Théorie Pélagienne (imitation) ; Arminienne (perte de l’arbre de vie) ; Imputation ; Propagation (Traducianisme).
En rapportant, avec l’Ecriture, l’origine de la corruption à la transgression d’Adam, nous ne prétendons pas que les hommes soient considérés et punis comme coupables de cette faute. Ce serait contredire et la conscience et la Bible qui déclarent si hautement que chacun portera son propre fardeau. Nous entendons seulement que par cette déviation primitive de la loi divine, l’état moral de la race humaine a été changé comme son état physique, soit par la décroissance du principe supérieur (amour de Dieu, esprit), soit par le développement du principe inférieur (amour du monde et de soi-même, chair), soit par l’action de ces deux causes réunies (le premier de ces principes devenant plus faible, tandis que l’autre devenait plus fort), soit par d’autres influences que nous ne saunons connaître, puisqu’elles n’ont point été révélées.
Saint Paul, en attestant ce grand fait de la manière la plus formelle, n’en dévoile et n’en détermine ni la nature, ni le mode, ni la raison. Il affirme la fatale influence de la transgression d’Adam sur l’humanité tout entière, mais il n’affirme que cela. C’est le simple fait, sans explication du comment ni du pourquoi. Toutes les opinions qui ont prétendu pénétrer plus avant sont donc hypothétiques. J’indiquerai les principales.
On en peut distinguer quatre très tranchées par le principe d’après lequel on y explique la relation de l’état actuel de l’humanité avec le péché d’Adam. Chacune de ces théories a été exposée avec des nuances et des formes diverses, mais l’idée fondamentale nous importe seule dans cet aperçu sommaire. Deux d’entre elles, en reconnaissant le fait général de la culpabilité, nient celui de la corruption inhérente, du vitium originis. Selon la 1re théorie, Adam est l’auteur du péché, parce qu’il en a donné le premier l’exemple ; théorie Pélagienne, imitation. — Selon la 2e, parce qu’en nous faisant perdre l’arbre de vie, il a changé profondément notre condition première, sous le rapport moral comme sous le rapport physique : théorie de certains Arminiensa. — Selon la 3e, parce que représentant la race humaine dans son épreuve, il a dû l’entraîner avec lui dans sa chute : imputation. — Selon la 4e, parce que devenu pécheur et mortel par sa désobéissance, il a eu naturellement des enfants pécheurs et mortels comme lui : propagation (traducianisme).
a – Nous l’avons exposée à l’article de la Chute, mais elle n’a pas de désignation propre en théologie où elle n’a eu ni longue durée ni grand retentissement.
La théorie Pélagienne, généralement adoptée par les Sociniens et les rationalistes, place toute l’action d’Adam sur nous dans l’influence morale de l’exemple qu’il nous a laissé ; et c’est par là qu’elle veut rendre compte de Romains 5.12. — Cette interprétation est inconciliable avec les faits comme avec les enseignements scripturaires. Elle met de côté, par une simple négation, le penchant au mal, si formellement constaté par la conscience, par l’observation, par la Bible, et que la philosophie a été forcée de reconnaître. De plus on se demande comment le péché d’Adam a pu être, dans le sens qu’on dit, la cause directe des péchés du monde, puisque la plupart des hommes n’en ont pas même entendu parler (peuples païens) ; on se demande encore si l’exemple de Jésus-Christ est aussi l’unique cause du salut, ainsi que l’exigerait le parallèle de Romains ch. 5. A la vérité les Pélagiens, ou du moins les Sociniens n’ont guère reculé devant cette conséquence de ce principe ; ils ont soutenu que la vertu salutaire de l’Evangile était toute morale, que Jésus-Christ nous a ouvert le sentier de la vie uniquement par son enseignement et par son exemple. Mais est-il possible de réduire à cela seul l’œuvre de la rédemption, sans faire violence à une moitié de l’Evangile et sans effacer l’autre moitié ?
La théorie Arminienne, qui veut tout expliquer par la perte de notre immortalité terrestre, suppose qu’en devenant esclave de la mort, l’homme l’est par cela même devenu d’une multitude de craintes, de sollicitudes, de besoins, qui l’asservissent au péché et au monde. — Mais cette hypothèse n’est pas plus admissible que la précédente. 1° Elle ne rend pas compte, non plus, du penchant au mal qui est certainement bien autre chose que la crainte de la mort. 2° Son principe, relativement à l’influence morale du sentiment de notre fragilité est en désaccord avec l’expérience et avec l’Ecriture, qui nous enseignent l’une et l’autre que ce sentiment est au contraire un de ceux qui nous amènent et nous attachent le plus à la religion. 3° Elle exigerait le renversement des idées et des expressions de saint Paul Romains 5.12 ; au lieu de la sentence : et par le péché la mort, il faudrait : et par la mort le péché ; les hommes ne mourraient pas parce qu’ils sont pécheurs, mais ils seraient pécheurs parce qu’ils sont mortels. Du reste, cette théorie s’est si peu accréditée qu’elle compte à peine dans l’histoire de la dogmatique.
La théorie qui a dominé dans les églises protestantes et passé jusque dans leurs symboles (Conf. de foi Ecossaise, etc.) est la théorie Augustinienne de l’imputation, suivant laquelle Dieu, considérant tous les hommes comme ayant participé au péché d’Adam, leur en fait légitimement porter toutes les conséquences. On a essayé de la justifier : — a) En représentant Adam comme formant avec sa postérité une seule personne morale, selon le mot de saint Augustin : « ille unus fuimus omnes » ; système de l’unité physique qu’on appuie sur Hébreux 7.9-10, en laissant de côté le « pour ainsi dire » (ως επως ειπειν) de l’Apôtre. Cette vieille théorie touche d’assez près aux systèmes modernes qui voient dans l’humanité une sorte d’être collectif où tout est solidaire de tout, et à ceux qui supposent que l’humanité était une substantiellement à l’origine, et qu’elle ne s’est brisée en individus que pour faciliter l’œuvre de la rédemption. Certaines écoles et certaines sectes ont imaginé que toutes les âmes qui devaient former la race humaine assistèrent à la tentation et participèrent à la chute par leur consentement. C’est quelque chose d’assez semblable à la théorie de l’unité primitive de l’humanité ; ce n’est pas plus hypothétique et c’est plus intelligible ; — b) En représentant Adam, chef de la race humaine, comme ayant reçu pour ses descendants autant que pour lui l’alliance divine (de même qu’Israël Deutéronome 29.10-15), de sorte que ses descendants ont dû participer aux effets de sa chute comme ils auraient participé aux fruits de sa fidélité (unité morale, système fédéral qu’on appuyait sur bien des analogies et sur ce principe que la condition des enfants suit celle des pères, principe consacré sous le régime féodal (princes, nobles, serfs) ; — c) En représentant Dieu comme ayant prévu que si les autres hommes eussent été placés dans la même position qu’Adam, ils auraient péché aussi bien que lui (science moyenne, prescience des futurs contingents) ; — d) En recourant à la volonté souveraine ou arbitraire de Dieu qui seule constitue le bien et le mal (réformés rigides, qui coupaient ainsi le nœud, au lieu de chercher péniblement et vainement à le délier).
La théorie de l’imputation, sous ses diverses formes, n’est qu’une hypothèse ; elle laisse subsister la plupart des difficultés qu’elle prétend aplanir et elle en soulève de nouvelles. Si le terme qui la désigne est biblique, il ne l’est pas dans le sens qu’elle y attache. S’il est dit que Dieu impute aux hommes leur justice ou leur faute propre, il n’est jamais dit qu’il leur impute une justice ou une faute étrangère. Nous aurons à nous occuper ailleurs de cette question, exégétique et théologique tout ensemble, et à discuter les verbes chashab et λογιζομαι.
Quant à la dernière théorie, celle de la propagation naturelle, il faut bien l’admettre d’une ou d’autre manière, dès qu’on croit que le penchant au mal qui caractérise l’humanité est un résultat de la transgression d’Adam et qu’il a passé à sa postérité tout entière. Mais en reconnaissant le fait, il faut reconnaître aussi qu’il est incompréhensible et inexplicable. On a eu un double tort à cet égard, d’abord de se livrer à tant de spéculations et d’hypothèses, ensuite d’y attacher autant d’importance qu’on l’a souvent fait. Saint Paul affirme que, par suite de la première désobéissance, le péché et la mort sont venus sur tous les hommes ; mais il ne dit ni pourquoi, ni comment cela a eu lieu. Le modus operandi nous reste donc caché. Respectons cette obscurité sainte. Toutes les tentatives des siècles et des esprits les plus distingués pour pénétrer au delà de la limite scripturaire n’ont abouti qu’à des discussions stériles. La corruption morale de l’homme est positive, elle est révélée par l’ensemble des enseignements et des faits bibliques, elle est constatée par l’observation intérieure et extérieure ; les Saintes Ecritures déclarent qu’elle ne vient point de Dieu, et elles la rattachent, ainsi que la misère et la mort, à la première infraction de la loi. Allons jusqu’où nous conduit la lumière de l’expérience et de la révélation, et arrêtons-nous là où elle cesseb : ou si nous tentons d’aller au delà, distinguons soigneusement ce qui n’est que conjecture, hypothèse, opinion humaine, de ce qui porte le sceau de la certitude et de la vérité.
b – Saint Augustin disait qu’ « il vaut mieux penser à la manière dont nous sommes délivrés du péché originel en Jésus-Christ que de rechercher comment nous l’avons hérité d’Adam ; de même qu’un homme tombé dans un puits s’inquiète plus des moyens d’en sortir que des causes de sa chute. » Il serait bien heureux que la théologie eût toujours pris pour devise cette maxime d’Augustin, qui ne s’en souvint pas trop lui-même.