Les premières créatures de Dieu sont les anges, créés intelligents et libres. Athénagore (Suppl., 10) en fait les ministres de Dieu pour le gouvernement du monde. Dans un passage bien connu (I Apol., vi, 2), saint Justin les nomme entre le Fils et le Saint-Esprit. Mais outre que le passage est unique, cet ordre s’explique par la remarque du saint docteur que le nom d’ange a souvent été donné au Fils, et par le but qu’il se propose, qui est simplement d’établir que les chrétiens ne sont pas des athées. Le texte prouve en tout cas que les anges étaient alors l’objet d’un culte (σεβόμεϑα καὶ προσκυνοῦμεν). Plusieurs de ces anges n’étaient pas restés dans la voie droite. Les uns avaient péché avec les filles des hommes ; d’autres s’étaient rendus coupables de divers méfaits (Justin, II Apol., v, 2-6). Entre tous, le diable ou Satan est le plus pervers, l’ennemi spécial de Dieu, l’auteur de la chute d’Adam.
La démonologie tient dans l’œuvre des apologistes une place considérable, et leur sert notamment, comme on l’a remarqué déjà, à expliquer en partie l’origine et les méfaits du paganisme. Tout en offrant des traits communs avec la démonologie des auteurs païens, elle reste, dans ses données essentielles, fondée sur l’Écriture et spécifiquement chrétienne.
Dans l’homme les apologistes distinguent deux éléments, l’âme et le corps. On a même accusé saint Justin, sur le chapitre 10 du fragment De resurrectione, d’en distinguer trois, car il y écrit que le corps est la maison de l’âme, l’âme celle de l’esprit : οἶκος γὰρ τό σῶμα ψυχῆς, πνεύματος δὲ ψυχὴ οἶκος. L’ensemble de ses ouvrages le représente cependant plutôt comme dichotomiste. Le πνεῦμα dont il est ici question n’est pas l’âme raisonnable, le νοῦς, c’est plutôt l’Esprit de Dieu, principe de vie surnaturelle. On a de même observé que les apologistes, en général, et en particulier saint Justin relèvent bien haut la liberté humainea et font peu de part à la grâce. Cette attitude s’explique par les nécessités de la polémique et par la philosophie dont ils s’inspirent. Il n’est pas vrai d’ailleurs que la doctrine de la grâce n’occupe aucune place, surtout dans les ouvrages de saint Justin. Il suppose en maint endroit la nécessité du secours divinb.
a – Justin, I Apol., xxviii, 3 ; xliii ; lxi, 7-10 ; II Apol., xiv, 2 ; Dial., lxxxviii, 4, 5 ; cii, 4 ; cxli, 1 ; Tatien, 7 ; Théophile, ii, 47.
b – I Apol., x, 4 ; lxi, 2, 10, 12 ; lxv, 1-3 ; II Apol., x, 2, 3, 1 ; Dial., xlvii, 6 ; xcv ; cxix.
Sur l’immortalité de l’âme le langage des apologistes n’est pas uniforme. Tandis que l’Épître à Diognète et Athénagore parlent de l’âme comme naturellement immortelle, saint Justin et Tatien répugnent à cette expression. Identifiant l’immortalité naturelle avec l’éternité ou l’immortalité imparticipée, saint Justin observe que l’être immortel par nature est aussi ἀγένητος, ce qui ne convient qu’à Dieu ; que l’âme humaine n’est pas la vie en soi, mais participe à la vie, d’où il conclut qu’elle n’est immortelle que par la volonté de Dieu, lequel donne l’immortalité à l’âme juste comme une récompense, et l’impose à l’âme pécheresse comme un châtiment.
[Dial., v, vi. Dans ce dernier passage, saint Justin réfute l’argument de Platon dans le Phèdre. Saint Irénée (ii, 34) reproduit le raisonnement de Justin sur l’âme qui participe seulement à la vie (4) ; mais tout l’ensemble de sa doctrine est mieux présente. L’âme est sans doute immortelle par la volonté de Dieu, principe de toute perfection, mais elle n’en est pas moins immortelle, bien qu’elle ait commencé d’être.]
Tatien (13) est d’un avis analogue. Quant à Théophile, après avoir remarqué que beaucoup regardent l’âme comme immortelle parce qu’elle est un souffle de vie, il se retourne vers la question de l’immortalité de l’homme d’après la Bible. L’homme, dès le principe, devait être immortel ou mortel suivant qu’il obéirait ou désobéirait à Dieu. Il a désobéi et est devenu mortel. Mais Dieu, par miséricorde, lui offre encore la vie qu’il peut mériter en observant la loi (Ad Autol., ii, 19, 27). Si les apologistes insistent tant sur l’existence de la liberté humaine, c’est, nous l’avons dit, par opposition au gnosticisme qui niait cette liberté, et pour expliquer dans le monde la présence du mal. Saint Irénée, amené à traiter contre les mêmes gnostiques ce problème de l’existence du mal, en trouve aussi la solution dans la liberté humaine, mais il invoque en plus la chute originellec. L’homme n’est naturellement et nécessairement ni bon ni mauvais : il est libre, et par là sujet à récompense et à châtiment (iv.37.1-3 ; iv.3.3 ; iv.41.2). D’autre part, sa condition même d’être créé empêchait qu’il ne fût parfait dès le principe : c’est par l’obéissance qu’il devait se rapprocher de son créateur et parvenir peu à peu à la perfection et à l’immortalité (iv.38.1,3). Au lieu de cela malheureusement, Adam transgressa la volonté de Dieu, et avec lui nous tous qui étions contenus en lui. L’évêque de Lyon est formel : il établit entre Adam et Jésus-Christ un parallèle rigoureux. En Adam nous avons tous désobéi, et c’est pourquoi nous avons tous été châtiés : naissant de lui, nous méritons la mort : en Jésus-Christ nous avons tous obéi jusqu’à la mort, et renaissant de lui nous héritons la vie : ἐν μὲν γὰρ τῷ πρώτῳ Ἀδὰμ προσεκόψαμεν μὴ ποιήσαντες αὐτοῦ (τοῦ ϑεοῦ) τὴν ἐντολήν, ἐν δὲ τῷ δευτέρῳ Ἀδὰμ ἀποκατηλλάγημεν ὑπήκοοι μέχρι ϑανάτου γενόμενοι (v.16.3). « Percussus est homo initio in Adam inoboediens (v.34.2)… ut quemadmodum per priorem generationem mortem haereditavimus, sic per generationem hanc (Christi) haereditaremus vitam » (v.1.3 ; v.12.3 ; v.14.1,3).
c – Ce dogme n’est pas d’ailleurs inconnu des apologistes. Voir Théophile, ii, 17, 25 ; S. Justin, I Apol., lxi, 10 ; Dial., lxxxviii, 4.