[1] Paul en avait appelé à César, et Festus l'avait envoyé à Rome ; ainsi fut trompé l'espoir des Juifs et rendu vaine l'embûche qu'ils avaient dressée contre l'apôtre. Ils tournèrent alors leur fureur contre Jacques, le frère du Seigneur, qui occupait alors le siège épiscopal de Jérusalem qu'il avait reçu des apôtres. Voici ce qu'ils entreprirent contre lui. [2] Ils le firent venir et, devant tout le peuple, lui demandèrent de renoncer à la foi au Christ. A la surprise de tous, il parla devant la multitude avec une liberté entière et une indépendance qui dépassait de beaucoup leur attente ; il confessa que Jésus notre Sauveur et Seigneur était le fils de Dieu. Un pareil témoignage, rendu par un tel homme, leur fut insupportable ; car, auprès de tous, il avait la réputation d'être un juste hors de pair, pour la sagesse et la piété de sa vie. Ils le mirent à mort, profitant pour le faire de l'absence de gouverneur ; car Festus venait justement alors de mourir en Judée. Cet attentat fut donc commis en dehors de toute autorisation et de tout contrôle d'un procurateur.
[3] Les circonstances de la mort de Jacques ont été déjà indiquées dans une citation de Clément. Celui-ci raconte qu'il fut précipité du haut du temple et tué à coups de bâton. Hégésippe, qui appartient à la première succession des apôtres, expose avec la plus grande exactitude ce qui concerne Jacques, dans le cinquième livre de ses Mémoires. Voici ce qu'il en dit :
« [4] Jacques, le frère du Seigneur, reçut l'administration de l'église avec les apôtres. Depuis les temps du Christ jusqu'à nous, il a été surnommé le juste parce que beaucoup s'appelaient Jacques. [5] Il fut sanctifié dès le sein de sa mère ; il ne buvait ni vin ni boisson enivrante, ne mangeait rien qui ait eu vie ; le rasoir n'avait jamais passé sur sa tête ; il ne se faisait jamais oindre et s'abstenait des bains. [6] A lui seul il était permis d'entrer dans le sanctuaire ; car ses habits n'étaient pas de laine, mais de lin. Il entrait seul dans le temple et ou l'y trouvait à genoux demandant pardon pour le peuple. La peau de ses genoux était devenue dure comme celle des chameaux, parce qu'il était constamment prosterné adorant Dieu et demandant pardon pour le peuple. [7] Son éminente justice du reste le faisait appeler le Juste et Oblias, c'est-à-dire en grec rempart du peuple et justice, selon que les prophètes le montrent à son sujet. [8] Certains membres des sectes, qui existaient au nombre de sept dans le peuple juif, et dont nous avons parlé plus haut, (dans les Mémoires), demandèrent à Jacques quelle était la porte de Jésus. Il répondit que Jésus était le Sauveur. [9] Quelques-uns d'entre eux se laissèrent convaincre qu'il était le Christ, mais les sectes susdites ne voulurent pas croire qu'il fût ressuscité, ni qu'il dût venir pour rendre à chacun selon ses œuvres ; en tout cas ceux qui avaient la foi, la tenaient de Jacques.
« [10] Beaucoup donc, et même des chefs, croyaient. Il en résulta un grand émoi parmi les Juifs, les scribes et les pharisiens : « Il y a danger, disaient-ils, que la masse de la nation ne place son attente en Jésus le Christ. » Ils allèrent donc trouver Jacques et l'abordèrent en ces termes : « Nous t'en prions, retiens le peuple ; car il se fourvoie sur Jésus en pensant que c'est le Christ. Nous t'engageons à parler de Jésus à tous ceux qui viennent pour le jour de Pâques ; nous te croyons tous, et nous rendons témoignage avec tout le peuple que tu es juste et n'as point d'égard aux personnes. [11] Persuade donc à la multitude de ne point s'égarer au sujet de Jésus ; car tout le peuple et nous tous, nous te croyons. Tiens toi sur le faîte du temple ; tu seras en vue de tous et tes paroles seront entendues de tout le peuple. » Car, à cause de la pâque, toutes les tribus et même les gentils se rassemblent.
[12] Les susdits scribes et pharisiens placèrent donc Jacques sur le pinacle du temple et ils lui crièrent ces paroles : « Juste que tous nous devons croire, puisque le peuple s'abuse à la suite de Jésus le crucifié, dis-nous quelle est la porte de Jésus. » [13] Il répondit d'une voix forte : « Pourquoi m'interrogez-vous sur le Fils de l'homme ? Il est assis au ciel, à la droite de la grande puissance et il doit venir sur les nuées du ciel. » Un grand nombre entièrement convaincus, dociles au témoignage de Jacques, disaient : « Hosanna au fils de David ! » Alors par contre les mêmes scribes et pharisiens se dirent les uns aux antres : « Nous avons mal fait de procurer à Jésus un pareil témoignage ; montons, précipitons cet homme ; on aura peur et on ne croira plus en lui ». [15] Ils se mirent à crier : « Oh, oh, même le juste s'est égaré » ; et ils accomplirent la parole d'Isaïe dans l'Écriture : « Enlevons le juste parce qu'il nous est insupportable ; alors ils mangeront le produit de leurs œuvres ». Ils montèrent donc et précipitèrent le juste. [16] Ils se dirent les uns aux autres : « Lapidons Jacques le juste » , et ils commencèrent à le lapider ; car il n'était pas mort de sa chute. Mais celui-ci se retourna, se mit à genoux et dit : « Seigneur, Dieu et Père, je t'en prie, pardonne-leur, ils ne savent ce qu'ils font. » [17] Cependant ils l'accablaient de pierres ; et un des prêtres, des fils de Rechab, fils de Rechabim auxquels le prophète Jérémie a rendu témoignage, s'écriait : « Arrêtez, que faites-vous ? Le juste prie pour vous. » Alors un foulon qui se trouvait parmi eux prit le bâton avec lequel il foulait les étoffes et frappa le juste à la tête. Ce fut ainsi que Jacques fut martyrisé. On l'ensevelit sur place près du temple, où l'on voit encore aujourd'hui s'élever son monument. Il avait donné aux Juifs et aux Grecs le témoignage véridique que Jésus est le Christ. Et bientôt après, Vespasien les assiégea. »
[19] Voilà ce qu'Hégésippe raconte au long, s'accordant, du reste, avec Clément. Jacques était si admirable et si vanté de tous pour sa justice, que les gens sensés parmi les Juifs pensèrent que son martyre fut la cause du siège qui suivit immédiatement : ils crurent qu'une pareille calamité n'avait d'autre raison que ce sacrilège audacieux. [20] Josèphe n'hésite pas du reste à se ranger à cet avis, et en témoigne en ces termes :
« Ces malheurs, écrit-il, arrivèrent aux Juifs à l'occasion du crime qu'ils commirent contre Jacques le juste : il était frère de Jésus qu'on appelle le Christ, et les Juifs le mirent à mort malgré sa justice éminente. »
[21] Il raconte aussi sa mort au vingtième livre de ses Antiquités. Voici ses paroles :
« César, à la nouvelle de la mort de Festus, envoya Albinus en Judée comme gouverneur. Ananos le jeune, que nous avons dit avoir reçu le souverain pontifical, était d'un caractère audacieux et absolument entreprenant ; il appartenait à la secte des Sadducéens, dans les jugements la plus cruelle de toutes parmi les Juifs, ainsi que nous l'avons déjà montré. [22] Ananos, avec ces dispositions, vit dans la mort de Festus une occasion favorable ; tandis qu'Albinus était encore en route, il réunit une assemblée de juges, fit comparaître devant eux le frère de Jésus dit le Christ, appelé Jacques, avec quelques autres, accusés comme lui de transgresser la loi, et les condamna à être lapidés. [23] Tous les esprits modérés qui se trouvaient dans la ville, et les stricts observateurs des lois virent cet excès avec peine et ils envoyèrent en secret des messagers au roi pour le prier d'interdire à Ananos une pareille manière d'agir et l'informer qu'il n'avait jusqu'alors rien fait de bon. Quelques-uns d'entre eux allèrent du reste à la rencontre d'Albinus, qui arrivait d'Alexandrie, et lui dirent qu'Ananos n'avait pas le pouvoir de convoquer le tribunal sans son consentement. [24] Le gouverneur crut ce qu'on lui disait. Il écrivit avec colère à Ananos et le menaça de le punir. De son côté, le roi Agrippa lui enleva à cause de cela le souverain pontifical, qu'il exerçait depuis trois mois, et mit à sa place Jésus, fils de Damaeas. »
Voilà ce que l'on raconte de Jacques auquel on attribue la première des épîtres appelées catholiques. [25] Mais il faut savoir qu'elle n'est pas authentique. Peu d'anciens la citent, comme du reste l'épître attribué à Jude, encore une des sept épîtres appelées catholiques. Nous savons cependant que l'une et l'autre sont lues publiquement avec les autres dans un grand nombre d'églises.