Non seulement on voit un caractère fort extraordinaire et fort surprenant dans l’Écriture des Juifs, mais on y trouve les doutes de la raison éclaircis, et les mouvements de la conscience satisfaits ; et si la raison et la conscience viennent de Dieu, on aura de la peine à concevoir que la révélation des Juifs puisse avoir un autre principe.
L’âme de l’homme se plaint qu’on lui enseigne mille choses peu nécessaires : elle connaît les règles de l’éloquence, les maximes de la politique et de la jurisprudence, les lois de la guerre : elle n’ignore pas les beaux arts ; elle a pénétré dans les secrets des sciences ; et si elle ne connaît pas toutes ces choses à fond, elle en a une connaissance suffisante et assez proportionnée à son état. Mais elle ignore tout ce qui la regarde ; elle ne sait ni d’où elle vient, ni où elle va, ni qui l’a mise dans ce monde, ni pour quelle fin elle y est, ni quelle est l’origine de ce monde qu’elle habite ; elle trouve en elle-même des contrariétés incompréhensibles, un cœur rebelle à ses lois, une loi qui combat les penchants du cœur. Qui l’éclairera dans ces effroyables obscurités ? Tous les docteurs qu’elle consulte augmentent ses doutes par la manière douteuse et timide dont ils s’expliquent, par les contradictions dans lesquelles ils tombent, ou par l’extravagance de leur philosophie. Qu’elle consulte la révélation des Juifs, elle sera satisfaite.
La raison ne saurait se persuader qu’il y ait une éternité, ou, comme veulent quelques-uns, un nombre presque infini de siècles que la société des hommes subsiste. La nouveauté des arts et des sciences nous montrent la fausseté de ces opinions ; la révélation des Juifs vous enseignera la même chose.
La raison a beau étudier le mouvement de la matière, elle ne conçoit point et ne concevra jamais que le mouvement puisse produire la pensée, ou que la pensée puisse sortir du mouvement. Elle nous conduit à croire que ce qui pense en nous, est différent de ce qui est matériel ; que ce qui pense, n’ayant aucunes parties, ne saurait être dissous ; et que n’étant point d’une nature à être dissous, il est immortel ou incorruptible en soi. Lisez la révélation judaïque, elle vous enseignera que l’âme et le corps ont une source et une durée fort différente ; que l’un a été pris de la terre, au lieu que l’autre est venue de Dieu ; et qu’aussi l’une retourne à Dieu qui l’avait donnée, pendant que l’autre se résout en la terre, qui est son élément.
Notre raison et notre conscience nous enseignent que nous sommes méchants et corrompus, que Dieu n’est point l’auteur de cette malice qui viole la loi naturelle. Consultez l’Écriture des Juifs, elle vous apprendra plus distinctement toutes ces vérités.
La nature nous avait appris qu’il y a un Dieu ; que Dieu est juste, bon et sage ; qu’il y a une religion ; que la religion naturelle a Dieu pour son principe ; que cette religion est devenue inutile, les hommes s’étant corrompus et abandonnés à leurs propres égarements ; et que si Dieu a voulu se conserver quelques adorateurs dans le monde, il a dû se faire connaître une seconde fois, et ajouter une révélation à celle de la nature. Et qu’est-ce que l’Écriture des Juifs, si ce n’est une excellente confirmation de toutes ces vérités ?
La raison s’aperçoit de ses propres égarements, lorsqu’elle voit dans le paganisme l’abus prodigieux qu’elle a fait de ses lumières. La révélation judaïque corrige ces fausses idées, et cela par l’aveu des Socrate et des Platon, qui avaient puisé dans les livres des Juifs ce qu’il y avait de meilleur et de plus sain dans leur philosophie, comme les antiquaires l’ont tant de fois montré.
Il est certain que la nature, j’entends la nature raisonnable, nous porte à nous aimer nous-mêmes, à aimer le prochain, et à aimer Dieu. Celui qui a un cœur doit sentir toutes ces vérités. La corruption avait mis le dérèglement dans l’âme des hommes, à ces trois égards : il s’aimaient mal, c’est-à-dire, par rapport à de faux biens ; ils aimaient mal le prochain, ne s’unissant avec lui que par intérêt, par politique ou par crainte ; ils n’aimaient point Dieu, puisqu’ils ne le connaissaient point, par malice, ou que le connaissant, ils ne voulaient point le glorifier. Considérez la révélation judaïque ; elle remédie à tous les désordres ; elle nous apprend à nous aimer comme il faut, puisqu’elle règle les désirs et les prétentions de l’amour-propre par la justice et par la tempérance ; elle condamne les mauvais principes de l’union que nous avions avec les autres, comme l’injustice, l’intérêt, etc., et elle nous oblige à nous attacher à eux par la charité, qui est le lien le plus solide de la société humaine ; enfin, elle nous commande d’aimer Dieu par-dessus toutes choses, de tout notre cœur, de toutes nos forces, et de tout notre entendement ; et par là elle établit solidement le principe général de nos devoirs, coupe la racine à tous les vices, et produit l’âme de toutes les vertus.
Chaque chose a sa fin et son centre. Le centre où aboutissent toutes les vues de la politique, c’est le bien et la prospérité de l’État. Le centre où aboutissent toutes les passions humaines, c’est le plaisir, qui se diversifie en une infinité de manières. Le centre où aboutissait la théologie des païens, était de flatter l’homme, en lui montrant des divinités faites comme lui. Mais le centre où aboutissent toutes les idées, tous les exemples, tous les préceptes, toutes les histoires, toutes les exhortations contenues dans l’Écriture des Juifs, c’est la véritable piété et la gloire de Dieu.
Or, ce qui montre mieux que c’est un caractère incontestable de sa vérité, c’est qu’il se trouve que la fin de l’homme est la même que celle de la religion judaïque, et la fin de la religion judaïque la même que celle de l’homme.
Cet homme ne peut être fait que pour satisfaire sa cupidité dans le monde, ou pour s’acquitter de ses devoirs : il n’est point destiné à satisfaire sa cupidité, puisque celle-ci s’attache à deux objets généraux, qui ne répondent ni l’un ni l’autre à sa destination. Ces deux objets sont le plaisir et la gloire : le premier est double. Il y a le plaisir des sens et le plaisir de l’esprit. Bien loin que l’homme ait été fait pour goûter le plaisir des sens, on peut dire que le plaisir des sens se rapporte lui-même à la conservation de l’homme, étant évident que Dieu n’a attaché le plaisir au manger et au boire, qu’afin que nous réitérions l’usage des aliments qui nous nourrissent, et que l’autre espèce de plaisir sensuel se rapporte à la propagation du genre humain. Pour le plaisir de l’esprit, c’est une espèce d’encouragement, la satisfaction qu’une bonne action nous inspire nous animant à pratiquer constamment la même vertu, comme chacun le conçoit sans peine.
L’amour naturel de l’estime a été mis dans notre cœur pour nous empêcher de nous associer avec les bêtes, et pour nous porter aux actions louables ; et personne ne dira qu’il enferme la dernière fin de l’homme, la nature elle-même, qui nous apprend à cacher le désir que nous avons d’être estimés, nous faisant assez connaître que nous sommes destinés à autre chose.
Cependant le plaisir et la gloire sont les deux biens généraux, qui sont l’esprit et le sel de tous les autres par rapport au cœur des hommes ; ou plutôt qui font ce que nous appelons, dans l’idée confuse, le monde, étant certain que les objets de la terre ne paraissent sous la forme de biens qu’autant qu’ils sont agréables ou glorieux, ou qu’ils sont le fondement de la gloire et du plaisir, tels que sont la vie et la santé.
D’où il est aisé de conclure que le monde, qui fait le but de la cupidité, ne fait pas celui de l’homme ; ou, si vous voulez, que la cupidité n’est qu’un dérèglement de notre âme, qui met la fin où il fallait mettre le moyen, et le moyen où il fallait mettre la fin.
Les hommes se ravalent avec trop d’indignité, lorsqu’ils ne voient point que le monde est pour eux, sans qu’ils soient eux-mêmes pour le monde, et qu’ils ne doivent point faire leur centre et leur dernière fin de ce qui tend uniquement à les réveiller ou à les conserver, tels que sont le plaisir et la gloire.
Cependant ce désordre était devenu général. Les stoïciens eux-mêmes, qui faisaient profession de s’élever au-dessus des autres par la sublimité de leur morale, allaient d’autant plus finement à l’estime et à la considération, que c’était par le mépris même de l’estime et de la considération qu’ils y allaient. Que si l’on considère le désintéressement d’un Caton, qui sacrifiait tous ses plaisirs au bien de sa patrie, jusqu’à laisser croître sa barbe, marcher toujours pieds nus, manger debout, et ne vouloir point coucher dans un lit, aussitôt qu’il vit la république troublée par les guerres de César et de Pompée, on trouvera d’abord quelque chose de beau et d’héroïque dans cet exemple. Mais considérez à qui c’est que cet homme donnait ses soins et ses inquiétudes, et vous verrez que c’est à un corps d’injustes et de tyrans, qui tendaient à s’élever sur les ruines des autres nationsa. Qu’importe donc de tendre soi-même au plaisir et à la gloire comme à sa dernière fin ou de donner tous ses soins à un corps de personnes qui ne tendent à autre chose ?
a – Plutarc. in Vita Mon.
Il est donc vrai que les hommes s’étaient fait une dernière fin qui n’était point leur dernière fin. Jamais livre ne les avait désabusés véritablement à cet égard. Jamais docteur n’avait entrepris de corriger ce désordre. Jamais les hommes n’avaient bien conçu qu’il fallût aller plus avant ; ils croyaient qu’il fallait tout donner à leur intérêt. Ceux qui s’élevaient un peu davantage faisaient profession de rapporter tout au bien de l’État : l’amour de la patrie était le grand principe qu’ils affectaient de suivre, encore qu’il ne fût ordinairement qu’un chemin plus sûr et plus couvert, que l’amour-propre prenait pour aller à la considération, à la gloire et aux dignités. Quelques-uns ayant voulu s’élever jusqu’à aimer la vertu pour elle-même, en ont fait l’idole de leur orgueil.
L’Écriture des Juifs seule entre toutes les écritures qui eussent jamais paru, s’élevant en effet au-dessus des passions, nous enseigne que tout doit se rapporter à la gloire de Dieu ; que la politique doit être soumise à la religion, et non la religion à la politique ; que la vertu se rapporte à la divinité, et non la divinité à la vertu ; que la fin de chaque homme est celle de la société, et la fin de la société celle de chaque homme, qui consiste à glorifier son auteur.
Qu’on philosophe tant qu’on voudra sur la dernière fin des hommes, on sera contraint d’entrer dans l’un ou dans l’autre de ces deux sentiments : qu’on les a formés sans dessein ; qu’ils n’ont point de destination ; ce qui détruit la sagesse du créateur, et anéantit par conséquent la vérité de son existence, fondée sur l’idée de sa sagesse ; ou que l’homme, sa vie, sa santé, les aliments qui entretiennent sa santé et sa vie, le plaisir qui est attaché à ces aliments, l’amour de soi-même, le désir de l’estime, tout ce qui nous excite à la vertu, avec la vertu elle-même, se rapportent à la gloire de celui qui est le principe de tous nos devoirs, comme l’auteur de notre être, et que nous ne devons cesser de glorifier, parce qu’il ne cesse de nous faire du bien.
On n’a qu’à se souvenir ici de tout ce qui a été dit sur le sujet de la religion naturelle, et l’on ne pourra se dispenser de regarder la révélation des juifs comme son rétablissement, comme l’on est forcé de demeurer d’accord que le paganisme en est la corruption.
Cependant, comme il n’est pas possible que Dieu se révèle sans qu’il frappe l’esprit des hommes par des merveilles qui caractérisent sa révélation, ces premières marques de divinité que nous avons marquées, sont soutenues par des miracles et des prophéties, qui, étant des ouvrages surnaturels, servent à nous faire connaître que celui qui se manifeste est le maître de la nature. Les miracles sont des faits contestés, et il n’est pas temps encore de les mettre en vue ; mais les prophéties sont des preuves sensibles et parlantes qui ne sauraient nous tromper, puisque leur évidence dépend de leur accomplissement, et d’un accomplissement qui doit nous être connu.