Notre principal motif en essayant de découvrir une différence entre ces synonymes, c’est le fait qu’ils sont réunis, Éphésiens 6.4, et que souvent on ne les y distingue en aucune manière l’un de l’autre, ou bien on établit une distinction erronée. — Παιδεία est un de ces nombreux vocables auxquels l’esprit sérieux de la Révélation a communiqué un sens plus profond que celui qu’ils avaient rêvé auparavant ; car le vin nouveau, par un merveilleux procédé, a renouvelé jusqu’à la vieille outre dans laquelle il a été versé. Pour les Grecs, παιδεία c’était simplement « l’éducation » ; et il n’y a pas, dans toutes les nombreuses définitions que donne Platon, la plus légère anticipation prophétique de la nouvelle force que le mot devait obtenir un jour. Néanmoins les vues plus profondes de ceux qui avaient appris que « la folie est liée au cœur du jeune enfant » aussi bien qu’à celui de l’homme fait, mais « que la verge du châtiment la ferait éloigner de lui » (Proverbes 22.15), les conduisirent, en s’emparant du mot, à lui inoculer un second sens. Ils comprirent que toute vraie instruction pour les enfants pécheurs des hommes implique le châtiment, ou, comme nous avons l’habitude de dire, dans le sentiment de la même vérité, la « correction »c.
c – Les Grecs, sans doute, reconnaissaient, jusqu’à un certain point, ce même sens dans l’usage secondaire qu’ils faisaient d’ἀκόλαστος, qui, dans sa première signification, veut dire simplement « l’impuni ». Ménandre fait aussi cet aveu : ὁ μὴ δαρεὶς ἄνθρωπος οὐ παιδεύεται.
On pourra comparer avec profit deux définitions de παιδεία ; l’une est d’un grand philosophe païen, l’autre d’un grand théologien chrétien. Voici celle de Platon (Leg. ii, 659 d) : παιδεία μὲν ἐσθ᾽ ἡ παίδων ὁλκή τε καὶ ἀγωγὴ πρὸς τὸν ὑπὸ τοῦ νόμου λόγον ὀρθὸν εἰρημένον. Et voici celle de Basile le Grand (In Prov. 1) : ἔστιν ἡ παιδεία ἀγωγή τις ὠφέλιμος τῇ ψυχῇ ἐπιπόνως πολλάκις τῶν ἀπὸ κακίας κηλίδων αὐτὴν ἐκκαθαίρουσα. Pour ceux qui sentirent et qui reconnurent tout ce que St. Basile affirme dans ces paroles, παιδεία en vint à signifier, non simplement « eruditio », mais, comme l’exprime St. Augustin, qui a remarqué le changement survenu dans l’emploi du mot (Enarr. in Ps. 118.66), « per molestias eruditio ». Et c’est bien là la notion qui prédomine dans παιδεία et dans παιδεύειν, à la fois chez les Septante et dans le N. T. (Lévitique 26.18 ; Psaumes 6.1 ; Ésaïe 53.5 ; Siracide 4.17 ; 22.6, μάστιγες καὶ παιδεία ; 2 Maccabées 6.12 ; Luc 23.16 ; Hébreux 12.5-8 ; Apocalypse 3.19, et souvent après). Le seul cas dans le N. T. où παιδεύειν revête le vieux sens grec, se trouve dans Actes 7.22.
Νουθεσία, en grec attique νουθετία ou νουθέτησις (Lobeck, Phrynichus, pp. 513, 520), se traduit mieux par « admonition », dont la définition de Cicéron, ne l’oublions pas, est celle-ci : « Admonitio est quasi lenior objurgatio ». Et tel est ici le sens de νουθεσία ; c’est l’action d’élever par la parole — par la parole d’encouragement, quand elle suffit, mais encore par celle de la remontrance, de la répréhension, du blâme, quand elle ne suffit plus, — comme étant opposée à l’acte physique et à la discipline, qu’exprime παιδεία. Bengel, qui se trompe si rarement, s’est cependant trompé ici, quant à l’exacte distinction du mot. Il écrit cette note à propos de ἐν παιδείᾳ καὶ νουθεσίᾳ : « Harum altera occurrit ruditati ; altera oblivioni et levitati. Utraque et sermonem et reliquam disciplinam includit. » Νουθεσία est l’éducation par la parole de la bouche, comme cela est évident par des combinaisons telles que celles-ci : παραινέσεις καὶ νουθεσίαι (Plutarch., De Coh. Ira, 2) ; νουθετικοὶ λόγοι (Xenoph., Mem, i, 2, 21) ; διδαχὴ καὶ νουθέτησις (Plato, Rep. iii, 399 b) ; νουθετεῖν καὶ διδάσκειν (Protag. 323 d).
Relativement parlant, et par voie de comparaison avec παιδεία, νουθεσία désigne le terme le plus adouci. Pourtant son union avec παιδεία nous enseigne que cette νουθεσία est aussi un élément très nécessaire de l’éducation chrétienne, sans lequel la παιδεία serait bien incomplète ; de même qu’alors que les années avancent, et que l’enfant a été remplacé par le jeune homme, la παιδεία doit également faire place à la νουθεσία, ou plutôt qu’elle doit s’effacer devant elled. Et cependant, la νουθεσία a elle-même, quand il le faut, revêt un caractère assez sérieux, assez sévère ; elle dénote bien plus qu’une faible remontrance telle que celle du souverain sacrificateur Héli : « Ne faites pas ainsi, mes fils, car ce que j’entends dire de vous n’est pas bon » (1 Samuel 2.24). En effet, il est dit expressément d’Héli lui-même, par rapport à ses fils, οὐκ ἐνουθέτει αὐτούς (1 Samuel 3.13).
d – L’auteur va trop loin. Παιδεία est le terme général : éducation, enseignement, instruction ; νουθεσία est un des modes de la παιδεία : c’est littéralement la mise à cœur, admonitio. Aug. Scheler.
Plutarque joint notre vocable à μέμψις (Conj. prœc. 13) ; à ψόγος (De Virt. Mor. 12 ; De Adul. et Am. 17) ; Philon à σωφρονισμός (Lœsner, Obs. ad N. T. e Philone p. 427) ; tandis que νουθετεῖν avait continuellement, si ce n’est toujours, l’acception d’admonester avec blâme (Plut., De Prof, in Virt. 11 ; Conj. Prœc. 22). Jérôme n’a donc raison qu’en partie, quand il désire se débarrasser, dans Éphésiens 6.4, et encore dans Tite 3.10, de « correptio » (que retient la Vulgate), en donnant pour motif que νουθεσία n’implique ni reproche ni sévérité, comme le fait évidemment « correptio » : « Quant correptionem nos legimus, melius in græco dicitur νουθσία, quae admonitionem magis et eruditionem quam austeritatem sonat. » Sans aucun doute, νουθεσία ne renferme pas nécessairement cette idée de sévérité, et c’est pourquoi « correptio » n’en est pas la meilleure traduction ; mais elle ne l’exclut pas, elle l’implique même, chaque fois que cela peut être nécessaire : sa dérivation de νοῦς et de τίθημι en affirme autant ; tout ce qu’il faut faire pour que l’admonition produise une impression et trouve sa place dans le cœur, y est renfermé.
En réclamant pour νουθεσία, en tant que distinct de παιδεία, le sens dominant d’admonition par la parole, nous croyons que personne ne contestera que ce vocable, ainsi que νουθετεῖν, ne soit aussi employé pour exprimer la correction par voie de fait ; nous affirmons seulement que l’autre sens, celui de l’appel aux facultés mentales, en est le premier et celui qui doit primer. D’où il suit que dans des phrases telles que celles-ci : ῥάβδου νουθέτησις (Plat., Leg. iii, 700 c), πληγαῖς νουθετεῖν (Leg. ix, 879 d ; cf. Rep. viii, 560 a), les mots sont employés dans un sens secondaire et impropre, mais, par cela même, plus emphatique. La même énergie d’expression se retrouve dans cette déclaration au sujet de Gédéon, « qu’il prit des ronces de la steppe et des chardons, et qu’il s’en servit pour enseigner les hommes de Succothe » (Juges 8.16.) Personne, en présence d’un tel langage, ne prétendra que le verbe « enseigner » n’ait pas eu cependant pour sens premier la communication orale de la connaissance.
e – Vers. Perret Gentil, Neuchâtel, 1861. La version anglaise porte : And taught the men of Succoth. » Trad.