(1522 à avril 1527)
John Mayor professe à Glascow – Patrick Hamilton à l’université de Saint-André – Les livres de Luther sont apportés en Écosse – Le parlement les interdit – Caractère du jeune roi – Jacques V est déclaré majeur – Le roi se jette entre les bras des prêtres – Le parti clérical est vaincu – Le Nouveau Testament de Tyndale est répandu – Patrick Hamilton prêche les doctrines évangéliques – L’archevêque Beaton regagne son influence – Hamilton est déclaré hérétique – Il est cité devant l’archevêque – Il s’enfuit sur le continent
La Réformation semble avoir commencé en Écosse par la profession des principes catholiques mais antipapistes, qui avaient été soutenus, un siècle auparavant, dans le concile de Constance. Il s’y trouva des docteurs qui partirent de la pensée qu’il y a toujours eu depuis les apôtres, et qu’il y aura toujours une Église une et universelle, capable de remédier par elle-même aux abus de son culte, aux désordres de ses membres, à l’hypocrisie de ses prêtres, aux prétentions despotiques du premier de ses pontifes. John Mayor avait été récemment appelé à l’université de Glasgow. John Knox se distinguait au milieu de tous ses auditeurs par son zèle pour l’étude ; et non loin de lui se trouvait un autre jeune Écossais, moins sérieux, Buchanan : « L’Église universelle, leur disait le disciple de d’Ailly et de Gerson, étant réunie en concile, est au-dessus du pape, et peut le reprendre, le juger, le déposer même. Les excommunications romaines n’ont aucune force, si elles ne sont pas conformes à la justice. L’ambition, l’avarice, le luxe mondain de la cour de Rome et des évêques doivent être vivement blâmés. » Un autre jour, le professeur, passant de la théologie à la politique, professait des doctrines fort avancées pour son siècle ; il enseignait que le peuple, dans son ensemble, est au-dessus du monarque, que c’est du peuple que le roi tient son pouvoir, et que si le prince agit en opposition aux intérêts de ses sujets, ceux-ci ont le droit de le détrôner. Allant même à des extrêmes répréhensibles, Mayor prétendait que, dans certains cas, le roi pouvait être mis à morta. Ces principes politiques, professés du haut d’une chaire catholique-romaine, très scolastique et très superstitieuse, influèrent sans doute sur les convictions de Buchanan, qui professa plus tard dans son dialogue des droits du royaume en Écosse, des opinions qui furent vivement combattues, et même par des protestants : « Au commencement, disait-il, nous avons créé les rois légitimes et nous avons établi des lois, imposées également à eux et à nousb. » Ces hérésies politiques du seizième siècle sont les vérités de nos jours. Les principes de Mayor ne furent sans doute pas en leur entier admis par Knox, mais ils purent être pour quelque chose dans la fermeté avec laquelle il maintint les droits de la Parole de Dieu en face de Marie Stuart. Pour le moment, Knox, dégoûté de l’aride théologie de son maître, fort scolastique sur divers points, sortit des déserts de l’école et se mit à la recherche des sources vives de la Parole de Dieu. Mayor passa en 1523 de Glasgow à Saint-André.
a – « Potes hune tyrannum occidere. » (Major. Sentent., fol. 139.)
b – « Reges legitimos ab initio creavimus, leges et nobis et illis æquas imposuimus. » (De jure regio apud Scotos, p. 24.)
Ce fut là que Patrick Hamilton se rendit à son retour du continent, après avoir visité la famille désolée de Kincavil. Il fut admis le 9 juin de la même année dans l’université de la ville métropolitaine, et le 3 octobre de l’année suivante, il y fut reçu membre de la faculté des lettres. Saint-André avait pour lui de grands attraits. Il n’y avait pas dans le royaume d’université qui possédât autant d’hommes éclairés, et le collège de Saint-Léonard, où il entra, était celui où l’enseignement avait la tendance la plus libérale. Les études qu’il avait faites, les lumières qu’il avait acquises, le rang qu’il occupait, le distinguaient au milieu de ses condisciples. Buchanan, si sévère dans ses jugements, le regardait comme « un jeune homme d’un grand esprit et d’une étonnante éruditionc. » Hamilton avait tellement en horreur l’hypocrisie des moines, qu’il ne voulut jamais adopter ni leur costume, ni leur vie, et, quoique abbé de Ferne, il ne résida jamais dans son monastère. Savant dans l’art musical, il composa un chant en parties, qui fut exécuté dans la cathédrale, et ravit les auditeurs. Il fit davantage. Il rêvait, comme tous les réformateurs au commencement de leur carrière, la transformation de l’Église catholique ; il se décida à demander l’imposition des mains, « afin, dit Fryth, de pouvoir prêcher la pure parole de Dieud. » Hamilton ne prêcha sans doute pas alors avec la hardiesse et la puissance d’un Luther ou d’un Farel. Il aimait les faibles, il se sentait faible lui-même, et plein de condescendance, se contentait de donner droitement la vérité qu’il avait reçue.
c – « Juvenis ingenio summo et eruditione singulari. » (Buchanan, Scot. Hist., p. 494.)
d – Fryth, préface de la traduction de Patrick’s Places. (Knox, Hist. of the Ref., I, p. 20.)
Un an environ après le combat où sir Patrick était mort, le duc d’Albany était revenu, dans le dessein de lier intimement l’Écosse à la France. Marguerite Tudor, qui voulait l’unir à l’Angleterre, et qui se voyait, par l’arrivée de ce personnage, privée du pouvoir, écrivit le 13 septembre 1523 à son frère Henri VIII : « La personne et le royaume de mon fils sont exposés aux plus grands dangers ; « venez à notre aide, venez en toute hâte, ou c’en est fait de mon filse ! » C’en eût été fait aussi peut-être de la Réformation, ce qui était plus important encore. Mais Albany, quoique à la tête d’une belle armée, prit la fuite à deux reprises devant l’armée anglaise, et méprisé de tous, quitta pour jamais l’Écosse à la fin de mai 1524f.
e – Marguerite à Henri VIII. (State papers, IV, p. 17.)
f – Ibid., p. 51, 52, 70, 71. — « Albany embarked probably on the 31st of May. » (Ibid., p. 77.)
A peine s’était-il embarqué, que la cause de la Réformation, menacée par sa présence, reçut un puissant renfort. Eu 1524 et au commencement de 1525, des livres de Luther et des autres réformateurs furent apportés en Écosse par des navires marchands, et, répandus dans le pays, y produisirent les mêmes effets qu’en France et en Italie. Gawyn Dunbar, le vieux évêque d’Aberdeen, fut le premier à s’en apercevoir. Un jour, il découvrit dans sa ville même un volume de Luther. Il fut consterné en voyant que les traits enflammés lancés par la main de l’hérétique traversaient les mers. La même découverte ayant été faite à Linlithgow, à Saint-André et ailleurs, l’affaire fut portée devant le parlement : « De damnables hérésies sont répandues en diverses contrées, » dirent les partisans de Rome. « Ce royaume d’Écosse, ses souverains et leurs sujets ont toujours persisté dans la sainte foi depuis qu’ils l’ont primitivement reçue ; on s’efforce à cette heure de les en détourner. Prenons toutes les mesures nécessaires pour repousser l’attaque. » En conséquence, le 17 juillet 1525, le parlement interdit à toute personne arrivant dans quelque port du royaume, d’apporter aucun livre de Luther ou de ses disciples, et d’exposer les opinions de cet Allemand, à moins que ce ne fût pour les réfuter, « l’Écosse ayant toujours été pure de toute souillure et de tout viceg. »
g – « Bene clenee of all filth and vice, » (Acts parl. Scot, vol. II, p. 255. State papers, vol. IV, p. 387.)
Cet acte fut aussitôt publié dans tout le pays, et particulièrement dans tous les ports, afin que nul ne pût alléguer son ignorance, et, environ quatre jours après la clôture du parlement, les shérifs reçurent du conseil du roi l’ordre de faire immédiatement toutes « les recherches nécessaires pour découvrir les personnes qui auraient des livres de « Luther, ou qui professeraient ses erreurs. — Vous confisquerez leurs livres, était-il dit, et nous les transmettrez. » La Réformation, jusqu’alors presque inconnue dans ces contrées, y devenait tout à coup un fait public, proclamé par le premier corps du royaume, et allait bientôt préoccuper tous les esprits. Les adversaires de la vérité préparaient ses triomphes.
Toutefois, la question était de savoir si le jeune roi pencherait du côté de Rome ou du côté de l’Évangile. Jacques V, au nom duquel l’arrêté contre la Réformation avait été rendu, n’y était au fond pour rien. Aimable, généreux, mais faible, amateur du plaisir, il était très retardé dans ses connaissances, tellement qu’il ne pouvait pas même lire les lettres de son oncle Henri VIII, ne sachant pas déchiffrer l’anglaih. C’était un enfant sous tutelle ; il ne parlait à personne qu’en présence de l’un des membres du conseil, et Angus cherchait à lui donner le goût du plaisir pour la détourner des affaires. Ce goût était au reste fort naturel au jeune prince. Sa vie était consacrée aux jeux, aux armes, à la chasse ; il faisait demander à Henri VIII de lui envoyer des épées, des boucliers, les armes étant beaucoup plus belles à Londres qu’à Édimbourg, Il sacrifiait d’autant plus volontiers les affaires aux plaisirs, que ceux qui l’entouraient vivaient dans la plus complète désunion. Les trois principaux personnages du royaume, l’archevêque Beaton, chef des prêtres, Angus, chef des nobles, la reine-mère qui manœuvrait entre les deux partis, étaient en guerre ouvertei. Marguerite voulait à la fois se divorcer d’Angus, et se venger de l’archevêque, qui la contrariait dans ses desseinsj. Le jeune roi se trouvait au milieu de tous ces ambitieux comme une proie que des vautours se disputent.
h – « The young king can not by himself rede an english letter. » State papers, IV, p, 368.)
i – « They are at all times of contrary opinion. » (State papers, IV, p. 362.)
j – « May destroy the king my son and me. » (State papers, IV, p. 81, 169, 188, 227, 237.)
En mai 1525, Jacques ayant atteint sa quatorzième année, avait été déclaré majeur, conformément à la loi d’Écosse. Ce n’avait été que pour la forme. Angus, appuyé par les plus puissants des nobles et par le parlement, réalisa les craintes de la reine ; il donna toutes les places à des Douglas, et ôtant le grand sceau à l’archevêque Beaton, il le garda pour lui-même. La reine-mère indignée supplia son très cher frère d’engager le pape à intervenir en faveur de son filsk. Tout fut inutile ; la domination de l’ambitieux et hardi Angus ne reçut aucune atteinte.
k – « We may have your supplications direct for us unto His Holyness. » (Marguerite à Wolsey, State papers, IV, p. 452.)
Alors le jeune prince, fatigué du joug, se jeta, selon la tradition de ses pères, dans les bras des prêtres, et, pour échapper à l’aristocratie, s’inféoda au clergé ; ceci était pour la Réforme un fâcheux pronostic. A la fin de l’été 1526, la reine, l’archevêque Beaton et d’autres membres du parti sacerdotal et royal étaient réunis au château de Stirling ; c’est là que fut médité et arrêté le plan qui devait enlever le pouvoir aux nobles et le donner aux évêques. John Stuart, comte de Lennox, ami de
Jacques V, partit le 4 septembre de cette forteresse à la tête de dix à douze mille hommes, et marcha sur Edimbourg. Mais déjà Angus était informé de ce qui se préparait et Arran qui s’était réconcilié avec lui était prêt. Le même jour, dès le matin, la trompette retentit dans la capitale, et le chef des Douglas partit à la tête de son armée, traînant après lui le jeune monarque. Celui-ci espérait que l’heure de la délivrance était arrivée ; il avançait lentement derrière l’armée, malgré les brutales menaces de sir G. Douglas, son gardien. Bientôt le bruit des canons se fit entendre ; le roi s’arrêta. George Douglas, s’imaginant qu’il voulait s’échapper, s’écria : « Ne pensez pas vous sauver, car si nos ennemis vous tenaient d’un côté et nous de l’autre, nous vous partagerions en deux, plutôt que de vous lâcher. » Le roi n’oublia jamais cette parole. Angus était vainqueur ; Lennox avait été tué par le farouche James Hamilton, et le père de celui-ci, le comte d’Arran, l’apprenant, avait jeté sur le corps de Lennox son manteau d’écarlate en s’écriant : « Ici est couché l’homme le plus hardi, le plus puissant et le plus sage que l’Écosse ait jamais possédé !… » A l’ouïe de ce grand désastre, tout fut en confusion dans le château de Stirling ; la reine s’étant déguisée se sauva et se cacha ; l’archevêque Beaton posa ses habits pontificaux, prit ceux d’un berger et se retira parmi les pâtres des collines du comté de Fife, où, pendant près de trois mois, il garda un troupeau sans que nul soupçonnât que cet homme fût le lord chancelier du royaume. Ainsi, le triomphe présumé du primat et des prêtres, qui eût été funeste à la Réformation, s’était changé en une entière déroute, et une plus grande liberté religieuse était donnée à l’Écossel.
l – State papers, IV, p. 487, 458. Scott, Hist. of Scotland, I, ch. 25 Lindsay Chronicles.
Mais ce n’était pas assez. La réforme de l’Église par l’Église était insuffisante ; la réforme par les écrits des réformateurs l’était de même ; il fallait un principe plus puissant : la Parole de Dieu. Cette Parole ne communique pas seulement une simple connaissance ; elle opère une transformation dans la volonté et dans la vie de l’homme, et dès qu’en un lieu quelconque une telle transformation s’est accomplie dans deux ou trois individus, il existe là une Église. La liberté plus grande qui régnait en Écosse après la fuite du primat, favorisait l’introduction de cette Parole puissante, à laquelle il était réservé de l’affranchir.
Des marchands de Leith, de Dundee, de Saint-André, de Montrose, d’Aberdeen, ayant, au commencement de l’été, chargé leurs navires des produits de l’Écosse, s’étaient dirigés vers des ports des Pays-Bas, Middlebourg, Anvers et d’autres, pour y chercher les marchandises dont les Écossais avaient besoin. Aucune défense n’avait été faite alors d’introduire en Écosse le Nouveau Testament ; c’étaient les livres de Luther et des autres réformateurs qui seuls étaient prohibés. Ces bons marins écossais en profitèrent, et un jour, Hacket, chargé par Henri VIII de brûler tous les Testaments traduits par Tyndale, et cela « pour la préservation de la foi chrétienne, » apprit à Berg-op-Zoom où il était, que des marchands d’Écosse avaient chargé beaucoup d’Évangiles sur des navires en partance pour Edimbourg et Saint-André. Il partit en toute hâte pour les ports qui lui avaient été désignés : « Je saisirai ces livres, disait-il, fussent-ils même déjà sur les navires, et j’en ferai un bon feum. » Il arrive ; mais hélas ! plus de navires écossais ; ils ont fait voile un jour avant son arrivée. « La fortune, dit-il, n’a pas permis que j’arrivasse à temps ; eh bien, prenons patience ; » et il donna de bonnes instructions à ce sujet à M. de Bever, amiral des Flandres, et à M. Moffit, conservateur de la nation d’Écosse dans ce paysn.
m – « I went suddenly thitherward, thinking that I would cause to make a good fire of them. » (Msc. Cotton, Galba B., VI, fol. 4.)
n – State papers, IV, p. 561.
Ce fut pendant que l’archevêque Beaton, grand ennemi de la Réformation, paissait ses brebis sur les collines de Fife, en septembre, octobre et novembre 1526, que les Nouveaux Testaments arrivèrent et furent répandus dans les villes et les contrées voisines. L’Écosse et l’Angleterre recevaient des mêmes pays, et presque en même temps, les saintes Écritures. Les bourgeois d’Édimbourg, les chanoines de Saint-André lisaient ce livre étonnant comme les bourgeois de Londres et les chanoines d’Oxford. Des moines disaient que c’était un mauvais livre « récemment inventé par Martin Luther, » mais nulle ordonnance ne défendait de le lire. A Saint-André surtout, ces écrits saints répandirent bientôt la lumière évangélique dans les espritso.
o – « Most part to the town of St Andrews. » (Cotton, msc. Catig., II, 77.)
Il y avait là un jeune homme qui connaissait déjà les grands faits du salut racontés dans ce livre, et qui était bien propre à le répandre et à l’expliquer. Patrick Hamilton, doué d’une intelligence vive et d’un cœur chrétien, savait exprimer dans un style naturel et concis les vérités dont il était convaincu. Il savait qu’il y a dans les Écritures une sagesse supérieure à l’entendement humain, en sorte que peur les comprendre, une lumière de l’Esprit-Saint est nécessaire. Il croyait qu’à l’enseignement écrit il fallait joindre l’enseignement oral, et que, des Testaments étant venus des Pays-Bas, il fallait à l’Écosse une parole qui appelât les âmes inquiètes et altérées à y chercher l’eau vive qui jaillit en vie éternelle. Dieu préparait alors ses témoins en Écosse, et le premier fut Patrick Hamilton. Il ouvrait le Nouveau Testament ; il exposait les faits et la doctrine qui s’y trouvent ; il défendait les principes évangéliques. Son père, le premier chevalier de l’Écosse, avait rompu moins de lances dans les tournois que Patrick n’en rompait dans son collège, à l’université, chez les chanoines, avec tous ceux qui s’opposaient à la véritép. Le carême de 1527 ayant commencé, il prêcha publiquement dans la cathédrale et ailleurs les doctrines (les hérésies, dit sa sentence) enseignées par Martin Lutherq. Nous n’avons pas d’autres renseignements sur ses prédications ; mais ceux-là suffisent pour nous apprendre que dès cette époque, le peuple qui se réunissait dans les antiques églises de l’Écosse entendait ce ministre fidèle annoncer que « ce n’est pas la loi, ce terrible tyran, comme disait Luther, qui doit régner dans la conscience, mais le Fils de Dieu, le roi de justice et de paix, qui, comme une pluie féconde, descend du ciel et fertilise le sol le plus stériler. »
p – « Disputing, holding and maintaining diverses heresies of Martin Luther. » (Sentence prononcée contre Hamilton. Fox, Acts, IV, p. 560.)
q – Certains articles preached by him. (Ibid.) Il est évident que ces articles furent prêchés déjà en 1527, avant qu’Hamilton eût quitté l’Écosse. La sentence porte :« Faithful inquisition being made in Lent last past. » C’est du carême dernier, passé, qu’il s’agit. Or la sentence était du dernier février. Le carême de 1528 commençait à peine. De plus, la sentence porte qu’Hamilton, après avoir prêché : passed forth of the realm, to other parts, sortit du royaume et se rendit dans d’autres contrées ; ce qui décide la question.
r – Luther, Ep. aux Galates.
Les circonstances étaient loin d’être favorables à la Réformation. L’archevêque Beaton s’était bientôt lassé de son habit de berger et des troupeaux qu’il paissait dans les pâturages solitaires de Bogrian au comté de Fife. La vie simple, rude, isolée des gardeurs de brebis, était un châtiment très rigoureux pour un esprit ambitieux, intrigant et mondain ; aussi cherchait-il nuit et jour quelque moyen de salut. Quoiqu’il couchât alors sur la terre, il avait beaucoup d’or et de grandes terres ; ces richesses, dont il connaissait la toute-puissance, pouvaient, se disait-il, le racheter de la servitude abjecte à laquelle un revers politique l’avait réduit. Depuis la victoire de Linlithgow, Angus exerçait sans obstacle le pouvoir royal. Il fallait donc que Beaton gagnât ce terrible vainqueur. La reine-mère, qui d’abord avait aussi pris la fuite, s’étant hasardée deux mois après à s’approcher d’Édimbourg, son fils l’avait reçue et conduite au palais de Holyrood ; ceci donna courage à l’archevêque. Son neveu, David Beaton, abbé d’Arbroath, était aussi habile et ambitieux que son oncle, mais avait une haine encore plus ardente contre ceux qui refusaient de se soumettre à l’Église romaine. L’archevêque-berger lui demanda de négocier son retour ; le parti des nobles se montra difficile ; mais l’abbé ayant gagné le prévôt d’Édimbourg, sir Archibald Douglas, oncle d’Angus, le marché fut conclu. L’archevêque dut payer deux mille marcs d’Écosse à Angus, mille à George Douglas, geôlier du roi, mille au cruel James Hamilton, assassin de Lennox, et faire don au comte d’Arran de l’abbaye de Kilwinning. Beaton, ravi, jeta sa houlette, partit pour Edimbourg et reprit ses fonctions épiscopales à Saint-André.
Ce fut quelque temps après le retour de Beaton que le cousin du roi commença à prêcher dans Saint-André la bonne nouvelle du salut gratuit par la foi en Christ. De telles doctrines ne pouvaient y être enseignées sans produire quelque rumeur. Le clergé s’alarma, des prêtres et des moines se rendirent au château, demandèrent à l’archevêque de châtier le jeune prédicateur, et Beaton ordonna une enquête. Elle se fit très exactement. Les personnes avec lesquelles Hamilton avait débattu furent entendues, quelques-uns de ses auditeurs citèrent le contenu de ses discours ; il fut déclaré hérétique. Beaton n’était pas cruel, il se fût peut-être contenté de chercher à ramener par des exhortations paternelles le jeune et intéressant Hamilton dans les voies de l’Église. Mais le primat avait près de lui des esprits fanatiques, surtout son neveu David, et ils redoublèrent d’instances jusqu’à ce que l’archevêque eût ordonné qu’Hamilton parût devant lui, pour rendre compte de sa fois.
s – Voir The sentence against P. Hamilton. (Fox, Acts, IV, p. 560.)
L’enquête n’avait pu se faire sans que ce noble chrétien en fût informé ; il comprit le sort qui l’attendait ; ses amis le comprenaient de même. S’il paraissait devant l’archevêque, c’en était fait de lui. Chacun fut ému de compassion ; quelques-uns même de ses adversaires, touchés de sa jeunesse, de la beauté de son caractère et de son illustre naissance, désiraient le voir échapper à la mort. Il n’y avait pas de temps à perdre, car l’ordre de la cour archiépiscopale était déjà signé ; plusieurs le conjuraient de s’enfuir. Que fera Patrick ? Tout son désir était de montrer à d’autres la paix qui remplissait son âme ; mais en même temps il savait tout ce qui lui manquait encore. Qui mieux que les réformateurs de l’Allemagne pouvait l’éclairer et l’affermir, le mettre en état de revenir plus tard annoncer Christ avec puissance ? Il résolut de partir. Deux de ses amis, Hamilton de Linlithgow et Gilbert Wynram d’Édimbourg, se déclarèrent décidés à l’accompagner ; on fit dans le plus grand secret les préparatifs du départ ; Hamilton prit avec lui un domestique, et les trois jeunes Écossais, se rendant furtivement aux bords de la mer, s’embarquèrent sur un navire marchand ; c’était dans la dernière moitié du mois d’avril 1527. Ce départ inattendu contraria fort ceux qui en voulaient à la vie de l’évangéliste. « Ce sont de mauvaises intentions qui le portent à quitter le royaumet, » dirent les familiers de l’archevêque. Non ; son intention était de s’instruire, de croître de jour en jour dans la vie spirituelle. Il aborda au commencement de mai dans l’un des ports des Pays-Bas.
t – « He, of evil mind, as may be presumed, passed forth of the realm. » (Ibid.)