une affaire aura été jugée, à moins de causes très légitimes. Aucune personne ecclésiastique ou séculière ne sera citée en vertu d’un rescrit du pape hors des villes du diocèse dont il relève, si ce n’est dans les cas marqués par la bulle de Boniface VIII.
8° Décimes : Il est défendu aux papes de les imposer sans l’autorisation d’un concile général.
9° Exceptions, translations, cas réservés : Les papes n’exempteront plus ni les prêtres, ni les moines, de la juridiction des évêques, ni les évêques de celle des archevêques. Toutes exemptions pareilles accordées sans l’aveu des cardinaux sont cassées. Les translations des évêchés et bénéfices sont défendues. Les cas réservés au jugement du pape sont réduits à un fort petit nombre.
10° Simonie : Tout ecclésiastique, de quelque état, de quelque dignité qu’il soit, qui sera coupable de simonie, sera privé à perpétuité de ses charges et de ses bénéfices. Les laïques qui tomberont dans ce crime seront excommuniés ipso jure.
Les articles qui précèdent avaient particulièrement pour objet la réforme du pape et de sa cour. Le collège réformatoire s’occupa ensuite de la réforme des prélats, du clergé inférieur et des moines : il la prescrivit en une suite d’articles qui traitèrent en détail de l’élection des prélats, qui doit se faire librement par les chapitres, sans l’intervention du pape ou des puissances séculières ; de la capacité nécessaire pour obtenir des évêchés ou des abbayes ; du nombre des prébendes et de ceux qui y auront droit ; de la résidence, qui sera obligatoire ; des exactions des prélats et des chanoines sur le clergé inférieur qui seront sévèrement interdites, ainsi que l’assujettissement des abbés, des églises et des monastères à des services temporels, et les évêques ne lanceront plus l’interdit sur les lieux ou l’excommunication sur les personnes pour cause d’insolvabilité.
Le collège réformatoire règle ensuite la juridiction des évêques ; et d’abord il sépare la juridiction ecclésiastique de la juridiction civile, et distingue ainsi les causes dont les évêques doivent connaître. Ce sont :
1° Les causes bénéficiales quand même les laïques auraient droit de patronage : 2° tout ce qui concerne les personnes ecclésiastiques ou les biens d’Église, de quelque nature qu’ils soient ; 3° les causes matrimoniales, les dots et les dotations pour mariage ; 4° les causes des veuves, des pupilles et des pauvres ; 5° les hérésies, les schismes, et même les crimes publics quand ils sont impunis ou dissimulés par la justice séculière ; 6° les causes où cette justice est elle-même partie, ce qui se prouvera par le serment du demandeur en présence de deux témoins ; 7° toutes les causes civiles où les parties se soumettent volontairement au juge ecclésiastique ; 8° les crimes confessés devant le juge ecclésiastique, les legs et les dotations pour des usages pieux.
Le collège réformatoire règle, dans tous les cas susdits, la meilleure manière de rendre la justice. Le juge ecclésiastique absoudra gratis, et, s’il impose une amende, il emploiera cette somme à des usages pieux, sous peine de privation de ses charges et bénéfices. Les prélats, prieurs, archiprêtres et autres, ayant juridiction ecclésiastique, ne choisiront pour juges et pour officiaux que des gens habiles dans le droit, d’une probité reconnue, non mariés et non suspects par alliance ou parenté avec l’évêque.
Les synodes nationaux et provinciaux pourvoiront au maintien de la liberté ecclésiastique et de l’union entre les prélats. Il est défendu à ceux-ci d’entreprendre aucune guerre à moins qu’ils n’y soient obligés par l’autorité de leurs souverains ou que l’offenseur n’ait pu être ramené par la voie de la justice et des censures ecclésiastiques.
Le collège réformatoire porte ensuite toute son attention sur les mœurs des prêtres ; il prescrit aux évêques de surveiller les coupables et de les punir. Tout prêtre concubinaire perdra ses bénéfices si dans l’espace d’un mois il ne renvoie sa concubine ; les enfants des prêtres ne seront point reçus aux ordres ; ils ne posséderont ni bénéfices ni prébendes, à moins d’une dispense du siège de Rome pour motif extraordinaire.
La résidence est ordonnée aux curés ; ils conserveront toujours l’habit ecclésiastique, et nul ne sera curé dans une paroisse s’il n’en parle pas la langue.
Le collège règle ce qui touche l’état des chanoines, leur âgec, leurs revenus, le mode des élections ; il casse tous les serments injustes imposés comme la condition du choix qu’on aura fait d’eux. Si les évêques ont eu le malheur d’en prêter de semblables ils ne seront pas tenus de les observer. A la mort d’un évêque les chanoines ne s’empareront ni de ses meubles, ni de ses joyaux, ni de son argent.
c – Le collège décide qu’ils n’auront pas moins de dix-huit ans.
Le clergé unissait sa voix à celle des laïques pour dénoncer la corruption presque générale des moines, et des conflits d’autorité s’élevaient perpétuellement entre eux et les prêtres séculiers : le collège réformatoire les soumit à des règlements sévères. Il casse d’abord toutes les exemptions accordées depuis le schisme aux monastères et à toute maison religieuse sans le consentement des ordinaires : il prescrit aux moines sous de fortes peines d’observer leur institut, et de s’en tenir aux trois choses essentielles, l’obéissance, la charité et la pauvreté ; il ordonne la convocation régulière des congrégations capitulaires dont l’objet est la visite et l’inspection des couvents ; il défend de recevoir personne dans les couvents à moins d’un vœu perpétuel. Les moines et les chanoines réguliers ne régiront point de paroisse en commende hors du territoire de leur monastère, et ne s’établiront sous aucun prétexte pour juges entre les séculiers. Le collège casse les privilèges accordés à quelques abbés de porter la mitre, le bâton pastoral, la crosse, l’anneau et les sandales ; ce privilège n’appartient qu’aux évêques.
Quant aux pouvoirs ecclésiastiques des moines, le collège rappelle la bulle de Clément V ; il défend aux religieux de confesser et d’administrer les sacrements sans une permission expresse du curé. Les supérieurs n’exigeront aucune rétribution pécuniaire des religieux, sous peine de l’excommunication, qui ne pourra être levée que par le pape, et à l’article de la mort.
Dans les ordres mendiants, les provinciaux seront choisis de préférence parmi les gradués, et chaque année ils assembleront leur chapitre.
Le collège règle ensuite ce qui touche l’état des religieuses, leur âge, leur conduite, leur vie en commun et la manière de les punir.
Puis, passant aux laïques, à leur égard il se montre préoccupé de la crainte qu’ils n’attentent aux privilèges, à la juridiction des ecclésiastiques et surtout à leurs biens. Lorsqu’un homme se présentera pour recevoir les ordres sacrés, le collège prescrit qu’on examine avec soin si cet homme, son père ou son grand-père, n’auraient point exercé ou sanctionné quelque violence contre les ecclésiastiques ou sur leurs biens, auquel cas il ne sera point admis sans une dispense du siège apostolique.
Si les seigneurs temporels veulent s’ingérer dans le jugement des causes matrimoniales ou mettre obstacle aux punitions spirituelles des crimes d’hérésie, d’adultère, de fornication, de parjure, d’usure, etc., il faut les avertir canoniquement, et, s’ils persistent, mettre l’interdit sur leurs terres.
Le collège réformatoire voulut encore faire cesser l’abus des consécrations de chapelles et les variations du canon de la messe ; il termina ses travaux par quelques règlements touchant les fêtes, dont il restreignit le nombre, les reliques, qu’il défendit d’exposer, et les quêteurs, qu’il réprima.
Il publia enfin sur les juifs un curieux décret : ces malheureux, s’ils demeuraient juifs, étaient en butte à d’affreux traitements à cause de leur religion ; et, s’ils se convertissaient au christianisme, ils étaient dépouillés de leurs biens, sous prétexte de donner satisfaction pour l’usure exercée par eux ou par leurs pères. Plusieurs voix généreuses s’étaient déjà élevées contre cet odieux usage ; Pierre d’Ailly surtout demandait qu’il fût aboli. Le collège réformatoire prit un moyen terme ; il reconnut l’abus, et ne l’extirpa qu’à demi. Son décret sur ce point est un triste monument des préjugés du temps ; il est ainsi conçu : « Lorsqu’un juif se convertira, il ne rendra que la moitié de ses biens, tant meubles qu’immeubles, en restitution des usures faites sur les chrétiens, et on lui laissera par aumône l’autre moitié, pour son entretien et pour celui de sa famille. »
Les actes du collège réformatoire étaient sérieux ; cependant ils ne donnaient aucune satisfaction au vœu des peuples, sur quelques points d’une importance capitale : ils se taisaient sur l’abus des excommunications, des interdits, des indulgences ; ils réglaient l’emploi des biens ecclésiastiques, mais ils n’en limitaient point les sources, bien qu’il fût de toute évidence que la corruption extrême du clergé naissait de l’excès même de ses richesses ; le collège réduisait le nombre des privilèges et des offices de la cour de Rome, mais il gardait le silence sur l’impôt qui alimentait son faste et qui excitait les plus vives réclamations des rois, des parlements et des églises ; cet impôt était celui des annates, que le concile maintenait tacitement ; il soumettait les moines à des règlements sévères, mais il ne faisait rien pour en restreindre le nombre, pour réprimer l’abus résultant des fondations trop multipliées, de nouveaux ordres et de nouvelles maisons religieuses. Enfin il assignait des bornes à la puissance du pape, mais au profit de celle des prélats ; il conservait à ceux-ci une juridiction d’une immense étendue, aux dépens de la juridiction séculière ; et, à une époque ou l’immortalité du corps épiscopal était reconnue comme si profonde et si générale, comment imaginer, qu’en des mains corrompues, un pouvoir sans limites serait sans danger ?
Le collège avait cru prévenir le mal en multipliant les précautions pour assurer la liberté dans les élections et le bon choix des électeurs ; mais dans un vaste corps qui ne rend compte qu’à lui-même, qui n’a aucune intervention étrangère à redouter, rien ne supplée au frein des mœurs, et, de toutes les corruptions, la plus incurable, peut-être, est celle d’un corps délibérant, lorsque ceux qui pourraient seuls la réprimer et la punir sont aussi ceux à qui elle profite.
Au lieu d’un maître absolu, l’Église se donnait dans les évêques une multitude de petits souverains presque indépendants ; elle tarissait une abondante source d’abus pour en alimenter plusieurs. Toutefois, dans les règlements du collège réformatoire, la simonie du haut clergé rencontrait de nombreux obstacles, et la licence du clergé inférieur de fortes entraves ; il y avait donc lieu d’espérer que, d’une part, la surveillance des synodes nationaux régulièrement convoqués, et d’autre part, l’utile balancement des pouvoirs entre les conciles et la cour romaine, feraient graduellement disparaître les plus criants abus, l’extrême immoralité, et, à tout prendre, il eût été difficile d’attendre beaucoup plus, quant aux réformes, d’une réunion d’hommes appartenant tous à l’ordre même qu’il s’agissait de réformer. Voyons maintenant ce qui fut obtenu.
Le collège réformatoire demandait moins que la chrétienté ; le concile, dans sa quarantième session, demanda moins que son collège, le pape offrit beaucoup moins encore, et il donna moins qu’il n’offrait : en fait de réformes, on voulait la réalité, on eut à peine l’ombre. Le projet présenté par le pape au concile dans les premiers jours de l’année 1418 n’embrassait guère que la réforme du haut clergé et de la cour romaine, et, sur la plupart des points, il affaiblissait les résolutions du collège réformatoire.
Le collège limitait le nombre des cardinaux à dix-huit : le pape le fixait à vingt-quatre ; le collège abolissait entièrement les réservations des bénéfices à la cour romaine : le pape en maintenait un certain nombre ; le collège laissait un libre cours à la justice des évêques, et n’entendait pas que leurs arrêts fussent détruits ou révisés par le Saint-Siège : le pape maintenait les appels à sa cour et spécifiait le cas où ils seraient admis ; le collège gardait le silence sur l’article des annates, dont les docteurs gallicans avaient demandé l’abolition formelle : le pape les maintenait en spécifiant sur quels biens elles seraient imposées ; le collège, d’autre part, bornait à un fort petit nombre les cas de conscience réservés à la décision du souverain pontife : le pape se taisait sur cet important article ; il promettait en revanche d’user avec modération du trésor des indulgences. En ce qui touchait les exemptions, les commendes, les dispenses et les décimes, le projet du pape était à peu près conforme à celui du collège ; mais sur le fait capital, sur celui qui autorisait à punir un pape infracteur des lois du concile, il y avait complète dissidence : le collège réformatoire spécifiait le cas où le souverain pontife pouvait être déposé ; le projet du pape n’en faisait aucune mention et n’admettait pas que cette déposition fût jamais légitime.
Quelque peu satisfaisant que fût le projet pontifical, le pape le trouva trop complet et il eut peur de son propre ouvrage. ; soit qu’il redoutât en le présentant à l’approbation de toutes les nations réunies, de contracter ainsi un engagement trop sérieux, soit qu’il craignît de provoquer de fâcheuses réclamations, il ne le soumit pas longtemps à une discussion générale. Il eut l’art de diviser les nations et de multiplier les difficultés lorsqu’il les assemblait. Il savait qu’il serait plus fort en traitant séparément avec chacune qu’avec toutes réunies ; il leur donna fort habilement à entendre qu’elles y trouveraient aussi leur avantage ; puis il retira son projet, et fit avec toutes, hormis avec les Italiens, des concordats séparés. Ceux-ci reproduisaient en partie, quant au fond, les principales dispositions du projet pontifical ; ils étaient à dessein très divers quant à la forme et à l’étendue.
Outre les concordats séparément passés avec les nations, Martin V publia quelques constitutions générales, obligatoires pour la chrétienté tout entière, et qu’il fit lire dans la quarante-troisième session générale. Elles annulaient les collations faites, les incorporations prescrites, les exemptions et les dispenses accordées d’une manière illégale durant le schisme ; elles interdisaient le costume séculier au prêtre, et abolissaient la levée des décimes sur le clergé, sauf le cas d’une nécessité extrême et avec l’autorisation des prélats du lieu ; enfin elles frappaient de peines sévères la simonie. Tout prêtre, fût-il pape, devait être excommunié ipso facto s’il recevait de l’argent pour conférer un bénéfice. Cette concession, grande en apparence, était en réalité illusoire : peu de jours auparavant, Martin V avait fait, dans un consistoire secret, une constitution perpétuelle par laquelle il n’était permis à qui que ce fût d’appeler du souverain pontife au futur concile. Ne reconnaître à personne le droit d’appeler de son jugement, c’était refuser à tous celui de le condamner.
[Voy. Gers. , Dialog. apolog., t. II, p. 390, et Tractat. quo mod. et an liceat in caus. fid. a sum. pontif. appel… t. II, P. 303. Gerson est le seul auteur présent au concile qui ait fait mention de cette constitution de Martin V. Il en parle dans son Dialogue apologétique, d’une manière peu précise ; mais ensuite, dans le traité qu’il composa pour la réfuter, son témoignage est formel et ne saurait être révoqué en doute.]
Le pape rendit enfin un dernier décret ainsi conçu : « Nous déclarons, par l’approbation du concile, que nous avons satisfait aux articles de réformation contenus dans le décret du 30 octobre 1417 par les décrets qui viennent d’être lus dans cette session, aussi bien que par les concordats que nous avons faits avec chaque nation en particulier. »
Le cardinal de Viviers déclara que le concile approuvait ce décret, soit qu’il l’eût consulté en effet, ce que les actes ne spécifient pas, soit, ce qui est plus probable, qu’il eût traduit le silence par l’approbation.
Tel fut l’insignifiant résultat de tant de puissants efforts. Le pape, en ne permettant pas que les articles touchant les réformes fussent librement discutés dans l’assemblée générale, parut concéder de sa propre volonté celles qu’il accorda. Il savait qu’une constitution octroyée n’a point la force de celle que consacre un contrat synallagmatique, et l’autorité qui donne abdique rarement le droit de retirer. En passant des concordats séparés avec toutes les nations hormis avec les Italiens, le pontife demeurait à peu près libre et absolu dans le pays où il était le plus intéressé à l’être ; il divisait dans le reste de l’Europe les intérêts et les causes des nations, et, selon que chacune se montrerait obéissante ou hostile, redoutable ou affaiblie, le pape se réservait de confirmer ses privilèges ou de les lui ôter sans que les autres fussent en droit d’en tirer avantage pour elles-mêmes ou de s’en plaindre.
Les réformes générales consenties pour tous les temps et pour tous les lieux étaient, comme on l’a vu, limitées à un très petit nombre de points, la plupart d’une importance secondaire. Quelques auteurs contemporains rappelèrent à cette occasion ce mot de l’Écriture : Ils ont coulé le moucheron et avalé le chameau, et ils en firent l’application aux réformateurs du concile.
Comment ceux-ci auraient-ils fait plus ? comment le concile aurait-il trouvé, après l’élection du pape, la force et la volonté nécessaires ? il en avait manqué auparavant, et maintenant il lui en aurait fallu davantage. D’ailleurs, au milieu de la corruption générale des doctrines et des mœurs, quel résultat espérer, dans un but évangélique, de projets où il était question de tout, hormis de l’Évangile, et quelles réformes sérieuses attendre d’une assemblée qui jetait au feu les véritables réformateurs ?