a) Réclamations de la loi ; — b) L’homme coupable et corrompu ; — c) Voie de la grâce ; — d) Le salut gratuit mais non inconditionnel ; — e) La foi, moyen de justification, est aussi principe de régénération ; — f) Mais elle ne sauve pas par la sanctification. — La doctrine de la justification relève tout ensemble la grâce et l’obligation morale ; mais la foi est condition fondamentale. — Cette doctrine se légitime d’elle-même devant la conscience religieuse et morale. — Le dogme de la justification n’est que celui de l’expiation saisi dans sa portée réelle.
Il me paraît nécessaire de résumer les principaux points de cette grande doctrine, afin d’en mieux saisir, par une vue d’ensemble, la base et la portée.
a) La loi, règle éternelle de l’ordre et du bien, réclame une obéissance constante, universelle, à la fois intérieure et extérieure. Quiconque l’enfreint en un seul point perd la vie qu’elle promet et tombe sous la condamnation qu’elle dénonce (Galates 3.10-12 ; Jacques 2.10. Comp. à Genèse ch. 3).
b) L’homme, coupable, et corrompu, est tout ensemble indigne et incapable de la vie du Ciel (Jean 3.3, 6 ; Romains 3.22).
c) Dieu lui ouvre une voie de salut. Il a établi en sa faveur une dispensation de grâce, préparée dès les temps éternels, annoncée au moment de la chute, préfigurée et prophétisée dans l’Ancien Testament et accomplie enfin sur le Calvaire (Jean 19.30).
d) Mais ce salut, quoique gratuit, n’est point inconditionnel. Jésus-Christ, en s’offrant aux enfants d’Adam comme le Souverain sacrificateur qui fait propitiation pour eux, s’offre aussi comme Prophète et comme Roi, afin qu’ils se soumettent à sa parole et à son règne. Il les délivre et de l’empire et de la peine du péché. Il les appelle à la repentance en les appelant à la foi. La dispensation de grâce modifie la dispensation de justice, sans l’annuler ni l’invalider. L’Évangile n’anéantit pas la loi, il l’affermit au contraire. La rédemption nous porte le pardon et la sanctification ; c’est son double but et ce doit être son double effet ; l’un n’est pas sans l’autre.
e) La foi à laquelle ont été liées les promesses est, tout ensemble, moyen de justification et principe de régénération, embrassant les deux grandes fins de la rédemption dont elle nous rend participants. La foi salutaire est la racine des dispositions évangéliques ; nous faisant une même plante avec Christ, selon l’expression de saint Paul, elle nous communique les vertus mystiques de sa mort et de sa résurrection ; elle opère par la charité ; elle n’est complète (τελεια, arrivée à son développement normal) que par les œuvres, c’est-à-dire par la soumission du cœur et de la volonté à la loi divine. Quand elle ne va pas jusqu’aux œuvres, quand elle ne produit pas la sanctification, elle est morte, inutile à l’homme et nulle devant Dieu. La vie spirituelle est l’obéissance de la foi (Romains 1.5 ; 1 Jean 5.3).
f) Mais ce n’est pas par ce caractère et à ce titre, ce n’est pas par sa valeur propre, par sa vertu morale, que la foi justifie ; c’est uniquement en saisissant et s’appropriant le don de la grâce. Elle se détache alors de ses œuvres, dont elle reconnaît l’irrémédiable défectuosité, pour ne regarder qu’à Jésus-Christ et aux trésors de miséricorde qu’il nous ouvre ; car, sans parler des péchés commis avant la conversion et qui sont toujours là, notre foi, et la direction religieuse qu’elle nous imprime, et les sentiments et les actes qu’elle nous inspire, ne sont jamais ce qu’ils devraient être ; même après nous être soumis sincèrement à l’Évangile, nous restons, par nos dispositions et par nos œuvres, fort au-dessous de l’immuable règle du bien ; les racines de la corruption, toujours vivantes en nous, jettent de mille manières leurs fruits amers sur notre vie intérieure et extérieure ; il y a du péché jusque dans nos intentions et nos actions les plus saintes, de sorte que, jugés selon la justice, nous serions encore condamnés. A tous les stages de notre renouvellement moral, nous ne trouvons de sûreté qu’en nous reposant, avec une entière abnégation de nous-même, sur la miséricorde qui nous a été faite, sur ce salut venu du dehors, donné et non acquis, accordé à titre de grâce au premier mouvement qui porte vers Christ, et toujours nécessaire, même au plus haut degré de l’avancement spirituel ; cet avancement, n’étant qu’une conversion continue, a besoin d’un pardon continu. Voilà ce qu’exprime la formule : « Justifiés par la foi, sans les œuvres » ; formule étonnante au premier abord, souvent inintelligible et presque scandaleuse pour les esprits étrangers aux mystères du Royaume des Cieux, qui s’efforcent d’y insérer une autre pensée que celle qu’elle éveille naturellement ; mais dont le sens profond se révèle, se légitime, se vérifie à mesure qu’on acquiert une connaissance pratique de l’Évangile et de soi-même ; l’expérimentation intérieure et l’évidence immédiate s’unissent alors à l’autorité de la Parole divine. Par une vue plus exacte de ce qu’on devrait être et de ce qu’on est, par la chute successive de toutes les formes de l’ιδια δικαιοσυνη, on arrive à se reposer dans cette parole à laquelle le cœur a tant de peine à se rendre, quoiqu’elle soit son seul refuge : Justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption, etc.
Telle est la doctrine centrale et vitale de l’Évangile, sur laquelle s’éleva la Réformation. Elle harmonise la dispensation temporaire de grâce avec l’éternelle dispensation de justice, d’où elle sort et où elle ramène.
Cette doctrine, qui a pour principe que le retour au bien ne saurait amnistier des êtres tombés dans le mal, peut se présenter sous un autre aspect résultant toujours des faits établis ; et nous ne devons pas craindre d’en varier l’exposition, afin d’en rendre, s’il est possible, la notion plus exacte et plus ferme, l’impression plus nette et plus vive.
Nous avons vu que les deux grandes conditions évangéliques sont la foi et la régénération, qu’elles sont absolument exigées l’une et l’autre, que celui qui refuse de s’amender demeure sous la condamnation aussi bien que celui qui refuse de croire. Sous ce rapport général, la foi et la régénération apparaissent comme également nécessaires et se placent sur la même ligne. Mais, au point de vue particulier de la justification, la foi devient condition fondamentale ; tout semble se retirer ou s’effacer devant elle. Dans une foule de passages, non Seulement elle s’élève au-dessus de tous les éléments de la vie chrétienne, mais elle s’en sépare et se montre seule. C’est qu’elle est condition à un autre titre que la conversion et la sanctification. Suivant une des vieilles formules de l’école, la régénération est conditio sine qua non, la foi est conditio per quam. Il est dit partout δια πιστεως, il n’est pas dit δια μετανοιας. La foi est donc plus que condition ; elle est moyen. Elle l’est, non par sa vertu propre, par sa valeur intrinsèque, mais en tant que reconnaissant l’absolue impossibilité du salut par l’économie primitive (celle de la loi ou des œuvres) elle s’élève, s’attache, se soumet à la dispensation nouvelle, dont elle embrasse et s’applique les promesses. Elle devient cause occasionnelle ou instrumentale du salut, parce qu’elle en fait agir sur l’âme la cause méritoire, savoir le mystère de la Croix. Et, dans cet acte, elle paraît seule, se dépouillant en quelque manière des sentiments et des faits moraux qui l’accompagnent ou la suivent, se reposant uniquement sur Celui qui a été traité comme un pécheur à cause de nous, afin que nous devinssions justes devant Dieu par lui, et qui nous est fait, de la part de Dieu, sagesse, justice, sanctification et rédemption. Voilà l’office de la foi, et de la foi seule. Elle nous approprie les dons de la miséricorde en leur laissant ce caractère d’absolue gratuité, qui leur est essentiel dans le plan divin. C’est pour cela qu’elle est moyen de justification, car la justification n’est que l’application à notre âme des bienfaits et des mérites de Christ. Si la justification pouvait venir de la régénération, Christ serait mort en vain et sa croix rendue inutile ; l’effusion de son. Esprit aurait suffi : où serait alors la raison de ses souffrances et dé la haute et large place qu’elles occupent dans le Nouveau Testament ? De plus, le péché ne paraîtrait pas ce qu’il est devant Dieu, selon les Écritures. Il semblerait que le retour au bien le répare et l’efface ; il ne serait qu’une déviation, dont les effets cessent dès qu’elle cesse elle-même : d’où, des dangers infinis, autant que nous pouvons en juger, pour l’ordre moral de l’Univers. Ces dangers sont prévenus dans le plan de la justification-expiation. La conversion, la sanctification, les œuvres y restent aussi obligatoires, aussi nécessaires que dans les autres systèmes, sans y être la base de la confiance et de l’espoir des rachetés. A ce point de vue, tout se montre si saint, si inviolable dans le gouvernement divin, que les fatales conséquences du péché ne s’arrêtent pas par le repentir et l’amendement ; il a fallu la mort du Fils de Dieu. Le pécheur croyant et repentant donne gloire à la justice éternelle, tout en se couvrant de la parole de réconciliation. Il est arraché aux malédictions de la loi ; mais la loi est magnifiée par l’acte du pardon infiniment plus qu’elle ne l’aurait été par la destruction d’un monde ; car elle ne cède qu’à une intervention ineffable qui frappe l’univers moral d’un religieux respect, d’un saint tremblement, en même temps qu’elleb le pénètre d’un nouveau principe d’amour et d’adoration par une nouvelle révélation des attributs moraux de Dieu.
b – Voyez Argument rationnel de la rédemption, p. 129.
Ainsi, quoiqu’on ne puisse voir le Royaume de Dieu qu’autant qu’on marche dans la sanctification, ce n’est pourtant pas à cause d’elle qu’on y est introduit, c’est uniquement par la rédemption. On n’y entre qu’au nom de Christ, en vertu de sa médiation ; ce n’est qu’en lui et par lui que les pécheurs, dont il est devenu la lumière et la vie, sont traités devant Dieu comme justes. Mais il faut qu’ils le reconnaissent et le confessent ; et ce sentiment, cet aveu est impliqué dans la foi justifiante, qui porte à sa base la conviction de notre indignité et de notre incapacité spirituelle, un sincère recours à la grâce, et une humble confiance dans la Parole sainte où cette grâce nous est révélée. Tel est l’ordre de l’économie chrétienne. Le salut n’est pas sans la régénération, mais il n’est pas non plus par la régénération ; il est par la foi ; et encore au moyen de la foi et non en considération de la foi, per fidem et non propter fidem, δια πιστεως et non υπερ πιστεως ou δια πιστιν.
Cette vue de la justification met également en évidence le don de Dieu et le devoir de l’homme. Elle humilie l’homme et donne gloire à Dieu, puisque le pardon, la réconciliation, la vie éternelle découlent d’une miséricorde absolument imméritée. Mais l’obligation morale reste avec toutes ses sanctions, reposant tout ensemble et sur le mobile d’amour et sur le mobile d’intérêt.
On ne saurait accuser cette doctrine de propre justice, ainsi que le fait l’ultraprotestantisme, que par une méprise, commune peut-être, mais déplorable. Il faut se garder de confondre la propre justice avec la justice propre (si l’on veut me passer cette sorte d’antithèse verbale) c’est-à-dire avec la justice personnelle ou inhérente. L’une, consiste à conformer sa vie intérieure et extérieure avec la volonté divine, l’autre à appuyer ses espérances de salut sur ce qu’on est ou sur ce qu’on fait, à considérer ses dispositions ou ses œuvres comme un droit, un mérite devant Dieu. L’une doit être recherchée avec autant de soin que l’autre évitée. La justice propre dont l’humilité fait l’essence et qui n’est qu’un autre nom de la sainteté, est le meilleur préservatif contre la propre justice. Si cette dernière est partout réprouvée dans l’Écriture, la première y est constamment recommandée et impérieusement exigée ; tout tend à la produire, à la vivifier, à la développer au fond des cœurs ; elle est le grand objet des dogmes comme des préceptes évangéliques ; elle est la fin suprême de la dispensation de grâce, car le but ultérieur du Christianisme est le renouvellement de l’homme dans une justice et une sainteté véritables. La première est parfaite chez l’ange, sans mélange de la seconde. La seconde se trouve chez le mondain, le pharisien, le sadducéen, le formaliste de tous les ordres : elle peut se trouver chez l’antinomien le plus prononcé, parce que l’antinomien peut se faire un mérite ou une propre justice de son dédain de tout mérite ou de toute justice propre.
Cette accusation, contre laquelle nous eûmes à défendre notre doctrine, ne lui serait guère adressée aujourd’hui. On lui reprocherait plutôt de manquer d’unité, puisqu’en maintenant la justification forensique nous faisons la justification morale tout aussi obligatoire que les théories que nous avons combattues. Mais, on le sait, ce reproche nous toucherait fort peu ; car nous cherchons la vérité biblique, cette vérité qui est la vie ; et pour l’avoir réellement, nous nous attachons à la saisir et à la retenir intégralement, sans nous inquiéter beaucoup de sa forme logique ou systématique. L’antinomie qu’on pourrait signaler dans notre exposé général gît dans la nature même des choses…
Au fait, et pour ramener, sans la développer, une observation qui reviendra encore, la doctrine de la justification, telle que nous l’avons exposée, est rationnelle autant que biblique. Elle se légitime d’elle-même devant la conscience religieuse et surtout devant la conscience chrétienne qui a déjà admis la divine mission de Jésus-Christ et son œuvre rédemptrice. Elle est un postulat nécessaire des réclamations de la loi combinées avec l’état moral de l’homme, et avec les faits généraux de l’Évangile… Dans la réalité des choses, il n’existe pour des êtres devenus pécheurs que l’alternative de la justice et de la grâce : la justice qui les frappe de sa redoutable réprobation, la grâce qui les couvre de sa céleste amnistie. Or, on n’entre réellement dans la dispensation de grâce, qu’en se voyant perdu aux termes de la dispensation de justice ; on ne se tourne sincèrement et pleinement vers les promesses du Calvaire qu’après avoir traversé les terreurs du Sinaï. Consentir à être sauvé par la foi, c’est se reconnaître condamné par la loi… C’est par là que le sérieux disciple de la loi est le vrai candidat de la grâce.
Si le dogme évangélique se légitime devant la pensée recueillie qui le sonde à la lumière d’une saine anthropologie et d’une saine théodicée, il se légitime bien autrement encore devant la conviction de péché, cet éveil des âmes repliées sur elles-mêmes, cette sorte d’illumination de la conscience religieuse et morale où devient si vif le triple sentiment de notre profonde culpabilité, de notre irrémédiable faiblesse contre le mal, et de l’éternelle justice qui ne peut le voir sans le punir. Cet état intérieur se produit ou peut se produire à tous les degrés de culture, car il n’y faut qu’un regard sur ce que nous sommes, en face de la loi et du jugement, dont nous portons en nous l’invincible notion. Cet état devrait être universel, car il n’est que la vue expérimentale de nous-mêmes. Cependant il est extrêmement rare ou faible, tant l’homme, distrait par les bruits du monde, se connaît ou s’observe peu. Mais partout où il existe à quelque degré il fournit à l’Évangile sa prise et sa force vitale. Ce travail des âmes, et le vague mais profond besoin de pardon et de régénération qu’il leur inspire, les prépare et les ouvre à la parole du missionnaire comme à celle du pasteur ; il les rend attentives et dociles à la grande doctrine de la grâce, où il fait voir la vérité, parce qu’il y fait sentir la vie. C’est par là surtout que le Christianisme trouve accès jusque chez les peuplades les plus sauvages, l’œuvre de la conscience se faisant encore au sein des ténèbres les plus profondes. Les angoisses du péché portent au devant de ce salut que les miséricordes du Ciel proclament sur la Terre. De là ce témoignage qui agit comme une intuition et qui triomphe des subtilités de la science de même que des superstitions de l’ignorance. Oh ! si l’homme était attentif à cette révélation de son état moral et de son avenir éternel !
La dogmatique protestante a souvent renvoyé, surtout dans les premiers temps, au côté pratique de sa doctrine de la justification, comme à un de ses principes explicatifs et démonstratifs. Calvin y revient à diverses reprises dans son Institution. « Il est facile, dit-il (3.12.1-2), de gazouiller en un anglet d’école quelle dignité ont les œuvres pour justifier l’homme, mais quand on vient devant la face de Dieu il faut abandonner tout ce fatras… Toute cette dispute serait froide et sans saveur, si chacun ne s’ajourne devant le Juge céleste, et étant en souci d’obtenir l’absolution, s’abatte de son propre gré et s’anéantisse. »
Nous appellerions volontiers sur ce point les investigations de la direction théologique qui fait de l’intuition spirituelle, de l’expérimentation morale, son principe et son critère suprême. Qu’elle suive sa voie fidèlement et jusqu’au bout, qu’elle recueille les hautes données de la conscience religieuse, en prenant garde de les fausser par des données étrangères ; qu’elle leur laisse dire simplement et pleinement ce qu’elles disent ; et il en sera à l’article de la justification comme à celui de l’expiation, postulat final de la vraie notion de la loi, du péché et de la justice rétributive. Le dogme de la justification, rappelons-le, n’est que celui de l’expiation saisi dans sa signification intime et dans sa portée réelle ; au fond, ces deux dogmes n’en font qu’un. El s’ils étonnent d’abord la raison, ils la forcent ensuite, par bien des côtés, à leur rendre témoignage. Sans doute, c’est l’Écriture qui les, donne et les constate, puisqu’ils sont des faits de révélation ; mais ils correspondent à de mystérieux pressentiments du cœur humain où ils se justifient en quelque sorte par eux-mêmes, et l’épreuve confirme la preuve.
Le principe évangélique dont ces dogmes sont l’expression et contre lequel a protesté en tout temps la sagesse du siècle est, en thèse générale, spontanément accordé aux deux extrêmes de la vie morale, je veux dire au plus haut degré du développement spirituel et au plus bas étage de la corruption, quand il pénètre dans ce cloaque impur quelques rayons de la lumière du Ciel. Les âmes que va saisir, au sein de leur impiété et de leur immoralité, le sentiment de la justice divine, s’ouvrent et se rendent d’ordinaire à ce salut gratuit qui descend vers elles et où elles trouvent plus qu’elles ne pouvaient espérer (Madeleine aux pieds de Jésus ; le brigand sur la croix). Les âmes qui ont poussé le plus loin la lutte contre le mal, et qui voient cette sainteté, qu’elles recherchent et qu’elles doivent, s’éloigner en quelque manière à mesure qu’elles la poursuivent, sont aussi conduites par l’épreuve d’elles-mêmes à reconnaître que la vie éternelle ne saurait être qu’un don de miséricorde et qu’elle ne peut être obtenue qu’à ce titre ; tandis que la piété et la moralité communes y aspirent généralement à titre de récompense, parce qu’elles n’ont qu’une notion confuse de ce qu’elles devraient être et de ce qu’elles sont devant Dieu. Toujours ce qui eut lieu au commencement, car le cœur de l’homme est toujours le même. Les Gentils, comme les publicains qui ne trouvaient nul refuge en eux-mêmes, se soumirent à la justice de la foi (Romains 9.30). Ainsi fit, dans une autre direction, l’Israël selon l’Esprit, mort à la loi par la loi elle-même (Galates 2.19). Les Pharisiens, au contraire, appuyés sur leurs observances et sur leurs œuvres, repoussèrent la parole de la grâce, ou ne la reçurent qu’en la falsifiant (judaïsants).
Pour arriver, sinon au dogme chrétien, du moins au principe qui le fonde, au sentiment qui le réclame, il suffit, au point de vue logique ou métaphysique, de la vraie notion de la loi en rapport avec l’état moral de l’homme ; et, au point de vue pratique, de la notion expérimentale de notre état moral en face des obligations et des sanctions de la loi. C’est un des côtés par lesquels se réalise incessamment cette parole du Seigneur : Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu etc. (Jean 7.17). Le principe génétique de la doctrine de saint Paul, ou plutôt de sa démonstration, car sa doctrine a une autre source et une autre base, est, nous l’avons vu, qu’il n’y a de salut par la voie des œuvres que dans une pleine conformité avec l’éternelle règle du bien ; que nul homme ne possède cette parfaite rectitude de la vie intérieure et extérieure ; que, par conséquent, il ne reste de ressource que dans l’amnistie céleste ouverte au monde en Jésus-Christ, et qui s’obtient par la foi, afin qu’elle soit par grâce. Ce principe est, en fait, celui de l’Écriture entière qu’il traverse de part en part. Saint Paul l’appuie constamment sur les déclarations de Moïse et des Prophètes, et il respire dans tout le Nouveau Testament qui met en évidence la sainte spiritualité de la loi avec l’avenir de rétribution. Mais ce principe, la conscience le donne comme l’Écriture. La conscience réclame, comme l’Écriture, la pleine observation de la loi et n’annonce la vie qu’à cette condition. Laissez-lui faire son œuvre en entier ; elle vous jettera, par cette épreuve de vous-même que nous invoquions tout à l’heure, dans les bras de la miséricorde, réalisant le 7e chapitre des Romains. Après vous avoir forcé de vous écrier, en présence de la loi : Misérable que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? elle vous fera dire, en présence de l’Évangile : Grâces, grâces à Dieu en Jésus-Christ, Notre Seigneur !