La domination du péché dans le monde et au cœur de l’homme a rendu nécessaire une loi révélée. L’homme pécheur est naturellement enclin à se faire un Dieu à son image, autant dire un Dieu commode et complaisant, point trop sévère pour punir le péché et point trop exigeant à requérir en faveur de la justice. A ce laisser faire, on verrait bientôt prescrire le commandement de la loi et les répréhensions de la conscience. Aussi Dieu nous a révélé une loi positive pour attester les légitimes exigences de sa justice. Cette loi est devant nous comme un miroir incorruptible qu’aucun souffle ne peut ternir. Elle ne flatte personne et nous oblige à nous voir tels que nous sommes dans nos rapports avec la justice. Tandis que le paganisme qui veut être sa propre loi à lui-même, est obligé de la déchiffrer et de la lire péniblement dans l’inscription à demi effacée que l’homme porte toute mutilée dans son cœur, et pour lui, représente son seul idéal, la révélation, telle qu’elle s’impose au peuple d’Israël, nous montre au contraire la loi en dehors et au-dessus de nous, dans son origine et sa majesté célestes. Mais il ne faudrait pas pour cela nous la représenter comme un fait extérieur à l’homme, comme une puissance qui ne vient que d’en haut. Ce serait bien triste chose que l’homme, si Dieu n’avait fait que lui révéler sa loi, et si cette révélation ne valait que pour le retenir sous son éternelle dépendance ! La révélation de la loi n’est, au contraire, qu’un moment dans l’économie du salut et de la rédemption. Elle a pour cause première la grâce qui est en Christ et qui en lui représente la glorification de la loi. Mais on ne saurait trop le redire, la loi que promulgue Moïse n’est qu’un effet de la grâce. Aussi la grâce qui est en Christ ne peut en être que l’accomplissement.
Le contenu essentiel de la loi que Moïse a révélée au peuple d’Israël se trouve renfermé dans le décalogue ou les dix commandements. Ces dix commandements peuvent se résumer dans l’amour pour Dieu quoiqu’il ne soit jamais formellement énoncé. En présence d’un peuple à peine affranchi de l’idolâtrie et qui retient dans son cœur un secret penchant pour les maîtres sensuels et grossiers que divinise la nature, la loi qui veut faire son éducation morale doit donc procéder avec une excessive prudence. Il faut que pour atteindre à la spiritualité, sa seule raison d’être, elle n’avance que pas à pas avec une sage lenteur et procède toujours du dehors au dedans. Elle commence donc par discipliner les actes avant de régler les sentiments et les pensées. C’est à cette seule fin que tendent toutes ses aspirations, car elle est spirituelle (Romains 7.14). Mais ce spiritualisme ne peut pas se révéler tout à la fois. Pour répondre au but poursuivi, la loi revêt d’abord une forme préventive. Au lieu d’attaquer directement le mal, elle cherche à inculquer le sentiment du devoir, en retenant l’homme dans la pensée d’une obligation qui le suit dans toutes ses voies et constitue comme un milieu qui constamment lui répète : « tu ne dois pas et tu dois. » C’est ainsi qu’elle l’oblige à reconnaître l’instinct du mal contre lequel elle veut réagir. Dans son inspiration première et générale, elle embrasse pour les garder, ainsi que ferait une sentinelle vigilante, tous les moments principaux de la vie de l’homme. Si les trois premiers commandements nous disent nos rapports avec Dieu, le culte que nous devons lui rendre, les commandements qui suivent sont pour régler nos rapports avec nos parents, ces représentants de la plus ancienne et de la plus légitime de toutes les autorités. Puis viennent ceux qui concernent notre prochain, sa vie, ses affections de famille, son bien, son honneur, son bon renom. Les neuvième et dixième commandements sont pour interdire en termes réitérés la convoitise sous quelque forme qu’elle puisse se présenter. « Tu ne convoiteras pas », c’est la racine même du péché qu’attaque ce commandement en prévenant toute atteinte soit directe, soit dissimulée contre le bien du prochain. Mais il faut le rappeler, la loi débute par ces paroles : « Je suis l’Eternel, ton Dieu. » C’est donc avec la majesté de la puissance qui se sait éternelle, qu’elle promet la bénédiction à ceux qui obéiront et le châtiment et la malédiction à ceux qui enfreindront ses ordres. Quoique elle n’apparaisse qu’à travers les éclairs et les flammes de feu du Sinaï, au milieu des lointains et majestueux grondements du tonnerre, qu’on entend retentir encore dans chacun de ces « il faut, » ou « il ne faut pas, » cette loi cependant, on ne peut se le dissimuler, est un effet de la grâce et une grâce elle-même. Le Dieu qui commande est celui qui d’abord a délivré. Il a fait sortir Israël du pays d’Egypte et l’a arraché au dur joug des esclaves. C’est le même Dieu qui a traité avec Abraham l’Alliance de la bénédiction et préparé pour son peuple le bien suprême, le Royaume de son fils, le Messie. Et cependant, sous l’Ancienne Alliance, la liberté et l’autorité apparaissent comme deux contraires toujours en lutte, et entre lesquels la conciliation n’apparaît jamais possible. La volonté de l’homme ne sait pas s’entendre avec la volonté divine et sans cesse lui résiste. Et si parfois elle se soumet, on entend encore le cœur qui murmure. Et toujours la voix de tonnerre fait retentir « son il faut ou il ne faut. » Et l’homme reste dominé par un esprit de crainte et de servitude qui est tout autre que celui de la grâce et de l’adoption filiale (Romains 8.18). Mais la loi est un pédagogue qui veut élever la volonté de l’homme à la glorieuse liberté des enfants de Dieu ; il faut donc qu’il entende le sens spirituel de la loi et que dans la loi il reconnaisse sa véritable nature, et que par elle, il apprenne également son impuissance à l’accomplir. En un mot, il faut que la loi lui apprenne à confesser son péché et le rende capable de s’approprier la grâce qui est en Christ. Les psaumes et les prophètes nous font connaître ce sens spirituel et profond de la loi et en même temps ils nous enseignent à la considérer comme notre bien et notre joie suprêmes. Mais trouver sa joie dans la loi de l’Eternel, c’est avoir connu l’amertume du péché et ressenti dans son cœur l’ineffable désir de la rédemption.
C’est au point de vue de cette divine pédagogie, qu’il faut surtout considérer la loi. Mais dire que cette loi est essentiellement un pédagogue, c’est reconnaître qu’elle veut être une discipline pour la volonté de l’homme. Cette discipline doit donc comprendre avec le châtiment tout ce qui peut contribuer à briser l’égoïsme du cœur naturel de l’homme et lui faire aimer l’obéissance de la loi. Le pédagogue prend l’enfant faible encore et qui ne sait pas encore marcher tout seul ; il le dirige, le soutient et le porte. En même temps, il doit faire servir pour son meilleur développement, toutes les circonstances extérieures qui constituent son milieu. Tout ce que doit être le pédagogue, on peut dire que Dieu l’a été par les dispensations providentielles qu’il prodigue à son peuple. Et cependant, avant d’être le pédagogue prévenant et doux qui craint toujours de traiter trop durement son pupille, Moïse a été avant tout un dompteur d’hommes âpre et dur. Mais il ne faut pas l’oublier, c’est l’Ecriture qui nous le rappelle, il fut en même temps « le plus débonnaire des hommes » (Nombres 12.3). Pour familiariser l’homme avec le sentiment du devoir et le retenir constamment en garde contre le mal, la loi de Dieu se confondait avec la loi civile. Et dans cette théocratie, il n’est pas d’ordonnance religieuse qui ne soit en même temps une loi de l’Etat. C’est également à cette intention pédagogique qu’il nous faut ramener, si nous voulons les comprendre, toutes les lois cérémonielles, toutes les prescriptions sur la pureté ou l’impureté des aliments. La forme extérieure n’est ici que le symbole qui nous élève à la pensée vraie. En opposition avec le paganisme qui a toujours confondu la nature et l’esprit, supprimé les barrières voulues de Dieu entre les œuvres diverses de sa création, Israël doit, au contraire, apprendre dès les premières heures de son existence, à les reconnaître et à les respecter. C’est en ce sens qu’il faut entendre des prescriptions comme celles qui défendent d’accoupler l’âne avec le bœuf, d’ensemencer son champ de deux espèces de semences (Lévitique 19.19) et de porter des vêtements tissus de deux espèces de fila. Israël ne peut pas faire un pas sans se trouver en présence d’une loi qui lui prescrive ce qu’il doit faire ou ce qu’il doit éviter. Aussi les rabbins comptent-ils dans la loi mosaïque deux cent quarante-huit commandements positifs et trois cent soixante-cinq négatifs. Mais tout cet ensemble de lois et de préceptes, d’ordonnances et de prescriptions, ne vaut que pour retenir la pensée captive sous le regard de la loi et la préparer à l’avènement de la grâce. La promesse vient toujours avec la loi et fait entrevoir la réconciliation de l’homme et de Dieu s’accomplissant par le moyen d’un sacrificateur et d’un sacrifice dont le sanctuaire lévitique n’est que l’ombre et dont la réalité ne sera pleinement manifestée qu’en Jésus-Christ.
a – Voir Stahl : Philosophie du droit.
Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi et les prophètes. Je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir (Matthieu 5.17) ; c’est en ces termes que le Seigneur Jésus nous déclare quel doit être son ministère au regard de la loi. Il ajoute même que le ciel et la terre passeront, avant qu’un seul trait de la lettre ou qu’un seul iota soit enlevé à la loi. Cette déclaration nous oblige à nous demander si le Seigneur entend par la loi les dix commandements ou tout l’ensemble des prescriptions et des ordonnances cérémonielles qui constituait le code lévitique. Rien ne nous autorise à croire que dans la pensée du Sauveur la loi tout entière restât comprise dans le seul décalogue. Le contexte semble bien ne viser que la loi du Sinaï, mais les déclarations que nous venons de citer pourraient bien signifier que la loi, avec ses dépendances religieuses et cérémonielles, pour lui, ne formait qu’un seul tout. Mais comment alors a-t-il pu dire que la loi ne peut pas perdre un seul trait de lettre, avant que le ciel et la terre soient passés ? N’est-il pas évident pour tous que non seulement la loi cérémonielle mais l’ordre mosaïque tout entier a été définitivement aboli et ne l’a été que par l’influence chrétienne elle-même ? Nous répondons qu’il a pleinement et définitivement accompli la loi, en la dégageant des formes périssables qui étouffaient sa pensée immortelle sous prétexte de la contenir et de la garder. A considérer cette loi mosaïque comme formant qu’un ensemble divin, il ne s’en est pas perdu un seul trait de lettre, sans qu’il n’ait été au préalable pleinement réalisé. Toutes les idées qu’il contenait comme, par exemple, les distinctions entre les choses pures et les choses souillées, se trouvent accomplies dans la loi de sainteté que Jésus nous a enseignée. Quant aux dix commandements ou, si on l’aime mieux, à la loi morale, elle l’a également accomplie, en la dégageant de la fausse légalité qui en méconnaissait la valeur et pour tout dire, ne tendait à rien moins qu’à supprimer le bien et le mal, en les confondant avec l’intérêt bien entendu, par cela seul qu’elle les faisait dépendre de la peine ou de la récompense. Il l’a surtout réalisée en nous enseignant qu’il fallait avant tout, avant les œuvres, la pureté du cœur, la sincérité d’une intention droite, une justice infiniment meilleure que celle des scribes et des pharisiens. Il a été dit aux anciens : Tu ne commettras point d’adultère, mais moi je dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis adultère avec elle dans son cœur (Matthieu 5.21, 27). Quand cette loi du dehors qui n’était qu’une lettre morte, il la fait vivante dans le cœur, on peut dire qu’il la glorifie en l’élevant à la hauteur d’une loi universelle pour l’humanité tout entière. On peut dire encore qu’en faisant de cette loi de la chair, la loi de l’esprit, le commandement qui fait revivre en nous l’image divine, il l’a pleinement glorifiée. Et quelle gloire que celle qu’il confère à cette loi ? Elle n’était la loi que d’un seul peuple ; il en fait la loi de l’humanité véritable, la loi parfaite de la volonté de Dieu et de son Royaume. Et ce Royaume de Dieu qui n’est encore que le Royaume invisible et ne représente que l’ordre de choses à venir, lie la volonté de l’homme infiniment plus et à un titre beaucoup plus sacré que la loi de l’Etat, alors même que cet Etat serait un état ecclésiastique. En assignant à l’homme un rapport de dépendance étroite et personnelle avec le père des esprits bienheureux, il l’élève infiniment plus haut que jamais aucun sanctuaire n’aurait pu le faire, s’appelât-il Garizim ou Jérusalem.
Mais il ne faut pas entendre ce que nous venons de dire au sens et au profit de ce spiritualisme exclusif qui, sous prétexte de glorifier la conscience, supprime pour elle toute autorité visible. Une pareille conception ne peut être possible qu’à la condition d’oublier que le Christ, venu pour accomplir pleinement la loi, n’a pu le faire sans reconnaître son imprescriptible autorité et sans revendiquer pour lui-même une autorité plus grande encore. Aussi c’est lui qui nous l’affirme, il a reçu de son père toute autorité sur la terre et au ciel. Il exerce cette souveraine autorité avec la certitude d’une indépendance absolue, non point comme le serviteur qui se sait dépendant et responsable dans la maison de son maître, mais comme le fils qui aime à se rappeler que tout ce qui est à son père est à lui. Quand il enseigne, il dit bien haut : « C’est moi qui vous le dis. » Il ne veut donc pas qu’on confonde sa parole avec celle d’un maître de la terre, si éminent soit-il, et qu’on oublie sa surhumaine autorité. Ce n’est pas lui qui dirait à ses disciples, comme Socrate le disait aux siens, qu’il veut seulement les rendre capables de découvrir la vérité par eux-mêmes, leur apprendre à s’interroger, à se voir tels qu’ils sont, à descendre en eux-mêmes, afin de les affranchir toujours plus de son autorité à lui. Christ, au contraire, veut les lier par la toute puissance de sa parole et il leur enseigne qu’ils seront jugés un jour, par cette parole que les deux et la terre passeront, mais qu’elle ne passera jamais. Et cependant, si délirantes d’ambition que puissent nous apparaître ces surhumaines prétentions, au lieu de repousser et de froisser, elles attirent et dans tous les cœurs laissent l’impression d’une majesté souveraine dont la douceur toujours émeut et captive. Et son commandement, alors même qu’il s’impose avec le plus d’exigence, nous enjoignant de rechercher le Royaume de Dieu et sa justice, n’est jamais que celui de la conscience et de la liberté elle-même.
Si hautement que le Seigneur Jésus ait glorifié la loi morale par sa parole et son enseignement, plus hautement encore il l’a glorifiée par son ministère, son œuvre, sa vie tout entière consacrée au service de tous. A le contempler, nous rencontrons enfin l’idéal suprême et nous apprenons que la charité est la force qui accomplit la loi et nous affranchit de sa domination. Avec lui et dans sa communion, nous comprenons que plus on aime, et plus on réalise l’entière perfection. Ce n’est, en effet, que pour nous et notre rédemption qu’il se consacre et se soumet à une obéissance toujours plus entière à toutes les prescriptions de la justice. Et cette justice, il continue à l’accomplir en nous. A ce titre il est notre rédempteur, celui qui régénère et fait passer des ténèbres à la lumière. Plus nous comprenons la loi, la légitimité de ses exigences, et plus nous sentons notre impuissance à les réaliser. Et il n’est pas un seul d’entre nous qui, devant elle, à s’examiner sérieusement, ne soit contraint d’avouer sa complète impuissance, alors surtout que cette loi devient la parole des béatitudes qui, du haut de la montagne sainte, proclame le Royaume de Dieu. Et cependant, de toutes les exigences saintes qu’alors elle nous impose, il n’en est pas une seule qui ne soit pour nous obligatoire au témoignage de notre propre conscience. Et plus attentivement nous nous interrogeons, et plus nous sommes contraints de confesser que pour accomplir la justice du sermon sur la montagne, il faut des hommes tout autres que ceux que la terre enfante et admire ; et cependant, cette justice, nous sommes les premiers à le reconnaître, n’en est pas moins la justice nécessaire et première ! Et nul ne peut en méconnaître la divine et humaine légitimité. Pour comprendre le mystère de notre rédemption, il faut donc que nos yeux s’ouvrent et que nous reconnaissions que celui qui le plus a fait prévaloir la loi contre nous, avec toutes ses inexorables exigences, est aussi celui qui accomplit en nous cette loi dans le Saint-Esprit, par sa grâce salutaire et prévenante (Tite 2.11). Lorsqu’il se fait notre Sauveur et nous reçoit dans son alliance, par la foi justifiante, il nous communique le droit d’être faits enfants de Dieu et nous inspire en même temps un esprit nouveau, des désirs nouveaux qui nous font capables d’aspirer vers l’idéal céleste. Cet idéal ne perd jamais rien de sa réalité, quoique nous ayons toujours à porter le poids de nos faiblesses et à ressentir comme chrétiens et quoique chrétiens, l’amertume d’humiliantes et douloureuses contradictions. Les commandements du Christ, sa loi qui tout entière appelle la sainteté, ne se conçoivent jamais sans la grâce dont ils ne sont que la conséquence et la préparation. Aussi, pour comprendre le sermon sur la montagne, il ne faut jamais perdre de vue qu’il a été prononcé du haut de la montagne qui, pour tous les croyants s’appelle la montagne des béatitudes. Seule, elle a entendu et nous garde la parole qui proclame heureux ceux qui souffrent, ceux qui pleurent, ceux qui mènent deuil, ceux qui ont faim et soif de la justice et qui, dans leur complet dénuement, dans leur indigence des choses et des puissances de l’esprit, se sentent toujours plus angoissés et plus incapables en face de l’idéal de sainteté et de vérité qui les attire et les lait souffrir. Cette doctrine qui exige la sainteté est cependant la même qui nous apporte le secret du bonheur. Quelque austère et menaçante que devienne la parole du Christ, lorsque pour conclusion au sermon sur la montagne, elle nous met en présence des deux voies, des deux constructions dont l’une appelle la ruine, tandis que l’autre toute seule peut assurer la vie véritable, on ne peut pas cependant la comprendre si elle n’est pas d’abord pour nous, le secret du bonheur, l’idéal de la céleste félicité.
On s’est demandé si l’on pouvait appeler le Seigneur Jésus un législateur, le législateur par excellence. La réponse à cette question dépend du sens que l’on donne à ce mot. La théologie catholique, fidèle à son légalisme étroit, s’est toujours complu à considérer l’Évangile comme une seconde loi et le Seigneur Jésus comme un second Moïse, le vrai législateurb. Les Réformateurs, au contraire, hésitent à lui donner ce titre. Ils aiment surtout à voir en lui celui qui donne à la loi sa véritable signification et la rend facile et douce, tout en maintenant ses saintes exigences. Il est, en effet, évident que le Christ n’est pas un législateur à la manière de Moïse. Nul ne pourrait soutenir qu’il ait fondé une constitution théocratique, une loi s’imposant à tous les moments de notre existence sous la forme de préceptes et de règlements. On ne peut pas dire non plus qu’il ait apporté de nouvelles tables de la loi et formulé un nouveau code. Dans l’Eglise protestante, on commettrait donc une étrange méprise si l’on voulait voir dans le sermon sur la montagne, des ordonnances civiles et religieuses. Pour qu’une pareille erreur fût possible, il faudrait oublier que ce n’est qu’au cœur qu’il parle et qu’on ne peut le comprendre qu’à l’aide des sentiments et des impressions de la religion et de la morale. Et cependant, c’est en légistateur qu’apparaît le Christ dans son sermon sur la montagne, puisque alors il promulgue la charte du Royaume de Dieu dont il veut être le fondateur. Et il ne se contente pas d’exposer la loi de Moïse, il l’a exposée et accomplie dans toute sa perfection. Il nous a aussi donné un nouveau commandement, le commandement de l’amour (Jean 13.34). En même temps, il formule le principe et l’esprit véritable de la loi, à l’aide de nombreux enseignements. Mais à parler du Christ législateur, il faut toujours se rappeler qu’il ne veut l’être que pour accomplir la loi en sa propre personne, et nous donner la force de l’accomplir en lui. Il ne faut pas non plus oublier que l’autorité du Christ n’est la toute puissance qui règne au ciel et sur la terre, que parce que toujours elle suppose la grâce et se confond avec elle.
b – Qu’il soit anathème celui qui dit que Christ n’a été donné aux hommes qu’à titre de Sauveur, afin qu’en lui seul nous mettions notre confiance, et qui en même temps ne voudrait pas le reconnaître comme le législateur auquel nous devons obéir. (Conc. Trente, Session VI-XXI.)