Cette parabole, adressée aux disciples, est dans le rapport le plus étroit avec tout ce qui précède immédiatement, en particulier avec la déclaration de Jésus au sujet des temps de tribulation, alors que les disciples « désireront de voir l’un des jours du Fils de l’homme, et ne le verront point » (Luc 17.22). Alors, pour employer le langage des Juifs, auront lieu les douleurs d’enfantement de la création nouvelle (Matthieu 24.8 ; Jean 16.21 ; Romains 8.22) ; les malheurs, qui arriveront sont un motif de prier avec persévérance.
« Il leur dit une parabole, pour montrer qu’il faut toujours prier », afin d’éviter les choses qui doivent arriver. C’est non seulement le devoir, mais encore l’absolue nécessité de la prière persévérante qui est affirmée ici. Nous pouvons considérer ces paroles comme étant celles de Christ Lui-même, plutôt que celles de l’évangéliste. Christ prononça la parabole, et il indiqua en même temps le but qu’il se proposait, à savoir : qu’on doit toujours prier, et ne point perdre courage.
Mais, dira-t-on peut-être, n’y a-t-il pas ici quelque exagération ? ce commandement n’est-il pas trop absolu ? Non pas, lorsqu’on envisage la prière comme l’aspiration continuelle de l’âme vers Dieu, aspiration qui n’est pas restreinte à certains moments particuliers ; selon Origène, la vie entière du fidèle doit être « une prière continuelle », la prière étant, comme le dit saint Basile, le sel qui doit donner à toute chose sa saveur. Saint Augustin parle admirablement de la prière, d’après sa propre expérience chrétienne : « Ce n’est pas pour rien que l’apôtre dit : Priez sans cesse (1 Thessaloniciens 5.17). Ce n’est pas que nous puissions sans cesse fléchir les genoux ou élever nos mains : il y a une autre prière continuelle, qui est le soupir du cœur. Quoi que nous puissions faire d’ailleurs, si ce soupir est en nous, notre prière est incessante. »
« Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait point Dieu et n’avait point d’égard pour les hommes. » Le caractère de cet homme est donc dépeint en deux mots. Il « ne craignait point Dieu », méprisant tout ce que dit la loi de Dieu de la majesté de l’office du juge, de la culpabilité du juge injuste. (Exode 23.6-9 ; Lévitique 19.15 ; Deutéronome 1.16-17 ; 2 Chroniques 19.6-7). Non seulement il n’avait aucune crainte de Dieu, mais encore il n’avait aucun égard à l’opinion du monde, et ne rougissait pas de le reconnaître (v. 4). C’est à un tel juge que le Juge de la terre est comparé ici ! Seul, le Fils de Dieu a pu établir un tel rapprochement. Cependant nous devons prendre garde de ne pas atténuer l’injustice de ce juge, comme l’ont fait quelques-uns. Au contraire, plus il nous paraît répréhensible, plus la parabole renferme d’encouragements pour nous. Si l’importunité peut triompher d’un méchant homme, combien plus la prière du fidèle prévaudra-t-elle sur un Dieu justeq.
q – Tertullien : « Une telle violence est agréable à Dieu ».
« Or il y avait une veuve dans cette ville, et elle alla vers lui disant : Venge-moi de ma partie adverse. » Connaissant le caractère du juge, nous pouvons comprendre combien le cas d’une suppliante faible et pauvre était désespéré ; faible et pauvre, en effet, devait être cette veuve. Elle représente l’Église sous la persécution, ainsi que chaque âme en lutte avec les puissances malfaisantes. L’adversaire, c’est le prince des ténèbres de ce siècle, le chef de tout ce qui s’oppose à la manifestation du royaume de Dieu. Mais les élus, qui ont les prémices de l’Esprit, et soupirent en eux-mêmes, en attendant leur parfaite rédemption, sont représentés ici dans leur lutte avec les puissances contraires qui les oppriment ; ils appellent le secours, la révélation du Fils de l’homme en gloire, s’écriant avec le prophète : « Oh ! si tu fendais les cieux, et que tu descendisses » (Ésaïe 64.1) ; car ils savent bien qu’alors le méchant disparaîtra, et que l’Église sera délivrée pour toujours de tous ses ennemis. Il ne faudrait pas restreindre ces cris de détresse, dont les Psaumes et les prophètes sont remplis, aux afflictions extérieures ou aux persécutions que les fidèles endurent. Le monde cherche constamment, d’une manière ou d’une autre, à opprimer l’Église ; Satan veut empêcher la manifestation de la vie de Dieu dans chaque chrétien ; la prière est alors le de profundis des élus, l’appel au secours lorsque le danger est pressant.
La prière de la veuve : « Venge-moi de ma partie adverse », exprime très bien notre situation vis-à-vis du mal contre lequel nous avons à lutter. C’est l’œuvre de l’Esprit d’éclairer les hommes sur le mal qui est en eux, et de les faire sortir de plus en plus des ténèbres. L’homme renouvelé connaît parfaitement son adversaire ; il sait aussi que Dieu a préparé son affranchissement complet ; c’est pourquoi il s’écrie, avec la veuve : « Venge-moi de ma partie adverse », ou plutôt : « Fais-moi justice de ma partie adverse », ce qui revient à la demande de l’Oraison Dominicale : « Délivre-nous du mal », ou « du malin », de celui qui est la source de tout mal.
« Et pendant quelque temps il ne le voulut point. » Aux yeux de l’homme, Dieu paraît souvent être un juge injuste, sourd aux prières de son peuple. Les élus eux-mêmes sont impatients dans l’affliction ; ils veulent une prompte délivrance, sans se préoccuper de la volonté de Dieu. Tourmentés par leurs adversaires, ils sont tentés de penser injustement de Dieu, comme s’il se liguait avec leurs oppresseurs et ne se souciait pas du cri de son peuple affligé. La parabole prévient cette tentation à laquelle les fidèles sont exposés. « Mais après cela, il dit en lui-même : Quoique je ne craigne point Dieu et que je n’aie point d’égard pour les hommes, néanmoins parce que cette veuve m’importune, je la vengerai, de peur qu’elle ne vienne continuellement me rompre la tête ». Le même motif engageait les disciples à intercéder en faveur de la Cananéenner (Matthieu 15.23).
r – Importuner quelqu’un par ses cris pour en obtenir justice, est très usité en Orient. (Chardin, Voyages en Perse.)
« Écoutez ce que dit le juge injuste. Or, Dieu ne vengera-t-il pas ses élus qui crient à Lui jour et nuit, tout en usant de longanimité à leur sujet ? » Dans la première partie de la phrase, l’accent doit être mis sur le mot « injuste » ; dans l’autre partie, le mot bonté ou justice, qui devrait compléter l’antithèse, est omis, parce qu’il est renfermé dans le nom de Dieu. Si le « juge injuste » consent à faire droit à la veuve, « Dieu ne vengera-t-il pas ses élus ? » Dieu juste est opposé au juge injuste ; les « élus » le sont à la veuve, la méprisée parmi les hommes ; leur cri puissant est opposé à sa prière ; ils crient « jour et nuit », tandis qu’elle importune le juge pendant un temps relativement beaucoup plus court. Leur assurance d’être exaucés ne repose pas sur leur cri, mais sur leur élection (Daniel 12.1). La patience de Dieu envers ceux qui le prient, forme un contraste avec l’irritation du juge en présence des sollicitations de la veuve.
Dieu peut retarder l’exaucement, mais, certainement, « Il les vengera bientôt » ; Il ne les laissera pas dans l’épreuve plus que cela n’est nécessaire, mais il faut que la patience ait une œuvre parfaite. Les temps sont en sa main, et Il connaît le moment propice pour nous répondre. Jésus ne se rendit à l’appel des sœurs de Lazare que quatre jours après la mort de ce dernier. Les paroles qui terminent la parabole : « Au reste, quand le Fils de l’homme sera venu, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » sont embarrassantes, car elles semblent mettre en question le succès de son œuvre comme Médiateurs. Nous avons de nombreux motifs de croire que la vraie Église ne sera pas nombreuse ; toutefois, il n’est pas question ici du petit nombre des élus, mais des échecs que subira la foi des fidèles eux-mêmes. Lorsque le Fils de l’homme viendra pour la délivrance, la détresse sera si grande que les cœurs des élus seront remplis de crainte (Zacharie 14.1-5). Tout secours paraîtra manquer, en sorte que c’est à peine si le Fils de l’homme « trouvera la foi », cette foi qui espère contre espérance, et qui croit que la lumière apparaîtra même lorsque les ténèbres sont les plus grandes, la foi qui persévère dans la prière (Matthieu 24.22). Godet : « Je ne crains pas que le juge fasse défaut à son devoir. Voici seulement ce qui m’inquiète : c’est que la veuve ne manque au sien » (L’explication de Vitringa est curieuse : Le juge injuste représente les empereurs romains, et la veuve, l’Église primitive, qui plaide sa cause auprès d’eux ; les empereurs, après un temps assez long, se chargent de la défendre, de la protéger).
s – Les donatistes s’en servaient en faveur de leur théorie.