La notion de l’attribut divin, qui est en soi conforme à l’enseignement biblique, est plus difficile à déterminer qu’il peut ne le paraître au premier abord, et ces difficultés avaient déjà frappé les représentants de l’ancienne dogmatique protestante, les premiers théologiens d’ailleurs qui aient fait de cet article un corps de doctrine.
Dorner résume sous ces cinq chefs les difficultés que suscite le sujet :
- La définition même de l’attribut, selon qu’on y fait rentrer ou non toute sorte d’énoncés sur ce que Dieu est ou sur ce qu’il n’est pas, les activités ou les déterminations de sa volonté ; et selon qu’on prête à ces attributs un caractère constant ou variable.
- La question de savoir si la distinction mutuelle des attributs a une valeur objective ou purement subjective ;
- S’ils sont coordonnés entre eux ;
- Quel est leur principe génétique ;
- Quel est. leur principe de division ;
Quant à leur définition, l’ancienne dogmatique distinguait avec raison les attributs divins : attributa divina, affectiones Dei, νοήματα, ἀξιώματα, à la fois des proprietates divinæ et des prædicata divina. Les propriétés divines étaient, comme nous l’avons indiqué déjà, les caractères distinctifs des personnes divines, et rentraient par conséquent dans la doctrine de la Trinité. Les prédicats au contraire avaient une acception plus large, renfermant les activités divines dont il sera traité plus tard.
Mais délimitée comme il vient d’être dit, la notion même de l’attribut était loin d’être tirée au clair. Deux écueils opposés sont ici à éviter : la conception nominaliste, consistant à n’attacher à la notion de l’attribut qu’une valeur subjective et à l’identifier par conséquent avec l’essence ; et la conception réaliste, qui leur attribuerait une existence concrète en Dieu même, le caractère d’accidentia juxtaposés et environnant l’essence divine.
On décida donc que les attributs divins ne différaient pas en soi de l’essence divine, ni les uns des autres : Attributa divina in se ac per se considerata sunt realiter et simplissime unum cum divina essentia (Gerhard). Attributa divina implicant ipsam essentiam divinam (Quenstedt). Leur existence résultait de la nature inadéquate des conceptions humaines, des limites de notre pouvoir de connaître : Ratione tantum distinguuntur (Quenstedt) ; distincte solum concipiuntur, cum in re ipsa distincta non sint (Hollace). On allait tomber dans le nominalisme, mais on s’arrêtait sur le seuil en réservant, d’autre part, que la distinction de ces attributs n’était pourtant pas destituée de toute raison d’être en Dieu même : non sine certo distinctionis fundamento (Hollace).
Mais ce certum distinctionis fundamentum restait enveloppé de nuages. Et la détresse où l’on se voyait réduit se trahissait par des formules où l’agilité scolastique ne laissait plus rien à désirer. En effet, les attributs divins étaient réputés distincts de l’essence et les uns des autres, non pas par une simple : distinctio rationis racionantis — quæ fit per meram intellectus nostri operationem, qualis est distinctio inter gladium et ensem, — mais par une : distinctio rationis ratiocinatæ — ubi est fondamentum aliquod in re — (Quenstedt). L’on disait encore : Attributa divina ab essentia divina et a se invicern distinguuntur non nominaliter… neque realiter… sed formaliter (Hollace)b.
b – Voir Rothe Dogmatik 1ter Theil. page 99
Nous chercherons à dégager l’élément de vérité qui s’agitait dans ces douloureuses élaboration ».
On avait le tort aussi, et ceci ne contribuait pas pour peu à la difficulté de la définition de l’objet, d’allonger à l’excès la série des attributs, comme pour charger l’essence divine d’un costume d’apparat, où le nombre des pièces devait suppléer à la qualité.
C’est ainsi qu’on rangea tour à tour au nombre des attributs, ou bien des éléments inhérents à l’essence divine elle-même, comme unitas, vita ; ou des organes de toute personnalité, qui pour cette raison même ne sauraient à aucun point de vue passer pour des attributs : intellectus, voluntas ; ou encore des activités qui en elles-mêmes sortent également de la notion de l’attribut : amor ; ou des expressions collectives, résumant la totalité des éléments de la vie divine : perfectio, majestas, beatitudo ; ou à l’inverse, des qualités négatives qui ne résultent que de l’imperfection de nos connaissances sur Dieu ou de la comparaison entre la perfection divine et l’imperfection humaine : incomprehensibilitas, incomparabilitas, immensitas.
Luthardt, dans son Compendium der Dogmatik, n’énumère pas moins de vingt-neuf attributs divins, dont plusieurs sont atteints des incorrections logiques que nous venons de signaler.
Schleiermacher réduisit l’attribut divin à n’être qu’une modification du sentiment d’absolue dépendance dans sa relation avec Dieu. La conception purement subjectiviste de l’attribut remplaçait ainsi la conception nominaliste. L’une faisait de l’attribut un simple concept ; l’autre, un fait de la conscience du moi.
Nous emploierons, quant à nous, le terme d’attributs, plutôt que le terme plus populaire de perfections, pour marquer l’élément de subjectivité attaché en effet à cette notion et résultant de l’imperfection de nos connaissances sur l’Être divin en soi. Le seul fait que nous nous voyons contraints de décomposer et de juxtaposer des éléments de la vie divine qui réalisent en soi une synthèse absolue, nous prouve qu’il y aura inévitablement dans la notion de l’attribut et d’un attribut particulier, une accommodation à faire à l’état de nos connaissances et de notre langage ; et en même temps nous leur attribuons, sur la foi de l’enseignement scripturaire, une réalité indépendante de nos propres conceptions. Nous les distinguons donc tout ensemble de l’essence divine transcendante à toute existence finie, qui a fait l’objet de notre article premier, et des fonctions et activités particulières des trois personnes divines qui feront l’objet de l’article III, en les définissant : les modes permanents, et communs aux trois personnes, des activités divines en rapport avec les formes diverses de l’existence finie. Ils sont donc tout ensemble réels comme ces formes elles-mêmes et comme les activités divines qui s’y rapportent, mais non pas inhérents à l’essence divine, comme les éléments que nous y avons vus renfermés, puisqu’ils ne naissent que de la relation de l’Être divin avec l’existence finie, et tirent toute leur raison d’être de ces relations.
Quant au principe génétique des attributs divins, la scolastique et quelques dogmaticiens du XVIIe siècle empruntèrent au pseudo-Denys l’Aréopagite un triple procédé applicable à la recherche de cet objet ; le premier, via causalitatis (δι’ αἰτίας), consiste à remonter des manifestations dans le monde aux attributs réputés la cause de ces effets ; le second, le procédé d’exaltation, via eminentiæ (δι’ ὑπεροχῆς), consiste à exalter les qualités de l’être fini jusqu’à leur degré culminant pour les rapporter à Dieu ; le procédé d’élimination, via negationis (δι’ ἀφαιρέσεως), consiste à éliminer les imperfections et les défauts attachés aux choses finies pour leur opposer certaines perfections de l’Être divin.
Ce genre de technique, qui fut repris par quelques-uns des dogmaticiens du XVIIe siècle, nous paraît atteint du vice commun à toutes les méthodes constructives, et ne saurait non plus nous procurer qu’une connaissance incomplète et négative d’un objet supérieur et peut-être étranger à nos catégories. C’est à Dieu à s’abaisser vers nous, et il le fait par ses révélations ; ce n’est pas à nous à nous hausser jusqu’à lui par l’effort de notre volonté ou de notre intelligence, fût-ce en dégageant nos conceptions des limites qui les enferment, car la grandeur de Dieu dépasse non seulement nos limites, mais nos conceptions. Et si nous apportons inévitablement la part de l’infirmité de nos organes dans la compréhension des révélations que Dieu nous fait de ses mystères, c’est doubler nos chances d’erreur que de faire sortir la perfection de l’imperfection elle-même.
On différa également d’opinion sur la meilleure distribution de la matière. Les uns divisèrent les attributs divins en negativa ou ἀποφατικά, ceux obtenus par la via negationis, (unitas, simplicitas, immutabilitas, infinitas, immensitas, eternitas), et en positiva ou καταφατικά (vita, scientia, sapientia, sanctitas, justitia, veracitas, potentia, bonitas, perfectio) ; d’autres, en attributs immanents ou quiescents : absoluta seu immanentia, quiescentia, quae essentiam divinam describunt absolute et in se, citra respectum ad operationem, et en attributs relatifs ou transitifs : respectiva, relativa, operantia ou operativa, transeuntia, quæ ad ἐνέργειαν referuntur ; d’autres encore, suivant la via eminentiæ, en perfections de l’être, du savoir et de la volonté ; ou encore : de la puissance, de la sagesse et de l’amour ; en attributs métaphysiques et moraux ; ou enfin : en attributs communicables et non communicables.
Nous rejetons tous ces principes de division, soit qu’ils naissent d’un des procédés d’induction que nous avons déjà condamnés, soit qu’ils soient contraires à notre définition générale de l’attribut, qui ne saurait désigner, selon nous, une qualité immanente ou quiescente en Dieu même ; ou enfin, parce qu’ils transportent dans la vie divine des dualités qui n’existent que dans notre conception de Dieu, mais non pas en Dieu même, comme les catégories métaphysique et morale.
La plus vicieuse peut-être de toutes les divisions proposées, bien qu’elle soit peut-être la plus souvent employée dans l’enseignement populaire, est la distinction des attributs communicables et incommunicables, qui repose non pas même sur un fait, mais sur une éventualité, et qui d’ailleurs restera flottante et équivoque de sa nature.
Suivant la définition précitée des attributs divins, Schleiermacher les distribua dans les différents chapitres traitant des états divers du sentiment d’absolue dépendance, comme suit :
- Ceux qui sont encore étrangers à l’opposition du péché et de la grâce : éternité, toute présence, toute science ;
- Ceux qui répondent à la conscience du péché déjà formée : sainteté et justice ;
- Ceux qui naissent de la solution du conflit entre le péché et la grâce : amour et sagesse.
Pour les raisons indiquées plus haut, nous puiserons notre principe de division dans les différences de catégories de l’existence finie, auxquelles se rapportent les différents modes généraux de l’activité divine. Et comme la totalité de l’existence finie se partage tout d’abord en deux domaines, le domaine de l’être physique ou purement déterminé, et le domaine de l’être moral, en partie déterminé et se déterminant soi-même, notre première division des attributs divins opposera ceux qui se rapportent à la créature physique et ceux qui se rapportent à la créature morale.
Nous remarquons que, si les attributs de la seconde catégorie se rapportent exclusivement à la créature morale, ceux de la première se rapportent à la créature physique et aux parties de la créature morale soumises aux deux conditions du temps et de l’espace.