A Genève : L’admission dans l’Église. — L’instruction religieuse. — La sainte Cène. — Le baptême. — Les anciens et les diacres. — En France : Constitution analogue. — Objections contre l’individualisme ecclésiastique. — Impossibilité d’avoir des Églises de convertis. — Le multitudinisme et la profession de la foi individuelle.
Nous ne reviendrons pas sur les circonstances dans lesquelles fut fondée l’Église évangélique libre de Genève. Comme cela a été déjà dit, aussitôt après sa fondation, elle publia un Manifeste, dont la première partie contenait la Confession de foi, la seconde la Constitution ecclésiastique.
Il s’agissait de « rallier les nationaux et les dissidents et de prendre position entre les deux extrêmes, le multitudinisme et l’ultra dissidencea. » On se borna donc à demander, pour l’admission dans l’Église, la profession, faite en présence de deux anciens, d’une foi personnelle, accompagnée d’une conduite extérieure qui ne démentît pas cette profession.
a – Guers, Notice historique sur l’Église évangélique libre de Genève. Genève, 1875, p. 37.
Pour ce qui est de l’instruction religieuse, le manifeste déclarait que « l’Église regarde comme un de ses devoirs de s’occuper des enfants. Néanmoins, tout en pourvoyant à l’instruction religieuse de la jeunesse, elle n’admet point l’usage actuel d’une réception collective et périodique des catéchumènes. Ceux-ci, comme les autres fidèles, ne sont reconnus membres de l’Église qu’après une profession personnelle de leur foi. »
On n’opposa aucune barrière à l’admission à la sainte Cène : « L’Église, considérant la table de la Cène dressée par elle, non comme sa propre table, mais comme celle du Seigneur, y accueille tous les membres de la famille de Dieu. »
Sur la question du baptême, on décida que : « L’Église baptise les petits enfants ; mais si elle a dans son sein des frères qui pensent devoir attendre, pour cet acte, un âge plus avancé, elle n’estime pas que cette différence doive être, parmi ses membres, une cause de division. »
On fit des concessions à la dissidence, au sujet du ministère : « L’Église reconnaît le sacerdoce universel des croyants, en vertu duquel chacun d’eux est invité à s’approcher de Dieu sans autre intermédiaire que Jésus-Christ, pour lui rendre le culte en esprit et en vérité, et à publier les vertus de Celui qui l’a sauvé.
Toutefois l’Église évangélique reconnaît la nécessité d’un ministère spécial, comme une institution de Dieu et un besoin permanent de l’Église. En conséquence, elle a des anciens et des diacres.
Les anciens (appelés indifféremment, dans le Nouveau Testament, πρσβύτεροι et ἐπισκόποι), sont tous chargés de paître l’Église. On distingue parmi eux les ministres de la Parole qui, préparés par de saintes études, sont plus spécialement appelés à l’enseignement et à la prédication.
Les diacres veillent aux besoins des pauvres. Ils forment un conseil présidé par un ancien.
L’autorité de l’ancien, ministre de la Parole ou non, provient, non d’une transmission ou d’une élection humaine, mais uniquement du chef, Jésus-Christ. L’Église, reconnaissant, autant qu’il est en elle, l’aptitude et la vocation qui proviennent du Seigneur, le témoigne par sa propre vocation et par l’imposition des mains.
La nomination des anciens et des diacres se fait par les frères membres de l’Église. Ils sont choisis parmi des frères approuvés par le presbytère, qui se sera préalablement assuré de la conformité de leur foi et de leur vie avec les doctrines professées par l’Église évangélique.
L’Église, reconnaissant que dans les temps primitifs, les charges se conféraient avec imposition des mains, se conforme à cet usage pour les anciens, les ministres de la Parole et les diacres, comme aussi pour les frères qui pourraient être appelés à quelque œuvre d’évangélisation.
Les anciens et les diacres sont nommés pour un temps indéterminé. »
Il n’y avait donc pas, à proprement parler, de « pasteurs. » Tous les anciens étaient également chargés comme économes ou administrateurs de Dieu, de paître ou de présider l’Église. Tous devaient également recevoir l’imposition des mains. Il n’y avait aucune différence entre eux quant à l’autorité, mais seulement quant aux dons et aux fonctions.
Mais, dans le gouvernement de l’Église, les vues de la dissidence furent abandonnées : « L’Église confie son administration au presbytère, c’est-à-dire à l’assemblée des anciens. » C’était une victoire remportée sur le congrégationalisme par le presbytérianisme. Guers déclare « que l’on connaissait les abus auxquels le congrégationalisme peut donner lieu ; » et d’autre part il remarque que « le presbytérianisme est plus conforme à la sainte Écritureb. »
b – Guers, Notice historique sur l’Église évangélique libre de Genève. Genève, 1875, p. 112.
Enfin, pour la discipline, « elle s’exerce par la répréhension fraternelle dans la charité, afin qu’en toutes choses la doctrine de Dieu, notre Sauveur, soit glorifiée au milieu de nous. Ce devoir concerne tous les frères, et plus spécialement les anciens. Dans des cas extrêmes, ceux-ci pourront avoir recours au presbytère. »
Ces principes, au moins les plus essentiels d’entre eux, ceux qu’on peut considérer comme fondamentaux, se retrouvent dans la Constitution de l’Union des Églises libres de France. La profession individuelle de la foi, le rejet de toute admission à la Cène liée à une instruction de catéchumènes ou à un âge convenu, la nécessité d’une discipline, l’indépendance vis-à-vis de l’État, furent la base de l’Union des Églises libres comme ils étaient celle de l’Église évangélique de Genève.
Ils étaient, au reste, le terme d’une évolution ecclésiastique analogue, accomplie sous la même influence, l’individualisme de Vinet et de son école.
Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit de l’organisation des églises méthodistes. Nous remarquerons seulement que tout en reposant sur le principe de la foi individuelle, leur base dogmatique est très large, puisque l’affiliation à une classe est subordonnée simplement « au désir de fuir la colère à venir et d’être sauvé de ses péchés. »
Sans vouloir descendre dans des critiques de détail, bornons-nous à relever l’objection principale faite à cette théorie ecclésiastique. L’Église que l’individualisme présente comme l’association des croyants est plus encore que cela : elle est un moyen de grâce. Elle est une éducatrice ; elle n’est pas simplement un résultat, « une union plus ou moins temporaire d’un certain nombre d’individualités en vue d’un but commun, union qui commence avec eux pour finir avec eux… Elle est, avant de se manifester parmi les hommes, une pensée divine, une création de Dieu, une véritable institution, un corps dont Christ est la tête. Elle est née avec le Christ, et toute âme qui croit au Christ en fait partie, avant même d’avoir conscience du contrat qui va désormais la lier aux âmes qui lui seront sœurs… L’Église n’attend pas que nous allions à elle ; c’est elle qui vient à nous, non plus avec l’appui de la force pour s’incorporer les nations et les contraindre d’être chrétiennes… L’Église vient dans sa faiblesse, qui est sa véritable force, et (par le baptême) sur le front de chaque génération nouvelle elle étend sa main désarmée pour la bénir et la consacrer à Dieuc. » C’est ce caractère de l’Église que l’individualisme a méconnu.
c – Bersier, L’Église, discours. Paris, 1877, p. 17, 27.
Au reste, le principe lui-même de l’individualisme ecclésiastique a dû subir des modifications. Au commencement on a voulu avoir des églises de convertis ; on a été bientôt obligé d’y renoncer et de se contenter d’églises de professants. Vinet lui-même a dit : « Je suis multitudiniste, en ce sens que j’exclus absolument la prétention de pénétrer dans l’intérieur des consciences et d’exercer un jugement qui n’appartient qu’à Dieu. Cette prétention me paraît absurde, téméraire, dangereuse, sans appui dans la Bible, sans appui dans l’histoire des Églises apostoliquesd. »
d – Cité par Philit, Essai critique sur le séparatisme. Genève, 1877, p. 3.
Si l’individualisme admet que nous ne devons avoir que des églises de professants, le multitudinisme, de son côté, renonce aux églises d’État, telle qu’était, par exemple, l’Église nationale de Genève au moment du Réveil. Ce qui a, du reste, profondément contribué au développement de l’individualisme, c’est cette confusion entre le spirituel et le temporel, entre l’Église et l’État. Personne ne voudrait actuellement y revenir, et lors du synode de 1872, la demande de conditions religieuses pour l’électorat paroissial montra bien qu’une Église concordataire peut cependant réclamer une profession de foi de ceux qui veulent prendre part à sa direction.
[On peut remarquer d’ailleurs que l’Église réformée de France, telle que l’avaient constituée nos pères, était une église de professants : « Depuis le membre virtuel de l’Église jusqu’au pasteur, nous voyons la profession de la foi d’abord impersonnelle, puis indirecte, puis directe, toujours admirablement proportionnée au degré d’importance de la charge, jusqu’à ce qu’elle prenne pour forme la signature solennelle » (Doumergue, L’Église réformée et le protestantisme libéral. Paris, 1877, p. 12).]
Une telle conception nous paraît concilier les deux systèmes et faire la part de leurs légitimes exigences, puisqu’elle maintient le double caractère de l’Église, association de croyants et moyen de grâce.