Le Seigneur n’a laissé planer ni doute ni incertitude sur un si grand mystère. Il ne nous a pas abandonné au risque de tomber dans l’erreur, si nous le comprenions de travers. Ecoutons-le révéler à ses Apôtres tout ce qu’il nous faut savoir pour le croire : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Mais bientôt, vous le connaîtrez et vous le verrez. Philippe lui dit : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. Jésus répondit : Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu, a vu aussi le Père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même, mais le Père qui demeure en moi accomplit lui-même ses œuvres. Croyez-moi : Je suis dans le Père, et le Père est en moi. Croyez-le du moins à cause de ces œuvres » (Jean 14.6-12).
Ainsi donc, celui qui est la Voie, ne nous conduit pas sur des sentiers sans issue eu dans un désert sans chemin ; celui qui est la Vérité, ne veut pas nous tromper par des mensonges ; celui qui est la Vie ne nous laissera pas dans une erreur qui aboutirait à la mort ! Lui-même s’est désigné par ces doux noms pour nous montrer que nous avons à le reconnaître comme étant lui-même la réalité mystérieuse qui nous obtiendra la vie ; en tant que Voie, il nous acheminera vers la vérité, et la Vérité nous établira dans la vie.
« Nul ne vient au Père que par moi ». Le chemin vers le Père passe par le Fils. La question est alors de savoir si nous allons au Père par l’attachement à l’enseignement du Christ, ou par la foi en sa nature divine, car nous pourrions croire possible d’arriver au Père plutôt par l’adhésion à la doctrine du Fils que par la reconnaissance en lui de la divinité du Père. Cherchons donc ce qu’il veut dire dans les versets qui suivent. La foi ne dépend pas en effet de notre propre jugement, mais elle prend on origine dans la puissance des paroles du Christ.
Or voici la suite de ce texte : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père ». On voit l’homme Jésus-Christ. Les Apôtres ont devant les yeux son aspect extérieur, c’est-à-dire sa nature d’homme, alors que Dieu, affranchi de toute chair, de tout corps, n’est pas discernable dans la misère d’un corps charnel ; comment donc le connaître est-il aussi connaître le Père ? Mais le Seigneur, tout en étant dans la réalité mystérieuse de ce corps qu’il, a pris, souligne que la nature divine qui lui vient de son Père, habite en lui ; et il le fait en gardant un certain ordre : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Mais bientôt vous le connaîtrez et vous le verrez » Le moment où on le voit est donc séparé du moment où on le reconnaît. Car il leur laisse entendre qu’ils ont à reconnaître celui-là même qui leur parle à présent et qu’ils voient ; ainsi, au moment précis où ils reçoivent cette révélation, il leur faut apprendre à reconnaître cette nature divine qui est en lui et dont naguère ils avaient déjà perçu les effets[43].
[43] Allusion aux miracles du Christ, qui pour Hilaire sont preuve de sa divinité.
Ces paroles auxquelles il ne s’attendait pas, troublent l’Apôtre Philippe. Il voit un homme, et cet homme s’affirme le Fils de Dieu ; il lui certifie que le connaître, lui, c’est connaître le Père ! Le Seigneur lui dit qu’il a vu le Père, et donc qu’il le connaît, puisqu’il l’a vu. La condition limitée de son être humain ne permet pas à Philippe de comprendre une telle affirmation qui par son étrangeté, ne le porte guère à la croire. Voilà donc maintenant qu’il lui faut connaître celui qu’il a vu, alors que voir quelqu’un, c’est le connaître. Et voilà que si le Fils lui était connu, il connaîtrait aussi le Père ! Mais c’est la vue et le toucher qui permettent de connaître le Fils en tant qu’homme ; or cette nature de l’homme qui tombe sous son regard, ne lui donne pas les moyens de connaître, à partir d’elle, la nature du Père qui en est si différente. Et d’ailleurs, le Fils a souvent affirmé que personne n’a vu le Père[44].
[44] Cf. Matthieu 11.27 : Jean 6.46.
Alors Philippe, avec l’impétuosité que permettaient la familiarité et la fidélité des Apôtres envers le Seigneur, interpelle son Maître : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit ! » (Jean 14.8). Non, ici la foi de l’Apôtre ne fléchit pas, et s’il prend une fausse piste, c’est le fait de son ignorance. Le Seigneur lui avait dit en effet, qu’il avait déjà vu le Père et qu’il le connaîtrait sous peu, mais l’Apôtre n’avait pas compris. C’est pourquoi il répond qu’il n’a pas vu le Père et demande au Seigneur de le lui montrer. Ce n’est pas qu’il désire le contempler de son œil corporel, mais il demande qu’on lui fasse comprendre qui est celui qu’il voit. Car il avait vu le Fils sous sa forme humaine, mais il ignore comment par là, il avait vu le Père. De fait, pour souligner que cette demande : « Seigneur, montre-nous le Père ! » exprimait plutôt un désir de comprendre que de voir, il ajoute : « Et cela nous suffit ». Il ne refuse pas de croire à la parole du Seigneur, il sollicite du Christ une lumière pour son intelligence dont tirerait profit la foi qu’il avait en la parole du Seigneur ; car puisque celui-ci avait parlé, on pouvait le croire en toute sûreté, sans l’ombre d’un doute. Or si Philippe avait fait une telle demande, c’est que le Seigneur lui avait certifié qu’il avait vu le Père et qu’il le connaissait, puisqu’il l’avait vu. Ce n’était donc pas déplacé, de la part de Philippe, de prier le Fils de lui faire reconnaître celui qu’il avait vu.
Le Seigneur répond donc à l’interrogation de Philippe : « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! » Il reproche à l’Apôtre de n’avoir pas reconnu celui qu’il fréquentait ; car il le leur avait dit plus haut : celui qui le connaît, connaît aussi le Père. Mais pourquoi ne le reconnurent-ils pas, lui qu’ils cherchèrent durant si longtemps. C’est que s’ils l’avaient reconnu, ils auraient reconnu en lui la nature divine du Père. En effet, toutes les œuvres qu’il avait faites étaient le propre de Dieu : marcher sur les eaux, commander aux vents[45] accomplir des choses impossibles à comprendre, telles que changer l’eau en vin[46] ou multiplier les pains[47] avec une foi capable d’accomplir des merveilles, mettre en fuite les démons, chasser les maladies, porter remède aux infirmités des corps, corriger les défauts de naissance, remettre les péchés, rendre la vie aux morts.
[45] Matthieu 14.25 et Jean 8.26.
[46] Cf. Jean 2.9.
[47] Cf. Matthieu 14.19.
Voilà tout ce que fait son corps de chair, et tout cela lui permet de se proclamer Fils de Dieu. De là son reproche et sa plainte : à travers la réalité mystérieuse de sa naissance humaine, on n’a pas perçu que c’était la nature divine qui accomplissait ces miracles au moyen de l’humanité assumée par le Fils.
Et voilà précisément pourquoi le Christ reproche à l’Apôtre de ne pas l’avoir reconnu, après l’avoir vu durant si longtemps accomplir ces merveilles. A ceux qui lui demandaient de lui montrer le Père, il répond : « Qui m’a vu, a vu aussi le Père » (Jean 14.9). Ces mots ne font pas allusion à une vue corporelle, à la perception des yeux de chair, mais à ces réalités dont il parlait lorsqu’il confiait à ses disciples : « Ne dites-vous pas : Encore quatre mois, et ce sera la moisson ? Or voici, je vous le dis : levez les yeux et voyez déjà les champs qui blanchissent pour la moisson » (Jean 4.35). Ce temps dont il est fait mention, ces champs qui blanchissent pour la moisson, ne sauraient s’entendre en un sens terrestre et matériel. Le Seigneur demande à ses amis de lever les yeux de leur intelligence pour contempler le bonheur parfait lors de la moisson finale[48].
[48] Allusion à la conversion des Gentils.
Il en est de même lorsqu’ici, il déclare : « Qui m’a vu, a vu le Père. » Ce n’est pas son corps de chair, enfanté par Marie, qui permettrait aux Apôtres de contempler en lui la forme et l’image de Dieu ; et l’aspect tout extérieur de l’humanité assumée par le Fils ne leur donne pas de voir, comme sur un écran, la nature du Dieu incorporel. Non, on reconnaît Dieu en lui, si on le reconnaît comme Fils, par les miracles dus à la puissance de sa nature divine. Et le reconnaître comme étant Dieu le Fils, amène à connaître aussi le Père. Car le Fils est image du Père au point de ne différer de son Père en aucune façon, mais d’être la figure de son auteur.
Car les autres images, faites de métaux, de couleurs, de formes ou de styles divers, reproduisent l’aspect des êtres qu’elles représentent. Mais pour qu’elles soient véritables, ne faudrait-il pas que ces figures inanimées, peintes, sculptées ou fondues, soient en tous points semblables aux êtres vivants naturels ? Or le Fils n’est pas une image du Père comparable à celles-ci : il est l’Image vivante du Dieu vivant, et, né de ce Dieu vivant, il n’a pas une nature différente de la sienne ; et puisqu’il lui est en tout semblable, il possède la puissance de cette nature qui n’est pas autre que la sienne.
Qu’il soit image, prouve donc que dans sa naissance, Dieu, ie Fils Unique, montre en lui Dieu le Père. Or il le montre en tant qu’il est lui-même la forme et « l’Image du Dieu invisible » (Colossiens 1.15) ; et s’il ne perd pas cette unité de nature qui le rend semblable au Père, c’est qu’il possède la puissance de la nature divine.
Tel est le sens de ce passage : « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu, a vu aussi le Père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? » (Jean 14.9-10).
Le langage humain, lorsqu’il veut parler de Dieu, n’a pas d’autre ressource que celle de citer la parole de Dieu. Toute autre expression est artificielle, limitée, embrouillée et obscure. Si quelqu’un veut expliquer le mystère de Dieu avec des mots différents de ceux que Dieu a prononcés, c’est que lui-même n’y comprend rien, ou alors, ceux qui le liront n’y comprendront rien !
Le Seigneur dit donc à l’Apôtre qui lui demande de lui montrer le Père : « Qui m’a vu, a vu le Père. » Libre à l’Antéchrist de modifier cette affirmation, libre au juif de la nier et au païen de l’ignorer ! Mais peut-être le sens de cette phrase est-il fautif ? C’est la faute de notre peu de foi, s’il demeure quelque obscurité dans les mots divins. Car le langage de Dieu ne laisse pas entendre un Dieu solitaire, et son affirmation nous enseigne cependant une même nature. En effet, on voit le Père dans le Fils, et il ne saurait y avoir ni un Dieu solitaire, ni deux personnes dissemblables, puisque c’est par le Fils qu’on voit le Père, et puisque dans l’affirmation de ce mystère, ils sont un, et non pas une personne unique.
Je te le demande : qu’a donc voulu préciser le Seigneur, lorsqu’il dit : « Qui m’a vu, a vu aussi le Père » ? Tu ne peux prétendre discerner l’identité des personnes, là où l’adverbe : « aussi » souligne que le nom du Père s’ajoute à celui du Fils. En disant : « Aussi le Père », le Fils rend inacceptable l’idée d’une personne solitaire et unique. Qu’en conclure, sinon qu’on voit le Père par le Fils, par suite de leur nature unique et semblable ? Et pour qu’il ne reste rien d’obscur en notre foi, le Seigneur ajoute : « Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père ? » En effet, comment ignorer le Père, ou même, il y a-t-il lieu de le montrer, puisqu’on voit le Père dans le Fils ?
Le Père est donc bel et bien vu dans le Fils par ce qui caractérise sa nature, au point que celui qui est né et celui qui engendre sont un en toute vérité. Voilà pourquoi le Seigneur continue : « Ne croyez-vous pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? » (Jean 14.10).
Il nous est impossible d’enseigner que le Père et le Fils sont inséparables par la similitude de leur nature, en utilisant d’autres mots que ceux qui sortent de la bouche du Fils. Car ici, le Fils qui est « La Voie, la Vérité, la Vie » (Jean 14.6), ne se moque pas de nous ; il ne joue pas la comédie en s’affublant d’un nom et d’un masque : s’il s’était appelé Fils de Dieu dans l’homme qu’il avait assumé, et si dans sa nature, il était Dieu le Père, il nous aurait menti, lui le Dieu unique et solitaire, en se trouvant maintenant dans un autre, par un travestissement de sa personne[49]. Non, il ne s’agit pas d’un Dieu solitaire qui ici se dirait Fils, et là se proclamerait Père, il ne se pare pas du nom de la nature divine sans jouir de cette nature.
[49] « Personali permutatione ». Le mot « personalis » est employé pour la première fois dans le traité.
Tout autre est le simple sens des mots : le Père est Père, le Fils est Fils. Mais dans ces noms, et dans les réalités qu’ils recouvrent, aucune innovation, aucune différence, aucune étrangeté. Car la véritable nature de Dieu conserve ce qui la caractérise, en sorte que si celui qui procède de Dieu vient de Dieu, sa naissance n’entraîne pour sa nature, ni amoindrissement, ni différence : car le Fils n’existe pas dans une nature extérieure ou autre que celle de Dieu le Père, et le Père ne communiqué pas au Fils Unique, en sa naissance, quelque élément étranger à lui-même, mais au contraire, il lui prodigue toutes les perfections qu’il possède, sans aucun dommage pour le donateur. C’est pourquoi le Fils n’est pas dépourvu de la nature divine, puisqu’il est Dieu, ne venant pas d’ailleurs que de Dieu. Il n’est pas différent de Dieu, puisqu’il n’est pas autre que Dieu ; c’est pourquoi la naissance de Dieu lui donne d’être dans la personne du Fils, et par la naissance de Dieu, celui qui est Dieu par lui-même ne perd pas sa nature divine.
Le Père est donc dans le Fils, le Fils est dans le Père, Dieu est en Dieu[50] : et ceci, non par une union de deux êtres du même sang qui s’assemblent, ni par la nature d’une entité implantée dans une autre bien disposée à la recevoir, car, de par les limites qu’impose la matière, des choses extérieures à d’autres ne peuvent leur devenir intérieures. Au contraire, Dieu est en Dieu par la naissance d’une nature qui est celle du Vivant, né du Vivant. La réalité est identique, la naissance n’altère pas la nature de Dieu, puisque le Dieu qui naît de Dieu n’est rien d’autre que Dieu, puisqu’il n’y a en eux, le Père et le Fils, rien de nouveau, rien d’étranger, rien de séparable, puisque c’est une impiété de les croire deux dieux, puisque c’est une irrévérence de présenter le Père et le Fils comme un seul Dieu solitaire, puisque c’est un blasphème de nier que le Dieu né de Dieu, soit un avec son Père par la similitude qui lui vient de sa génération[51].
[50] Cf. Jean 10.38 ; 14.11 ; 17.21.
[51] Hilaire vise ici le sabellianisme et l’arianisme.
Notre foi qui prend sa source dans l’Evangile, risquerait de percevoir ce mystère comme contestable ou sujet à plusieurs interprétations ; aussi le Seigneur expose-t-il sa doctrine d’une façon méthodique : « Ne me croyez-vous pas lorsque je vous dis que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; mais le Père qui est en moi, accomplit ses œuvres » (Jean 14.10). Dis-moi, d’autres paroles que celles-ci ont-elles pu, ou peuvent-elles souligner le caractère spécifique de la nature divine dans le Père et dans le Fils, et pourtant mettre pleinement en valeur le sens de la naissance du Fils ?
Par ces mots : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même », le Fils ne passe pas sous silence l’existence de sa personne, il ne nie pas être le Fils, il ne cache pas la présence en lui de la nature divine du Père. Car, puisque c’est lui qui parle, il parle tout en demeurant dans la substance de Dieu ; et puisqu’il ne parle pas de lui-même, il atteste en lui la naissance de Dieu engendré de Dieu le Père. Inséparable du Père, il lui est identique dans une seule nature, puisque le Père parle par sa bouche, mais que pourtant, c’est bien lui qui s’exprime. Car lui, qui ne parle pas de lui-même, mais qui, de fait, parle, ne peut pas ne pas exister, puisqu’il parle ; et puisqu’il ne parle pas de lui-même, il montre que ce qu’il dit n’est pas seulement ses propres paroles. Il ajoute en effet : « Mais le Père qui demeure en moi, accomplit ses œuvres. »
Que le Père demeure dans le Fils, est bien la preuve qu’il n’est pas solitaire et unique. Que le Père agisse par le Fils, est bien la preuve qu’il n’est pas différent ou autre. De même que le Fils n’est pas solitaire, puisque les paroles qu’il dit, il ne les dit pas de lui-même, ainsi le Père ne peut être autre et séparable du Fils, puisqu’il s’exprime par la bouche du Fils. Et voilà le mystère de ces deux qui sont un : chacun des deux n’est pas l’autre, eux qui sont l’un dans l’autre par le caractère spécifique de leur nature divine. Cette unité est leur unité : celui qui parle ne parle pas de lui-même, et celui qui ne parle pas de lui-même, n’est pourtant pas sans parler ! Puis, après nous avoir enseigné que le Père parlait et agissait en lui, le Fils affermit encore notre foi en cette unité parfaite par ces mots : « Mais le Père qui demeure en moi, accomplit ses œuvres. Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi. Du moins, croyez-le à cause de ces œuvres » (Jean 14.10-12). Le Père agit dans le Fils, mais le Fils, lui, accomplit les œuvres du Père.
Mais n’allons pas nous imaginer que le Père agit et parle dans le Fils, par l’effet de sa puissance et non pas en vertu de la nature divine qui revient en propre au Fils, du fait de sa naissance. Le Seigneur prévient cette erreur par ces mots : « Croyez-moi : Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean 14.11). Que veut donc dire, je te prie : « Croyez-moi ? » Assurément cette parole est à rapprocher de cette autre : « Montre-nous le Père » (Jean 14.8). Le Christ ordonne à ses Apôtres de le croire, ce qui raffermit leur foi, cette foi qui avait demandé à voir le Père. Car il n’avait pas suffi au Seigneur de dire : « Qui m’a vu, a vu aussi le Père » (Jean 14.9). Il va plus loin et affine notre intelligence : si nous reconnaissons le Père dans le Fils, souvenons-nous aussi que le Fils est dans le Père[52], pour n’avoir pas à supposer que l’un est dans l’autre par une translation plutôt que par l’unité d’une même nature, donnée chez l’un par la génération, reçue en l’autre par la naissance.
[52] Cf. Jean 10.30.
C’est pourquoi le Seigneur veut que nous croyons en lui, pour que la conviction intime de notre foi ne risque pas de chanceler en raison de l’économie de l’incarnation. Oui, si sa chair, son corps, sa Passion éveillaient quelque doute en notre esprit, croyons au moins, sur le témoignage de ses œuvres, que le Fils est Dieu en Dieu, qu’il est né de Dieu et que le Père et le Fils sont un : l’un est dans l’autre par la puissance de leur nature divine, et aucun d’eux n’existe sans l’autre ; et par ailleurs, le Père ne renonce à rien de ce qu’il possède du fait qu’il est dans le Fils, tandis que celui-ci reçoit du Père tout ce par quoi il est Fils.
Un tel état n’est pas l’apanage des natures corporelles : être réciproquement l’un dans l’autre, posséder l’unité parfaite d’une nature subsistante, et que le Fils unique et éternel soit inséparable de la vraie nature divine du Père. Non, il s’agit là d’un caractère propre à Dieu, le Fils Unique, et voilà en quoi consiste la foi dans le mystère de la véritable naissance ; c’est l’œuvre d’une puissance spirituelle qu’une personne soit dans une autre sans différer en rien. Or cette existence l’un dans l’autre n’est pas comme celle d’un corps dans un autre ; mais elle consiste plutôt à être et à exister de manière à être l’un dans l’autre en tant que personnes subsistantes ; et donc, le fait qu’une personne habite l’autre la fait exister. Car chacun des deux existe du fait que l’un n’est pas sans l’autre, puisque la nature de l’être qui existe est la même, qu’il s’agisse de celui qui engendre ou de celui qui naît.
Tel est le sens de ces textes : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jean 10.30), « Celui qui m’a vu, a vu aussi le Père », et : « Je suis dans le Père, et le Père est en moi » (Jean 14.9-10). Le Fils n’est pas différent ni inférieur au Père, la nature de sa naissance parfait le mystère d’une unique divinité dans le Père et dans le Fils, puisque le Fils de Dieu n’est pas autre que ce qu’est Dieu. Et dès lors, la génération du Fils ne saurait être regardée comme l’existence de deux divinités, car le Fils de Dieu, naissant en Dieu, manifeste en lui la nature du Dieu qui l’engendre.